Les minorités au Kosovo

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L’Union Rromani Internationale a adopté une série de recommandations sur la situation au Kosovo, au cours d’une réunion de son Parlement mondial, organisée à Murska Sobota, en Slovénie, du 22 au 24 février 2008. Les recommandations évoquent également la situation des Rroms en Serbie et des réfugiés en Europe occidentale - ainsi que la question essentielle de la langue rromani.

(© Gil Guardiola) Les Communautés Rroms au Kosovo

La situation créée par la déclaration d’indépendance du Parlement du Kosovo a des implications directes pour les communautés Rroms qui vivent au Kosovo et pour celles qui vivent à l’extérieur du pays.

Il existe un danger permanent que les pays européens, où des Rroms ont trouvé refuge, décident de renvoyer par la force ces réfugiés au Kosovo, au prétexte que le Kosovo est devenu un état souverain et sûr.

De fait, ces personnes ont non seulement besoin d’une protection contre les violences physiques et les persécutions ethniques, mais elles doivent avoir accès à l’éducation, au logement, à la santé et à l’emploi d’une manière viable et stable.

Dans tous les cas, les retours ne peuvent être qu’un choix libre de la personne ou de la famille, et en aucun cas une décision administrative qui leur serait imposée.

Une attention spéciale doit être consacrée à la reconstruction sociale et matérielle des quartiers rroms (mahalla), dans toutes les localités et particulièrement à Mitrovica où des efforts importants, mais dont personne n’a parlé, ont été faits par les Rroms originaires de cette agglomération. Ces efforts doivent être soutenus politiquement par les institutions Rrom internationales, comme l’ERTF à Strasbourg, le point de contact Rrom ou l’organisation Sinte de Varsovie. Ils doivent être intégrés dans l’effort global de reconstruction des communautés Rroms du Kosovo.

L’Union Rromani internationale affirme sa volonté d’agir comme un possible médiateur pour le dialogue entre les Rroms du Kosovo et les autorités locales reconnues du Kosovo, ainsi qu’avec les principaux medias de la région.

L’Union Rromani Internationale demande instamment aux institutions européennes de recruter des observateurs, avec l’approbation de l’URI, pour contrôler, évaluer et concevoir des politiques concrètes pour l’avenir. De son côté, l’URI est en train de planifier un organisme de contrôle, d’évaluation et de conseil indépendant.

L’URI recommande d’inclure un expert juridique rrom dans toutes les missions d’exploration qui seront mises sur pied par les organisations européennes et internationales.

L’URI considère comme hautement recommandable de reconnaître la nation rrom au Kosovo comme l’une des quatre nations constitutives de ce pays, aux côtés des nations albanaise, serbe et turque, à égalité avec ces dernières.

Les communautés Rroms en Serbie

L’URI demande aussi instamment aux autorités serbes d’assurer la protection des Rroms déplacés du Kosovo qui pourraient rencontrer de l’hostilité à cause de leurs patronymes d’origine albanaise et/ou musulmane.

La langue romani, langue européenne et internationale

L’URI appelle les autorités européennes et les autorités des pays où vivent des communautés Rroms à reconnaître le rromani comme une langue nationale, à égalité avec les autres langues nationales. Elle lancera les procédures appropriées pour que, dans un premier temps, cette reconnaissance s’effectue au niveau de l’UNESCO, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

L’URI soutient, à cet égard, la Déclaration de Stockholm-Uppsala de la conférence internationale sur la langue rromani, adoptée le 9 janvier 2007. Elle insiste sur la signification du paragraphe 8, qui donne « mandat à un groupe d’experts d’examiner avec des spécialistes internationaux comment développer aussi vite que possible un système en langue rromani pour tous les services électroniques et Internet ». Ce groupe d’experts sera hébergé à l’INALCO de Paris, sous la direction du Professeur Marcel Courthiade. Ce groupe veillera aussi au processus de reconnaissance de la langue rromani.

L’URI approuve le document de travail « Requirements for support of written rromani language in Data processing system », et espère des développements techniques dans d’autres domaines, comme YouTube, etc...

L’URI apprécierait que ses deux commissaires Orhan Galjus et Marcel Courthiade participent à la conférence sur les langues, organisée par le Conseil de l’Europe à la fin du mois de mai 2008.

L’éducation des enfants et des jeunes Rroms

L’URI demande instamment aux responsables des institutions de l’Union européenne, ainsi qu’aux autorités de ses États membres qui ont rejoint la Décennie pour l’intégration des Rroms, de mener une évaluation objective de l’utilisation des fonds et de l’efficacité des dépenses engagées.

La préoccupation première devrait être l’éducation des enfants et des jeunes Rroms, de façon que les système scolaires soient adaptés aux besoins et à l’esprit des élèves rroms, pour que ces derniers ne soient pas rejetés des systèmes scolaires qui, de toute façon, ne sont plus adaptés à la civilisation d’aujourd’hui. Les élèves rroms ne doivent plus être confinés ou envoyés dans des soi-disant « écoles spéciales », qui répondent en rien au soi-disant manque d’adaptation de ces élèves au système scolaire.

La santé, le logement, l’emploi, les médias

L’URI reste très préoccupée par la situation dans les domaines de la santé, du logement, de l’emploi et des médias, qui n’ont connu aucune amélioration ces dix dernières années en dépit des efforts politiques et financiers qui ont été effectués.

La conclusion qui s’impose devant cette situation est que ces efforts n’ont pas été dirigés correctement, à cause du manque de concertation avec les organisations rroms.

L’URI exprime à cet égard sa volonté de s’engager activement avec tous les centres de décision, afin de mettre en avant une vision politique reposant sur la reconnaissance du peuple rrom comme une nation européenne transfrontalière - et non pas comme un groupe social. Notre but est de participer et d’échanger à égalité avec les autres structures rroms et les autres entités au niveau local, national et international, dans le respect de la diversité culturelle ,en acceptant les véritables valeurs rroms - comme Romanipe ou Romaniweltanschaaung, Romani Kris, etc...

La puissante contribution des Rroms à la vie économique, sociale, culturelle et artistique en Europe et sur d’autres continents devrait être reconnue comme un élément nourrissant le processus historique de respect mutuel et de coexistence entre les Rroms et les autres communautés en Europe.

Stanislaw Stankiewiicz, Président de l’Union Romani Internationale Dragan Jevremovic, Président du Parlement Mondial (URI)

 

 

Minorités au Kosovo : comment peut-être bosniaque ?

Traduit par Stéphane Surprenant Publié dans la presse : 21 août 2007

100 000 Bosniaques vivaient au Kosovo avant 1999, plus de 60 000 ont fui le territoire depuis l’instauration du protectorat international. Les Bosniaques du Kosovo ont été victimes de nombreux actes de violence et dénoncent une volonté d’assimilation de la part des Albanais. Le principal problème est celui de l’éducation : à l’Université de Pristina, tous les cours sont donnés en albanais, une langue que ne maîtrisent pas les Bosniaques du Kosovo. Dans certaines régions, comme en Gora, Belgrade essaie aussi d’assimiler les Bosniaques.

