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Mostar, par Jacky Grossiord, peintre français Mostar aujourd'hui La reconstruction du pont de Mostar, c'est reconstruire un pont entre les communautés... Reconstruire la paix !

Voir le pont de Mostar en webcam !

Un témoignage sur Mostar  (juillet 2004)

Nous sommes allés en Bosnie à Mostar. Nous avons rencontré deux français de la SFOR dans leur jeep, ils nous ont dit que tout était calme, que çà se passait bien, et que la SFOR devait partir en septembre.
Dans le quartier historique complètement reconstruit, nous avons parlé avec la fille de l'office du tourisme tout neuf (c'était le 17 juillet, une semaine avant l'inauguration du pont), elle nous a raconté un peu comment elle vivait pendant la guerre en disant qu' elle ne savait pas qui de son voisin était croate catholique ou musulman, ou serbe. Sa maison a été détruite et reconstruite, elle a vécu dans les caves et évitait de sortir à cause des snippers. Elle en avait encore la gorge nouée. Elle, elle souhaite que la SFOR ne parte pas encore, car elle a peur que "çà" revienne, s'ils sont laissés entre eux. Nous, on n'a rien senti, mais il y a encore des haines entre les deux côtés du pont qui mettront longtemps à se guérir. Nous, on est passé des deux côtés du pont, mais eux ne le font pas encore. On a parlé aussi du côté musulman avec des bosniaques qui nous ont fait visiter leur mosquée, reconstruite elle aussi. Tout le vieux quartier a été reconstruit avec des fonds Unesco et européens. Mais ailleurs, il y a encore beaucoup de ruines.
Dans la vallée, beaucoup de maisons neuves de croates bosniaques réfugiés aux USA et qui reviennent.
Une guerre pour rien, puisque les accords de Dayton ont remis les frontières là où elles étaient au départ.
En Croatie, on ne voit plus grand chose, à part les toits tous neufs de Dubrovnik, et les photos. Il y a aussi les grands hôtels de l'époque Tito qui n'ont pas été repris et sont laissés pour certains à l'abandon, quelques traces de balles sur les murs. On a du mal à croire en voyant ce pays magnifique et les gens vivre comme nous, qu'ils ont vécu cette horreur. A Dubrovnik, il y a une salle qui retrace les moments de la guerre, il y a eu 200 morts, tous des jeunes de 19,20 ans qui se sont battus pour défendre la ville. J'en avais les larmes aux yeux d'être là où çà s'est passé.

Brigitte Beaumanoir.

 

samedi 24 juillet 2004, 10h00

La Bosnie inaugure le Vieux Pont de Mostar onze ans après sa destruction

La Bosnie a inauguré vendredi soir le Vieux Pont de Mostar, détruit par l'artillerie croate en 1993 et reconstruit à l'identique, un symbole visant à faire revivre un passé de vie harmonieuse entre les différentes ethnies de ce pays ravagé par la guerre (1992-1995).Les cérémonies qui ont débuté avec l'hymne national bosniaque se sont achevées vers minuit (22H00 GMT) par un spectacle pyrotechnique.

A la fin des cérémonies, les dirigeants étrangers y participant -- dont les présidents d'Albanie, de Bulgarie, de Croatie et de Serbie-Monténégro et les ministres des Affaires étrangères français, italien et néerlandais -- ont franchi le pont suivis par des habitants de Mostar.

Des milliers de personnes étaient massés dans les ruelles menant au Vieux Pont (Stari Most).

Des responsables de l'Union européenne (UE) et de l'Onu ont appelé les communautés de Bosnie à la réconciliation.

"Certains s'opposent encore à la réconciliation. Pourtant, notre présence ici symbolise la réconciliation", a indiqué dans un communiqué, Jacques Paul Klein, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.

Le membre musulman de la présidence tripartite de Bosnie, Sulejman Tihic, a affirmé que cet événement contribue a "renforcer les bases d'une Bosnie multi-ethnique, multi-confessionnelle et multi-culturelle, où se rencontrent les civilisations de l'Est et de l'Ouest".

Héritage de la tradition byzantine, le Vieux Pont fut construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan, père de l'architecture ottomane classique.

