Presse Kosovo : 1999 - 2010
Privatisations au Kosovo : mais
à qui appartiennent les entreprises ? Publié dans la presse : 24 octobre 2003 Le processus de privatisation au Kosovo traverse un moment difficile. Les personnels de l’agence chargée de ce travail sont de plus en plus inquiets des menaces de poursuites judiciaires dont ils pourraient être victimes. La Kosovo Trust Agency (KTA), a annulé les dernières ventes pour les remettre à plus tard. Par Tanja Matic et Alma Lama La KTA, une agence placée sous la responsabilité de l’Union européenne (UE), a essayé sans succès d’obtenir une pleine immunité légale pour le personnel qui signe les contrats, et contre qui des actions en justice pourraient être menées. Le 7 octobre, la KTA a suspendu une troisième vague de privatisations, inquiète de sa fragilité légale. L’appel d’offres pour la vente de 22 entreprises a été annoncé en septembre, et les candidatures devaient être examinées le 11 novembre, mais le chef de la mission de l’UE au Kosovo, Nikolaus Graf Lambsdorff, a remis les choses à plus tard. Sa décision est intervenue après le dépôt d’une plainte devant un tribunal de New-York contre la KTA au début octobre, par un hommes d’affaires américain qui avait acheté une entreprise de bois à Pec (Peja). Le Premier ministre du Kosovo, Bajram Rexepi a immédiatement écrit à Nikolaus Lambsdorff pour lui demander de reprendre le processus sans plus attendre « Cette décision va produire un effet désastreux sur les investisseurs. En reconnaissant l’existence de failles si importantes que tout le processus doit être arrêté, elle jette le doute sur les capacités réelles de la KTA et de l’UE de mener à bien le processus des privatisations », a-t-il écrit. L’appel d’offre a été remis sur ses rails le 22 octobre lors d’une réunion du conseil d’administration de la KTA. Cette suspension temporaire ne semble pas avoir eu d’effet direct sur la plainte déposée à New York. Il est clair que cette suspension est la conséquence directe des préoccupations au sein de l’agence sur sa vulnérabilité en cas de litige. Cette question a mis les dirigeants européens de l’agence en porte-à-faux vis-à-vis des Nations unies, en charge de l’administration du Kosovo. Dans toute l’Europe de l’Est, les privatisations ont été difficiles à mener. Mais au Kosovo, les problèmes sont décuplés par le fait que personne ne sait quel sera le statut final de la province, un État souverain ou une partie de la Serbie. Ce qui signifie que l’Union européenne, en poursuivant les privatisations, est entrée sur un terrain miné sans garde-fou. Les privatisations ont commencé en mai 2003, mais cela fait deux ans que l’on discute des questions légales du processus. En 2001, la MINUK a établi un contrat avec l’UE pour que celle-ci supervise le processus et elle a mis sur pied la KTA en juin 2002, sous le contrôle de l’UE. Dans les deux premières vagues de privatisations, 22 entreprises, toutes sauf une, ont été achetées par des Albanais du Kosovo. Le prix en a été acquitté comme il se devait et au total 24 millions d’euros ont été déposés à la banque centrale du Kosovo, en attendant que d’éventuelles réclamations soient déposées par les créditeurs. Mais aucune de ces ventes n’a finalement abouti, parce que la direction de la KTA n’a pas ratifié les actes de vente. Les investisseur paralysésCette situation paralyse les investisseurs qui ne peuvent pas prendre contrôle des entreprises achetées, ni réclamer le remboursement de leur argent.« Nous avons payé plus d’un million d’euros et nous ne pouvons rien faire jusqu’à la ratification de l’acte de vente. Chaque jour qui passe nous attendons en pure perte, l’argent qui dort ne rapporte rien », se plaint un des acheteurs. Il y a au Kosovo environ 500 entreprises d’État qui relèvent en réalité de la « propriété sociale », héritée du temps de la Yougoslavie de Tito. La liste de la MINUK compte 415 entreprises qui emploient 30 000 personnes. Belgrade a fait entendre à plusieurs reprises ses préoccupations à propos des privatisations du Kosovo. En particulier, la Serbie étant l’héritière de la Yougoslavie, elle peut prétendre à la propriété de plusieurs de ces entreprises aujourd’hui en vente. Qui doit payer les dettes des entreprises du Kosovo ?Dans l’immédiat se pose la question des dettes dûes aux créditeurs serbes et internationaux. La vente de ces entreprises avec leurs dettes risque de faire surgir tôt ou tard la question des réclamations. Le gouvernement de Belgrade affirme que plusieurs entreprises du Kosovo doivent de l’argent à des entreprises serbes, et il a demandé avec insistance que ces dettes soient remboursées avant la mise en vente. La KTA avait annoncé que les nouvelles entreprises privées