Par l’équipe du BIRN à Prizren

Il est 2h15 du matin et Elvir Mislimi empoche les 60 centimes d’euro d’un petit garçon de 10 ans, qui veut passer deux heures sur un ordinateur. La scène se déroule au Kosovo, dans le village montagneux de Donje Ljubinje, le long de la frontière de la Macédoine.

Elvir Mislimi travaille de temps à autre dans ce café internet pour une centaine d’euros par mois, mais seulement pour remplacer le patron quand celui-ci voyage. Il ne peut se trouver un meilleur emploi, malgré son diplôme de la Faculté de douane et taxation de l’École supérieure de Commerce de Belgrade. Le chômage est élevé au Kosovo : entre 40 à 70 % de la population est sans emploi.

En plus de devoir faire face à ce taux de chômage démesuré qui accable toute la population du Kosovo, Elvir souffre d’un désavantage supplémentaire : il ne parle pas l’albanais. Si la population du protectorat international est à 90 % albanophone, la région d’où vient Mislimi est composée à 95 % de Bosniaques. Et les nouveaux propriétaires des entreprises privatisées, où les Albanais prédominent largement, embauchent leurs amis ou leurs parents lorsqu’il y a des postes disponibles.

« J’ai cherché partout un travail, mais en vain », raconte-t-il. « Je vais attendre un peu encore, mais si rien ne se présente bientôt, je vais quitter le Kosovo. Je ne peux rien faire d’autre ». Beaucoup de Bosniaques du Kosovo pensent de la même manière. Tandis que la majorité albanaise du Kosovo est de plus en plus confiante et pense que le territoire disputé deviendra bientôt un État indépendant, les minorités se demandent ce que l’avenir leur réserve.

Le dernier recensement de 1991 dénombrait approximativement 100 000 Bosniaques au Kosovo, dont 68 000 concentrés dans les municipalités de Prizren et de Dragas. On trouve également des membres de cette communauté dans les municipalités de Pec, Istok, Mitrovica et Leposavic. Plusieurs milliers de Bosniaques habitaient en outre dans la capitale du Kosovo, Pristina, avant la guerre de 1999, quand les Albanais du Kosovo ont affronté les Serbes. Seuls quelques centaines de Bosniaques vivent encore aujourd’hui à Pristina.

Jusqu’à l’adoption par la Yougoslavie d’une nouvelle constitution en 1974, qui fournissait des définitions précises des divers groupes ethniques de l’ancienne Fédération, les Bosniaques se considéraient eux-mêmes plutôt comme des « Musulmans » que des « Bosniaques ». Même de nos jours, beaucoup ont conservé la dénomination de « Turcs » ou « Albanais » sur leurs papiers militaires. Enfin, plusieurs remettent en cause leur identité bosniaque, préférant s’appeler Musulmans, Nasinci, Torbesi ou Gorani.

Cependant, depuis que les Nations Unies ont établi une administration internationale au Kosovo en juin 1999, le nombre de Musulmans se désigant eux-mêmes par le terme de « Bosniaques » a augmenté, ainsi que ceux qui appellent leur langue le « bosnien », à l’image de leurs cousins de la Bosnie-Herzégovine voisine.

Behxhet Shala, directeur exécutif du Conseil pour la Défense des droits humains et des libertés (CDHRF), croit que la marginalisation de la communauté bosniaque est surtout le fruit de la négligence, plutôt que d’une politique délibérée, ainsi que la conséquence de l’attention internationale portée au destin de la minorité serbe.

« La proposition de l’ONU sur le statut final du Kosovo, élaborée par Martti Ahtisaari, traite également des droits des minorités », rappelle-t-il. « Toutefois, cette proposition octroie des privilèges supplémentaires à la communauté serbe, ce qui a pour effet de laisser les autres groupes ethniques en marge ». Il poursuit : « La majorité albanaise du Kosovo ne dispose d’aucun pouvoir réel et n’est pas en mesure d’établir des mécanismes qui protégeraient les droits de la personne en général. Les questions relatives aux minorités relèvent exclusivement de la compétence des instances internationales. La capacité d’intervention des Albanais est minime sur ce point ».

Les enjeux linguistiques sont progressivement devenus une source de conflit au Kosovo depuis 1999. En raison de la similitude du bosnien avec le serbe, les albanophones du Kosovo peuvent aisément reconnaître ses locuteurs.

100 assassinats depuis 1999

Voilà pourquoi Zulfikar Beljulji, un ingénieur électricien originaire du village de Orcuse, à Dragas, a été agressé il y a trois ans dans la petite ville du centre du Kosovo où il vivait, alors qu’il a demandé du pain en bosnien. D’autres Bosniaques ont eu moins de chance et ont été assassinés, dans des crimes à caractère raciste ou linguistique.

Les corps de deux Bosniaques, victimes de meurtre, Sefer Bajrami, du village de Musnikovo, et Fadilj Azari, de Planjani, ont été identifiés, respectivement l’an dernier et cette année. Dans les deux cas, les meurtriers n’ont jamais été identifiés. Pas plus qu’il n’y a eu d’arrestation suite au meurtre de quatre membres de la famille Skenderi, à Prizren. Cette famille a été assassinée dans sa maison du quartier de Tusus à Prizren, au début de l’année 2000. Au total, 97 Bosniaques ont été tués ou ont disparu depuis la guerre de 1999, selon le magazine bosniaque Alem. La majorité était originaire de la région de Peja/Pec.

Le Docteur Numan Balic, de Dragas, près de Prizren, député au Parlement de Pristina et ancien ministre de la Santé du Kosovo, est mécontent de la situation de ses compatriotes bosniaques. « Nous sommes des citoyens de seconde ou de troisième zone au Kosovo », lance-t-il. « Le grand nombre d’assassinats et l’usurpation d’environ 160 boutiques et bureaux ne représentent que quelques unes des raisons pour lesquelles plus de 60 % des Bosniaques, dont une cinquantaine de professeurs d’Université, ont fui le Kosovo depuis l’arrivée de l’administration internationale ».

Sadik Idrizi voit les choses différemment. L’actuel ministre de la Santé du Kosovo est également un des dirigeants de la coalition bosniaque Vakat, l’un des six groupes politiques bosniaques du Kosovo. « Les Bosniaques sont représentés dans presque toutes les institutions du Kosovo », affirme le ministre.

« Je suis membre du gouvernement et j’ai participé aux négociations [sur le statut final] à Vienne. Nous avons quatre autres représentants au Parlement, ainsi que des élus dans les conseils locaux des municipalités et des maire-adjoints à Dragas, Pec et Istok. Certes, ce n’est pas suffisant, mais ce n’est pas si mal pour un début ».

