10 ans après les accords de Dayton en Bosnie Herzégovine...

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10 ans après les accords de Dayton, marquant la fin de la guerre en Bosnie Herzégovine et son partage en trois entités (Serbe, croate et Musulmane)...comment vit ce pays encore sous tutelle internationale ?

6 ans après les bombardements de l'OTAN sur la Serbie et la mise sous tutelle de l'ONU de la province du Kosovo... il est question de revoir son statut en 2006.

Quel est l'avenir des Balkans ?

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La Bosnie-Herzégovine, à mi-chemin entre Dayton et Bruxelles
Par Vedran Dzihic [Membre de BiH2005]

Traduit par Ursula Burger Oesch
Mise en ligne : lundi 30 mai 2005

Dix ans après Dayton, l’intégration européenne est proposée comme perspective à tous les pays des « Balkans occidentaux », mais nous ne pouvons pas seulement attendre que « l’Europe » vienne chez nous. Tout dépend des propres capacités de la Bosnie-Herzégovine à engager des réformes profondes et à définir des objectifs politiques. En réalité, nous sommes encore très loin de l’Europe.

La période précédent le dixième anniversaire des Accords de Dayton représente une période de bilans et d’évaluations de ce qui a été fait ou omis durant ces dernières années. Sur le sujet, en Bosnie et Herzégovine ainsi qu’à l’étranger, existe une dialectique bizarre entre pessimisme et optimisme, sous forme de critiques trop marquées d’un côté et d’euphorie de l’autre.

Si l’on prenait les déclarations et les discours faits à l’occasion du Nouvel An comme une sorte de sismographe pour les changements et les courants sociaux, on constaterait que, d’une année à l’autre, la Bosnie et Herzégovine se trouve à chaque fois devant une « année décisive » ou devant des « réformes décisives » et, ces derniers temps, également à la veille d’« une année comportant des démarches décisives sur le chemin vers l’UE ». Mais en réalité nous sommes encore très loin de l’Europe. Si l’on croyait à l’optimisme des partis politiques au pouvoir et de leurs représentants, on pourrait avoir l’impression que la Bosnie et Herzégovine manque d’un rien pour adhérer à l’Europe, comme s’il s’agissait seulement de quelques minuscules détails techniques sur son chemin vers l’Union Européenne. Or la Bosnie et Herzégovine n’a pas besoin d’illusions, elle a besoin de réalisme.

Où se trouve-t-on dans la dixième année après Dayton ? Quelle distance nous sépare de Bruxelles ?

Commençons par Dayton, comme point de départ de l’odyssée vers Bruxelles. Dayton a mis terme à la guerre, mais n’a pas créé un cadre adéquat pour un État durable et par la même occasion pour l’intégration de la Bosnie et Herzégovine à l’UE. Il a créé un pays partagé et seulement une illusion d’organisation démocratique propre au pays, qui n’est vraiment qu’une apparence - la définition de l’appartenance ethnique des citoyens et la domination du principe ethnique dans toutes la structure étatique constitue un frein pour le développement de la Bosnie et Herzégovine vers la construction d’un État moderne et démocratique.

Vers une identité « bosnienne » commune

Parallèlement à cela, nous avons du mal à comprendre que les réformes que nous devons entreprendre sur notre chemin vers l’Europe ne signifient pas la perte de l’identité nationale de notre peuple, mais représentent un pas important depuis l’exclusivisme ethnique vers un principe civil inclusif et libéral, vers « une identité bosnienne » commune, nécessaire pour la réalisation d’objectifs communs et vers une forme d’« auto-responsabilité » civile.

L’un des principaux problèmes dans ce contexte est constitué par le manque d’une vision commune étatique et par la même occasion européenne des citoyens de Bosnie et Herzégovine, ainsi que de leurs représentants politiques, pour qui les intérêts particuliers économiques et nationaux demeurent en règle générale plus importants que l’intérêt des citoyens. Une administration publique peu fonctionnelle, inefficace et économiquement peu durable, comportant de nombreux Présidents, ministres et leurs substituts, au niveau des institutions communes, des entités, des cantons et du district de Brcko, résultant de Dayton, ralentit également le développement de la Bosnie et Herzégovine vers un État démocratique ayant un profil européen.

La situation économique et sociale catastrophique dans laquelle le pays se trouve, le grand taux de chômage, la grande pauvreté, la forte présence de structures criminelles, la corruption et l’apathie présente chez les jeunes se manifestant dans leur envie de quitter le pays et se traduisant par les longues files d’attente devant les ambassades des pays de l’Ouest - tout cela fait partie de la réalité bosniaque, et est aussi la raison pour laquelle on ne fait pas pour instant davantage d’efforts pour surmonter une telle situation.

Tout le monde s’accordera sur le fait que la Bosnie et Herzégovine doit faire un pas décisif de Dayton vers Bruxelles. Après la phase de reconstruction et de stabilisation de la paix immédiatement postérieure à la guerre, la Bosnie et Herzégovine se trouve aujourd’hui toujours dans la phase de transformation du protectorat fondé sur les compétences de Bonn, c’est-à-dire dans une phase qui correspond et en même temps ralentit le processus de l’intégration européenne. Le pas décisif de Dayton vers Bruxelles n’est toujours pas fait, la Bosnie et Herzégovine est encore davantage daytonienne qu’européenne, plus particulaire et nationale que commune et civile. Et le temps passe...

Le temps perdu

La liste des problèmes qui concernent le processus actuellement en cours pour l’intégration à l’UE est longue. La vitesse n’est pas satisfaisante ; deux années se sont déjà écoulées depuis la publication de l’Etude de Faisabilité européenne, alors que la Bosnie et Herzégovine n’a toujours pas reçu le feu vert de la part de Bruxelles pour le début des négociations de stabilisation et d’association à l’Union. Dans le travail de mise en oeuvre des recommandations relatives aux 16 domaines de l’Etude de Faisabilité, qui prévoit 45 nouvelles lois et la formation de 25 nouvelles institutions, un certain progrès a été réalisé, mais les autorités bosniennes ont mis plus de deux ans pour y parvenir. Parallèlement à cela, il ne faut pas oublier que grand nombre de « succès » des autorités locales et des partis au pouvoir sont le résultat direct d’interventions de la communauté internationale et du Haut représentant, qui ont imposé des réformes ne résultant pas d’une volonté politique intérieure.

Dans le même temps, la dynamique de la mise en œuvre des lois adoptées reste catastrophique. On est toujours déficitaires en matière de capacités institutionnelles et de ressources humaines pour la mise en œuvre des lois adoptées, et les moyens financiers nous manquent également. La communication et la coopération entre les institutions sont mauvaises. Ce qui manque également, c’est un lobbying efficace des autorités bosniennes sur la scène internationale, ou encore des informations générales destinées à la population sur l’UE ainsi que sur les efforts et les démarches nécessaires pour l’intégration de la Bosnie et Herzégovine dans l’Union Européenne.

La réalisation des critères européens ne sera pas simple et ne se déroulera pas d’une façon rapide et il n’y a pas de raccourcis sur le chemin vers l’UE. Il n’y en aura par conséquent pas non plus pour la Bosnie et Herzégovine. L’optimisme déclaratif des dirigeants politiques au pouvoir ne suffit pas pour réaliser un progrès véritable. Certaines forces politiques soutiennent ouvertement les intégrations européennes, mais pas les réformes susceptibles de rendre l’Etat fonctionnel. L’opposition de son côté ne propose pas non plus d’alternatives véritables et fondées sur les problèmes actuels. Même les citoyens de Bosnie et Herzégovine ne sont pas suffisamment informés quant à la signification de l’UE, sur ce qui les attend sur le chemin vers l’Union et sur ce que l’Union peut réellement leur offrir. La majorité des citoyens perçoit comme principal intérêt résultant de l’adhésion à l’UE le fait de pouvoir voyager plus facilement en Europe, sans complications et sans visa, ainsi que de suivre une éducation et de travailler dans des métropoles européennes. Ces désirs vont rester encore longtemps de simples vœux sans fondements réels.

L’Europe est active

L’Union Européenne a proposé a la Bosnie et Herzégovine et aux autres pays des « Balkans de l’Ouest » une perspective d’intégration, elle a approuvé l’Etude de faisabilité, elle a pris sur elle la composante policière et militaire de Bosnie et Herzégovine. La Délégation de la Commission Européenne en Bosnie est très active dans beaucoup de domaines ; le Haut représentant est depuis peu également le représentant de l’Union européenne. Il n’y a pas longtemps, la Commission Européenne a transmis les compétences pour la Bosnie et Herzégovine de sa Direction pour les Relations Extérieures vers la Direction pour l’Elargissement, en donnant ainsi un signal clair qu’elle tient compte de la Bosnie et Herzégovine.