Le pont, une arche en dos d'âne, avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. Sa hauteur était de 20 mètres par rapport au niveau de la rivière. Flanqué par deux tours fortifiées, la Halebija, sur la rive droite, et la Tara, sur la rive gauche, le pont avait une seule arche voûtée. Il était composé de 456 blocs de pierre calcaire.

Les 1.088 pierres utilisées ont été taillées à la main selon les techniques utilisées à l'époque de son construction initiale.

Au début de la guerre de Bosnie, les forces croates et musulmanes ont combattu ensemble l'armée serbe de Bosnie, mais en 1993 un conflit long de 11 mois a éclaté entre les anciens alliés. Les belligérants se sont ensuite réconciliés sous la pression de la communauté internationale.

Mostar est toujours divisé entre les communautés croate et musulmane qui peuplent les deux rives de la Neretva, enjambée par le Vieux Pont. La plupart des Serbes y habitant ont fui la ville pendant la conflit.

L'élégant pont en marbre blanc est un symbole depuis son achèvement en 1566. "C'est un pont qui son âme propre", souligne Sulejman Kupusovic, en charge des cérémonies de réouverture.

Après avoir survécu à de nombreux conflits au fil des siècles, il est tombé dans la rivière en 1993 victime des tirs des chars bosno-croates. Longtemps un symbole de la rencontre entre l'orient et l'occident, et de l'islam et du christianisme, il est soudain devenu celui de la guerre en Bosnie, qui a fait 260.000 morts et 1,8 million de personnes déplacées.

« Lorsqu’un pont est brisé, il en reste le plus souvent, d’un côté ou de l’autre, une sorte de moignon. Il nous semblait d’abord qu’il s’était écroulé tout entier sans rien laisser, en emportant avec lui une partie du rocher, des tours de pierre qui le surplombaient, des mottes de la terre d’Herzégovine. Nous vîmes plus tard des deux côtés qui le soutenaient de vraies cicatrices, vives et saignantes », écrit Predrag Matvejevitch (1), écrivain né à Mostar en 1932 (d’un père russo-ukrainien et d’une mère croate) qui ne cesse de revendiquer son « impureté ethnique ».

Stari Most est classé sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Les travaux de reconstruction se sont élevés à environ 12 millions d'euros.

Quatre mois seulement après l’effondrement du pont, alors que la Bosnie-Herzégovine était en pleine guerre, l’UNESCO a lancé, le 10 mars 1994, un premier appel pour sa reconstruction et a envoyé en juin une mission qui a proposé des mesures d’urgence.

L’Accord de Dayton, signé en décembre 1995, qui propose un cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, a créé une Commission pour la préservation des monuments nationaux et confié au Directeur général de l’UNESCO la responsabilité de nommer deux de ses cinq membres, dont le président.

Le 13 juillet 1998, l’UNESCO, la Banque Mondiale et les autorités municipales ont lancé un appel conjoint pour la reconstruction du Vieux pont, auquel ont répondu cinq pays donateurs (Croatie, France, Italie, Pays-Bas, Turquie), ainsi que la Banque de développement du Conseil de l’Europe.(2)

Alors que la Banque mondiale avait la responsabilité de la partie financière du projet et que la ville de Mostar avait celle de sa gestion et de la distribution des fonds, le rôle principal de l’UNESCO a été d’assurer une coordination scientifique et technique.

A cette fin, elle a nommé en octobre 1998 un Comité international d’experts (3) pour la reconstruction du Vieux pont et la réhabilitation de la vieille ville de Mostar avec mission de veiller à la qualité et à l’organisation des travaux.

Le Vieux pont a été reconstruit avec des matériaux locaux – pierres du type « ténélija » et « bretcha » que l’on trouve dans les carrières voisines – et selon des méthodes traditionnelles, avec des outils tels que des voussoirs, des crampons et des tenons. Après deux ans de recherches scientifiques et archéologiques, les travaux de reconstruction ont commencé le 7 juin 2001, en présence des présidents de Bosnie-Herzégovine et d’Italie. Le 14 avril 2003, la première pierre de l’arche a été posée, en présence de nombreux habitants de Mostar. La reconstruction a été achevée en avril cette année.
Les travaux n'ont vraiment commencé qu'en juin 2002, après que les ouvriers eurent retiré du fond de la Neretva les débris provenant de la destruction de l'ouvrage.

