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Serbie : la police démantèle un camp d’entraînement wahhabite dans le Sandjak de Novi Pazar

 Traduit par Jasna Andjelic Publié dans la presse : 19 mars 2007

La police serbe a démantelé ce week-end un camp d’entraînement de wahhabites armés, situé entre Sjenica et Novi Pazar. Quatre personnes ont été arrêtées, une autre est en fuite. Depuis un an, les wahhabites multiplient les incidents à Novi Pazar, et s’attaquent à la Communauté islamique officielle.

Par Sladjana Novosel

La police a découvert vendredi soir, dans le village de Zabren, dans la montagne de Ninaja, à une trentaine kilomètres de Novi Pazar, un camp qui a servi pour les formations d’un groupe terroriste wahhabite. Ce camp comprenait plusieurs tentes et une caverne. La police a arrêté sur le champ Mirsad Prentic (1977), Fuad Hodzic (1974), Vahid Vejselovic (1984) et Senad Vejselovic (1983), de Novi Pazar, tandis qu’un membre du groupe a réussi à s’échapper. La police a trouvé une grande quantité d’explosif plastique, d’armes et de balles de différents calibres.

La police de Novi Pazar recherche encore deux membres du groupe en fuite. Des mines ont été découvertes dans une propriété privée du village de Razdaginje, sur la commune de Sjenica. La même source confirme la saisie de mitraillettes et de lance-roquettes dans une ferme du village de Vucinice, sur la commune de Novi Pazar.

Trois des wahhabites arrêtés sont soupçonnés de préparation d’actions terroristes et de détention illégale d’armes. Le quatrième membre du groupe est soupçonné d’avoir fait infraction à l’ordre et à la paix publique.

Le juge d’instruction du tribunal communal de Novi Pazar a ordonné une détention de 30 jours pour les quatre wahhabites arrêtés, ainsi que pour Nedzad Memic, qui est toujours en fuite et recherché par la police. Lors de leur interrogatoire, Hodzic, Prentic et Vejselovic ont nié toute responsabilité, affirme le président du Tribunal régional de Novi Pazar, Camil Hubic.

Les sources de Danas au sein de la police indiquent que le groupe découvert comptait une trentaine de membres, qui se déplaçaient en permanence, et qui occupaient le site découvert depuis un mois. Danas a appris de manière non officielle que leur action était surtout dirigée contre le mufti de Novi Pazar, dans l’objectif de provoquer un incident.

Le groupe wahhabite a obtenu des armes au Kosovo. Un des responsables des achats d’armes était Fuad Hodzic, qui a menacé la police de tout faire exploser, affirme notre source.

Le mufti du Sandjak Muamer Zukorlic, réagissant à l’arrestation du groupe des wahhabites, a estimé, dans une déclaration à la presse, que « les structures de l’Etat n’avaient pas compris l’importance du phénomène jusqu’à ce moment ».

« Une Communauté islamique de Serbie unie et stable serait capable des réduire ces phénomènes au minimum », estime le mufti Zukorlic.

Le président du Parti démocrate du Sandjak Rasim Ljajic a déclaré au sujet de l’arrestation du groupe wahhabite que le plus important était de mener l’enquête jusqu’au bout, et qu’il fallait s’abstenir de déclarations précipitées. « Ces événements sont la conséquence de la crise générale du Sandjak ces trois dernières années. La cible des wahhabites est la Communauté islamique du Sandjak, non pas l’Etat ou une autre institution étatique », estime Rasim Ljajic.

Il a déclaré à l’agence Beta que la découverte du camp donnait à Novi Pazar une image de paradis pour la criminalité, la corruption et les différentes formes du radicalisme religieux. Il estime que c’est très regrettable pour le Sandjak et pour Novi Pazar, et a appelé les autorités politiques de la région à faire tout leur possible pour changer cette image.

L’adjoint du mufti du Sandjak, Mevlud Dudic, rappelle que cela fait deux ans qu’il met en garde contre les tentatives de déstabilisation de la Communauté islamique et de tout le Sandjak.

« Ce n’est que la poursuite de tout ce qu’il font depuis des années, et nous l’avons dit », précise Mevlud Dudic, dans un communiqué de presse du mesihat de la Communauté islamique du Sandjak.

Il s’agit du troisième incident impliquant les wahhabites de la région depuis neuf mois. Début juillet de l’année dernière, le groupe wahhabite de Novi Pazar a empêché l’organisation du concert du groupe Balkanika à Novi Pazar. Ils ont également provoqué un incident dans la mosquée centrale de la ville, Arap-dzamija, début novembre 2006. Ce dernier épisode a provoqué un incident armé, et 17 personnes ont été punies par des sanctions pénales ou civiles. Dimanche, l’absence des wahhabites se remarquait fortement dans les rues de Novi Pazar, surtout autour de leurs lieux de rassemblement habituels, la mosquée Arap-dzamija et à l’entrée de la vieille ville.

 

 

 

Sandjak de Novi Pazar : le mufti et les tycoons 

Traduit par Persa Aligrudic 

Publié dans la presse : 4 juillet 2006

Alors que la ville de Novi Pazar est toujours déchirée par les conflits politiques entres les différents partis bosniaques, la privatisation de la société Uniprom provoque de nouvelles tensions. Le mufti défend les droits de la communauté islamique sur le terrain, que revendiquent également deux grandes familles bosniaques. Privatisation contestée et clochemerle islamique.

Par Sladjana Novosel

Aucune privatisation à Novi Pazar n’a causé autant de conflits que celle de la société Uniprom qui, le 22 juin dernier, a obtenu un nouveau propriétaire majoritaire. Pour un million et demi d’euros, 70 % du capital de cette société, autrefois renommée, a été acheté par un consortium d’entreprises privées représentées lors des enchères par le propriétaire du fameux TP Rekic, Dzemal Tahirbegovic. Selon les termes du contrat de vente, les nouveaux propriétaires sont tenus dans les six prochaines années de garder tous les employés ainsi qu’une trentaine de locaux qui se trouvent en général situés à des endroits attrayants.

Un péché

À l’annonce de la privatisation d’Uniprom la Communauté islamique du Sandjak a immédiatement réagi à propos du bâtiment situé en plein centre de la ville. Le mufti du Sandjak, Muamer Zukorlic, a déjà fait des déclarations aux médias locaux. Ce bâtiment, cause de conflits et des exigences de la communauté islamique qui veut faire annuler la vente, a été construit sur les fondations de la mosquée d’Isa-Beg (Isa-Beg Isakovic est le fondateur de Novi Pazar).

Entre les deux guerres mondiales il abritait les institutions islamiques,la Communauté islamique y avait son siège ainsi que la medresa, l’école secondaire religieuse. Après la Deuxième guerre mondiale, en 1948, il fut confisqué à la Communauté islamique. Depuis cette date jusqu’à nos jours, il a plusieurs fois changé de propriétaires et d’utilisateurs. Autrefois, le bâtiment appartenait à l’entreprise d’hôtellerie Lipa qui avait édifié un hôtel. Dans les années 1970, il changea de propriétaire pour abriter une succursale du grand magasin Gërmija de Pristina. Ensuite les magasins Uniprom le prirent en location, tandis que le grand magasin Pazarka de l’entreprise Rekic y a également son siège. Le bâtiment occupe une parcelle de 14,29 ares.

Le mesihat [1] de la Communauté islamique du Sandjak, ainsi que l’a déclaré le mufti Zukorlic, a averti les acheteurs potentiels à la veille de la vente de ne pas participer à ce « péché moral », et qu’il ne sera permis à personne d’entrer de cette manière dans la propriété islamique, que toute vente sera « considérée comme un acte d’hostilité directe contre l’islam, les musulmans et la Communauté islamique ».

La Communauté islamique dispose de droits sur ce bâtiment sur la base de la loi sur la restitution des biens confisqués aux églises et aux communautés religieuses. Comme l’a souligné le mufti Zukorlic, une lettre a été adressée au Premier ministre Vojislav Kostunica, qui demande que l’Agence pour la privatisation annule cette vente. Cette lettre signée par toutes les églises traditionnelles du pays. Il sera également demandé au maire de la commune de Novi Pazar, Suljeman Ugljanin, de soutenir la résiliation de la vente aux enchères.

Protestations annoncées

« Il y a un an, nous avions envoyé au gouvernement de Serbie l’inventaire de nos biens, et il y a deux ou trois ans, nous avions stoppé la privatisation d’Uniprom jusqu’à l’adoption de la loi », souligne le mufti du Sandjak. Il a accusé l’Agence pour la privatisation d’être le principal responsable en disant qu’il s’agissait « d’un exemple élémentaire de criminalité organisée, car les tycoons et les politiciens y sont impliqués. Nous ne savons pas encore à quel niveau, mais il y a des indices montrant le tribunal aussi serait indirectement impliqué. Nous espérons que cette privatisation sera annulée et que nous saurons dans les prochains jours quelles sont toutes les personnes impliquées », explique le mufti Zukorlic.