Éducation : la barrière de la langue

La barrière de la langue pousse un nombre croissant de parents, parmi ceux qui prévoient de rester au Kosovo, à envoyer leurs enfants dans les écoles albanophones ou turcophones. Le gouvernement turc offre en effet aux Bosniaques, tout comme à des centaines de Turcs du Kosovo et d’ailleurs à des Albanophones, des études universitaires gratuites.

Puisque la Bosnie-Herzégovine ne fait rien de semblable pour ses cousins du Kosovo, les divers programmes d’éducation offerts à l’étranger contribuent eux aussi à l’assimilation des Bosniaques à d’autres cultures et à d’autres langues. Seulement quelques douzaines de Bosniaques de la région de Prizren se sont diplômés dans les universités en langue bosnienne de Sarajevo et de Novi Pazar, ou dans celles de Belgrade, en langue serbe.

Beaucoup plus nombreux sont ceux qui terminent leurs études universitaires dans la partie nord de Mitrovica, contrôlée par les Serbes. Par contre, aucun Bosniaque n’est inscrit à l’Université de Pristina, où l’éducation se déroule exclusivement en albanais.

La majorité des 6 500 élèves bosniaques au Kosovo font leurs études primaires et secondaires dans des écoles de Prizren et de Peja/Pec, lesquelles utilisent des manuels en bosnien venus de Bosnie. Mais environ 2 000 élèves bosniaques de Prizren poursuivent leur éducation en albanais ou en turc.

Un rapport du Fonds pour le droit humanitaire basé à Belgrade, un groupe de surveillance des droits des minorités qui étudie l’application de la loi sur la langue d’éducation du Kosovo, indique que des « Bosniaques reçoivent leur éducation en albanais, qui n’est pas une langue maternelle pour eux, contre l’avis de leurs parents, en raison de nombreuses pressions » et contre leur gré. Ce rapport précise que ce serait le cas dans les villages de Skorobiste, Ljubizda, Musnikovo, Drajcic et Gornje Selo dans la municipalité de Prizren, ainsi que dans le village de Donje Retimlje, dans la comune d’Orahovac.

Les Serbes ne sont pas en reste et ont aussi leur petite part dans ce processus d’assimilation. Des Bosniaques de certaines écoles de Dragas, de même que dans la partie nord de Mitrovica, reçoivent leur cours dans des classes de langue serbe et selon le programme scolaire en vigueur en Serbie. D’après le député-maire de Dragas, Savedin Djufta, « le gouvernement serbe paie un double salaire aux professeurs de la Gora, dans un effort pour assimiler ces populations [...] au sein de l’entité serbe. »

 

 

Minorités au Kosovo : disparition programmée des Gorani ? 

Traduit par Caroline Target -  Publié dans la presse : 3 octobre 2006

Dimanche 1er octobre, une explosion a endommagé la demeure d’un membre de la communauté gorani, dans le sud du Kosovo. En quelques années, cette communauté a été victime de 51 attaques à la bombe. « C’est un acte criminel pour déstabiliser le Kosovo », a commenté le gouvernement de Pristina. Mais qui sont les Gorani ? Un reportage à la rencontre de ce petit peuple transfrontalier, établi au Kosovo, en Macédoine et en Albanie.

Par Tanya Mangalakova

Au Kosovo, dans la région de Gora, aux frontières de la Macédoine et de l’Albanie, entre les cimes des monts Šar, Korab et Koritnik, vivent environ douze mille Gorani (ou « Nasenci », « notre peuple », comme ils se nomment eux-même), répartis dans dix-huit villages dont ils sont les seuls habitants.

Les Nasenci du Kosovo vivent aussi dans la région de la vallée de la Zupa, à l’est de Prizren, dans les villages de Lokvica, Recane, ou Jablanica. Il existe également deux villages gorani en Macédoine occidentale, Jelovjane et Urvic, d’environ quatre mille habitants, alors qu’en Albanie septentrionale, dans la région de Kukes, au milieu des Alpes albanais touchant le Kosovo, vivent environ 7500 Nasenci dans neuf villages différents.

Le peuple de Gora et de Zupa forment une communauté ethnique spécifique et s’identifie comme Nasenci, « notre peuple », appelant leur langue le nasenski, « notre langue ». Il s’agit en fait d’un dialecte bulgare archaïque, très proche du macédonien. Ils sont slaves, convertis à l’Islam durant le règne ottoman. Miftar Ademi, enseignant et écrivain de Prizren, né au village de Dolo Ljubine, dans la région de Zupa, a inventé la nasinica, un alphabet en caractères latins pour pouvoir écrire la langue des Nasenci. Comme d’autres intellectuels du Kosovo, il écrit de la prose et de la poésie dans sa langue maternelle. Au Kosovo et en Macédoine, les Nasenci utilisent le cyrillique, alors qu’en Albanie ils utilisent seulement les caractères latins. Car selon les données officielles, la minorité gorani en Albanie n’existe pas.

Ce voyage entre les Gorani du Kosovo et de l’Albanie a été pour moi toute une aventure. La zone montagneuse autour de Kukes m’était complètement inconnue. Je suis partie armée de mon seul sac à dos ainsi que d’un CD plein de vieilles cartes soviétiques de la zone remontant à 1975, avec les noms des villages gorani inscrits en cyrillique, offert par un ami spéléologue.

Les Nasenci sont des gens très hospitaliers. Chacun d’eux tente de supplanter son voisin en générosité et en hospitalité, submergeant ses hôtes de largesses. Durant des siècles, les gens de ces montagnes ont survécu en travaillant loin de leur foyer.

Les Gorani de Dragas sont connus comme les meilleurs producteurs de burek et de boza des Balkans, tandis que ceux de la Zupa travaillent plutôt comme maçons. Les anciens de Sofia, Plovdiv, Kjustendil et Varna, en Bulgarie, se souviennent encore des magasins de burek, de baklava et de halva (pâtisserie d’origine turque) des étrangers albanais parlant bulgare.

Du début du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dans les villes de Bulgarie, ces magasins étaient effectivement la propriété des Gorani. Durant mon voyage dans les montagnes, j’ai rencontré plusieurs d’entre eux dont le père avait travaillé en Bulgarie. Dans le village de Mlike, au Kosovo, j’ai connu Rušid Veapi, 84 ans, qui se rappelle avec mélancolie sa petite boutique de Plovdiv et le moment où il a dû la quitter pour rentrer chez lui, durant la guerre.