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1. Predrag Matvejević : « Ce pont entre Orient et Occident », in Stari Most / Le Vieux Pont de Mostar, par Gilles Péqueux et Yvon Le Corre, Gallimard & Partenaires, 2002.

2. Le projet, d’un coût total de 15,4 millions de dollars, a été financé par un crédit de la Banque Mondiale (4 millions de dollars), et des dons de l’Italie, les Pays-Bas, la Croatie et la Turquie. L’Union Européenne et le gouvernement de France ont fourni des services techniques. La ville de Mostar a octroyé pour sa part 2 millions de dollars.

3. Membres du Comité :
Prof. Leon Pressouyre, Président (France)
Mounir Bouchenaki (UNESCO)
Azedine Beschaoush (Tunisie)
Laurent Levi-Strauss (UNESCO)
Prof. Cevat Erder (Turquie)
Prof. Zlatko Langof (Bosnie-Herzégovine)
Prof. Milan Gojkovic (décédé, Serbie et Monténégro)
Prof. Radovan Ivancevic (décédé, Croatie)
Ferhat Mulabegovic (Bosnie-Herzégovine)
Machiel Kiel (Pays-Bas)
Prof. Girlu Necipoglu (Turquie)
Prof. Giorgio Macchi (Italie)
Prof. Eddy de Witte (Belgique)
Prof. Gabi Dolff-Bonekamper (Allemagne)
Prof. Mihailo Muravljov (Bosnie-Herzégovine)

 

Sources : http://www.starimost.ba/index.html 

Rencontre avec Gilles Péqueux, ingénieur responsable de la reconstruction du pont de Mostar
RÉDIGÉ PAR CYRIL HAULAND GROENNEBERG

samedi 1er mars 2003

A l'occasion de la « Journée du Courrier des Balkans », le CdB recevait le premier mars dernier M. Gilles Péqueux, ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar. Le CdB tient ici à remercier Cyril Hauland Groenneberg pour la retranscription de cette rencontre.

Introduction de Boris NAJMAN, Vice-Président de l'Association Sarajevo

Un petit mot pour dire qu'on a tous en tête des images de la destruction du Pont de Mostar pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ce pont a été détruit deux fois. Je me souviens qu'il y avait des planches et des pneus pour le protéger. Je pense qu'il faut réfléchir sur la volonté délibérée de la destruction du Pont. Car le Pont de Mostar, dans sa destruction, est emblématique de cette volonté de destruction. J'ai découvert ce pont à 20 ans, au temps où la ville de Mostar était une ville avec une humanité particulière. Je me souviens que la première chose que l'on voyait, c'était ce pont qui brillait comme la ville. Il donnait l'impression d'être un pont en porcelaine tellement il brillait. C'était comme un miracle, un enchantement de voir la tenue architecturale de ce pont, offrant une vision très légère. Ce pont était aussi un lieu de rencontres, de jeux, d'histoires d'amour… Je ne vous en dis pas plus et laisse la parole à Gilles PEQUEUX.

Intervention de Gilles PEQUEUX, Ingénieur en charge de la définition, la coordination, et la supervision des études pour la reconstruction du Pont de Mostar

Je suis arrivé en Bosnie-Herzégovine en 1994, avec l'Union européenne. Je suis ingénieur de formation. En 1994, on avait fait le pari de faire travailler des gens de Mostar Ouest et Mostar Est. En plus des six ou sept ponts de Mostar détruits avec le vieux Pont (Stari Most), j'ai participé à la reconstruction de ponts sur la Drave. J'ai été chef de projet pour le pont de Mitrovica, et dernièrement sur le pont de Novi Sad. Du fait de mon expérience antérieure, les autorités de Mostar m'ont fait confiance pour mener à bien le projet, qui a commencé à se finaliser à partir d'août 1998.

Concernant l'exposé proprement dit, je ne vais pas entrer dans les détails techniques de la construction du pont. Je voudrais simplement commencer par dire qu'autant à Dubrovnik, la destruction de la ville a été vécue comme une véritable agression, autant à Mostar, la destruction du Pont et d'une bonne partie de la ville a été vécue comme un véritable cauchemar. La destruction du Pont de Mostar a été vécue comme tellement insupportable que les habitants n'ont pas voulu le voir. Aussi, quand on commence un projet comme ça, il faut s'imaginer que les gens voient toujours le pont tel qu'il était. Le problème, c'est que le deuil de la destruction n'a pas été fait. Ce qui est un peu terrible dans ce projet, c'est le rapport avec une population un peu dépassée et une communauté internationale qui va mettre la pression pour reconstruire le Pont afin d'accélérer la réconciliation.