Si la privatisation n’est pas annulée, des protestations auront lieu devant le bâtiment conflictuel, ainsi qu’il en a été convenu lors d’une réunion du mufti Zukorlic avec les imams, les maires des conseils islamiques, les membres des organes de la Communauté islamique, les professeurs des medresas et des facultés des sciences islamiques. Dans toutes les mosquées, une allocution a été prononcée vendredi dernier sur l’importance de la propriété islamique, et en particulier sur ce problème.

Un cadeau dans six ans ?

« Quelqu’un a essayé de bafouer la dignité de la religion et de la communauté islamique, c’est pourquoi nous avons eu cette réaction. Nous avons donné une chance à l’Etat d’empêcher que les fidèles sortent dans la rue, car l’annulation de cette vente est une question de volonté politique », affirme catégoriquement le président du mesihat du Sandjak, le mufti Zukorlic. Il considère que parmi les membres du consortium il y a conflits d’intérêts, car « la directrice et le directeur financier d’Uniprom font partie du consortium ». Le propriétaire de la société Rekic, Dzemal Tahirbegovic, a déclaré aux journalistes que le consortium avait acheté cette entreprise « afin que le commerce local ne tombe pas aux mains des grandes sociétés ». À son avis, la Communauté islamique n’a aucune chance d’annuler la vente, car « la loi sur la restitution des biens confisqués concerne uniquement les biens immobiliers qui, après leur confiscation, n’ont pas changé de propriétaires, alors que ce bâtiment en a eu plusieurs ».

« Dès la signature du contrat d’achat nous avons voulu nous entretenir avec le mufti Zukorlic afin de nous mettre d’accord pour que nous rétrocédions ce bâtiment à la Communauté islamique, pas maintenant mais dans six ans, à la condition que la plus belle mosquée du Sandjak soit érigée à cet endroit. Au lieu d’une entente, les dirigeants de la Communauté islamique appellent au lynchage, alors que cette communauté n’est pas plus la leur que la mienne », a déclaré Dzemal Tahirbegovic aux journalistes.

Le mufti du Sandjak n’accepte pas « ce cadeau dans six ans », car il pense qu’il n’est pas logique « que quelqu’un vous offre ce qui est à vous et qui vous a été confisqué ».

« État de siège » familial

L’histoire de la privatisation d’ Uniprom a été surtout d’actualité l’automne passé. L’attention a été portée en particulier sur le bâtiment de la direction, pour lequel les familles Cavic et Imamovic revendiquent un droit d’héritage. Ce bâtiment, également situé en plein centre de Novi Pazar, a été soumis à véritable « état de siège » pendant plusieurs mois par les représentants de ces familles. Le personnel est revenu au travail avec l’aide de la police, et les héritiers devront attendre l’adoption des règlements législatifs pour la restitution des biens de leurs aïeux.

[1] Conseil de la communauté islamique, NdT.

 

Politique de l’explosif dans le Sandjak de Novi Pazar 

Traduit par Jasna Andjelic Publié dans la presse : 20 avril 2006

Alors qu’une procédure de destitution du maire boshniaque de Novi Pazar, Sulejman Ugljanin, a été engagée par ses opposants, également boshniaques, le gouvernement de Serbie a dissous le Conseil municipal et placé la ville sous administration spéciale. Depuis, trois bombes ont explosé. Les enjeux actuels au Monténégro et au Kosovo entraîneront-ils le Sandjak dans un tourbillon de violence ?

Par Sladjana Novosel

La décision du gouvernement serbe de dissoudre l’assemblée municipale de Novi Pazar et d’introduire des mesures provisoires a augmenté les divisions politiques qui existent entre les différents partis politiques boshniaques. Les représentants de la coalition Liste pour le Sandjak de Sulejman Ugljanin ont interprété la décision gouvernementale comme l’arrivée attendue du « règne du droit », et les représentants de la majorité de l’assemblée dissoute [1] comme une violence juridique commise dans le seul objectif de prolonger le mandat du maire. La décision gouvernementale a déjà provoqué trois explosions en dix jours.

Un cocktail Molotov a été lancé contre la façade du Parti démocratique du Sandjak (SDP) de Rasim Ljajic, immédiatement après la communication de la décision gouvernementale, et une bombe a également explosé au centre de la ville, en face de la Mairie. En début de semaine, une explosion a eu lieu dans la maison familiale de Fevdija Muzic, chef du Parti pour le Sandjak (selon la police de Novi Pazar, il s’agit d’une bombe). Les trois incidents ont bouleversé l’opinion locale et posent de nombreuses questions. Les communiqués de la police donnent peu d’informations et soulignent que celle-ci « travaille à l’éclaircissement des faits et à la recherche de leurs auteurs ».

Accusations réciproques

Les deux premières explosions ont provoqué des réactions différentes des groupes politiques, qui ont profité des conférences de presse pour s’accuser les uns les autres, en faisant référence aux sources officielles, y compris celle de la police. Les responsables de la coalition de Sulejman Ugljanin ont même communiqué les noms des personnes qui auraient commis le délit, et qui appartiennent, bien sûr, au bloc politique opposé.

Le troisième incident a été clairement condamné par tous. Les partis demandent à la police de découvrir d’urgence ses auteurs, et soulignent qu’ils « ne souhaitent accuser personne sans un rapport préalable de la police ». Les explosions ont rappelé l’incident préélectoral de septembre 2004, qui avait causé des victimes innocentes du conflit entre les partisans de Sulejman Ugljanin et ceux de Rasim Ljajic. Camil Jukovic, enseignant en retraite, est devenu invalide à vie et il a maintenant des difficultés pour financer ses soins à l’Hôpital spécial de Novi Pazar.

Les adversaires politiques continuent de s’accuser mutuellement et de critiquer le gouvernement de Serbie. Les litiges portent sur la réussite de la procédure de destitution du maire Sulejman Ugljanin, engagée le 14 mai, et sur la mise en place d’autorités locales provisoires et de la Commission électorale municipale désignée par l’Assemblée municipale de Novi Pazar, qui ne convient pas à la Liste pour le Sandjak. Le secrétaire général de cette coalition, Nermin Bejtovic, a déclaré dans une conférence de presse que « toutes les réactions à la décision du gouvernement de Serbie se réduisaient au maintien de la Commission électorale municipale à tout prix », et qu’on distribuait de fausses informations. Il souligne que personne n’avait invité sa coalition à participer au travail de la Commission.

Nermin Bejtovic accuse l’ancienne majorité politique, en disant que la Commission électorale municipale était constituée « de hauts fonctionnaires, amis et parents de la coalition SDP - SZS - SRS ». Le secrétaire général de la coalition Liste pour le Sandjak dit que cette constitution n’est pas conforme à la loi parce qu’elle n’est pas capable de prendre une position indépendante et objective sur la destitution du maire de Novi Pazar.

Si la constitution de la Commission électorale municipale n’est pas modifiée, « le vote de destitution pourra se faire dans des maisons privées ou dans les bureaux des membres de la commission », estime Bejtovic. Il a condamné l’attaque contre la maison de Fevzija Muric, en disant qu’apparaissaient clairement « ceux qui font augmenter les tensions en ville pour intimider ses habitants ».

Le vice-président du parti démocrate de Sandjak, Munir Poturak, estime que le gouvernement de Serbie et Sulejman Ugljanin sont responsables de tous ces événements. « Le gouvernement de Serbie nous envoie un message selon lequel les partis politiques locaux ne devraient pas s’occuper de politique, mais obéir au gouvernement. Ils ont trouvé un partenaire qui s’appelle Sulejman Ugljanin. Depuis l’arrivée au pouvoir de la Liste pour le Sandjak et de Sulejman Ugljanin, Novi Pazar est tombée au plus bas de l’échelle dans la République de Serbie », affirme Munir Poturak. Il ajoute que le Comité directeur de son parti proposera une abstention lors du vote sur la destitution du maire pour éviter les conflits.

Pacte secret entre Ugljanin et le gouvernement de Serbie ?

Le vice-président du Parti pour le Sandjak et président de l’assemblée municipale dissoute, Azem Hajdarevic, interprète les explosions comme « une forme d’intimidation des citoyens ourdie par Ugljanin à la veille de sa destitution », mais il craint que ce ne soit qu’une introduction, parce que les événements au Monténégro et au Kosovo se répercuteront tout de suite dans le Sandjak. Il en accuse les autorités de Belgrade et même une partie du gouvernement.