Aujourd’hui, beaucoup de Našenci du Kosovo survivent grâce aux 100 euros de pension de retraite qu’ils reçoivent de Belgrade. Environ 2000 Gorani reçoivent un salaire de la Serbie, alors que 1800 reçoivent une pension de retraite. Dans les conditions où se retrouve actuellement la communauté gorani du Kosovo, avec un taux de chômage de 90%, cet argent a une importance capitale. Beaucoup ont immigré en Serbie, en Macédoine ou en Bosnie, et retournent dans la région de Gora seulement pour les vacances d’été. Même aujourd’hui, on gagne beaucoup à vivre à l’étranger avec sa famille.

Mariages au son des zourias et des tambours

Dans la région de Gora, les mois de juillet et août sont la saison des mariages. Les collines résonnent alors de l’écho des zourias (une espèce de clarinette) et des tupani (tambours). Les Gorani retournent dans leurs villages pour se marier. Les célibataires cherchent leur douce moitié en arpentant le korzo, la rue principale au centre de chaque village. Les mariages durent un ou deux jours, et il s’agit de jours de fête pour tout le village. Les mariées sont colorées, leurs visages maquillés recouverts d’un voile de brocart, exactement comme pour les mariages des Pomaks (Bulgares musulmans). Le beau-père vient chercher la mariée voilée et l’emporte de chez ses parents à dos de cheval. Les jeunes filles portent des couvre-chefs de peau ornés de monnaies d’or qui ont été transmises de génération en génération.

Les Gorani, selon la tradition, se marient par amour. Ils reviennent parfois de très loin pour se marier dans leurs montagnes de la Gora. Les mariages mixtes sont très rares. Morac, un jeune du village de Šištevec, s’est marié l’été dernier. Il vit et travaille à Londres, comme 700 de ses compatriotes. Son père l’a mis en garde d’épouser une Anglaise et l’a renvoyé à Šištevec. Lors d’une promenade sur le korzo, Morac a rencontré une jeune fille du coin. L’émancipation est loin d’être acquise pour les femmes gorani du Kosovo et d’Albanie où les bars et les cafés sont réservés aux hommes. Les femmes gorani sont de grandes travailleuses : elles s’occupent des enfants, travaillent aux champs ou avec les bêtes et en Albanie elles font aussi la récolte du seigle et de l’avoine. La terre est tout sauf fertile, mais parmi ces montagnes dépouillées l’on peut trouver des petits champs cultivés où poussent pois, maïs, pomme de terre et froment. Les femmes se rendent aux champs à pied ou à cheval, tandis que les enfants mènent paître les bêtes.

Les Nasenci, en plus du Bajram musulman, célèbrent des fêtes chrétiennes et païennes. La plus importante d’entre elles est Djurdjevden, le jour de la Saint-Georges. Chaque année, dans tous les villages, on célèbre le 6 mai avec chœurs, tambours et zourias. Pour l’occasion, les femmes gorani du Kosovo revêtent de longues tuniques blanches, alors qu’en Albanie elles portent leurs costumes traditionnels richement brodés et faits à la main.

Descendants des Bogomiles

À part Djurdjevden, les Nasenci célèbrent plusieurs fêtes orthodoxes : Bozic (Noël), Mitrovden, Krastovden, Antanas, etc. Ils conservent entre autre l’antique tradition chrétienne du jour de « tous les saints ». Comme fêtes musulmanes, ils respectent seulement le Bajram et le Sunets (la circoncision). Nazif Dokle, historien, artiste et intellectuel de la région de Kukes, en Albanie, soutient que les Nasenci sont en fait des Torbes, les descendants des Bogomiles qui trouvèrent refuge dans les montagnes entre le Kosovo, l’Albanie et la Macédoine.

Selon lui, les traces du christianisme orthodoxes sont encore nombreuses, ce qui signifie que l’Islam aurait été accepté de façon plus superficielle. Par exemple, l’on trouve un cimetière « kavursko » (de kavur ou gavur, un mot turc péjoratif pour « chrétien », au temps de l’Empire ottoman) dans chaque village, et à Orgosta, en Albanie, d’antiques fresques ont été retrouvées. Selon Dokle, les Bogomiles se sont convertis à l’Islam à cause des nombreuses ressemblances entre les deux religions. Les mosquées sont simples et l’Islam ne possède pas d’icônes : les Bogomiles n’en possédaient pas non plus. Expulsés de l’Église orthodoxe, les Bogomiles ont retrouvé l’espérance dans les bras de l’Islam. En Albanie, les Nasenci, qui aujourd’hui ont nom et prénom albanais, conservent encore leurs surnoms slaves.

Une question d’identité

Pendant l’été, les huit cafés du village de Brod, au Kosovo, se remplissent de tous les émigrants rentrant au foyer. On y discute souvent d’identité nationale. « Que sommes-nous ? Serbes, Macédoniens, Bosniaques, Turcs ou Bulgares ? » Voilà le cœur de la question. Ils restent pourtant tous d’accord sur un point : « Nous sommes des Gorani, des Nasenci et nous parlons le nasenski, notre langue ». Seules la Serbie et la Macédoine leur fournissent un soutien financier. La Serbie paie les salaires des travailleurs sociaux, comme les docteurs et les enseignants, en plus de payer les retraites. Les indemnités de chômage sont d’à peine 40 euros, ce qui est peu dans une région dévastée par le manque de travail.

La majorité des citoyens de Brod vivent en Macédoine, à Skopje, et ont des passeports macédoniens. « Du moment où les social-démocrates de Branko Crvenkovski sont arrivés au pouvoir, les procédures pour avoir la citoyenneté macédonienne se sont compliquées. Mais avec la victoire de la coalition du VMRO-DPMNE, tout sera plus simple », explique Ismail Bojda, président de l’Union des Macédoniens musulmans, une ONG siégeant à Skopje. Bojda, originaire de Brod, ingénieur à la retraite, dirigera probablement bientôt l’Agence pour les Macédoniens à l’étranger. Selon lui, les habitants de la Gora sont des Macédoniens de confession musulmane, un jugement d’ailleurs émis par la conférence internationale des Gorani, qui s’est tenue à Skopje le 14 janvier 2006, et durant laquelle une demande d’organiser l’enseignement de la langue macédonienne dans la région de Gora, où elle devrait être utilisée comme langue officielle de l’administration, a été faite. Le problème, c’est qu’il y a aussi des Bosniaques à Brod et que, souvent, des personnes de la même famille s’identifient à des communautés ethniques différentes.

Contre les fêtes « infidèles »

Au début des années 90, un groupe d’extrémistes s’est vivement opposé à la célébration de Noël dans le village de Brod. Par la suite, le jeune imam de Restelica a apostrophé les habitants de Brod parce qu’ils célèbrent Djurdjevden, « une fête kavur ». C’est à Restelica, qui est le plus grand village de la Gora, que l’on trouve les musulmans les plus croyants. Il y a même une école islamique où l’on enseigne un programme élaboré en Arabie Saoudite. A la mosquée, environ 400 jeunes hommes étudient le Coran, les jeunes filles sont voilées, et chaque femme doit endosser un long manteau. Ramiza vit depuis 30 ans en Suisse, mais quand elle rentre à Restelica avec son mari, il arrête la voiture un peu avant, le temps qu’elle enfile sa longue tunique.