Le danger à court ou moyen terme est que l'on risque de se retrouver avec un greffon qui ne prendra peut-être pas. La première question à se poser, c'est pourquoi on reconstruit le Pont de Mostar et comment. D'abord pourquoi on reconstruit le Pont. On fait d'abord sur le site du Pont une archéologie du bâti, puisqu'il n'existe plus de traces de ce Pont, ou quasiment plus. Mais imaginons-nous et transportons-nous l'espace d'un instant en l'an 2 500, et que l'on voit ce Pont construit en 2003, ou plutôt reconstruit à l'identique de ce qu'il était 150 à 200 ans après la chute de l'Empire ottoman dans cette partie de l'Europe. La question posée sera de savoir pourquoi ce Pont a-t-il été détruit et reconstruit à l'identique, alors que l'Empire qui l'a construit a disparu. Mais aujourd'hui, un autre problème qui se pose est que tout le monde doit retrouver « son » Pont avec ses qualités et ses défauts. Sachant que les pierres assemblées pour la reconstruction du Pont ne remplaceront pas le deuil du Pont détruit. Ce sera en quelque sorte un « nouveau vieux Pont » reconstruit avec les mêmes techniques de construction. Ce pont sera avant tout celui des « Mostari », c'est-à-dire celui des habitants ayant connu le vieux Pont de leur vivant.

Le projet se situe plus dans l'acte de reconstruction lui-même, et la façon de le mener : le Pont reconstruit ne sera ni une copie, ni une imitation, mais un état d'esprit que l'on a essayé de retrouver avec l'archéologie du bâti. L'idée est d'arriver à retrouver l'état d'esprit d'Iroudin, Turc qui est arrivé avec deux ou trois autres turcs et une trentaine de personnes de la région. Ce qu'il faut noter, c'est qu'en Orient, on a une façon différente de tailler la pierre par rapport à l'occident (entendu jusqu'à Venise pour l'Europe de ce point de vue-là). Le côté émouvant de cet ouvrage construit au XVI° siècle est qu'il est plus proche d'une sculpture collective qu'un ouvrage d'art classique. Je dis sculpture collective, car la beauté de l'ouvrage réside dans le fait qu'il est un ensemble d'erreurs corrigées avec un mélange de savoirs faire orientaux et occidentaux. Mostar, c'est en quelque sorte là où l'Orient et l'Occident se sont tendu la main. Et je pense que l'ouvrage sera réussi si on arrive à remettre les gens à travailler ensemble avec un état d'esprit commun. Personnellement, je suis assez pessimiste sur ce point. Et c'est une des raisons pour laquelle je suis en désaccord avec l'avancement du projet.

Débat avec l'assistance

Intervention dans la salle : Il est important de préciser que vous avez ouvert des écoles de taille de pierre.

Gilles PEQUEUX : Oui, c'est vrai que pour moi, il était important que cet acte de reconstruction soit une ré-appropriation. Il n'était pas question de faire revenir des gens d'Italie, d'Allemagne, ou de France pour construire le pont et s'en aller après la construction. J'ai donc ouvert une école de taille de la pierre avec deux sessions de six mois pour une quinzaine de personnes. Ils nous ont impressionnés, parce qu'ils ont déployé une énergie fantastique. On a volontairement travaillé sur l'histoire des techniques à partir d'une étude des monuments religieux. Le problème est que la Bosnie-Herzégovine est un pays qui tend à être considéré par les autres pays comme un marché international où il faut savoir se positionner. On reproche souvent à ce pays de pas avoir su utiliser l'argent qu'on lui avait généreusement octroyé. Moi, je reproche à la communauté internationale d'avoir distribué de l'argent sans s'être intéressé véritablement à ce pays.

Question : Pourquoi pensez-vous que la reconstruction du Pont est vouée à l'échec ?