« Le ministre des Investissements Velimir Ilic ne savait pas ce qu’il faisait lorsqu’il a fait voter la décision gouvernementale sur l’introduction des mesures provisoires. Nous finirons par découvrir la nature de l’accord passé entre Ugljanin et Ilic », affirme Hajdarevic. Il a ajouté qu’il ne comptait pas sur les résultats de l’enquête policière ni sur celle du ministère public au sujet de l’attaque contre la maison familiale du président du parti, et que le ministère public avait déjà les preuves pour des fraudes portant sur plusieurs millions d’euros mais ne faisait rien.

« Nous avons demandé la police de nous dire qui a jeté la bombe au centre ville et d’où cette bombe a été jetée. Ils n’ont pas encore répondu », ajoute-t-il. Dans leurs communiqués, les partis politiques locaux mentionnent souvent l’épisode de l’administration forcée qui remonte à neuf ans. La coalition d’Ugljanin était alors au pouvoir et l’administration forcée a été introduite au bout de sept mois par le régime de Milosevic. Fevzija Muric était devenu maire, mais la coalition du député fédéral Sulejman Ugljanin est revenue au pouvoir en 2000. Fevzija Muric et Azem Hajdarevic avec trois autres collègues ont alors quitté l’assemblée municipale à cause de désaccords avec le SDA et ils ont fondé le Parti pour le Sandjak en janvier de l’année suivante.

Les élections organisées pour affecter les sièges vacants ont fait gagner deux nouveaux sièges à la Liste pour le Sandjak et permis au Parti démocrate du Sandjak de pénétrer dans l’assemblée. De nouvelles querelles au sein du SDA du Sandjak ont fait naître l’Alternative du Sandjak. Ce parti n’est pas représenté à l’assemblée, mais il tente de laisser sa trace dans la vie politique par de fréquents communiqués et conférences de presse. Le président du parti, Tarik Imamovic, a annoncé il y a un mois qu’il allait soutenir l’initiative de destitution du maire Sulejman Ugljanin à condition qu’elle provienne de l’assemblée municipale.

L’alternative du Sandjak estime que l’introduction des mesures provisoires participe de « l’objectif du gouvernement de Serbie d’introduire de nouvelles divisions au sein des Bosniaques ».

[1] Depuis les élections municipales de 2004, Sulejman Ugljanin (SDA) était maire de Novi Pazar, tandis que la majorité revenait à une coalition entre le SDP de Rasim Ljajic et les partis serbes.

 

Sandjak : Rasim Ljajic s’exprime sur une décennie de l’histoire des Bosniaques
TRADUIT PAR JASNA ANDJELIC

Publié dans la presse : 12 janvier 2005
Mise en ligne : vendredi 11 février 2005

L’hebdomadaire Vreme a élu Rasim Ljajic « homme de l’année 2005 ». Le ministre des Minorités et des Droits de la personne de l’Union de Serbie-Monténégro est aussi responsable de la coopération avec le TPI. Il s’exprime sur son parcours personnel, ses relations avec Sarajevo et l’histoire politique des Bosniaques du Sandjak au cours des 15 dernières années.

Propos recueillis par Vera Didanovic

Je ne pensais pas entrer en politique. J’étais commencé des études de médecine, je souhaitais rester à Sarajevo après mes études pour travailler à l’Université. Avec la révolution anti-bureaucratique, les manifestations et le renforcement du pouvoir de Milosevic, la différenciation ethnique commençait à se sentir à l’Université. J’ai assisté aux assemblées fondatrices de tous les partis politiques en Bosnie-Herzégovine. Il y avait trois groupes principaux : le HDZ croate, le SDA musulman et le SDS serbe.

Un jour je me suis rendu à la mosquée Begova avec un groupe d’étudiants originaires du Sandjak. Alija Izetbegovic était là. Je ne le connaissais pas, et un des étudiants m’a demandé de me renseigner auprès de lui sur l’assemblée fondatrice du SDA. J’avais l’impression qu’il ne savait même pas quelles municipalités appartenaient au Sandzak.. Il a demandé si nous pouvions fonder des comités du SDA dans le Sandjak, parce que le parti devrait couvrir toute l’ex-Yougoslavie.

La formation du SDA

A l’époque, le SDA optait pour le maintien de l’ex-Yougoslavie, parce que les musulmans étaient le peuple le plus largement répandu sur son territoire, après les Serbes. Il y en avait partout, de la Macédoine à la Slovénie.

Dans le Sandjak, personne n’osait se prononcer pour le nouveau parti. La population était très intéressée, mais tous les personalités musulmanes de l’époque étaient membres du parti communiste et je suis retourné à Sarajevo sans aucun résultat.

Izetbegovic m’a cherché plusieurs fois, mais je me cachais parce que j’avais honte de n’avoir rien fait. Un étudiant m’a parlé d’un futur stomatologue originaire de Novi Pazar qui pourrait s’occuper de la création du parti parce que l’assemblée fondatrice approchait. Je suis allé à la Faculté de stomatologie et j’ai reconnu notre homme parce qu’il portait des chaussusres produites à Novi Pazar. Je lui ai demandé : « Vous êtes Sulejman Ugljanin ? et il m’a répondu : « Oui ». Je lui ai parlé de la fondation d’un parti politique musulman et du besoin de trouver un représentant dans le Sandjak. Il a accepté tout de suite et j’étais content de trouver une solution.

Le SDA de Novi Pazar a été fondé à l’été 1990, formant la section la plus nombreuse de ce parti dans toute l’ex-Yougoslavie. La veille de l’assemblée, on m’a informé que je serais proposé au poste du secrétaire du parti. Cependant, mon nom n’a même pas été mentionné durant la réunion. Le lendemain, j’ai croisé Ugljanin dans la rue et il m’a dit que je devrais aller à la radio pour parler du parti en tant que secrétaire, parce qu’il s’était enroué à cause des discours de la veille. Il m’a expliqué que mon nom avait été omis par erreur. Je refusais d’y aller, mais il m’a convaincu. Je devais expliquer à la radio ce que les gens disaient à l’Assemblée, y compris les discours politiquement nuisibles.

Nous, les étudiants de Sarajevo, avions compris que Sulejman Ugljanin n’était pas capable de mener le parti, mais nous avons cru qu’il serait vite remplacé. J’ai commencé à écrire pour le journal Muslimanski glas , et je gagnais ma vie comme journaliste. J’ai écrit pendant trois ans pour le journal Zëri de Pristina et pour presque tous les journaux de Sarajevo.

J’étais à Sarajevo au moment de la grande manifestation du SPO à Novi Pazar, le 9 septembre 1990, suivie de protestations et d’arrestations. Je suis retourné à Novi Pazar pour rectifier les stupides déclarations d’Ugljanin qui offraient à Milosevic un alibi parfait pour la repression.

Le référendum sur l’autonomie du Sandjak

Le référendum sur l’autonomie de Sandzak a été tenu en 1991. Il a fini comme tous les autres - on a écrit que la participation était plus de 80 % . C’était facile - un seul peuple, une commision, pas de vérifications.

Au début de la guerre en Croatie, j’ai reçu un appel à la mobilisation. La police a attendu que je parte en voyage pour venir me chercher à la maison. On ne voulait pas vraiment me mobiliser, mais m’envoyer le message de ne pas revenir au pays. Je suis pourtant revenu, mais plus personne n’est venu me chercher.

Mon premier conflit ouvert avec Sulejman Ugljanin date de 1992, la période des élections locales et fédérales, où 90 % des Bosniens ont voté pour le SDA, comme le seul parti national. Le Comité directeur a décidé qu’on participerait aux élections. Sulejman Ugljanin s’est ensuite rendu à la réunion de la conférence islamique en Arabie Saoudite. Il nous a envoyé un fax, écrit à la main en disant qu’il avait rencotré Alija Izetbegovic et que ce dernier était contre la participation aux élections.

Pour les Musulmans du Sandjak, Izetbegovic représentait une autorité nationale et politique et nous avons malheureusement boycotté ces élections. Cette erreur n’a pas encore été réparée : en 1990, nous avons eu neuf députés au Monténégro qui, en coalition avec les Albanais, représentaient la troisième force poltique de Serbie. Après le boycott, les partis citoyens se sont partagé les voix des Bosniaques au Monténégro. En Serbie, le SPS a été le gagnant absolu, la structure des pouvoirs locaux a complètement changé et ne reflétait plus la structure démographique du Sandjak.