Naser, le jeune imam du village, continue de frémir chaque fois qu’il mentionne la grande fête de Djurdjevden. « Il ne s’agit pas de Djurdjevden mais de “Letan dan” (le jour de l’été), une fête des temps païens qui n’a rien à voir avec la christianité... Pourquoi devrions-nous fêter Noël ou Ilinden (la Saint-Ilia) ? ». Selon lui, la majorité des Gorani se considère bosniaque.

A Restelica, il y a une école en langue bosniaque. Après la guerre du Kosovo, beaucoup de Našenci ont préféré, pour leur sécurité personnelle, se définir en tant que Bosniaques. Les représentants politiques bosniaques participent au gouvernement intérimaire du Kosovo, contrairement aux politiciens serbes. Sadik Idrizi, Ministre de la santé et membre du groupe de négociations de Priština sur le statut du Kosovo, soutient que dans la Gora il n’y a que des Bosniaques parlant bosniaque. Mais à Krusevo, son village natal, la majorité des personnes interrogées se considèrent comme Našenci parlant le našenski.

En Albanie, la religion est un facteur moins important. Pendant la période du communisme, beaucoup de mosquées ont été détruites et aujourd’hui les Gorani les reconstruisent. A Borje et Sistevec elles sont presque terminées, mais l’on est toujours en train de récolter des fonds pour l’élévation des minarets. Pendant ce temps, les imams locaux boivent bière et rakija en compagnie des paysans. Dans les villages de la Gora, l’on trouve encore les restes de plusieurs églises et cimetières chrétiens. A Brod, l’on se souvient de Bozana, la dernière chrétienne morte en 1856, et de l’endroit où elle est enterrée, au cimetière « kavur ». Dans le livre Chants traditionnels gorani de Harun Hasani, né au village de Backa et vivant à Belgrade depuis 1999, l’on trouve bon nombre de prénoms bulgares comme Stojan, Jana, Maria, Stana, Pelo, Antanas, Dinco, etc.

Bosniaques, Gorani, Macédoniens, Serbes ou Bulgares ?

Les politiciens des régions de Gora et Župa sont divisés. Impossible pour eux de faire un minimum de requêtes communes, même dans un moment important comme maintenant où se discute le futur statut du Kosovo. Les Našenci sont pessimistes et la perspective de l’indépendance les effraie. Ils sont plutôt pour le procédé de décentralisation. Beaucoup insistent sur la nécessité de la reconstitution de l’ancienne municipalité de Gora, avec son centre à Dragaš, qui a été abolie après 1999. Sadik Idrizi et Djezair Murati, le premier parlementaire à Priština et le second président du Parti Démocrate des Bosniaques au Kosovo, ont proposés une alternative : la création de la municipalité de Dragaš avec deux administrations parallèles, comme à Mitrovica. Selon Murati, les Bosniaques du Kosovo devraient être intégrés dans les institutions intérimaires et apprendre l’albanais comme langue de la majorité. Il est intéressant de constater que la Bosnie-Herzégovine refuse la citoyenneté aux Bosniaques du Kosovo. Vedat Bajramaga, né à Brod, a été contraint par des Albanais de vendre sa propriété de Priština et de fuir à Sarajevo. Pourtant, Vedat et sa famille sont maintenant considérés comme des étrangers en Bosnie et ont le statut de réfugiés. « Je suis désespéré car à Sarajevo l’on refuse de me donner le passeport. Je paie tout comme un étranger : la santé, l’éducation, etc. Je ne me sens pas rassuré d’aller vivre en Serbie parce que mon nom est typiquement musulman, mais en Bosnie, ils refusent de me donner des papiers », m’a-t-il raconté.

Rustem Ibisi, parlementaire à Pristina et leader de l’Initiative des citoyens de la Gora, est également préoccupé du futur des Gorani au Kosovo. « Si on ne crée pas la municipalité de Gora et qu’on ne met pas en place la décentralisation, nous sommes cuits », m’a-t-on dit à Mlike, village natal d’Ibiši. Ce dernier est critique par rapport au concept des Bosniaques au Kosovo. Selon lui, les Gorani sont une entité ethnique à part. Le véritable problème, c’est qu’ils abandonnent le Kosovo à cause du chômage, du manque de perspectives d’avenir et du contraste avec la majorité albanaise.

Le phénomène des passeports bulgares

Les Gorani sont de grands travailleurs, mais selon eux le Kosovo n’est pas un bon endroit pour les affaires. Et puis le passeport bleu de l’UNMIK ne leur est pas d’une grande aide puisque pour voyager en Europe ils ont besoin d’un visa. C’est pourquoi le passeport bulgare est devenu le rêve de beaucoup d’entre eux, la voie la plus facile pour fuir les enclaves et atteindre l’Union européenne. Il existe deux ONG au Kosovo qui promeuvent la coopération avec la Bulgarie : l’association culturelle Bulgarski Muhamedani (Musulmans bulgares), créée en 2004 dans le village de Dolno Ljubine, et la Youth Union Gora, née à la fin de 2005. Leurs membres s’attendent à une politique flexible de la Bulgarie envers les Gorani, surtout que cela permettrait à Sofia d’avoir un certain poids au Kosovo.

Peur pour le statut du Kosovo

La communauté Gorani est trop petite pour influencer d’aucune façon le processus de définition du statut du Kosovo. Isolés dans leurs montagnes, les Gorani n’ont ni liberté de mouvement, ni la liberté d’utiliser leur dialecte. Leur seule publication est la revue Alem du journaliste Mustafa Balje, publiée en bosniaque, en plus d’une transmission hebdomadaire à la télévision.

Ces dernières années, il y a eu 51 attaques à la dynamite dans la région de la Gora, oeuvre des extrémistes albanais. Les attaques sont maintenant terminées, « mais seulement parce que les Albanais veulent montrer à la communauté internationale qu’ils respectent les standards européens », disent plusieurs Nasenci. Les Gorani craignent par-dessus tout que les Albanais les chassent de leurs montagnes en achetant les propriétés et les terrains de plus grande valeur pour ensuite les contraindre à s’en aller. Jusqu’à présent, 200 terrains de propriétaires gorani ont été vendus à des Albanais. Quand l’un des plus beaux terrains du mont Šar, dans les environs de Brod, a été acheté par un homme d’affaire albanais pour y faire construire un hôtel, certains habitants se sont vus murmurer : « Maintenant, c’est fini ». Djezair Murati est convaincu que le Parlement doit adopter une loi spéciale pour limiter la vente des terrains et des habitations.