Gilles PEQUEUX : Pour moi, ça risque d'être un échec parce que le Pont de Mostar est plus un projet politique qu'un projet de reconstruction. On n'a jamais reconstruit un tel pont, cela ne s'est jamais fait. Et le problème est que la seule chose qui intéresse la communauté internationale, c'est l'inauguration du Pont. Mais, comme quand on veut faire un enfant, il faut neuf mois pour le concevoir, et pas six mois, sinon c'est raté : pour le Pont, c'est pareil. Aujourd'hui, l'entreprise qui est maître d'ouvrage, c'est-à-dire qui construit le Pont est turque, le maître d'œuvre est croate, avec un peu de Bosniaques. Notons que côté croate, il y a un peu la volonté de racheter la « faute » d'avoir détruit le Pont. Aujourd'hui, on a un peu oublié la technicité de l'ouvrage.

Question : Le problème n'est-il pas que la population est écartée de la réalisation du projet ?

Gilles PEQUEUX : Je suis de ceux qui pensent que les grands ouvrages naissent des grandes puissances. Le Pont de Mostar est né du rayonnement de l'Empire ottoman. Pour ce positionnement de la population, vous avez tout à fait raison. On a besoin d'avoir un retour sur le projet. Les autorités mostaroises sont un peu victimes des pressions de la Banque Mondiale. Car la « communauté internationale » se pose deux questions pour elle fondamentale : 1) l'aide coûte cher. 2) À partir de là, comment on fait pour partir au plus vite pour ne pas payer trop. La stratégie, c'est donc on reconstruit le Pont dans les plus brefs délais, et on s'en va. Or, la reconstruction, c'est un moment historique, au sens où c'est quelque chose qui prend du temps.

Boris NAJMAN : La reconstruction n'a pas eu pour objet de considérer les victimes comme premiers destinataires de la reconstruction.

Question : À quelle phase de la reconstruction en est-on ?

Gilles PEQUEUX : Le contrat du chantier a été signé en septembre 2002. Pour ma part, j'ai fini mon contrat à fin février 2003 avec toute la mise en œuvre du projet commencé depuis août 1998. Aujourd'hui, les fondations sont faites, et les premiers éléments de l'arche seront posés au mois de mars 2003. Le projet devrait être finalisé d'ici à la fin de l'année. Les autorités politiques de Mostar suivent les consignes données par la Banque Mondiale.

Question : Où en est le projet de l'école des tailleurs de pierre ?

Gilles PEQUEUX : Le projet est très avancé à ce niveau-là, et je pense que les autorités n'ont pas souhaité plus que cela que je reste, peut-être parce qu'ils ont eu peur que cela ralentisse le projet. L'ambassadeur de France a pris bonne note que les autorités de Mostar ne souhaitent pas que la France continue à s'investir dans ce projet. C'est dommage, car Mostar aurait pu être inscrit comme patrimoine mondial de l'humanité par l'U.N.E.S.C.O. dont le siège est à Paris. Les tailleurs de pierre de Mostar connaissent bien le travail de la pierre et maîtrisent sa technique, mais les autorités de Mostar et la Banque Mondiale ont décidé que les tailleurs de pierre turcs étaient moins chers. Je tiens à remercier quand même l'ambassadeur de France de m'avoir soutenu jusqu'à la fin.

Question : que pensez-vous de la reconstruction de Mostar dans son ensemble ?

Gilles PEQUEUX : Vous savez peut-être que l'U.N.E.S.C.O. a publié un plan de reconstruction de la « Stari grad » (vieille ville). Maintenant, vous savez ce qu'est la situation économique et sociale de la ville de Mostar. Il y a beaucoup de constructions illégales. Je pense que s'il reste une chance de préserver la ville de l'anarchie de la reconstruction, ce serait l'inscription de la ville au patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O.. Et au niveau de la reconstruction du Pont, le rôle de l'U.N.E.S.C.O. aurait dû être de dire quels sont les choix du projet qui font que l'on reste proche de l'état d'esprit de la construction originale, c'est-à-dire en fait l'absence de normalisation. Il faut savoir dire quelquefois : « Je ne sais pas et je laisse faire les tailleurs de pierre » en leur faisant confiance, comme ça c'est fait à l'époque de construction du Pont original. Tout en se posant d'autres questions plus pertinentes comme : « est-ce que je fais du mortier avec des techniques traditionnelles ou avec des techniques modernes » ?

 

Reporter 23 janvier 2002 (Traduit par Jasna Tatar) Bosnie :

Reconstruction du pont de Mostar 

« Nous allons bientôt avoir les transports publics communs », dit Tomic, le maire de Mostar. Il énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans sa ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait ! 