Cependant, l’Union Européenne est préoccupée par ses propres problèmes internes, problèmes que, dans notre réalité, nous avons tendance à oublier. Après le dernier élargissement de l’Union à dix nouveaux membres, l’UE se trouve entre le dilemme d’un nouvel élargissement ou d’un approfondissement interne du niveau d’intégration au sein même de l’UE, elle voit se dérouler de vives discussions sur la nouvelle Constitution, se confronte à une tendance d’expansion de l’euro-scepticisme chez les états-membres actuels de l’UE. C’est pourquoi la vitesse d’adhésion à l’Europe dépendra avant tout de la Bosnie et Herzégovine, de ses autorités et de ses citoyens.

De son côté, le rôle de l’Europe est de proposer à la B&H un véritable partenariat et peut-être de faire un pas plus décidé et audacieux vers ce pays, envers les citoyens duquel, à cause des négligences au cours des années 1990, elle a une grande responsabilité. Il est nécessaire de réaliser un plus grand degré de flexibilité des initiatives européennes et des concepts politiques, une stratégie claire et consistante de l’UE et d’adapter les instruments actuels d’intégration aux spécificités locales ; cela veut dire un plein et concret - donc, pas seulement déclaratif - soutien au développement des capacités locales. Ceci pourrait être réalisé par exemple en forme d’une « adhésion junior » à l’UE ou en forme d’allégements spéciaux lors de l’adhésion de la Bosnie et Herzégovine au sein de certaines structures et des fonds de cohésion de l’UE.

Le contexte régional

En réfléchissant à cette problématique, il ne faut pas oublier le contexte régional. Celui-ci nous suggère également que le temps passe : en 2005 et 2006, les questions du lien étatique entre la Serbie et le Monténégro ainsi que la question du statut du Kosovo seront au centre d’attention de l’opinion publique internationale. Cela veut dire que la Bosnie et Herzégovine doit encore plus clairement se tourner vers elle-même, elle doit prendre l’initiative entre ces propres mains. Sans « auto-responsabilité » de ses citoyens et sans une conscience réelle de ce qu’est l’Europe et le chemin qui mène vers elle, il n’y aura pas de pression adéquate sur les élites politiques à fin de changer les modèles de leur comportement. Et sans les élites, les experts, les fonctionnaires et des institutions adéquates, nouvelles, capables, professionnelles et orientées vers l’Europe, nous allons attendre encore longtemps que « l’Europe » vienne chez nous. Le jour même de l’adhésion à UE presque rien n’aura à changer, les changements véritables doivent avoir lieu avant cette date, dans un processus de réformes, de changements, d’ajustements et d’adaptations aux règles et coutumes de l’UE : Pour ces changements-là aussi nous avons besoin de nouveaux cadres, de forces fraîches réformatrices.

Le dixième anniversaire des Accords de Dayton est une bonne occasion pour faire un bilan des résultats ainsi que pour mobiliser à nouveau des forces prêtes pour les réformes, ayant des idées audacieuses et durables, et une vision européenne pour la Bosnie et Herzégovine. Sans aucun doute, Dayton bloque le développement de la Bosnie et Herzégovine, et en même temps il peut difficilement être changé sans un consensus intérieur entre les peuples et les citoyens de la B&H. Ce dilemme poursuivra la Bosnie et Herzégovine également dans la prochaine période de son rapprochement à l’UE. Tôt ou tard, les changements constitutionnels vont avoir lieu car ils sont inévitables. Mais ils ne seront probablement pas proposés en forme d’un nouveau Dayton et ne seront pas le résultat d’une dictat politique ou du dictat de la communauté internationale. Dans les conditions idéales, les réformes devraient être le résultat d’un rapport auto-responsable de tous les citoyens de Bosnie et Herzégovine envers leur propre pays et son avenir, elle devraient être le résultat d’un accord interne.

Le processus de transition, de démocratisation et de voyage de la Bosnie et Herzégovine vers l’UE est difficile, il demande beaucoup de temps, de patience, de renoncements, de force et de travail continu - mais il est nécessaire et n’a pas de véritable alternative. L’intégration européenne ne va pas régler tous les problèmes de la Bosnie et Herzégovine, mais elle va lui proposer un cadre meilleur et plus stable pour leur résolution progressive. En plus de cette vision européenne, nous avons besoin d’un plan concret et applicable pour un accès rapide de la B&H à l’UE - nous avons besoin de réformes pragmatiques « pas après pas », en sachant que ces pas doivent être assez grand et prolongés.

Dans un rapport de partenariat, l’Association B&H 2005 réunit des personnes jeunes et progressistes de Bosnie et Herzégovine, de la diaspora et des cercles internationaux. Le moment est arrivé pour une nouvelle période en Bosnie et Herzégovine - 10 ans de Dayton, la conférence de Genève, mais avant tout les gens et les citoyens réunis autours de la conférence, ont le potentiel de créer une masse critique, en B&H et à l’étranger, nécessaire pour enclencher les changements véritables. L’association souhaite rester une des formes d’action et de lutte même après la conférence de Genève, sur le chemin de Dayton vers Bruxelles, vers une Bosnie et Herzégovine européenne

 


Bosnie : la croisée des chemins
Par Svebor Dizdarevic, membre de l’Association B&H 2005 et l’institut pour les droits de l’homme de Lyon.
Mise en ligne : jeudi 16 juin 2005

Dix ans après la signature des Accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine se trouve à un carrefour important : non seulement, il s’agit de tirer un premier bilan de l’action de la Communauté internationale mais il est temps aujourd’hui de reconsidérer la réalité bosniaque au sein de l’Europe en élargissement.


Traduit par Ursula Burger Oesch

Le rejet de la Constitution européenne par les citoyens français et hollandais est le signe évident d’une angoisse. Nombreuses sont les raisons de ce refus, mais plusieurs analystes s’accordent sur un point : l’extention trop rapide de l’Union Européenne aux pays de l’Europe de l’Est, sans renforcement préalable des institutions et sans une politique étrangère commune, a fragilisé le processus de construction européenne. Les premières victimes de ce « non » vont certainement être les pays des Balkans qui espèraient à terme entrer dans l’Union.

Il parait certain qu’une Constitution permettra un jour à l’Europe de poursuivre sa construction politique. Mais il ne faut pas ce faire d’illusion, cet ajournement va sèrieursement retarder l’ouverture de l’Europe vers les Balkans et particulièrement vers la Bosnie-Herzégovine.

Le dixième anniversaire des Accords de Dayton représente donc une occasion unique de remettre en question la politique menée depuis la fin de la guerre et de garder l’Europe comme horizon lointain. La Communauté internationale, accaparé par d’autres catastrophes, va pendant queques semaines de pencher de nouveaux sur la question bosniaque. Il est nécessaire de profiter de cet anniversaire

L’Association B&H 2005 organise en octobre à Genève une conférence internationale dont le but est d’ouvrir une réflexion sur l’avenir. Après anlyse des défis auquels doit faire face le pays, il s’agira de réfléchir aux perspectives concrètes d’intégration du pays au sein de la grande famille européenne.

La Bosnie et Herzégovine a encore besoin du soutien et de l’appui de l’Europe. Probablement sur une base différente, sans doute plus réfléchie et mieux conçue, mais cette aide, plus que jamais, est nécessaire.

L’Union européenne, de son côté, est dans un autre dilemme : s’il est primordial que les Balkans adhèrent un jour ou l’autre à l’Europe, dans le contexte politique actuel, l’élargissemnt semble compromis.

Il est certain que l’Europe, dans la période à venir, va prendre plus de temps pour se consacrer à ses propres soucis. Elle risque de se refermer et, devant les inquiétudes et les pressions des peuples européens, de durcir les conditions d’accueil des immigrés et de retarder l’adhésion des pays candidats. Sans doute l’Union européenne s’imagine-t-elle qu’elle possède encore une marge de manoeuvre et que les problèmes « extèrieurs » peuvent être remis à plus tard, le temps que le climat interne redevienne plus serein.

Malheureusement, la Bosnie-Herzégovine ne dispose pas de cette marge de manœuvre. Dans ce pays, « le feu couve déjà ». Il est maintenant temps qu’elle entame une auto-reflexion, qu’elle se débarrasse de dépendance et de son complexe d’infériorité. Elle doit faire face aux défis de la reconstruction post-daytonienne, pour établir un pont vers l’Europe. La population et les jeunes de Bosnie doivent avoir des perspectives de développement pour espérer un meilleur futur.