L’erreur du boycott des élections de 1992

Sulejman Ugljanin a fui en Turquie en 1993. J’ai reproché à Izetbegovic d’avoir empêché notre participation aux élections de 1992, et il m’a juré sur la vie de ses enfants qu ‘il ne l’avait même pas mentionné et qu’il n’aurait pas voulu conseiller Ugljanin à ce sujet par manque d’information.

Durant la guerre, je suis allé tout seul chez Izetbegovic pour lui dire que la politique menée envers le Sandjak était catastrophique, que nous ne pouvions pas nous comparer avec les Serbes en Croatie qui étaient assistés par la Serbie. Je lui ai dit que nous n’avions pas d’appui et que nous devions chercher la solution dans les institutions du système. Une partie du Sandjak est en Serbie, l’autre est au Monténégro, les positions politiques sont différentes. Nous avons la même identité culturelle, mais du point de vue politique et territorial, ce n’est pas le cas. Nous formons la majorité de la population dans trois communes en Serbie et deux communes au Monténégro, mais ces dernières ne sont pas contigues. C’est une mauvaise position pour les grands objectifs et intérêts nationaux.

Sulejman Ugljanin est revenu sur la scène politique en accord avec Milosevic. J’ai récemment parlé avec Zoran Lilic, l’ancien Président yougoslave, qui avait reçu une délégation du parti d’Ugljanin une semaine avant son retour de Turquie. Il m’a dit : « Ils avaient demandé la permission de revenir. Milosevic m’a appelé immédiatement après cette rencontre et je lui ai dit qu’il fallait arrêter Ugljanin. Milosevic a dit « Ne sois pas fou, il doit retourner et faire ce qu’il est à faire ». Ugljanin a gagné les élections qui ont eu lieu un mois après et les pressions ont encore augmenté.

Après la signature des Accords de Dayton, je suis parti à Londres pour apprendre l’anglais. Zoran Djindjic m’a appelé pour me proposer la coopération des partis de l’opposition. Je n’avais pas le choix, je pouvais rivaliser de nationalisme avec Ugljanin ou rejoindre le front démocratique.

2000, la chute de Milosevic

J’ai transformé toutes mes défaites en victoires. Pour les élections de 2000, Djindjic avait fait un accord secret avec Ugljanin. Durant les manifestations, j’ai parlé devant l’Assemblée nationale et on m’a présenté comme député. La DOS avait gagné dix mandats et j’étais numéro neuf sur la liste.

Zarko Korac m’a assuré que Djindjic avait donné mon mandat au parti d’Ugljanin, mais qu’il avait dit que je pourrais choisir mon poste lors de la formation du gouvernement. Goran Svilanovic, Miroljub Labus et Zarko Korac ont insisté que je sois recompensé et je suis devenu minsitre. Je pense que ce poste a été inventé. Ils ont pensé que c’était utile pour les rapports avec la communauté internationale. Nous avons eu beaucoup de problèmes, mais j’ai transformé ce ministère en un véritable brand.

J’ai passé plus de quatre mois dans le Sud de la Serbie. Nous avons travaillé jour et nuit. Nous nous sommes engueulés avec les négociateurs internationaux, les pourparlers duraient toute la nuit. Je suis content d’avoir défendu les intérêts de l’État et aucune partie ne pourra dire que j’ai commis quelque chose à ses dépens. La résolution pacifique de cette crise a été le plus grand succès de la DOS et le monde entier l’a reconnu. La récente mort du jeune Dashim Hajrulahu [1]est un accident et je ne crois pas que cela puisse entraîner une nouvelle déstabilisation. Je n’exclus pas des cas individuels, surtout à cause des prochaines négociations sur le Kosovo.

La coopération avec le TPI

Le problème du TPI s’est posé plus tard, après la formation de l’Union d’États avec le Monténégro. Les ministres de la Justice des deux républiques, Batic et Sturanovic, se sont mis d’accord pour considérer que ce n’était pas à eux de signer les décisions sur les extradition et que cela devrait se faire au niveau de la communauté. Il y a cinq ministères communs et tout ce qui n’est pas classé tombe dans le domaine du ministère des Droits de la personne - les réadmissions, les extraditions, le transfert des condamnés...

Je n’ai pas participé à la coopération avec le TPI, c’était la tâche du Conseil national et du ministère des Affaires étrangères. Je ne faisais que signer les décisions d’extradition et je pensais que mon rôle était peu important.

Accepter la présidence du Conseil national représente mon deuxième grand risque politique, le premier étant l’entrée dans la DOS. Je ne peux pas détruire mon influence politique au Sandjak, mais je ne peux pas non plus représenter l’État et parler contre cet État. Concernant le TPI, je dois tenter de trouver un équilibre entre les positions de Vuk Draskovic, de Vojislav Kostunica et de Boris Tadic.

 

Sandjak de Novi Pazar : une frontière qui divise la communauté bosniaque
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT

Publié dans la presse : 2 février 2005
Mise en ligne : lundi 7 février 2005

Si le Monténégro devenait indépendant, la nouvelle frontière internationale passerait en plein milieu du Sandjak de Novi Pazar. Déjà, les douanes entre la Serbie et le Monténégro empoisonnent la vie des habitants, majoritairement bosniaques, de la région. Les entrepreneurs sont les plus hostiles à cette nouvelle frontière.

Par Amela Bajrovic

Tahi Musina, un Bosniaque du village de Draga, traverse la frontière entre la Serbie et le Monténégro chaque jour pour se rendre à son travail de chauffeur d’une entreprise de Tutin, 15 km plus loin.

Bien que la Serbie et le Monténégro fassent partie d’une même entité politique, liés par une « union étatique » assez lâche, l’existence de douanes entre les deux républiques offre un avant-goût de ce qui pourrait arriver si, comme certains le prédisent, celles-ci se séparaient l’an prochain et devenaient deux États distincts. Les postes de douanes qui embêtent Tahir Musina sont apparues il y a dix ans, quand les deux républiques ont établi des contrôles informels à la frontière. « Je dois partir pour le travail une heure plus tôt, parce que je ne sais jamais quelle sera l’humeur de la police... », se plaint Musina.

« Parfois je passe sans qu’on m’arrête, d’autres je dois perdre trente minutes... Mon employeur ne veut rien entendre si je suis en retard. L’introduction du poste de douane m’empoisonne la vie. Ça n’a aucun sens de diviser des gens semblables vivant dans un même État ».

La séparation, néanmoins, demeure à l’ordre du jour, remplissant les Bosniaques comme Musina d’inquiétude face à l’avenir. Leur communauté, modeste, serait en effet coupée en deux en cas d’indépendance du Monténégro.

Car la frontière passe au beau milieu du Sandjak, une région isolée et vallonneuse habitée par une communauté bosniaque et qui s’étend sur le sud-ouest de la Serbie et le nord-est du Monténégro.

Alors qu’une faible majorité de Monténégrins soutienne l’idée de l’indépendance de la petite république côtière, les partis représentant les Bosniaques du côté serbe du Sandjak s’y opposent vivement.

Les Bosniaques contre l’indépendance du Monténégro

Sulejman Ugljanin, président du Conseil national bosniaque en Serbie et au Monténégro (BNVSCG), dit que la voix des Bosniaques du Sandjak doit se faire entendre dans le débat concernant l’indépendance. « La création de deux États distincts aura un impact négatif sur les Bosniaques : leur opinion doit être prise en compte », explique-t-il. Pour lui, la solution à long terme est « une Europe sans frontière ». La région appellée Sandjak par les Bosniaques (du mot turc utilisé pour « zone administrative ») et Raska par les Serbes, comprend 11 municipalités.

Six d’entre elles appartiennent à la Serbie : Novi Pazar, Tutin, Sjenica, Nova Varos, Prijepolje et Priboj. Les cinq autres, Rozaje, Berane, Plav, Bijelo Polje et Pljevlja, sont situées au Monténégro. Pour compliquer les choses, les Bosniaques ne sont majoritaires que dans trois des municipalités serbes (Novi Pazar, Sjenica et Tutin) et deux du Monténégro (Rozaje et Plav). En dépit du fait que les Bosniaques de Novi Pazar n’ont aucune envie d’être séparés de leurs proches de Rozaje, le Premier Ministre du Monténégro, Milo Djukanovic, travaille à réaliser son rêve, vieux d’une décennie, de diriger un État indépendant reconnu par la communauté internationale.

Pendant que le Premier Ministre serbe Vojislav Kostunica tente aussi de faire échec à ce plan, les plus inquiets demeurent les citoyens vivant près de la frontière - les commerçants et hommes d’affaires au premier chef.