Les Gorani des villages situés aux frontières de l’Albanie mettent en garde contre un autre danger. Depuis cinq ou six ans, les « Ljumani » (les Albanais vivant le long du fleuve Ljuma dans le sud de l’Albanie) entreraient régulièrement au Kosovo par les sentiers de montagnes pour effectuer des razzias de bétails et d’appareils électriques dans les maisons inhabitées des villages de Mlike, Restelica et Globocica. Beaucoup de Gorani soutiennent que, après le coucher du soleil, la police ne contrôle pas suffisamment les frontières entre le Kosovo et l’Albanie.

Les Nasenci sont eux-même seulement lorsqu’ils sont dans leurs montagnes. En s’éloignant de la Gora pour aller vivre dans les grandes villes, ils s’éloignent aussi de leur culture. « Nous avons une terre stérile, pleine de cailloux, sept mois de froid et un seul mois d’été. Comment faire pour gagner son pain ? C’est pour ça que nous fuyons nos montagnes », m’explique Chengiz, un Gorani vivant à Mitrovica Nord, où ses parents ont immigré dans les années 1930.

Chengiz croit qu’il est insensé de préparer le burek dans sa boulangerie. « Au lieu de me tuer au travail avec les burek, je peux vendre des cappucinos. Le burek vaut moins que le temps de travail qu’il nécessite. »

Cet été, les tambours et les zourias des mariages gorani retentissaient sur les pentes du mont Sar ainsi que de l’autre côté de la frontière, dans les montagnes albanaises. Mais la question demeure : pour combien de temps continueront-ils à le faire ?

 

 

Kosovo : les communautés non-albanaises sont toujours discriminées 

Traduit par Stéphane Surprenant 

Publié dans la presse : 31 mai 2006

Le respect des droits des minorités, et notamment de la communauté serbe, constitue toujours le principal défi au Kosovo. La MINUK doit déposer en juillet son rapport final sur le respect des « standards » en la mantière. Le gouvernement d’Agim Ceku affirme qu’il lutte contre les discriminations, mais sans convaincre les intéressés.

Par Refki Alija

La mission de l’ONU au Kosovo, la MINUK, déposera le mois prochain son rapport final au Conseil de Sécurité de l’ONU sur la manière dont le gouvernement du Kosovo s’est conformé à une série d’exigences en matière de démocratie et de droits humains. Ce rapport a été rédigé en vue de la résolution du statut politique définitif du territoire.

Cependant, les communautés non albanophones - surtout composées de Serbes, mais aussi de Roms, de Goranis bosniaques et de Turcs - demeurent convaincues que les institutions kosovares, dominées par les Albanais, n’en ont pas fait assez pour réduire la discrimination.

Les relations ethniques au Kosovo sont restées tendues depuis la fin de la guerre de 1999, qui s’était terminée avec l’expulsion des troupes serbes par les forces de l’OTAN et l’établissement d’un protectorat international sous l’égide de l’ONU.

Alors que l’intervention internationale visait à protéger la majorité albanaise du Kosovo du régime discriminatoire de Slobodan Milosevic, les Albanais doivent aujourd’hui persuader les minorités non albanophones qu’ils ne vont pas se venger de la même façon.

Si le nombre exact des membres minorités au Kosovo demeure incertain, on pense qu’environ 120 000 Serbes vivent toujours dans le nord du Kosovo et dans des enclaves isolées au sud de la rivière Ibar/Iber, qui traverse et divise la ville de Mitrovica/e.

La plupart d’entre eux ont trop peur pour s’aventurer dans les villes peuplées majoritairement d’Albanais. Toutefois, les Roms du Kosovo, les Goranis bosniaques et les Turcs sont mieux intégrés. Mais eux aussi croient qu’il en faudrait davantage pour qu’ils se sentent égaux en droit.

Les « standards » et le statut

En mars 2004, la MINUK a publié un document de 120 pages proposant un plan ambitieux afin de satisfaire aux « standards » clés qu’elle voulait voir mis en œuvre avant que le statut final du Kosovo ne soit décidé.

Or le cœur du document concernait les minorités. Oliver Ivanovic, chef du la Liste serbe pour le Kosovo et la Metohija, un parti serbe local, soutient que l’opinion publique albanais doit s’ajuster et considérer les Serbes comme des gens avec lesquels il est possible de vivre.

« La population albanaise n’est pas prête à vivre avec les Serbes sur un pied d’égalité comme voisins et partenaires », a-t-il déclaré. Ils n’acceptent « les principes de multiethnicité que pour satisfaire aux standards prescrits par la communauté internationale ».

Un rapport rendu public en mars 2006 par une organisation non gouvernementale kosovare, le Conseil pour la Défense des Libertés et des Droits humains (KMLDNJ), soutient les doléances des Serbes qui affirment que leur communauté est particulièrement l’objet de discrimination.

« Dans plusieurs domaines, et spécialement dans la santé et l’éducation, il existe des similarités entre la situation discriminatoire de la minorité serbe qui vit aujourd’hui au Kosovo et celle que les Albanophones ont subi dans les années 1990 », peut-on lire dans ce rapport.

Milan Ivanovic, chef du Conseil national serbe, un parti beaucoup plus radical que la Liste serbe pour le Kosovo et la Metohija d’Oliver Ivanovic, pense que la responsabilité de changements éventuels repose sur les épaules des dirigeants albanophones du Kosovo et non sur celles de la société en général. « Il y a des gens qui ont le pouvoir de corriger la situation - et ces gens s’appellent [Agim] Ceku, Hashim Thaçi et, bien sûr, Ramush Haradinaj », a-t-il déclaré.

Rappelons qu’Agim Ceku est l’actuel Premier ministre du Kosovo, que Hashim Thaçi est chef du Parti démocratique du Kosovo (PDK, second parti en importance dans le protectorat international) et que Ramush Haradinaj est l’ancien Premier linistre, qui a dû démissionner après avoir été accusé de crimes de guerre par le Tribunal de La Haye.

Premier enjeu, la sécurité

La sécurité demeure le problème principal, aux dires de Ljuba Jakovljevic, vice-président de la municipalité de Obiliq, où réside une population serbe considérable. « Les pourparlers sur le statut [final] ont accentué nos inquiétudes », a-t-il admis. « Nous craignons les représailles des Albanophones dans le cas où ils ne seraient pas contents du résultat des négociations. »

Ces pourparlers entre le Kosovo et la Serbie, menés sous médiation internationale, ont débuté en février et devraient se terminer cette année. Les deux parties campent sur leurs positions, les Albanophones voulant l’indépendance et rien d’autre, et la Serbie refusant que le Kosovo ne fasse plus partie de son territoire.

Raif Krkulj, journaliste du service turcophone de la chaîne de télévision publique kosovare RTK, pense que les minorités ne devraient pas s’attendre à un meilleur traitement avant que les négociations sur le statut ne s’achèvent. « Je n’espère aucun changement majeur avant que la question du statut ne soit résolue », dit Raif Krkulj.