Le cas échéant, le quotidien ressemblera de plus en plus à cette fameuse sentence qui rappelle : « que celui qui part le dernier... éteigne la lumière » (“posljednji koji napusti...neka ugasi svjetlo”).

 

Une contribution au débat par Jakob Finci et Christophe Solioz

Bosnie : aller au-delà de l’étape Dayton, maintenant !
Traduit par Pierre Dérens (9 septembre 2005)

Il y a dix ans, les accords de Dayton mettaient fin à une guerre sanglante. Maintenant, il est temps que l’UE prenne la direction du processus comme elle l’a fait dans les autres pays en transition d’Europe centrale et de l’Est. Alors que la décennie Dayton touche à sa fin, le prochain chapitre de l’histoire de la Bosnie doit être un chapitre européen et il doit commencer dès maintenant.

Quand Carl Bildt, l’ancien Premier ministre de Suède a convenu une réunion diplomatique à Genève, le 8 septembre 1995, le territoire bosniaque déchiré par la guerre et son peuple en étaient arrivés à leur dernière extrémité, après une guerre de presque quatre ans. Deux mois plus tard, les parties en guerre de l’ancienne Yougoslavie ont négocié, convenu et signé un ensemble d’accords de paix (grandement imposé par les Américains, sur la base aérienne de Patterson, à Dayton dans l’Ohio), devenu par la suite l’accord de paix de Paris-Dayton.

C’est ainsi que le 8 septembre à Genève marque le début de la fin de cette terrible guerre, approximativement responsable de la mort de 100 000 personnes, et qui a fait de la moitié des quatre millions de Bosniaques des réfugiés et des personnes déplacées, sans parler des dommages que l’on ne peut quantifier sous forme de statistiques. La réunion de Genève avait su adopter une série de principes clés qui, par la suite, à Dayton, ont été à la base de l’accord de paix, incluant le maintien de la Bosnie-Herzégovine comme État, ainsi qu’une division équitable entre l’entité bosno-serbe et la Fédération musulmane et croate. Il était aussi question d’une esquisse de constitution et de garanties sur les élections et les droits de la personne.

La réunion de Genève d’il y a dix ans n’est qu’une des raisons pour laquelle l’Association Bosnie-Herzégovine 2005 a décidé d’organiser une Conférence internationale sur la Bosnie à Genève, les 20 et 21 octobre de cette année, qui fera appel à des participants de haut niveau, comme Carl Bildt lui-même. Dix ans après la fin de la guerre et après l’intervention internationale en Bosnie, la Conférence réunira des intervenants internationaux du passé et du présent, qui vont prendre en compte l’état de la Bosnie et s’interroger sur son avenir.

À côté de l’architecte essentiel des accords de Dayton, Richard Holbrooke, les administrateurs internationaux de la Bosnie (Lord Paddy Ashdown, Wolfgang Petritch) vont discuter avec des personnalités comme Lakhdar Brahimi, des experts des Balkans et des parties prenantes comme Carla Del Ponte ainsi que des agents essentiels des politiques européennes (comme le commissaire Olli Rehn), de ce qui a été fait et de comment se présente l’avenir de la Bosnie dans le cadre européen.

Ainsi que l’expérience l’a montré, les accords de Dayton ne sont pas en eux-mêmes la panacée pour que fonctionnent une société et un État aussi complexes que la Bosnie malgré leur effet immédiat, à l’époque, avec l’aide d’une intervention militaire internationale lourde, pour mettre un terme à l’effusion de sang et mettre en route un mécanisme de coopération entre les anciennes parties en guerre qui, après tant d’années, s’est transformé en un État fonctionnant plus ou moins bien.

Dix ans après Dayton, la Bosnie a reçu plusieurs milliards d’aide internationale, les efforts de reconstruction et de réformes ont été menés essentiellement par le Haut Représentant de la communauté internationale. Cet engagement massif- s’appuyant en partie sur ce que certains considèrent comme des pouvoirs démodés et antidémocratiques de l’arbitre international au sommet- a permis de surmonter beaucoup de l’héritage du passé et de poser les fondations du rapprochement tellement attendu de la Bosnie avec l’UE, puisque Bruxelles lui a offert des liens politiques et économiques plus resserrés dans le cadre d’un accord de Stabilisation et d’Association. Se servant surtout de la méthode du bâton et de la carotte et de réformes institutionnelles fortes, la communauté internationale a transformé l’État bosniaque, initialement faible, en un gouvernement qui, tôt ou tard, sera capable de dégager le pays des mythes de Dayton pour le conduire vers les rives d’une candidature pleine et entière à l’UE.

Cette transition bosniaque, de la mise en place de l’accord de paix à la phase préparatoire à l’intégration, s’est accompagnée de nombreuses réussites (stabilisation politique, retour des réfugiés, investissements étrangers, adhésion au Conseil de l’Europe) ainsi que d’échecs (réapparition des partis nationalistes et monoethniques, stagnation économique, coopération incomplète avec le tribunal de La Haye), en raison à la fois de conditions propres (criminels de guerre, corruption, patronage politiqu) liées au type de protectorat mis en place (absence de cohérence des acteurs internationaux sur la Bosnie).

De plus, la transition bosniaque, à son début, a eu partie liée avec les développements de la région, en particulier la démocratisation et l’européanisation de ses pays voisins, la Croatie et la Serbie et Monténégro, qui sont toutes deux en avance sur la Bosnie dans le processus du pacte de Stabilisation et d’Association de Bruxelles. Avec la réduction et le changement de l’implication de l’OTAN (et donc des USA) dans les Balkans au bénéfice des gardiens de la paix européens (EUMIK) , la fermeture de la mission onusienne civile (UNMIBH), et la mise en place d’un bureau particulier de représentants de l’UE (EUSR), le cadre institutionnel de la Bosnie se construit, se secoue même. Ce processus qui souvent donne trop de place aux concepts institutionnels et bureaucratiques (plutôt que civils) se doit de conduire en parallèle les évolutions locales incluant la réforme du système politique et administratif, le renouveau économique plein et entier, ainsi qu’une véritable réconciliation visant à l’émergence d’une société moderne.

Il est temps que l’UE prenne la direction du processus comme elle l’a fait dans les autres pays en transition et en réforme d’Europe centrale et de l’Est. En Bosnie, il faudra plus d’attention, d’efforts, et de soutien financier, de la part de Bruxelles et des capitales européennes, parce qu’en Bosnie, contrairement à beaucoup de pays de l’ancien bloc de l’Est, un ensemble diversifié de transitions intervient, de la guerre à la paix, d’un style socialiste à une économie de marché, et d’une société à parti unique à une société civile.

Quand on en arrive à la Bosnie, l’UE a non seulement la chance d’apprendre des leçons peu glorieuses du début des années 1990, mais de se servir de la pleine intégration politique de la Bosnie tant demandée dans l’UE (comme elle a été promise à toute la région au sommet de Thessalonique en 2003), pour surmonter sa propre crise interne identitaire d’après référendum. Les challenges que pose la Bosnie à l’UE (incluant des questions comme celle, difficile, de l’entrée sans visa pour tous ces Bosniaques qui n’ont pas un second passeport croate) peuvent deveni une occasion unique, non seulement pour les Balkans (par exemple par une coopération améliorée sur les frontières entre les services du renforcement de la loi), mais même au-delà : la Bosnie, avec deux millions de musulmans, peut servir de tête de pont pour d’autres nations à majorité musulmane comme la Turquie à la recherche de l’adhésion à l’UE, sujet qui divise les Européens. Alors que la décennie Dayton touche à sa fin, le prochain chapitre de l’histoire de la Bosnie doit être un chapitre européen et il doit commencer dès maintenant.

 

Bosnie : l’obstruction serbe ferme les portes de l’Europe

Publié dans la presse : 17 septembre 2005

A cause de l’échec de la réforme de la police, dû au blocage de la Republika Srpska, les négociations d’ouverture d’un Accord de stabilisation et d’association de la Bosnie avec l’Europe sont repoussées. La facilité avec laquelle les responsables européens ont accueilli cet échec révèle au fond leur soulagement d’être débarrassés de la question de l’adhésion de la Bosnie-Herzégovivne à l’Union européenne.

« Le commissaire européen à l’élargissement Olli Rehn s’est exprimé hier sur le report des négociations d’ouverture d’un Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec la Bosnie-Herzégovine. Il a rappelé qu’une des conditions, relative à la réforme de la police, pour rendre celle-ci conforme aux normes européennes, n’avait pas été satisfaite, le Parlement de l’entité serbe Republika Srpska ayant rejeté cette réforme. La Commission a donc tiré les conséquences de cette situation. Nous encourageons les autorités de la Bosnie-Herzégovine à mener à bien et sans délai cette réforme ».