Medzid Kakic, propriétaire d’une usine de meubles à Tutin en Serbie, affirme que son commerce souffrirait de l’instauration d’une frontière internationale. « Notre marché principal est au Monténégro, en raison de la proximité », a-t-il déclaré à l’Agence Beta. « Il vaut mieux transporter des produits à 200 km [au Monténégro] plutôt qu’à 600 km [à Belgrade] », a-t-il ajouté. Irfan Sarenkapic, responsable de l’Agence de Développement du Sandjak, est d’accord : l’indépendance pourrait causer une crise économique dans la région frontalière. « Les entrepreneurs privés de l’endroit préfèrent éviter la séparation des deux républiques », soutient-il.

« Il faudra une nouvelle documentation et une nouvelle législation pour importer et exporter, ce qui haussera inévitablement les coûts, engendrant probablement une crise. »

Azem Hajdarevic, vice-président du Parti pour le Sandjak et Maire de Novi Pazar, déclare que la région pourrait devenir une zone de tension si l’Union se désintégrait. « C’est déjà le cas de manière embryonnaire », selon lui. Il pense qu’une éventuelle séparation « pourrait entraîner une série d’événements fâcheux ». Cela étant dit, il ne s’agit pas simplement de Bosniaques répartis de part et d’autre d’une nouvelle frontière et voulant être réunis au sein d’un même État.

Rasim Lajic, Ministre des Minorités de la Serbie et du Monténégro et Président du Parti démocratique du Sandjak (SDP), fait remarquer que les Bosniaques serbes et monténégrins ont des vues diamétralement opposées sur la question : « Les Bosniaques de Serbie tiennent au statu quo pour préserver l’intégrité de la région, alors que du côté monténégrin plus de 90 % des Bosniaques sont favorables à l’indépendance ». Les raisons en sont complexes. L’une d’elles est que les Bosniaques du Monténégro considèrent Podgorica comme leur capitale et non Novi Pazar. Aussi, les minorités ethniques ont tendance à trouver au Monténégro un environnement politique plus tolérant qu’en Serbie. Rasim Lajic croit qu’un référendum sera bel et bien tenu en 2006 au Monténégro et que les Bosniaques des deux côtés doivent se préparer à l’indépendance.

« La meilleure option pour nous serait de permettre la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux », affirme Rasim Ljajic.

« Injustice historique »

Mevlud Dudic, vice-président de la Communauté islamique du Sandjak et dirigeant des Madrasa (écoles religieuses) de Novi Pazar, soutient qu’une partition du Sandjak causerait une injustice aux Bosniaques de l’endroit. « Ces gens ont déjà subi une grande injustice en 1878 lors du Congrès de Berlin, quand le Sandjak a été divisé entre la Serbie et le Monténégro », rapelle-t-il. « Une nouvelle division mènerait à la désintégration de la région. J’espère que l’Europe moderne ne le permettra pas. » Mevlud Dudic déplore que ses professeurs aient déjà des problèmes à traverser la « pseudo-frontière » séparant Novi Pazar de Rozaje. Des camions remplis de matériel pédagogique ont souvent été refoulés aux douanes.

« Nous avons déjà beaucoup de problèmes avec ça, alors on n’ose pas trop imaginer ce que ça serait s’il y avait une véritable frontière », constate-t-il.

Pendant ce temps, les Bosniaques des deux côtés de la frontière ne peuvent que subir les contrôles et les inspections des autorités douanières. Dzafer Muric, qui a bâti sa maison dans ce qu’il appelle « le bon vieux temps », est conscient que sa demeure pourrait bientôt se retrouver à cheval sur une frontière internationale. « Je ne veux même pas penser à un référendum », confie-t-il.

 

Sandjak de Novi Pazar : la crise exacerbe les tensions ethniques
TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS

Publié dans la presse : 24 septembre 2004
Mise en ligne : samedi 25 septembre 2004

La crise économique qui frappe le Sandjak de Novi Pazar met en évidence les tensions ethniques et sociales qui s’exacerbent dans la principale ville de la région. L’industrie textile, qui a fait la fortune de Novi Pazar, est en faillite.

Par Dragana Nikolic-Solomon et Marcus Tanner

Le jour de marché à Novi Pazar, les rues situées au bord de la rivière Ibar résonnent de l’activité de centaines de commerçants proposant des marchandises de toute sorte, des fraises, des herbes, des fromages frais de la région, des chaussures de sport ou des vestes en cuir. Dans la partie habillement, on vend des sacs à dos, des imitations de modèles Timberland ou Artique, des copies de chaussures de tennis Puma et Nike.

Mais alors que les marchands sont très nombreux, les acheteurs éventuels le sont beaucoup moins. Les marchands expliquent que les bons vieux jours appartiennent au passé et que les affaires ne marchent plus. « Je n’arrive pas à vendre ce sac à dos même pour seulement dix euros », se lamente une femme, le visage tanné par des années de vente en plein air. « Regardez ils viennent de Timberland, enfin, ce sont au moins de bonnes copies ! »

Sur le marché, les marchands avancent plusieurs raisons à cette crise, qui vont de l’arrivée des rivaux chinois à la mise en place de douanes sur les frontières avec le Kosovo voisin et le Monténégro qui, un temps, étaient les débouchés essentiels de la plupart des vêtements vendus sur le marché de Novi Pazar.

« Ce sont les Chinois qui sont responsables », commente la malheureuse vendeuse de sacs à dos. « Tous, nous les haïssons, même s’ils sont bons pour certains d’entre nous, quand ils ne vendent pas ce que nous vendons ».

Les criailleries se répondent dans tout le marché de Novi Pazar, une ville en pleine expansion de 90 000 habitants, peuplée essentiellement de Bosniaques musulmans qui, depuis des siècles ont survécu grâce à l’art de la pratique commerciale.

Dans les années 1990, sous le régime de Slobodan Milosevic, ce système aurait pu craquer. Sans aucun soutien de l’État, beaucoup de commerçants locaux sont devenus très prospères grâce au textile, fabriquant des tonnes de jeans Levi’s d’imitation pour l’exportation. La plupart de ces entreprises avaient démarré par la contrebande de marchandises et d’essence en provenance de Turquie et de Bulgarie, un commerce sur lequel le gouvernement serbe, victime des sanctions internationales, fermait les yeux.

Faillite de l’industrie textile

Maintenant, par contre, l’industrie textile locale est en chute libre et, d’après les études économiques, 70% des capacités de production de Novi Pazar ne fonctionnent presque plus.

Les analystes locaux sont d’accord avec certaines jérémiades que l’on entend sur le marché. Le rétrécissement du marché a fait souffrir l’économie, avec l’éclatement de la Yougoslavie et la sécession de facto du Kosovo. L’arrivée de biens chinois bon marché a accru les problèmes, pendant que d’autres villes serbes sont entrées en concurrence dans la confection des vêtements.

Belgrade, jamais très chaude pour promouvoir les Musulmans bosniaques, ne fait rien pour arranger les choses, que cela soit par mauvaise volonté, ou bien par simple indifférence.

Le dirigeant de la Communauté islamique de Novi Pazar, le mufti Muarem Zukorlic, ne se pose pas de question sur le rôle actif joué par Belgrade contre l’économie du Sandzak et ses progrès économiques. « La Serbie est en guerre contre nous », explique-t-il dans le principal bureau de l’Université privée de Novi Pazar, dont il est également le recteur. « Ici, on considère que les citoyens ordinaires sont des ennemis de l’État ».

Cependant, tout le monde ne considère pas que le déclin de Novi Pazar soit le résultat d’une intention directe de Belgrade. Rasim Lajic, ministre des Minorités nationales de l’Union de Serbie et Monténégro, qui est également le dirigeant du Parti démocratique du Sandzak (SDP), estime que la négligence du gouvernement envers le Sandzak - qui apparaît aussi dans le faible traitement que la presse réserve à la région - vient de son indifférence, et pas de son agressivité. Il ajoute avec humour : « Cela pourrait être un plus d’être ignoré par les médias serbes. Il nous faut ouvrir cette région qui est stratégiquement proche de la Bosnie, du Kosovo, du Monténégro... Mais nous ne pouvons pas vivre que du textile ».

L’opinion de Rasim Lajic, partagée par beaucoup d’observateurs, est que les marchands locaux ont investi trop lourdement dans une seule industrie, en pensant que la production des jeans leur garantirait un âge d’or perpétuel.

Aida Corovic, de l’ONG locale Urban In, se souvient très bien de l’âge d’or. « Ce fut un choc pour moi de voir qu’il y avait tant d’argent dans la ville au milieu des années 90. Les gens le jetaient par les fenêtres ».