Par Mirza Cubro 

Les tours à ses deux extrémités seront également rebâties, ainsi qu'une partie de la vieille ville. Les bâtiments Napredak, Vladikin Dvor et Vakufski Dvor figurent également sur la liste des restaurations qui devront être effectuées avant la fin de l'année prochaine. Le projet de réhabilitation, qui coûte environ 15,5 millions de Dollars, est financé par la banque mondiale et plusieurs gouvernements européens. Le directeur de l'unité de reconstruction du vieux pont, Rusmir Cisic, déclare que l'assainissement du monument, ainsi que celui de plusieurs bâtiments de la vieille ville, est terminé. Reste à choisir la firme qui reconstruira l'arc du vieux pont. Avant la fin 2003, l'ouvrage assurera la communication entre les deux parties de la ville ou même la neige ne tombe plus en même temps. Cisic nous renseigne sur la nature et la durée du chantier : « Le contrat avec l'exécuteur des travaux sera signé fin mars. A ce moment-là, on montera l’ échafaudage et on passera à la reconstruction de l'arc. Le niveau de la Neretva conditionne la date précise du commencement des travaux. Le pont sera identique à celui bâti par Mimar Hajrudin. La technologie utilisée sera moderne, mais les matériaux seront les mêmes. Nous emploierons la même pierre 'tenelija' que celle utilisée jadis par Hajrudin. Nous avons déjà fait tailler 1088 blocs. » Le nouveau pont sera donc bâti avec la même pierre que l'ancien ouvrage détruit lors de la dernière guerre. La reconstruction est contrôlée par les experts de la protection du patrimoine culturel et historique de l'Unesco. L'adjoint de Cisic, Tihomir Rozic, précise que les travaux ne se limitent pas à la reconstruction des objets détruits pendant la guerre : « Les représentants de tous les peuples de Bosnie-Herzégovine participent au chantier. La fin de la reconstruction symbolisera la renaissance des liens entre ces populations. » Rozic pense que toute la Bosnie-Herzégovine devrait s'inspirer de l'exemple de Mostar : « Si tout le monde dans ce pays faisait comme nous, nos problèmes seraient moins nombreux. » Cependant, six ans après la guerre, Mostar demeure une ville divisée. Les citoyens de la partie Est n'ont pas droit de se faire soigner dans la partie Ouest. Le réseau téléphonique n'est pas unifié. Le maire, Neven Tomic, nous explique le particularisme de Mostar : « La ville fait partie de la Hercegovacko-Neretvanska Zupanija ( département d'Herzégovine et de Neretva ) et de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Pour que Mostar puisse fonctionner comme une ville normale, toutes les instances du pouvoir devraient prendre part à la mise en place d'une législation et d'une structure qui le permette. » Tomic ajoute que la police municipale sera multiethnique. Sa création est en cours. Nombre de problèmes seront ainsi résolus, et cela au bénéfice de tous les citoyens. Il y a quelques jours, des citoyens de Mostar ont dû parcourir 10 à 12 kilomètres pour immatriculer leur voiture ou pour obtenir une carte d'identité. Tomic énumère les démarches entreprises pour normaliser la vie dans la ville où même le climat marque les différences : mardi dernier, une partie de ville était couverte de neige tandis que dans l'autre, il pleuvait ( ! ) : « Je pense que la formation de la police municipale sera terminée au printemps. Nous nous occupons également de l'eau. La ville a toujours été desservie par une seule entreprise. Nous allons bientôt avoir les transports publics communs. » Le maire adjoint de la ville, Hamdija Jahic, s'amuse des caprices de la météo : « Cette fois, c'était une division Nord-Sud et non pas Est-Ouest. Ce n'est donc pas de notre faute ! » Il poursuit en expliquant à notre journal que le budget municipal a été adopté : « Nous avons réservé environ 2,6 millions de Marks pour que des citoyens de Mostar puissent retourner dans les maisons qu'ils occupaient avant guerre. Si le budget est bouclé de façon satisfaisante, je crois que nous pourrions donner plus de moyens encore pour les retours. » Tomic et Jahic déclarent avoir une excellente coopération. Ils signent ensemble toutes les décisions importantes, y compris celles qui concernent les dépenses budgétaires. Pour eux, la reconstruction du vieux pont symbolise le resserrement des liens entre les habitants de Mostar et le pays tout entier. Tomic déclare : « Les pyramides de Kheops sont les monuments les plus photographiés. Le vieux pont de Mostar occupait la deuxième place. Ceci suffit à expliquer l'importance économique de sa reconstruction. Je suis sûr que le pont et la vieille ville redeviendront des attractions touristiques. » Nos interlocuteurs révèlent que les citoyens de Mostar sont impatients de voir resurgir le pont. Ils étaient sceptiques au début des travaux. Aujourd'hui, ils viennent dans les bureaux de l'unité de reconstruction pour demander la date à laquelle l'ouvrage reliera de nouveau les deux rives de la Neretva. ( Mise en forme : Stéphan Pellet ) 