C’est en ces termes que le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay a annoncé et commenté, dans son point de presse du 15 septembre, le refus de la Commission européenne d’engager avec la Bosnie-Herzégovine le processus en vue de son adhésion à l’Union européenne.

Cette déclaration, dans sa sobriété, résume bien la position de Bruxelles, exprimée avec le détachement particulier affiché par la diplomatie française, quant à l’avenir européen de la Bosnie-Herzégovine. Elle peut se définir ainsi ;

-  L’Union européenne est toujours prête à accueillir en son sein la Bosnie-Herzégovine.

-  Pour que les négociations s’engagent, la dernière condition à remplir était que la Bosnie-Herzégovine se montre capable d’assurer la sécurité de son territoire et qu’elle dispose donc d’une institution policière professionnelle, efficace et impartiale, conforme aux trois principes posés par Bruxelles.

-  L’accord sur cette nécessaire réorganisation de la police n’ayant pas été obtenu, c’est aux autorités bosniennes qu’il revient de reprendre les discussions pour parvenir au résultat attendu.

Cette logique impeccable pèche seulement par le fait qu’elle suppose que les parties bosniennes en présence acceptent de dialoguer, voire de s’affronter, dans un même cadre, en partageant une conception, sinon identique, du moins conciliable, de leur État commun.

Les contradictions de Dayton

Ce n’est pas le cas pour de multiples raisons, la plus importante étant que l’architecture institutionnelle des accords de Dayton repose sur une contradiction, que la « communauté internationale » ne veut pas lever, entre l’affirmation que la Bosnie-Herzégovine est un État souverain, mais qui se trouve dépouillé, au niveau central, de certains des attributs essentiels de cette souveraineté.

L’exemple de la police est l’exemple le plus éclatant de cette contradiction, celui de la défense venant d’être réglé, probablement parce qu’il ne représentait plus, dans les conditions actuelles, un enjeu vital pour la Republika Srpska en tant qu’entité séparée.

Les dirigeants de la RS peuvent, à bon droit, arguer de ce que la police ne relève pas, dans l’article III-1 de la « Constitution » de Dayton, de la compétence de la Bosnie-Herzégovine, et qu’elle se trouve ainsi comprise dans celle des entités. Ils omettent simplement de prendre en considération les autres parties du texte et de ses annexes qui placent sous le contrôle de l’État central ce qui concerne la défense de la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, la protection des droits de l’homme ou le retour des réfugiés. Ces domaines exigent une certaine centralisation des services et qu’ils fonctionnent conformément aux règles énoncées par l’Union européenne, faute de quoi les droits garantis par les accords sont inapplicables.

La « Communauté internationale », en l’occurrence l’Union européenne, qui assume désormais la charge principale de l’intervention internationale en Bosnie, se doit de donner son interprétation des accords de Dayton, en tranchant la question de savoir si la Bosnie-Herzégovine est un État « normal », avec les attributs « normaux » de tout État, tout au moins selon les normes européennes, ou si elle n’est qu’un conglomérat disjoint de deux, voire trois entités, destinées à s’enfoncer toujours plus dans leur misère, ou (et) se retrouver, pour deux d’entre elles, rattachées à leurs maisons mères, au risque de provoquer un nouveau conflit à grande échelle. L’hypothèse de ce dépeçage, pour n’être retenue par aucune puissance responsable, n’en reste pas moins présente dans bien des esprits, pas seulement serbes ou croates.

Renvoyer la balle aux « autorités de la Bosnie-Herzégovine » revient, pour l’ Union européenne, à se décharger de cette responsabilité et à abandonner le pays à la loi de ses destructeurs comme l’ont fait, dans d’autres circonstances, les puissances internationales pendant la guerre.

La facilité avec laquelle les responsables européens ont accueilli l’échec de la réforme de la police révèle au fond leur soulagement d’être débarrassés de la question de l’adhésion de la Bosnie-Herzégovivne à l’Union européenne, ce qui fait un souci de moins dans l’épineux dossier de l’élargissement.

La stratégie de Belgrade

Le paradoxe sera, ou serait, que la Serbie ouvre, le 5 octobre, les pourparlers en vue de la conclusion de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne, alors que Mladic demeure toujours protégé en Serbie et que selon le Premier Ministre de Bosnie-Herzégovine, Adnan Terzic, le gouvernement serbe aurait incité les dirigeants de la RS à maintenir leur position de refus, pour garder l’entité serbe comme objet de marchandage dans la négociation sur le Kosovo. Cette implication de Belgrade avait déjà été évoquée dans un récent rapport de l’ICG. Le Premier ministre de Bosnie-Herzégovine demande aux autorités de Bruxelles de ne pas entamer ces discussions avec Belgrade.

S’ils obtenaient gain de cause, les dirigeants serbes gagneraient sur tous les tableaux, s’assurant un succès diplomatique et politique, gardant une carte pour l’échéance du Kosovo et apparaissant comme le meilleur élève de la classe balkanique. La Bosnie-Herzégovine se trouverait, quant à elle, totalement isolée du fait de l’obstruction de la RS. Sur ce dernier point, le quotidien de Banja Luka Nezavisne Novine accuse les dirigeants du SDS de nourrir les craintes des Serbes de l’entité et de jouer avec leurs sentiments patriotiques, dans un « spectacle à haut risque » qui ne masque que la défense des privilèges des bénéficiaires du pouvoir. Certains commentateurs font toutefois état de sérieuses dissensions au sein du Parti démocratique serbe (SDS), entre le Président de la RS Dragan Cavic et le Premier Ministre Pero Bukejlovic.

Dans une interview au quotidien de Sarajevo Dnevni Avaz du 16 septembre, le Haut-Représentant international Paddy Ashdown fait porter l’entière responsabilité de l’impasse dans laquelle se trouve la RS et avec elle la Bosnie-Herzégovine tout entière, sur le SDS, mais il confirme implicitement que la stratégie de l’Union Européenne consiste à attendre que les dirigeants de l’entité serbe reviennent sur leur refus, c’est-à-dire à laisser pourrir la situation.

Refusant de se prononcer sur la nécessité de modifier les accords de Dayton, il avance néanmoins que le dixième anniversaire de leur signature pourrait être marqué par des discussions sur les effets d’obstruction qu’ils permettent. En termes retenus, il met aussi en cause le gouvernement de Belgrade en estimant que la « question de la position de Belgrade est très sérieuse » et qu’on ne peut « suivre la voie européenne sans appuyer les réformes en Bosnie-Herzégovine ». Ces remarques ne semblent guère influencer l’opinion du commissaire à l’élargissement Olli Rehn qui, aux dernières nouvelles, s’apprêterait à déposer un rapport positif pour l’ouverture de négociations avec la Serbie.

 

Dayton : dix ans et après
Par Wolfgang Petritsch et Jakob Finci [1]

Traduit par Jacqueline Dérens
Mise en ligne : mardi 24 mai 2005

Alors que l’attention de l’opinion publique mondiale s’est détournée de la Bosnie-Herzégovine, il y a encore un nombre considérable « d’affaires non finies », à la fois du côté de la communauté internationale et des autorités locales. Fidèles à notre conviction qu’une Bosnie-Herzégovine démocratique et pluraliste n’est possible que si sa société civile devient plus active, nous soutenons un processus mis en place en 2003 et qui culminera lors de la tenue d’un événement international en octobre 2005 à Genève.

Ce texte est le premier d’une série publiée par l’Association Bosnie et Herzégovine 2005 qui organise La Conférence internationale pour la Bosnie et Herzégovine : Dayton dix ans et après.

Dix après les accords de paix Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre, et après dix ans d’une lourde implication de la communauté internationale pour remettre la Bosnie -Herzégovine sur ses pieds, des progrès sensibles dans tous les domaines ont été accomplis d’une manière irréversible. La Conférence de Genéve pourra partir de cette base solide, elle se concentrera pourtant essentiellement sur l’avenir et sur ces réformes « internes » dont le pays a encore besoin pour avancer sur le chemin de Bruxelles.

Nous accueillons chaleureusement les divers événements politiques et culturels pour la commémoration des Accords de Paix. La conférence de Genève a pour but de cadrer avec cette série d’événements importants qui porteront sur les questions urgentes, qui seront traitées à un niveau pratique, prenant appui sur le travail préparatoire accompli par le pays

La plupart des conférences se concentrent sur les réalisations et les échecs, les leçons à tirer et les occasions manquées ces dix dernières années. Nous avons décidé de nous concentrer sur l’avenir de la Bosnie-Herzégovine parce que nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous pouvons aider à modeler l’avenir de ce pays.