Elle se souvient que tout a changé après les frappes de l’OTAN en Serbie. « Les marchandises allaient toutes au Kosovo, mais après 1999, quand le Kosovo est devenu un protectorat, cela a changé. Tout à coup, nous avions un marché plus petit, et c’est aussi la première fois qu’il a fallu payer des impôts ».

Les Chinois, boucs émissaires ?

Comme l’expliquent les journalistes locaux, les petites usines construites dans les prospères années 1990, ont fermé les unes après les autres, les machines se sont tues. Toutes ces petites entreprises familiales ont été incapables de se protéger contre l’impact de plusieurs années de récession.

« Le marché en Bosnie, au Kosovo et au Monténégro est maintenant quasiment fermé », affirme Isac Slezovic, de la Radio 100+ de Novi Pazar. « Rien ne peut pénétrer dans ces pays sans payer droits de douane et impôts. Nous avons trop de capacité de production et un marché trop petit. Les gens qui ont construit pour une capacité de mille exemplaires par jour, quand ils en vendent une cinquantaine ».

La conséquence brutale de ce ralentissement est que le salaire moyen a chuté à Novi Pazar. Un temps bien supérieur à la moyenne serbe de 200 euros par mois, il n’est plus que de 150 euros.

Ce phénomène se combine avec le vacarme des tensions ethniques et confessionnelles qui se poursuivent entre les Serbes orthodoxes et les Musulmans bosniaques sous le glacis de la société du Sandzak, et il devient clair que la région, si elle n’est pas encore tout à fait un baril de poudre, reste très fragile.

Le ministre Ljajic affirme que la Serbie pourrait au moins faire disparaître certains points litigieux liés aux commerçants et aux marchandises chinois, qui ne sont apparemment ni contrôlés ni imposés. Selon lui, « l’État perd chaque année environ 460 millions d’euros, en raison de son incapacité à imposer les marchandises chinoises. Nous ne pouvons pas empêcher ces gens de venir, mais nous pourrions au moins les imposer ».

D’autres affirment que les commerçants chinois, quoique certainement impopulaires (beaucoup ont été attaqués au début de l’année), sont une diversion par rapport au malaise économique plus profond de la ville. Le jour où nous avons fait le tour du marché de Novi Pazar, ces fameux commerçants chinois n’étaient même pas visibles. S’ils étaient seulement présents, ils étaient bien cachés, mais ils sont loin de représenter la force économique que certains voudraient voir.

Risque de radicalisation ?

Aida Corovic est surtout concernée par la radicalisation grandissante à la fois des jeunes Serbes et des jeunes Bosniaques du Sandzak. « Entre les deux communautés, la cassure est plus grande que jamais. La méfiance gagne du terrain ».

De retour à la nouvelle université, le mufti Zukorlic reconnaît qu’il craint que les jeunes ne se sentent de plus étrangers à l’État serbe, et que leurs frustrations ne puissent pas être contenues plus longtemps. « Je peux me battre contre le radicalisme et l’extrémisme si j’ai des arguments. Au temps du Premier Ministre Djindjic, j’en avais. Plus maintenant ».

 

mardi 4 novembre 2003, 

Le Sandjak : un nouveau test pour la cohabitation interculturelle en Serbie

par Hervé Collet (Association Colisée)

Le Sandjak est une province historique de l'ancienne Yougoslavie, où sont concentrés la très grande majorité des Bosniaques-musulmans de Serbie et du Monténégro, qui représentent 60 % de la population de la province. Ces derniers sont des citoyens de langue slave très proche du serbe, mais de religion et de traditions musulmanes. Ils revendiquent une autonomie culturelle et ne veulent pas être réduits à des « Serbes de confession islamique ». Cette revendication, qui avait été étouffée sous le régime de Tito, et encore plus sous Milosevic, s'est avivée après la chute du maître de Belgrade en octobre 2000.

Le Sandjak est actuellement réparti sur les deux républiques constitutives de l'Etat commun de Serbie-et-Monténégro. La partie serbe du Sandjak compte, selon le recensement d'avril 2002, 235.567 habitants, répartis sur six municipalités. Elle est elle-même séparée en deux districts, dont le périmètre dépasse largement les limites du Sandjak traditionnel :
-  Novi Pazar et Tutin sont rattachées au district de Raska
-  Priboj, Prejo Polje, Nova Vares et Djenica relèvent du district d'Uzice

Ce morcellement répond visiblement à la crainte du pouvoir central de voir se développer des tendances séparatistes. Aussi tous les partis politiques bosniaques demandent-ils la création d'une région administrative coïncidant avec la province historique du Sandjak, dans la perspective d'une nouvelle constitution serbe et d'une loi sur la décentralisation.

Le Sandjak regroupe en Serbie six municipalités, où les Bosniaques-musulmans sont représentés dans des proportions inégales d'une commune à l'autre (recensement de 2002) :
-  Novi Pazar : Population totale : 85.996. Bosniaques : 65.593 (76,27 %). Serbes : 17.599 (20,46 %). Musulmans : 1.599 (1,86 %).
-  Priejepolje : Population totale : 41.188. Bosniaques : 13.109 (31,83 %). Serbes : 23.402 (56,82 %). Musulmans : 3.812 (9,25 %).
-  Priboj : Population totale : 30.377. Bosniaques : 5.567 (18,33 %). Serbes : 22.523 (74,14 %). Musulmans : 1.427 (4,7 %).
-  Tutin : Population totale : 30.054. Bosniaques : 28.319 (94,23 %). Serbes : 1.299 (4,32 %). Musulmans : 223 (0,74%).
-  Sjenica : Population totale : 27.970. Bosniaques : 20.512 (73,33 %). Serbes : 6.572 (23,5 %). Musulmans : 659 (2,36 %).
-  Nova Varos : Population totale : 19.982. Bosniaques : 1.028 (5,14 %). Serbes : 18.001 (90,09 %). Musulmans : 502 (2,51 %).

Les Bosniaques-musulmans sont donc majoritaires dans trois municipalités (Tutin, Sjenica et surtout Novi Pazar), tandis que les Serbes le sont dans les trois autres villes : Priboj, Prijepolje et Nova Varos. Au total, sur une population de 235.567 habitants, le Sandjak compte 132.350 Bosniaques (56,18 %), 8.222 Musulmans (3,5 %), 89.396 Serbes (37,95 %), et 5.599 personnes appartenant à d'autres nationalités. 

La querelle des appellations

La revendication des Bosniaques-musulmans à une reconnaissance culturelle et politique s'est particulièrement manifestée à l'occasion du recensement d'avril 2002, dans la mesure où les partis bosniaques ont obtenu le droit pour chaque citoyen de choisir entre la « nationalité » bosniaque ou musulmane. On se souvient que lors des recensements précédents (le dernier datant de 1991), seule la possibilité de se déclarer « musulman » était prévue.

Le recensement de 2002 a été précédé par d'une campagne des partis bosniaques pressant les Musulmans de s'enregistrer en tant que « Bosniaques » et de déclarer le bosniaque comme leur langue maternelle. Un jour avant le lancement officiel de l'opération (31 mars), le parti démocratique du Sandjak a tenu un important meeting à Novi Pazar, au cours duquel son leader, Rasim Ljajic, a lancé un vibrant appel à ses compatriotes musulmans : « Après une décade de migrations et de guerre, il est important pour nous de connaître enfin le nombre de membres de notre nationalité. Notre déclaration en tant que Bosniaques constitue un plébiscite décisif pour notre communauté. En nous réappropriant notre antique dénomination, nous coupons court aux intentions de certains cercles politiques de Belgrade de transformer les Bosniaques en 'Serbes de confession islamique' ». Les musulmans du Sandjak ont, dans leur grande majorité, répondu à cet appel, puisque 94 % d'entre eux se sont déclarés « Bosniaques ». Les musulmans de Belgrade et des villes de Voïvodine se sont montrés moins empressés à modifier leur appellation, puis qu'à Belgrade, on compte 1.188 Bosniaques et 4.617 Musulmans, et en Voïvodine, 417 Bosniaques et 3.634 Musulmans. Au Monténégro, la très grande majorité des citoyens de confession islamique se sont déclarés « Musulmans », suivant en cela les consignes du principal parti politique du pays, le Parti Démocratique des Socialistes (DPS). L'enjeu de ces dénominations est en grande partie politique. Ceux qui tiennent à se déclarer « Musulmans » le font, les uns pour respecter une « tradition ancestrale » (même si cette tradition est relativement récente), les autres parce qu'ils ne veulent pas donner prise à des revendications autonomistes ou séparatistes : pour eux, la différence avec les Serbes orthodoxes est plus religieuse que culturelle ou « ethnique ». 