 

En ex-Yougoslavie, la destruction du patrimoine culturel a brisé l’identité commune des citadins, et satisfait un rêve archaïque dans les campagnes.

En 1991, juste après la fin de la guerre froide, les Européens de l’Ouest ont eu un choc en regardant leur petit écran. Ils y ont vu un déluge de bombes s’abattre sur la petite cité de Vukovar, sur les rives du Danube, tandis que des volutes de fumée s’élevaient au-dessus de Dubrovnik, «le joyau de l’Adriatique», inscrit sur la Liste du patrimoine mondial.

La ville de Mostar se trouve au Nord-Ouest de Dubrovnik (à approximativement 150 kilomètres). Elle est la plus grande ville de l'Herzégovine et la deuxième du pays (après Sarajevo, la capitale).

Une localité s'est développée sur une petite agglomération antique. Au XVe siècle les archives mentionnent une place forte à l'endroit où l'on passait d'un bord à l'autre de la rivière Neretva par un pont suspendu. Cette fortification fut prise par les Ottomans durant le troisième quart du XVe siècle.

Dès 1475, un premier quartier (mahala) musulman (avec une mosquée et des bains) s’établit au bord de la rivière, au nord du lieu de passage. Le noyau du bourg musulman s'est formé de part et d'autre du pont de pierre construit en 1566 (sous le gouvernement de Karadjoz beg). Ce pont qui donna son nom à la ville (mostar vient du mot serbo-croate most qui signifie "pont") permit le développement du transport et favorisa l'essor du commerce. Quand la Bosnie-Herzégovine passa sous administration austro-hongroise, la ville de Mostar connut une nouvelle époque d'essor économique et urbain.

La ville, exceptionnelle par l'ensemble de ses habitations et monuments réunis dans un urbanisme harmonieux qui s'est développé au long des siècles en fonction des conditions géographiques et économiques, était célèbre pour sa douceur de vivre. Jusqu'à l'époque contemporaine, la ville a conservé son caractère: lieu célèbre de production artisanale et important centre d'échanges commerciaux. Malheureusement, comme partout en Europe, des immeubles souvent hors-échelle ont été construits à Mostar pendant les années 1960. Pourtant, dans l'ensemble, la vieille ville avait conservé son cachet médiéval.

 

Le vieux pont de Mostar, Stari Most

Le "vieux pont" avait permis le développement de la ville et sa prospérité. C'était la raison d'être de la ville. Malgré des travaux de renforcement parfois incompatibles avec les principes modernes de restauration, cet ouvrage se trouvait en parfait état avant le début des hostilités dans la région.

Le vieux pont de Mostar avait été construit en 1566 par Mimar Hajrudin, un élève du fameux architecte Sinan (père de l'architecture ottomane classique). Le pont était une arche en dos-d'âne qui avait une ouverture de 27 mètres, 4 mètres de largeur et 30 mètres de longueur. La hauteur du pont était de 20 mètres, par rapport au niveau de la rivière en été (niveau maximum). Le pont était flanqué de deux tours fortifiées, la Tour Halebija (rive droite) et la Tour Tara (rive gauche), toutes les deux datant - dans leur état antérieur au conflit armé - du XVIIe siècle. La solidité de cet ouvrage était telle qu'il résista lorsque, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des tanks nazis le traversèrent . Avant la destruction de novembre 1993, le principal danger qui guettait le pont était l'érosion due à l'humidité, mais le processus de dégradation était toutefois bien maîtrisé.