L’Association Bosnie Herzégovine 2005 a, depuis sa création, trois objectifs :

-  la samoodgvornost ( ou comme disent les internationaux « l’appropriation ») par les citoyens de Bosnie-Herzégovine ;

-  un processus à long terme qui se prolongera bien après la fin des commémorations officielles ;

-  une préoccupation pour l’impact immédiat de la conférence, combiné avec le but à long terme de fournir une assistance durable pour que le pays intègre l’UE.

Pour atteindre ce but, les discours académiques à eux seuls ne sont pas suffisants. Nous avons besoin de travailler pour avoir une vision européenne de la Bosnie-Herzégovine. Une vision concrète, réalisable et hardie à la fois. Le pays ne peut pas être isolé et le contexte régional est d’une importance cruciale en termes d’économie, de politique et aussi de réconciliation. Le « bien commun » de tous les citoyens doit être mis en avant. Oui, nous appartenons tous à un « collectif », qu’il soit culturel, linguistique, religieux ou autre. Mais nous sommes aussi en tant qu’Européens modernes des citoyens divers et des individus qui partageons les mêmes valeurs et standards et avons les mêmes besoins et aspirations. Cette « unité dans la diversité » a été la force directrice du processus d’intégration européenne. Si cela a fonctionné pour l’Europe, pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas pour la Bosnie-Herzégovine ? Nombreux sont ceux en Europe qui ne comprennent pas pourquoi, dix ans après la fin de cette guerre horrible, la politique semble toujours orientée vers le passé : ce qui compte par-dessus tout pour le « citoyen ordinaire », ici et ailleurs, ce ne sont pas les échecs du passé, mais de meilleures écoles, ouvertes à tous, des salaires et des pensions corrects, un système de santé pour tous et par-dessus tout plus d’emplois.

On parle beaucoup d’une nouvelle Constitution et même d’un nouveau Dayton et, en dépit de son incontestable succès pour mettre fin à la guerre, il est de plus en plus notable que la Constitution de Dayton, très compliquée, et la structure du gouvernement qu’elle impose au pays perd de sa valeur pratique et de son efficacité comme cadre durable pour régler la vie de quatre millions d’habitants. La meilleure et la plus parfaite des « nouvelles propositions » qui doit émaner de la Bosnie-Herzégovine elle-même ne restera qu’un beau discours si elle n’est pas soutenue par une véritable volonté de voir cette communauté fonctionner pour de bon.

C’est un truisme aujourd’hui de dire, et il n’est pas besoin d’en discuter, que la Bosnie-Herzégovine a besoin d’un ensemble d’institutions publiques qui fonctionnent, d’un gouvernement allégé et efficace au service de la population. C’est un effort à long terme qui ne peut pas se faire en un seul jour dans des négociations à huis-clos et sur des querelles territoriales. Pour construire une Bosnie-Herzégovine véritablement européenne, il faut partir du bas plutôt que du haut en définissant ce que sont les besoins et la volonté des citoyens. Personne ne commence à construire une maison par le toit. Ce n’est qu’après l’expression de la volonté des besoins des citoyens bosniaques de leur concept civique que nous pourrons aller vers l’élaboration d’un cadre légal et constitutionnel. La réponse au défi du pays n’est pas d’écrire une nouvelle Constitution ; Le vrai défi est de générer suffisamment de volonté politique et civique pour définir les besoins pour une transition réussie de la Bosnie de Dayton gérée par la communauté internationale vers une Bosnie de Bruxelles dirigée par la Bosnie.

Il est clair que cela ne doit pas être considéré comme une « stratégie de sortie » pour la communauté internationale. Bien au contraire. Nous recommandons de mettre au cœur de notre initiative un partenariat international, européen, trans-national, transfrontalier et régional vigoureux, avec une « stratégie d’entrée dans l’UE » pour la Bosnie-Herzégovine et le reste de la région.

Si nous nous accordons à dire que la Bosnie-Herzégovine a besoin de plus de « samoodgovornost », il faut alors nous demander par quels moyens y arriver.

Il est clair que la communauté internationale a besoin de trouver un nouveau rôle. Le Haut Représentant a déjà commencé la transition en passant du rôle de celui qui impose à celui qui sert de « facilitateur », et le Haut représentant est devenu le représentant spécial de l’UE, passant d’une institution de Dayton à une institution de Bruxelles. Dans le même temps, cette stratégie est plus lourde à porter pour la Bosnie et c’est bien. Mais ce rôle et cette responsabilité plus importants signifient aussi un plus grand engagement de la Bosnie-Herzégovine, une approche plus sérieuse de la part des politiciens du dialogue et des compromis, une recherche de solutions communes, plus de confiance envers les autres, l’éternel « ennemi » et, enfin, un plein et entier dévouement des politiciens envers ceux qui les élisent, les citoyens. Pour être bref, ce qui est urgent c’est une volonté politique et une inflexible détermination à ce que ce pays fonctionne, dans tous les sens du terme. Cela peut réussir s’il y a une volonté réelle des citoyens de ce pays à prendre en main leur avenir, sans rejeter les échecs sur les autres communauté, y compris la communauté internationale.

Notre Association veut contribuer à cette tâche immense que le pays doit encore affronter. Mais le dernier mot appartient à tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine qui bâtiront ou non l’avenir de leur pays.

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[1] Wolfgang Petritsh est Président du Comité d’experts de l’Association Bosnie-Herzégovine 2005, Jakob Finci est Président de l’Association.

 

Bosnie : les intérêts nationaux et l’État citoyen
Par Nikola Kovac [1]

Traduit par Ursula Burger Oesch
Mise en ligne : dimanche 9 octobre 2005

Du point de vue de l’organisation territoriale, du fonctionnement des institutions communes, de la politique électorale et de celle des cadres, la Bosnie et Herzégovine est aujourd’hui diamétralement opposée au système de principes constitutionnels, juridiques et politiques qui caractérisent un État citoyen.

Au niveau territorial, la Bosnie et Herzégovine est partagée en deux entités, auxquelles correspondent également, avec quelques exceptions, les frontières ethniques. La mixité nationale de jadis (quand seulement 5% du territoire était ethniquement homogène) a été annihilée par une pratique de cantonalisation et de majoration de la population majoritaire.

La décision de création des entités prise dans le cadre des Accords de Dayton, et a été interprétée par les pouvoirs locaux comme un signe en faveur de l’indépendance territoriale et de la monopolisation des droits de décision dans le domaine politique, économique, culturel, d’éducation, de la santé et de l’information.

Le fonctionnement des institutions communes ne peut pas être basé sur le règne du Droit aussi longtemps que le pouvoir dans le pays est constitué par les partisans des partages instaurés par la voie de la violence, c’est-à-dire par les conquêtes de guerre.

Les usurpateurs du pouvoir, qui reconnaissent les lois locales et protègent leurs propres intérêts, utilisent toute sorte de moyens pour obstruer le travail des institutions dont le devoir est de représenter l’idée de la Bosnie et Herzégovine en tant qu’État unitaire. Toutes les décisions sont prises en prenant compte de l’inviolabilité des intérêts nationaux, qui sont régulièrement définis ad hoc, selon les besoins du moment, du rapport des forces ou de pressions des lobbies.

La politique liée aux cadres est entièrement soumise à la volonté et aux intérêts des partis politiques. Les compétences et le professionnalisme des fonctionnaires sont poussés au dernier plan en faveur de l’affiliation politique du candidat. Même les positions diplomatiques sont attribuées aux candidats des partis sans tenant compte de leurs aptitudes et compétences professionnelles.

Les droits électoraux des citoyens de Bosnie et Herzégovine ne sont pas définis en concordance avec les principes d’égalité et de constitutionalité de tous les trois peuples, mais selon l’appartenance territoriale des citoyens. Ce manque de logique dans la loi électorale est d’autant plus grand qu’il sous-entend le morcellement du corps électoral, le partage du territoire étatique et la favorisation du principe ethnique au détriment du principe civique.

Insister uniquement sur la protection des intérêts nationaux mène vers une « ghettoïsation » ethnique, et non pas en direction des options stratégiques favorisant les intégrations européennes. L’État citoyen n’annule et ne relativise pas les spécificités nationales, au contraire, il assure l’égalité des chances, sans majoration, sans marginalisation, sans discrimination. Un tel climat politique est possible seulement dans le cas où de la mémoire collective s’efface l’obsession de la frontière qui sépare, de l’autre comme source de peur, des différences comme raison pour la méfiance.