Vie politique

Contrairement au Monténégro, où la très grande majorité des Bosniaques adhèrent aux partis multiethniques au pouvoir (DPS et SPD), les partis bosniaques ont le contrôle de la vie politique dans la communauté musulmane de Serbie. On compte 10 partis bosniaques dans le Sandjak, mais la majorité d'entre eux sont des organisations politiques fictives. Les principales formations sont les suivantes :
-  La « Liste pour le Sandjak - Dr Sulejman Uglanin » est une coalition de cinq partis politiques défendant l'idée d'une très forte autonomie pour le Sandjak et sa réunification avec la partie monténégrine. Son leader est M. Sulejman Uglanin, président du Parti d'action démocratique (PDA). Elle contrôle les trois municipalités à majorité bosniaque-musulmane.
-  Le Parti démocratique du Sandjak (SDP), présidé par M. Rasim Ljajic, ministre des droits de l'Homme et des minorités au niveau de l'État commun (anciennement fédéral), est membre de la DOS et se bat pour la promotion des droits civiques et culturels des Bosniaques, en se contentant, sur un plan politique, d'une décentralisation poussée des compétences publiques.
-  Le Parti pour le Sandjak, présidé par M. Fevzija Muric, ex dirigeant du PDA et ancien président de l'assemblée municipale de Novi Pazar, a rompu avec le PDA d'Uglanin en 2001 et réclame le plus haut degré possible d'autonomie et un référendum statutaire pour le Sandjak.

Aucun de ces partis, notons-le, ne réclame l'indépendance. La Liste pour le Sandjak est majoritaire. Elle a créé l'événement, en 2000, en prenant le contrôle de la mairie de Novi Pazar et de deux autres villes. Mais depuis lors, Rasim Ljajic a remonté le courant en bénéficiant de son statut de ministre fédéral et, par exemple, son parti a gagné trois sièges (contre deux à la Liste pour le Sandjak d'Uglanin), lors d'une élection partielle en janvier 2002 à Novi Pazar. 

Une lourde pente à remonter

Selon une enquête menée au cours du deuxième semestre 2002 par le Comité Helsinki des droits de l'Homme et le Centre humanitaire pour l'intégration et la tolérance, les Bosniaques seraient sous-représentés dans un certain nombre d'institutions importantes du Sandjak, alors qu'ils sont les plus nombreux sur le plan démographique. Par exemple, les Serbes occupent majoritairement des fonctions de juges, de procureurs ou d'officiers de police. La sous-représentation des Bosniaques au sein de ces instances est la conséquence d'une politique de ségrégation menée sous le régime précédent, qui non seulement suspectait la loyauté des musulmans, mais utilisait la police pour les harceler ou les torturer. Dans la deuxième quinzaine du mois d'août 2002, les ONG du Sandjak ont appris qu'environ 17.000 Bosniaques ont été battus, détenus, maltraités de différentes manières et privés de leur emploi sous le régime de Milosevic. Des purges ont été opérées, mais elles sont considérées comme insuffisantes dans la mesure où la plupart des policiers ont gardé leur poste et que peu d'entre eux ont été poursuivis pour faits criminels. Une situation similaire prévaut dans le secteur bancaire et dans l'économie. La prédominance serbe dans ces milieux est, là encore, le produit d'un système où tous les postes-clés étaient pourvus arbitrairement par le gouvernement central. On retrouve cette disproportion à l'échelon politique suprême : alors que les Bosniaques constituent 3,28 % de la population totale de Serbie-et-Monténégro, ils ne représentent que 0,056 % des députés fédéraux (0,08 % de l'Assemblée nationale serbe). Il est toutefois à remarquer que c'est un Bosniaque qui occupe la fonction de ministre des droits de l'Homme et des minorités à l'échelon de l'État commun. Des progrès sont constatés ici où là, même s'ils sont considérés comme insuffisants. Un exemple significatif : l'État-major des armées a répondu favorablement à une pétition lancée par le Parti démocratique du Sandjak de M. Rasim Ljajic, demandant que des plats spécifiques, exempts de viande de porc, soient préparés pour les soldats de confession islamique. L'autorité militaire a convenu que cette revendication était dans la droite ligne de la Constitution. 

Une région négligée par le pouvoir central

Le mécontentement des Bosniaques en matière culturelle et politique est d'autant plus fort qu'ils considèrent leur région comme sous-développée et négligée par le pouvoir central. Cette négligence est attribuée, elle aussi, à la politique ségrégationniste du régime précédent, mais le Gouvernement actuel, aux yeux des partis bosniaques (mais également serbes), ne fait pas suffisamment d'efforts pour redresser la situation : « Pourquoi n'y a-t-il pas de tribunal de commerce dans le Sandjak, alors que cette institution est de droit ? Pourquoi le Sandjak serbe est-il coupé en deux et rattaché à des villes qui n'appartiennent pas à la région (Raska et Uzice) ? Pourquoi… », les participants à une session organisée par le Comité Helsinki ont longuement égrené leurs récriminations concernant les retards pris par la région dans le domaine économique, culturel et éducatif. La tentation est grande, pour les Bosniaques, d'incriminer la nouvelle équipe au pouvoir dans la mesure où ils ne perçoivent pas de volonté manifeste de combler le retard accumulé, et surtout où les crimes commis par le régime précédent ne sont pas réellement poursuivis. 

Des remèdes législatifs à effets secondaires

La loi fédérale adoptée au début de l'année 2002 sur « la protection des droits et des libertés des minorités nationales » prévoit un Conseil fédéral pour les minorités nationales ainsi qu'un Fonds fédéral pour promouvoir le progrès social, économique, culturel et général des minorités nationales et des Conseils nationaux des minorités nationales chargés, pour chaque communauté, de recueillir les avis et les propositions de ses représentants. La loi prévoit les garanties suivantes pour chaque communauté culturelle : le droit de choisir et d'utiliser la façon dont elle veut être nommée (cas, par exemple des Bosniaques ou des Roms), l'usage officiel de sa langue et de son alphabet dans les municipalités où elle est présente au-delà d'un certain seuil, la promotion de sa culture et de ses traditions, l'éducation dans la langue maternelle, l'usage des symboles nationaux et l'accès à l'information en langue minoritaire. Un débat s'est instauré à propos de la langue bosniaque, dans la mesure où elle diffère peu du serbe, sauf qu'elle utilise des caractères latins et possède des références culturelles spécifiques. Mais à partir du moment où un consensus s'était établi sur le fait que le serbe et le croate - et même le monténégrin - constituaient des langues différentes, il n'y avait plus guère de raison pour refuser au bosniaque le statut de langue autonome.

Même si cette loi connaît un certain nombre d'imperfections, d'imprécisions et de difficultés d'application, elle constitue un pas décisif dans la reconnaissance des communautés ethniques, au moins en Serbie (le Monténégro prépare sa propre législation, mais qui ne sera pas fondamentalement différente). Les partis bosniaques, là où ils sont majoritaires, n'ont pas tardé à appliquer cette législation à la lettre : au mois de mai 2002, l'assemblée municipale de Novi Pazar, suivie un peu plus tard par la municipalité de Tutin, a pris la décision de placer la langue bosniaque et les caractères latins à égalité avec la langue serbe et l'alphabet cyrillique. Les édiles municipaux ont même changé le nom de certaines rues. Ces initiatives se sont ajoutées à des projets culturellement connotés, engagés par l'équipe municipale de Sulejman Uglianin après sa victoire de l'an 2000 à Novi Pazar : création d'une télévision régionale (contrôlée par la Liste pour le Sandjak), fondation d'une Université privée, lancement d'associations sportives et culturelles islamiques, etc. Elles ont provoqué des remous au sein de la communauté serbe, particulièrement dans les milieux nationalistes. Les conseillers municipaux serbes ont quitté la séance en signe de protestation lors de la séance de mai 2002 officialisant la langue bosniaque. Les mairies contrôlées par les partis serbes se sont gardés d'imiter l'exemple de Novi Pazar. Un incident malheureux, survenu à l'occasion d'un match de handball où de jeunes hooligans bosniaques ont bruyamment salué la victoire de la Turquie sur l'équipe yougoslave aux sons de « Dehors les Serbes ! », a entraîné des réactions de repli du côté serbe : un groupe de « patriotes » a lancé, en novembre 2002, un « Comité pour la protection des Serbes du district de Raska », qui considère cet incident comme « séparatiste » et voit en lui un embryon de « République du Sandjak ». D'autres incidents, sans gravité intrinsèque, mais lourds de signification symbolique (distribution de tracts, manifestation autour d'un monastère), menés par des musulmans isolés ont alimenté des déclarations partisanes. L'archevêque orthodoxe Artemije, connu pour ses positions nationalistes, a par exemple déclaré que la situation rencontrée au Sandjak était presque semblable à celle qui prévalait au Kosovo avant l'escalade des conflits armés… Mais, de l'aveu même de la police, majoritairement composée de Serbes, il n'existe pas d'organisation musulmane fondamentaliste à Novi Pazar. Les représentants de la communauté islamique et de l'Eglise orthodoxe se rencontrent régulièrement, même s'il leur arrive de se critiquer mutuellement par médias interposés. Les quelques incidents sporadiques qui sont intervenus ont été condamnés par les principaux partis politiques serbes et bosniaques. Comme le dit le Comité Helsinki dans son rapport 2000 « l'année a été tranquille dans son ensemble dans cette région », mais il ajoute plus loin : « Les incidents observés à Novi Pazar indiquent que le Sandjak est une zone sensible (…). D'autres incidents sont à craindre dans un proche avenir, mais toutes les mesures doivent être prises pour éviter l'escalade, car elle affecterait principalement les Bosniaques (dans leurs efforts pour faire reconnaître leurs droits). Les autorités de la République doivent tenir les promesses, faites par le Premier ministre Djindjic après l'incident du match de handball de Novi Pazar, à savoir : 'prêter une attention plus grande à cette zone et travailler au développement de son infrastructure et de son économie' ». À cet égard, la position modérée du ministre fédéral Rasim Ljajic, dont le parti est monté en puissance ces derniers mois, constitue un élément de stabilité pour cette région, d'autant que son côté, le bouillant leader du PDA, Sulejman Uglanin, essaie d'atténuer son image de militant « radical » de la cause bosniaque depuis son retour sur la scène politique. Mais tout incident majeur est de nature à envenimer la situation, dans la mesure où les problèmes structurels que connaissent à la fois les Bosniaques et le Sandjak dans son ensemble sont loin d'être résolus.