En attendant, certains croient que le débat ne dépassera pas le niveau des déclarations bienveillantes, et que celles-ci ne seront suivies ni par des gestes concrets ni par quelque tentative sérieuse que ce soit de remplir les quotas accordés aux minorités au sein des institutions gouvernementales.

Des progrès selon le gouvernement du Kosovo

Ulpiana Lama, porte-parole du gouvernement du Kosovo, assure néanmoins que dans les faits, le gouvernement a déjà accompli des progrès dans l’amélioration de la représentation des minorités.

« Nous avons augmenté la proportion d’employés issus des minorités dans les institutions centrales à 11,4 % avec une politique de discrimination positive », explique Ulpiana Lama. « De plus, le Premier Ministre a écrit la semaine dernière aux sociétés d’État, leur demandant d’engager autant de personnes issues des minorités que possible. »

Ulpiana Lama a poursuivi en rappelant que le Premier ministre avait mis sur pied un nouvel organisme, le Groupe de travail pour la Construction de la Confiance, qui va se consacrer à élaborer une stratégie concernant les minorités. Ce Groupe de travail s’est réuni pour la première fois le 25 avril dernier.

Toutefois, Oliver Ivanovic n’est pas convaincu que ce nouveau groupe de travail, ou n’importe quelle autre initiative d’ailleurs, va véritablement changer quelque chose.

« Six ans après la guerre, nous attendons des actions plutôt que de belles paroles de la part du gouvernement kosovar », a-t-il précisé.

Par contre, Cemailj Kurtisi, un Bosniaque de la région de Prizren dans le sud du Kosovo, est plus optimiste. « Je m’attends à ce que les Bosniaques obtiennent plus de droits - à commencer par l’éducation -, une meilleure représentation dans les médias et l’établissement de meilleures relations institutionnelles avec la Bosnie-Herzégovine », a-t-il confié.

La priorité du gouvernement, en ce qui concerne la question des minorités, est bien entendu la communauté serbe. L’État kosovar s’attend à ce que la communauté internationale examine surtout la position et les droits des Serbes du Kosovo dans le processus d’application des standards et pendant les pourparlers sur le statut.

« Quand nous parlons des droits des minorités, nous parlons avant tout de ceux des Serbes, parce la communauté internationale s’y intéresse en premier lieu », a confirmé Ulpiana Lama.

 

Gradjanski Glasnik

Kosovo : corruption et mauvaise volonté bloquent le retour des déplacés serbes 

Traduit par Jean-Arnault Dérens 

Mise en ligne : mardi 18 avril 2006

Depuis l’arrivée de la MINUK au Kosovo en 1999, il a été souvent répété que l’un des principaux objectifs de la mission internationale était le retour des personnes déplacées. Des dizaines de millions d’euros ont été dépensés dans des programmes de retour, mais les résultats se font toujours attendre. La communauté internationale tient-elle réellement à encourager le processus du retour ?

Par Zoran Culafic

Les plus hauts représentants de la communauté internationale ont souligné le caractère crucial du retour pour l’ensemble des autres processus démocratiques au Kosovo et, à plusieurs reprises, les dirigeants politiques albanais du Kosovo ont officiellement appelé les Serbes, qui représentent le plus grand nombre de déplacés, à revenir dans leurs foyers. Même si la question des retours, de cette manière, a reçu un traitement particulier de la part des institutions internationales et locales, les résultats obtenus au cours des sept années écoulées sont pratiquement nuls.

Selon les données officielles de la MINUK et de l’agence des Nations Unies qui s’occupent des retours, entre 12 000 et 15 000 déplacés sont revenus au Kosovo de 1999 à aujourd’hui, dont la moitié étaient des Serbes.

Chaque camp accuse l’autre de l’échec du processus du retour. Les dirigeants politiques albanais estiment que la raison principale de ces faibles résultats tient à l’obstruction silencieuse ou ouverte de Belgrade, et dans l’attitude peu constructive et la lenteur des représentants de la communauté internationale à résoudre ce problème. Ils ont aussi souvent accusé Belgrade de « ne pas être prête à faire un grand pas dans la coopération, qui faciliterait le retour des déplacés ». Cependant, la communauté internationale n’a jamais pris non plus de mesures qui accéléreraient ce processus.

De son côté, Belgrade explique depuis des années que les dirigeants de Pristina ne sont pas sincères dans leur volonté d’aider le retour des déplacés, et que la communauté internationale les encourage dans cette attitude. De la sorte, cette question, définie comme prioritaire, est devenue un simple enjeu politicien. Seules de nombreuses organisations non-gouvernementales, tout le monde le reconnaît, se sont engagées dans les projets de retour et de reconstruction des maisons.

La corruption bloque les retours

Selon Nenad Radosavljevic, qui a assumé il y a deux ans la fonction de conseiller du chef de la MINUK pour le retour et les communautés minoritaires, la somme totale d’argent qui a été réunie auprès des donateurs pour le retour est relativement modeste, mais le problème est que les moyens obtenus n’ont pas été utilisés à bon escient. « Quand j’étais conseiller du chef de la MINUK, j’ai été témoin de la manière dont était dépensé l’argent prévu pour les retours. Il y avait plusieurs façons de ne pas dépenser cet argent pour les besoins réels et le retour des déplacés au Kosovo et Metohija. Tout d’abord, cet argent était avant tout distribué par le biais du gouvernement du Kosovo ou de différentes organisations non-gouvernementales, avec le but principal de faciliter les conditions du retour », explique Nenad Radosavljevic. Il ajoute que le but de l’administration internationale au Kosovo est de créer d’abord les conditions permettant un développement économique des différentes zones du Kosovo, de manière à ce que les déplacés qui reviendraient aient de meilleures chances de se réintégrer et de commencer de manière autonome leur nouvelle vie.

Ces dernières années, les médias du Kosovo ont beaucoup spéculé sur la corruption de grande ampleur dans les organisations et les institutions qui s’occupent du retour mais, tout comme bien d’autres affaires présentées par les médias, aucun cas n’est jamais arrivé devant la justice. Aux yeux de nombre d’analystes locaux, la raison principale en serait que les structures politiques, tant locales qu’internationales ne sont pas prêtes à ouvrir ce genre de dossiers. Au lieu de cela, tout se termine le plus souvent par des accusations lancées dans des conférences de presse.

Un des aspects les plus sombres de l’ensemble du processus du retour est que l’argent est souvent versé à des ONG par le biais d’appels d’offres qui sont, selon Nenad Radosavljevic, « tout à fait douteux ».

« Les travaux sont confiés à des ONG qui doublent les prix du travail et des matériaux. De la sorte, ces ONG ont tiré un très grand profit pour elles-mêmes, mais ont fait très peu en faveur des déplacés. Pour la seule année 2003, 38 millions d’euros ont été dépensés dans l’ensemble des processus de retour, mais on peut dire qu’une seule ONG en a tiré des bénéfices réels - THV », affirme Nenad Radosavljevic.