Pour résumer, les tendances séparatistes et les partages territoriaux ne renforcent pas l’intégrité de l’État, ils la brisent. De plus, quand une idée nationale se transforme en idéologie nationaliste, à ce moment-là les intérêts nationaux eux aussi se transforment en objectifs de guerre alors que la voix de la raison prend forme de la destruction irrationnelle. C’est pourquoi défendre l’idée des frontières ethniques - résultat de l’interprétation littérale des Accords de Dayton, mène vers une légalisation des partages territoriaux, politiques, économiques et culturels en Bosnie et Herzégovine.

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[1] Professeur de littérature française à l’Université de Sarajevo, ancien ambassadeur de Bosnie-Herzégovine à Paris, membre de l’Association BIH 2005.

 

Vient de paraître les travaux du colloque universitaire tenu à la Sorbonne les 7 et 8 Juin 2005

L'ex-Yougoslavie, dix ans après Dayton " Édition L'Harmattan, ISBN 2-7475-9460-2, Prix : 21, 50 euros

Sous la direction de André-Louis SANGUIN, Amaël CATTARUZZA, Emmanuelle CHAVENEAU - LE BRUN.

De nouveaux États entre déchirements communautaires et intégration européenne.

 

Cela fait quinze ans que la Yougoslavie n'est plus. L'ancienne Fédération de Tito a connu des transformations aussi inédites et violentes que rapides. De nouveaux États souverains sont apparus. Les structures économiques et institutionnelles ont été bouleversées tandis que l'OTAN et l'UE se sont étendues jusqu'à la Slovénie. En analysant ces recompositions, ce livre s'intéresse au présent et à l'avenir de l'ex-Yougoslavie. Son objectif est de sortir de la littérature de guerre afin de faire apparaître la complexité et la diversité actuelles de ces États, écartelés entre déchirements communautaires et intégration européenne.

Réunissant une vingtaine d'auteurs, tout à la fois témoins et spécialistes, le présent ouvrage apporte des points de vue complémentaires et dialectiques sur les problèmes et les enjeux géopolitiques de l'ex-Yougoslavie et analyse les réalités vécues se dégageant des flux, des mobilités, des économies et des sociétés à l'ouvre dans et autour d'une région-clé de l'Europe.

Préface : Les Balkans au milieu du gué (Jean-Arnault DERENS)

Avant-propos : Comprendre l'ex-Yougoslavie dix ans après Dayton (André-Louis SANGUIN, Amaël

CATTARUZZA, Emmanuelle CHAVENEAU)

Introduction : Dix ans après. Regards sur les Accords de Paix de Dayton (Mladen KLEMENCIC)

 

Première partie : Populations déchirées

1 - La communauté internationale face au nettoyage ethnique : Dayton dans

une perspective historique (Stéphane ROSIERE)

2 - La persistance du problème des déplacés et des réfugiés en

ex-Yougoslavie (1991-2004) (Carl DAHLMAN)

3 - L'après-guerre : quelles perspectives pour la jeunesse bosnienne ?

(Eloïse BOLLACK)

4 - Le trafic de femmes en Bosnie-Herzégovine (Vanessa SIMONI)

 

Deuxième partie : Espaces en faillite politique

5 - Serbie : quelle assise géographique ? A propos des projets de nouvelle

Constitution de la Serbie (Yves TOMIC)

6 - La frontière serbo-monténégrine et ses contradictions, prisme révélateur

d'un Etat en panne (Amaël CATTARUZZA)

7 - Bosnie-Herzégovine : un avenir en Europe ? (Francesco GRADARI)

8 - La Macédoine : en marche vers un État stable (Aleksandra BLAZEVSKA)

 

Troisième partie : Ruptures et fragmentations

9 - Les menaces séparatistes serbe et croate en Bosnie-Herzégovine depuis les Accords de Dayton (Marion COMBESCURE)

10 - La répartition des communautés dans la ville de Mitrovica, reflet du déchirement ethnique dans le Kosovo actuel (Bénédicte TRATNJEK)

11 - La ville de Tetovo (Macédoine) entre conflit ethnique et crise économique (François BOURVIC)

12 - Présent et avenir de la Bosnie-Herzégovine : la préservation souhaitable d'un État multinational ou le choix réaliste de la partition d'un pays ? (Laurence ROBIN-HUNTER)

13 - La recomposition de l'offre aérienne en ex-Yougoslavie (Frédéric DOBRUSZKES)

 

Quatrième partie : Stabilisations et ouvertures

14 - La réapparition d'un État croate en Europe : adapter un nouvel espace à un nouveau pouvoir (Emmanuelle CHAVENEAU)

15 - Les nouveaux défis de Ljubljana après l'adhésion de la Slovénie à l'Union Européenne (Berta MRAK)

16 - Les différentes perceptions du rapport istrianité/italianité en Istrie croate et en Istrie slovène (Sonia HENINI)

17 - La minorité albanaise au Monténégro, un exemple original des relations interethniques dans les Balkans (Alice DELFAU)

 

Cinquième partie : L'Union Européenne à l'épreuve de l'ex-Yougoslavie

18 - Les Balkans, laboratoire et vitrine de la gestion de crise par l'Union Européenne (Claire BORDES)

19 - L'Adriatique ex-yougoslave et l'Union Européenne : entre adhésion et partenariat ? (Stéphanie DARBOT)

20 - La Republika Srpska est-elle européenne ? La grande stratégie du Bureau du Haut-Représentant pour ancrer la Bosnie-Herzégovine dans l'espace géopolitique européen (Gerard TOAL /Geraoid O' TUATHAIL)

21 - L'ex-Yougoslavie sans la Slovénie : gommer le "trou blanc" sur la carte politique de l'Union Européenne ? (André-Louis SANGUIN)

 

 

Philippe Herzog, président de Confrontations Europe au colloque « Dialogue et partenariats pour relever le défi du développement en Bosnie-Herzégovine », 6-7 octobre 2005, Sarajevo

A l’évidence la conscience européenne n’est pas donnée d’avance, ni pour les Français, ni pour les Suédois, ni en Bosnie-Herzégovine, elle se forge dans des rencontres comme la nôtre. Grâce à ces trois tables rondes extrêmement riches, et à la préparation en amont menée par l’équipe de Confrontations Europe en coopération avec les partenaires de cette conférence (notamment la FIPA et l’Association Sarajevo), nous avons pu amorcer un dialogue. Je veux remercier le Département à l’Intégration Européenne, la délégation de la Commission européenne en Bosnie-Herzégovine, le ministère français des Affaires Etrangères qui ont soutenu depuis le début cette initiative. Je veux enfin remercier chaleureusement les participants de Bosnie-Herzégovine, ceux des autres pays européens, et les Français qui sont venus prendre part à cette conférence.

Vous avez pu, à travers ces débats, vérifier la démarche de Confrontations Europe : faire sortir les Français de chez eux pour écouter les autres Européens, partager pour devenir Européens ; créer un réseau de société civile transeuropéen, qui s’est désormais enrichi de l’apport bosnien.

Je vous livre quelques appréciations personnelles qui peuvent être soumises à rectification.

-  Sur la perspective européenne :

Nous avons ici entendu un vrai désir d’Europe. Les Bosniens se réjouissent de l’avancée des négociations d’adhésion pour la Croatie et de pré-adhésion pour la Serbie-et-Montenegro. C’est la preuve que la Commission européenne n’a pas renoncé à ses promesses souligne Osman Topcagic, ministre à l’intégration européenne. Et le vote sur la réforme de la police en République Serbe de Bosnie-Herzégovine ouvre la voie à la négociation d’un Accord de Stabilisation et d’Association. Mais, ne nous leurrons pas, le processus d’intégration européenne reste fragile et incertain. Nous l’avons vu avec les referendums sur le Traité constitutionnel, les peurs et les tentations de repli national sont très présentes, en France comme d’autres pays ouest européens. Nous allons devoir faire comprendre que l’élargissement aux Balkans occidentaux et à la Turquie est positif.

La politique extérieure de l’Union européenne, sa force internationale, ont beaucoup reposé sur les élargissements successifs, l’attractivité et l’image positive de l’Union européenne se sont construites sur la réussite de ces élargissements. Quant à l’argument franco-français qui consiste à dire que ceux-ci jouent contre la formation d’une Union politique, il doit être retourné : les nouveaux élargissements exigent maintenant celle-ci, malheureusement retardée par des votes négatifs.

Du côté de la Bosnie-Herzégovine, « devenir Européen » est tout aussi complexe. Le Général Jovan Divjak nous l’a dit : que veut dire l’adhésion à l’Union européenne quand la BiH n’a pas d’identité propre ? L’abominable guerre dont la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre n’a pas entraîné que des destructions physiques, elle a aussi détruit l’identité bosnienne. De sorte que le désir de « la BiH dans l’Union » n’est pas si évident.