NB. Cette étude s'appuie sur une mission effectuée sur le terrain et sur le rapport du Comité Helsinki des droits de l'Homme pour 2002.

 


"Ni Belgrade ni Podgorica ne veulent du développement du Sandjak"
TRADUIT PAR JEAN-ARNAULT DÉRENS

Publié dans la presse : 11 janvier 2003
Mise en ligne : samedi 11 janvier 2003

Rencontre avec Esad Dzudzevic, président du Parti démocratique boshniaque et député au Parlement fédéral yougoslave. Esad Dzudzevic a démissionné en décembre 2002 de la commission sur la charte constitutionnelle de la future Union de Serbie et du Monténégro.

Propos recueillis par Sladjana Novosel

Danas (D) : Que pensez-vous de la Charte constitutionnelle

Esad Dzudzevic (ED) : Il est maintenant clair que les Boshniaques ne sont pas satisfaits de la Charte constitutionnelle, car elle ne tient pas compte des intérêts régionaux qui sont parfaitement légitimes. Le texte de la Charte constitutionnelle qui va être adopté ces jours par les parlements des deux républiques sera accepté par les Boshniaques à condition que ce texte les reconnaît et répond à leurs légitimes revendications.

D : Le Parti démocratique du Sandjak (SDP) vous a accusé de défendre des positions irréalistes au sein de la commission, et d'agir ainsi au détriment des intérêts du peuple boshniaque. Qui a raison : vous, ou Mujo Mukovic, l'autre représentant du Sandjak au sein de la commission ?

ED : C'est le temps qui jugera des actions de chacun, et il est le meilleur juge. Pour le reste, dans les sociétés normales, la responsabilité politique se juge au nombre de bulletins de vote dans les urnes, et il n'existe pas d'autre solution. Le pouvoir actuel, tout comme l'ancien régime de Slobodan Milosevic, ne renonce pas à instrumentaliser les individus, parce qu'il est incapable de reconnaître les paramètres de la réalité.

D : Ces derniers temps, certaines voix s'élèvent dans les partis politiques boshniaques, pour demander l'organisation d'un nouveau référendum sur le statut du Sandjak, par lequel s'exprimeraient tous les citoyens de cette région. Comment voyez-vous l'avenir du Sandjak ?

ED : Le référendum de 1991 a été l'expression de la sagesse des citoyens du Sandjak, pour trouver, face à la catastrophe qui se préparait, une réponse en accord avec leurs traditions et les principes démocratiques de l'Europe et du monde civilisé. La suite des événements jusqu'à l'adoption de la nouvelle Charte constitutionnelle prouve qu'il est nécessaire d'organiser un nouveau référendum, qui permettra aux citoyens du Sandjak de se prononcer sur le statut de la région dans laquelle ils vivent. Je me prononce en faveur d'un Sandjak multiethnique qui ait les compétences prévues par les dispositions européennes en faveur des régions, ce qui signifie que les citoyens de cette région doivent pouvoir choisir leur mode de développement social et économique. Il est clair que ni Belgrade ni Podgorica ne veulent du développement du Sandjak. Les citoyens du Sandjak font preuve d'une grande responsabilité et d'un grand intérêt pour le développement de leur région, et il faut le leur permettre, en accord avec l'expérience européenne et le droit international.

D : Vos partenaires des dernières élections au Monténégro ont voté pour le DPS de Milo Djukanovic. Avez-vous encore la légitimité suffisante pour parler en leur nom ?

ED : Sur notre conseil, les Boshniaques apportent leur soutien à l'option réformatrice de Milo Djukanovic depuis des années. Mais je dois vous rappeler des faits : dans les années 1990, nous avions 9 députés au Parlement du Monténégro, lorsque nous formions une coalition, et même plutôt un seul parti. Milo Djukanovic a utilisé cette situation de façon très primitive, et les Boshniaques, qui représentent 18% de la population du Monténégro, sont totalement marginalisés dans la vie politique et sociale. Ils n'ont pas une seule minute de programme dans les médias électroniques publics, qui sont financés avec le soutien de l'Union européenne et des USA. J'ai déclaré lors d'entretiens avec les représentants de la communauté internationale, qu'il suffirait de donner aux Boshniaques une heure d'émission à la télévision, comme en ont les Albanais, et l'on verrait pour qui voteraient les Boshniaques dans cette partie du Sandjak. Malheureusement, le peuple bosniaque du Monténégro constitue aujourd'hui une masse apeurée manipulée par Milo Djukanovic, et dont les droits personnels et collectifs sont violés de la manière la plus fragrante, tout comme dans la partie serbe du Sandjak.

D : Les municipalités de Novi Pazar, Sjenica et Tutin forment une institution régionale. Vont-elles développer leurs liens, puisque votre coalition y dispose de la majorité absolue, mais en sachant qu'il ne s'agit que de trois des six municipalités du Sandjak serbe, et des onze de tout le Sandjak ?

ED : En tant que personnes responsables, nous pensons que les citoyens du Sandjak doivent se préparer aux processus européens, qui impliqueront avant tout la fin de l'ingérence du pouvoir central dans les institutions locales et régionales. C'est un processus inévitable. La rénovation des Jeux du Sandjak (manifestation sportive régionale, NdT) a impliqué non seulement les représentants des onze communes de la région, mais ceux de 22 villes des environs et du monde entier. C'est pourquoi les institutions régionales ne sont pas prévues seulement pour les trois communes de notre région, mais la situation actuelle est telle que seules ces trois communes ont des mécanismes leur permettant de s'intégrer à ces institutions. Par ailleurs, l'Université publique régionale de Novi Pazar compte 30% d'étudiants originaires du sud du Sandjak. Cela révèle que le régionalisme est un processus et que le Sandjak constitue une entité naturelle, géographique, et économique, ainsi qu'une aire de communications. La coalition Liste pour le Sandjak est la seule à défendre cette idée, et grâce à cette option européenne, elle a gagné toutes les élections.

D : Pourquoi les Serbes ne participent-ils plus aux travaux des conseils municipaux des trois communes où vous avez la majorité ?

ED : Le Sandjak est une région multiethnique, il l'a toujours été et le restera. Nous apprécions les différences comme une richesse et une source d'inspiration. Les gens du Sandjak considèrent le monastère de Sopocani et la mosquée Altun-alem, le monastère de Mileseva et la mosquée Husein-pasina comme une part de leur identité régionale. Malheureusement, les Serbes n'accordent pas encore une importance suffisante à la démocratie et à la vie commune, après dix ans de dictature et de régime autocratique de Slobodan Milosevic. Ces derniers temps, nous voyons des signes positifs et le début d'un dialogue stable. Nous espérons que nous allons trouver des formes institutionnelles qui permettront un consensus politique entre tous les habitants de notre région, et que la future administration régionale sera efficace et apportera des résultats dans l'intérêt de toutes les communautés et de tous les citoyens du Sandjak.