Les organisations non-gouvernementales sont souvent critiquées dans les médias locaux à cause de leurs lourdes structures bureaucratiques, et particulièrement parce que l’argent destiné aux programmes de retour a surtout servi à payer les salaires de leurs employés, à installer des bureaux ou à d’autres dépenses d’infrastructures, et beaucoup moins à construire des maisons pour les déplacés et à garantir les conditions de leur retour.

Cherche-t-on à encourager ou à décourager les retours ?

Une partie de l’argent a été utilisée dans les opérations « va et vois », qui permettent aux déplacés installés en Serbie de revenir dans leur lieu d’origine et de voir par eux-mêmes l’état réel et les possibilités d’un retour, de façon à ce qu’ils puissent décider de revenir ou non. De même, les opérations « va et informe » ont permis à des représentants des communes albanaises de visiter les déplacés serbes et de leur expliquer quelle était aujourd’hui la situation dans les endroits où ils souhaitaient revenir.

« En plus de l’argent dépensé dans ces opérations, qui n’est pas justifié à mon avis, on a toujours cherché à persuader, directement ou indirectement, les personnes qui auraient voulu revenir que les conditions de sécurité ne permettaient pas encore le retour. C’est comme si certains étaient chargés de garantir la sécurité au Kosovo, et d’autres d’expliquer aux personnes désireuses de revenir chez elles que les conditions ne sont pas encore remplies, qu’il n’y a pas de liberté de circulation... De la sorte, on leur suggère clairement que le moment de rentrer n’est pas encore venu », estime Nenad Radosavljevic.

Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui, au sein du ministère pour les Retours du gouvernement du Kosovo, personne ne sait combien de Serbes sont exactement revenus au Kosovo au cours de la dernière année. Face à l’insistance de certains journalistes de Belgrade, la réponse a été : « c’est une question sérieuse, nous ne voulons pas jouer avec les chiffres ».

L’UNDP garde le contrôle des programmes de retour

L’importance de la question du retour est aussi révélée par le fait que c’est une question qui est toujours directement contrôlée par les institutions internationales, même s’il s’agit d’un domaine de compétence qui a été officiellement confié par la MINUK au gouvernement du Kosovo. Comme exemple de l’attitude des institutions internationales envers le ministère du Retour, on peut rappeler que le budget de ce ministère s’élève cette année à près de 10 millions d’euros, mais que le ministère ne peut pas dépenser cet argent en-dehors du programme prévu par le Programme des Nations Unies pour le Développement (UNDP), qui a le dernier mot sur toutes les questions liées au retour.

Slavisa Petkovic est ainsi l’unique ministre du gouvernement du Kosovo qui ne peut pas disposer directement du budget de son propre ministère. La presse de Pristina a beaucoup parlé ces derniers temps des détournements de fonds au sein du ministère, et une plainte en justice a même été déposée contre l’unique ministre serbe du gouvernement du Kosovo.

On peut trouver beaucoup d’exemple de détournements du retour dans les milieux politiques, de tous les côtés, notamment de la part de la communauté internationale et du gouvernement du Kosovo. Mais suffira comme illustration l’exemple du travail du Centre de coordination (serbe) pour le Kosovo, du temps où il était dirigé par Nebojsa Covic. À cette époque, jusqu’il y a deux ans, le Centre disposait d’un budget et de moyens très importants, qui devaient servir, directement ou indirectement, aux déplacés et aux Serbes qui sont restés au Kosovo.

Le rapport financier de Nebojsa Covic se fait toujours attendre

Nebojsa Covic avait beaucoup de conseillers politiques parmi les Serbes du Kosovo, mais il rencontrait aussi une forte opposition. Cette dernière a vivement accusé Covic d’avoir utilisé l’argent du Centre de coordination pour développer les structures de son propre parti au Kosovo, surtout dans le nord, au lieu de s’en servir pour améliorer les conditions de vie des Serbes et de ceux qui voulaient revenir. L’une des plus âpre critique de Nebosja Covic est venue de Momo Trajkovic, qui a souvent accusé Covic de détournement de fonds au cours de conférences de presse, exigeant que le Parlement de Serbie se saisisse du dossier. Il a été demandé à plusieurs reprises à Nebojsa Covic de produire un rapport détaillé sur l’état financier du Centre de coordination, mais ce rapport n’est jamais venu. Nebojsa Covic a ensuite été démis de sa fonction de président du Centre de coordination, et une croix a été mise sur le dossier. Au moins pour le moment.

Au bout de sept années, et après tout ce qui s’est produit dans le processus du retour, beaucoup de gens qui désiraient revenir ont commencé à perdre espoir. Il est clair que le retour, de la manière dont vont les choses, le retour est une perspective irréaliste. Beaucoup de ceux qui vivent comme déplacés depuis des années en Serbie essaient désormais de s’intégrer dans le milieu dans lequel ils vivent, car c’est la seule manière d’assurer la survie des membres de leur famille. D’autres espèrent encore, et attendent patiemment que leur village arrive enfin sur la liste de quelque organisation non-gouvernementale qui s’occupe du retour.

Selon Nenad Radosavljevic, ni la communauté internationale ni les politiciens albanais n’ont démontré une réelle volonté de voir les Serbes revenir. Même, le retour des déplacés n’a jamais été un véritable objectif de la communauté internationale, malgré toutes les déclarations publiques sur la priorité que ce retour représenterait.

« Si le retour était vraiment une priorité, il aurait été essentiel qu’un beaucoup plus grand nombre de gens revienne l’année dernière. Tout ce qui a été fait dans le cadre du processus du retour au cours des sept dernières années nous conduit à la conclusion que certains cercles internationaux se satisfont très bien du statu quo. On dit répète sans cesse que le Kosovo est multiethnique, et qu’y vivent, déjà aujourd’hui, des communautés minoritaires. Si les déplacés serbes veulent revenir, très bien, mais s’ils ne le veulent ou ne le peuvent pas, personne ne va s’émouvoir de cela. Le Kosovo procure déjà suffisamment de migraines à la communauté internationale sans le retour des déplacés serbes », conclut Nenad Radosavljevic.

On entend souvent dire, de façon sérieuse, que beaucoup de ceux qui vivent aujourd’hui loin de leurs foyers pourraient rester toute leur vie des réfugiés. Ceux qui, après la guerre, se sont approprié les propriétés de ces déplacés pourraient très facilement en devenir les propriétaires, par achat ou par usurpation illégale. Il est tout à fait certain que le processus du retour et de la restitution des biens immobiliers des déplacés est un domaine dans lequel on peut encore s’attendre à beaucoup d’irrégularités et d’affaires de corruption, quand ce thème viendra à l’ordre du jour, après la définition du statut du Kosovo.