Nous ne pouvons pas proposer à la Bosnie-Herzégovine le même chemin qu’aux PECO. C’est ce que Patrice Dreiski, Haut Représentant adjoint pour la Bosnie-Herzégovine, a montré en insistant sur la spécificité de ce pays qui, brisé par la guerre, n’a pas fait de « révolution », ni choisi d’évolution comme l’ont fait les dix nouveaux pays membres. Il faut tenir compte de la difficulté des Bosniens à se mettre en mouvement, à construire une responsabilité commune pour l’avenir de leur pays.

-  Du « protectorat » au contrat :

L’Union européenne est prise dans une contradiction majeure. D’un côté, elle est tenue par le mandat fixé par Dayton (qui a, pour faire la paix, entériné de façon constitutionnelle la division entre communautés), de l’autre elle demande aux Bosniens de fabriquer un seul Etat, un seul droit.

Nous aimerions penser qu’il est possible de sortir de cette contradiction par le haut : en réformant la constitution de Dayton. Mais l’Union européenne n’a pas le droit d’appeler à une telle réforme : elle fait partie, au sein du Peace Implementation Council des garants de Dayton. Réformer ces accords relève de la responsabilité de la communauté internationale. L’idéal serait que dans le cadre des élections de 2006, les Bosniens décident de changer de constitution. Mais, ceci suppose un renouvellement de la classe politique bosnienne, une prise de pouvoir par les jeunes. Et je salue à ce sujet les interventions remarquables de Taïda Begic de l’Université de Sarajevo, et de Miralem Tursinovic, représentant les jeunes de Tuzla.

Mais celà prendra beaucoup de temps. La réforme pour l’unité est nécessaire, elle doit mûrir de l’intérieur des cadres - pervers - actuels.

Nous avons perdu du temps. L’Union européenne a surtout demandé à l’Etat de BiH et aux deux entités de constituer des fonctions régaliennes communes (police et armée). Elle a travaillé à l’établissement d’un droit de la concurrence et de la protection des consommateurs et au respect des normes européennes, comme l’a montré Ivan Paneff, chef du projet UE de soutien à la constitution d’un Espace Economique Intégré en BiH.

Mais les fonctions économiques ont largement été minorées. Sur l’éducation, quand on entend le Général Divjak, on aurait aimé une intervention ciblée sur ce point et sur tous les sujets de société (protection sociale, retraites, redistribution...) pour exiger une unité. On me dira que l’Union européenne n’a pas compétence en la matière, mais si l’UE peut intervenir pour réformer une armée, une police, destituer des hommes politiques... bref, quand elle exerce un protectorat, on aurait pu attendre d’elle qu’elle conçoive son mandat plus près des besoins réels des populations.

Nous entrons dans une nouvelle période des relations entre l’Union européenne et la Bosnie- Herzégovine. Les interventions de Maria Asenius et Christoffer Sjoholm ont montré que l’Union veut sortir de l’esprit de « protectorat » (avec au passage moins d’assistance) pour aller vers une plus grande autonomie pour les autorités bosniennes. Alors que la signature d’un Accord de Stabilisation et d’Association (ASA) entre l’UE et la Bosnie-Herzégovine est imminente, on peut espérer que les questions socio-économiques seront majorées dans cette relation contractuelle. C’est l’avis de l’économiste Zarko Papic, qui, très critique sur le « protectorat » instauré par la Communauté internationale, met ses espoirs dans un contrat qui pourra donner lieu à un meilleur partenariat. Et les fonds d’aide européenne arriveront plus rapidement.

Cela dit, pour qu’il y ait contrat et partenariat, il faut des deux côtés des acteurs responsables. L’Union européenne va se heurter aux problèmes d’oligarchie et de fractionnement des responsabilités en de multiples niveaux administratifs (Etat, entités, cantons, villes...). Le pouvoir central est hyper-faible, l’oligarchie politique ne favorise pas l’émergence d’une société confiante en elle-même et capable d’entrer dans des relations de partenariat. Dayton va continuer à nous empoisonner, et « les faux nationalismes » dénoncés par l’ancien Ambassadeur de Bosnie-Herzégovine en France, Slobodan Soja. Pour dépasser les clivages, l’idée de créer des agences locales n’est pas mauvaise, mais encore faut-il qu’une société civile démocratique y ait accès.

Il faut encourager l’UE à contourner ces difficultés en développant beaucoup plus ses relations avec la société civile organisée.

-  Les conditions du développement économique :

Je vois trois conditions pour promouvoir un développement économique durable :

1.Dégraisser le système institutionnel
Les oligarchies au pouvoir, la division des Etats et des cantons font obstruction à l’harmonisation du droit et aux réformes économiques. C’est un poids lourd qui écrasent l’économie par les irresponsabilités, les coûts administratifs et le monopole des entreprises publiques souvent en faillite virtuelle. Les intervenants ont évoqué la difficulté de mener à bien des projets et des initiatives. L’Union européenne devrait pouvoir mettre en place un système d’agence destinée à mener à bien les privatisations et faire du « dégraissage » de l’administration une conditionnalité à l’adhésion.

2.Faire un marché unique régional
La constitution d’un espace économique intégré est loin d’être réalisée. Les représentants du patronat MM. Grizelj et Miljevic ainsi que Remzo Baksic, responsable de « l’intiative Bulldozer » nous ont dit que la zone de libre échange régionale et le marché unique bosnien étaient loin d’être une réalité pour eux. Là aussi l’Union européenne doit pouvoir se saisir de l’objectif et l’inclure dans le contrat. Pour pouvoir attirer les investisseurs étrangers et tout simplement faire vivre une économie dans chacun des pays des Balkans occidentaux, il est apparu lors de nos débats que ce serait d’emblée au niveau régional que ce marché unique devrait se constituer.

3.Organiser des financements mixtes
Deux types de contradiction ont émergés de la discussion sur la question du financement :

* La question a été posée par Jean-François Le Roch, PDG d’Interex : comment financer des projets alors qu’il n’y a pas de capital ? Alexander Zsolnai, Directeur Général de HVB profit Bank et Piotr Kazimierczyck de la banque polonaise BISE nous ont dit que le capital était présent en Bosnie-Herzégovine mais qu’il manque la bonne ingénierie pour le mobiliser. La mixité entre fonds publics et fonds privés et la proximité (agir au niveau local) constituent un impératif et l’on a pu mesurer à quel point il est difficile d’attirer le capital étranger.

* Faut-il continuer à faire reposer le développement de la Bosnie-Herzégovine sur l’aide extérieure ou prôner l’autonomie ? L’immense manne internationale n’a pas permis à la BH de retrouver son PIB d’avant-guerre. Pour Zarko Papic, la communauté internationale est responsable de l’inefficacité de la gestion de ces fonds. Martin Zaimov, s’appuyant sur son expérience bulgare, considère que le problème vient des Bosniens eux-mêmes : de leurs vieilles élites et de la difficulté à proposer des projets susceptibles d’être financés. Pour lui, le meilleur moyen d’aider la Bosnie, c’est finalement de réduire, voire cesser l’afflux d’aide.

Je pense que la situation de la Bosnie-Herzégovine est tellement spécifique qu’il faut poursuivre l’aide internationale et européenne. Cela n’empêche pas de réformer ce qui est devenu « une industrie de l’aide ». D’autant que les IDE ne sont pas un substitut à l’aide publique : ils ne vont pas s’accélérer et on se pose des questions sur leur qualité en termes de développement économique. La Bosnie a besoin de nouvelles formes de financement comme les partenariats public-privé (PPP). Henri Thomé, délégué aux affaires européennes pour Bouygues nous a montré sous quelles conditions ils pourraient être utilisés pour la BH. Je pense pour ma part qu’ils constituent une forme de financement particulièrement appropriée ici compte tenu du besoin d’agir au niveau des collectivités locales / elles constituent les seuls acteurs fiables du développement économique / et le besoin de garanties publiques pour rassurer les investisseurs privés, si sensibles au « risque pays », comme l’a rappelé Christophe di Marco de la Caisse des Dépôts et Consignations. Or cette ingénierie est difficile à construire. L’UE n’a pas encore trouvé la méthodologie, ne serait-ce que pour les 25. La France a une belle expérience, mais elle en se précipite pas en Bosnie-Herzégovine, c’est le moins qu’on puisse dire.

-  Comment travailler ensemble à l’avenir ?

Confrontations Europe souhaite poursuivre le dialogue, continuer à aider les Bosniens à dialoguer entre eux et avec nous, et d’interpeller les institutions européennes dans le cadre des négociations en vue de l’adhésion. Avec qui travailler et comment ?

D’abord avec les jeunes. Même si beaucoup d’entre eux ont quitté la Bosnie-Herzégovine, ceux qui sont restés ou revenus et qui ont accès à l’éducation et à la formation ont montré leur désir d’Europe, de dépasser les clivages politiques et ethniques et de se tourner vers l’avenir. Par conséquent nous travaillerons avec l’ACIPS, avec l’université de Sarajevo et le Youth Resource Centre de Tuzla, etc ... D’autre part, il faut continuer à aider la société civile bosnienne à se former. Elle en est à ses prémices et il existe déjà un réseau d’organisations connectées aux réseaux européens : les syndicats (Azra Sehbajraktarevic du syndicat de Bosnie-Herzégovine et Peter Seideneck, de la CES nous ont dit la volonté des syndicats bosniens à travailler par delà les clivages et au sein du réseau européen), l’initiative Bulldozer et les associations patronales, la FIPA, Bosfam, Emmaüs international...

Développer ça exige de permettre la mobilité des jeunes et des travailleurs et donc de résoudre très tôt au problème des visas. Je ne veux pas donner de leçons, je sais que vous en recevez beaucoup, mais permettez-moi de vous donner un conseil que je tire de l’expérience de Confrontations Europe :
* si vous le pouvez, essayez d’agir groupés entre entreprises, syndicats, jeunes, ONG, collectivités locales... les projets seront meilleurs et vous aurez beaucoup plus de poids.
* ne vous institutionnalisez pas trop vite (notamment dans le cadre d’éventuels conseils économiques et sociaux régionaux).

-  Qu’est-ce que peut faire Confrontations Europe, concrètement ?

1.Interpeller les institutions européennes sur les conditions de l’adhésion
Au delà des questions stratégiques déjà évoquées, on peut citer des priorités comme :
* l’harmonisation réglementaire dans le domaine économique afin de briser l’enclavement des localités
* la mise en place de services d’intérêt général : eau, routes, déchets, écoles... C’est un terrain formidable pour dépasser les clivages. Il faut que l’UE fasse pression pour que les villes aient plus de pouvoir dans ce domaine et conditionner les fonds d’aide pour qu’ils aillent directement au niveau local.
* élaborer des programmes d’éducation et de formation, etc...

2.Intégrer dans le réseau de Confrontations Europe les acteurs Bosniens de la société civile (ONG, entreprises, syndicats, chercheurs, universités, représentants des collectivités locales) ainsi que les représentants institutionnels prêts au dialogue et aux partenariats par delà les clivages.
Confrontations Europe est implantée à Bruxelles, nous avons des relations privilégiées avec les parlementaires européens et les représentants de la Commission européenne. Nous pouvons ensemble assurer une veille du processus d’adhésion, faire des propositions pour intervenir. Les portes de la Commission européenne sont beaucoup plus ouvertes qu’on ne le pense !
Nous sommes l’une des rares associations européennes à s’occuper d’économie et à réunir entreprises, syndicats, et associations.

3.Informer les entrepreneurs français et autres porteurs de projets, membres de notre réseau, des potentialités de la Bosnie-Herzégovine.
Sans tomber dans le « marketing », la Bosnie-Herzégovine a besoin de réfléchir à l’image qu’elle projette à l’extérieur. C’est un problème de mutation culturelle. Pjer Zalica, réalisateur du film « Gori Vatra » que nous avons projeté en ouverture de notre colloque, fait partie de ces jeunes Bosniens capables d’exorciser le passé avec douceur et humour et de donner envie à la société bosnienne de se tourner vers l’avenir. Il faut sans doute lui demander un film pour demain.
A votre image de « mouton noir » sacrifié et que nous avons oublié, nous pourrions travailler à lui faire succéder celle d’emblème des retrouvailles des Balkans avec l’Europe.

 

Bosnie : que réserve l’accord de Washington ?
Par l’association Sarajevo
samedi le 26 novembre 2005

Les dirigeants des huit principaux partis politiques de Bosnie-Herzégovine, réunis à Washington à la faveur du dixième anniversaire de la conclusion de l’accord de Dayton ont signé une déclaration par laquelle ils s’engagent à « entamer un processus de réformes constitutionnelles qui va renforcer l’autorité du gouvernement et rationaliser le parlement et la présidence » et à « mener ces réformes d’ici à mars 2006 ».

Ils assurent vouloir défendre les droits de l’homme de tous les Bosniens. Les huit signataires sont le Président collégial de la BH, Sulejman Tihic, (SDA) le Président de la RS, Dragan Cavic (SDS), le ministre des Affaires étrangères de BH, Mladen Ivanic (PDP), le ministre de la Sécurité de BH, Barisa Colak (HDZ), le Président du Parti pour la BH, Safet Halilovic, le Président du SDP, Zlatko Lagumdzija le Président du SNSD, Milorad Dodik et Mate Bandur, pour le HNZ.Les trois membres de la Présidence, Ivo Miro Jovic, Sulejman Tihic et Borislav Paravac ont confirmé cet accord dans un document séparé. Les dirigeants de la RS ont, en outre, publié une déclaration particulière appelant « Radovan Karadzic et Ratko Mladic à se rendre volontairement et immédiatement aux autorités de la RS ou directement au TPIY », ajoutant que « s’ils continuent à refuser de se rendre, la RS est prête et déterminée à prendre toutes les mesures et actions nécessaires pour les trouver et les interpeller, ainsi que les autres fugitifs encore réclamés par le Tribunal de La Haye ».

Cet ensemble de résolutions, intervenues après des discussions souvent tendues, ont été adoptées sous la forte pression des autorités américaines représentées notamment par la Secrétaire d’État, Condoleezza Rice et le Sous-Secrétaire Nicholas Burns qui ont fait valoir la nécessité pour la Bosnie-Herzégovine de se doter d’institutions adaptées aux perspectives de son intégration aux structures euro-atlantiques. V. Rice a salué l’accord obtenu comme un « historique pas en avant ». Elle a rétroactivement justifié les accords de Dayton en estimant qu’ « un Etat faible et divisé était approprié en 1995, mais qu’aujourd’hui, en 2005, la pays avait besoin d’un Etat plus fort et énergique pour assurer le bien public et défendre l’intérêt national ». Richard Holbrooke a, de son côté, procédé à une sorte d’autocritique de son rôle passé en regrettant d’avo ir permis la création d’une entité appelée « Republika Srpska ». Nicholas Burns a spécifié que la Bosnie ne pouvait « rester un pays fractionné et penser pouvoir devenir membre d’une Europe ou d’une OTAN unifiées ».

Si, comme le soulignent les commentateurs, les engagements qui viennent d’être pris marquent un moment important de l’après-Dayton, l’issue du processus qui s’enclenche reste très incertaine, car aucune proposition précise n’a été faite pour réaliser le renforcement des autorités centrales de l’Etat, présidence, gouvernement et parlement ou pour redistribuer les compétences entre l’Etat et les entités, l’existence même de celles-ci n’ayant pas été formellement mise en cause. Les premières réactions des parties signataires de l’accord révèlent les divergences qui subsistent intactes entre partisans d’un pays divisé et ceux d’un pays réunifié dans le cadre d’une large décentralisation. Les opinions exprimées en BH sont contrastées. Ceux qui espéraient des changements fondamentaux sont déçus, mais il en est qui estiment qu’un mécanisme de transformation se trouve désormais en place. Du côté nationaliste serbe, les radicaux (de Seselj) prévoient la catastrophe, mais les plus réalistes sont soulagés de ce que la pérennité de leur entité leur semble préservée. Le test de l’arrestation de Mladic et de Karadzic sera pour la RS le signe le plus clair de sa volonté réelle de prendre le tournant de la nouvelle politique qu’elle prétend accepter.

Les pourparlers qui s’annoncent et dont le terme a été fixé à mars 2006 pour qu’ils aboutissent avant les élections générales prévues en octobre de la même année, risquent donc d’être ardus et de se terminer sans résultat d’envergure. Il serait nécessaire que l’Union européenne et chacun de ses pays membres fassent entendre plus fort leur voix pour pousser la Bosnie-Herzégovine à devenir cet Etat « normal », en dehors duquel tout progrès vers l’Europe ne peut être qu’illusoire. En déclarant le 21 novembre à Bruxelles, qu’il n’y aurait pas de « dramatiques changements » dans la constitution de BH, Javier Solana, ministre des affaires étrangères de l’Union, s’est montré, comme à l’habitude, bien timide. Quant à la position de la France, existe-t-elle ?