hériteraient des dettes et que des réserves étaient prévues pour un éventuel remboursement. Mais les Serbes se demandent pourquoi ils devraient attendre la fin du processus des privatisations pour être remboursés. En plus des dettes de l’ex-Yougoslavie, la Serbie est fortement irritée de devoir payer 1,5 milliard de dollars pour le remboursement des dettes des entreprises du Kosovo à leurs créditeurs étrangers... Alors qu’elle est obligée de payer comme garante des dettes, la Serbie porte le fardeau de dettes d’entreprises qu’elle ne contrôle pas et qui ne lui rapportent rien. Nenad Vasic, un analyste spécialiste de l’économie du Kosovo fait remarquer que la Serbie se plaint de devoir payer les dettes des entreprises du Kosovo qui ne lui rapportent aucun bénéfice. La Serbie ne peut pas liquider ses dettes alors que le statut des succursales locales d’entreprises serbes demeure sans solution. Nenad Vasic pense que les banques et les entreprises serbes devraient poursuivre la KTA devant les tribunaux de Belgrade et des tribunaux commerciaux internationaux. On ne sait pas clairement quel pourrait être le poids de ces plaintes devant un arbitrage international, mais la question des dettes soulève un certain nombre de points litigieux pour lesquels les nouvelles entreprises pourraient bien se retrouver un jour ou l’autre devant les tribunaux. Si cela était le cas, les représentants de la KTA qui ont signé les ordres de privatisation pourraient eux-mêmes comparaître devant les tribunaux. Bien conscient de cette situation, le personnel de la KTA est de plus en plus mal à l’aise devant le rôle joué ces derniers mois. L’UE et la KTA se sont plaints auprès des Nations Unies qui les a placé dans une situation difficile. « Ils nous ont donné le sale boulot en toute connaissance de cause », estiment les employés de la KTA. Pour réduire les risques, la MINUK a décidé en juin dernier que la KTA bénéficierait d’une complète immunité dans le protectorat. Elle a mis en place un tribunal spécial auprès de la cour suprême du Kosovo pour traiter les cas de plaintes portées contre l’agence, bien qu’il ne puise pas intenter de procès. Selon le porte-parole de l’UE, Monique de Groot, cette mesure apporterait une sécurité suffisante aux membres de la KTA. Mais ces mesures se sont révélées insuffisantes pour rassurer les représentants internationaux de la KTA, qui craignent d’être poursuivis en justice en dehors du Kosovo. C’est pour cela qu’ils ont refusé de ratifier les contrats de privatisation. La solution a été de demander aux Nations Unies d’accorder aux membres de la KTA une immunité valable dans le monde entier pour toute action efffectuée dans le cadre de leur travail. Le chef de la mission de l’UE a écrit en ce sens au siège de l’ONU. La réponse du 9 octobre rejette cette demande. On ne sait toujours pas sur quel compromis l’UE et les Nations unies pourraient se mettre d’accord et s’il y aura un compromis. Le porte-parole de l’UE a affirmé qu’on attendait une clarification de la part de l’ONU. On sait que le directeur de la KTA, Juergen Mendricki, a démissionné de son poste à cause de ce problème de l’immunité et non pas comme on l’a dit officiellement pour des « raisons personnelles ». Un de ces collègues a affirmé que Juergen Mendicki avait démissionné parce que l’ONU n’avait pas répondu à sa demande de protection légale. Depuis, il y aurait une cassure au sein de l’agence entre les consultants de l’UE qui n’ont pas a envie d’aller de l’avant tant que ces questions légales ne seront pas tranchées et les consultants américains de Barring Point qui veulent faire avancer le processus. La manière dont la KTA va relancer les appels d’offre reste une affaire confuse, mais il est certain que des pressions sont exercées par les partisans des privatisations pour obliger la KTA à faire machine arrière sans avoir rien gagné sur la question de l’immunité. |
Kosovo : ni les Serbes ni les Albanais ne veulent rendre les armes qu’ils détiennent illégalement TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS Publié dans la presse : 16 octobre 2003 La campagne très médiatisée en faveur de la restitution des armes détenues illégalement a échoué. En raison de l’insécurité qui continue de régner dans le protectorat des Nations unies, et des incertitudes sur l’avenir, ni les Serbes ni les Albanais ne veulent rendre les armes qu’ils possèdent. Par Artan Mustafa et Jeta Xharra À la suite d’une dispute familiale, Ermira Demaj, 15 ans, fille d’un juge de la Cour Suprême du Kosovo, s’est emparé d’un pistolet, détenu sans licence par son père son père, et s’est tiré une balle dans la tête. Elle est morte le 13 octobre, après plusieurs jours de coma. Son père a expliqué qu’il gardait cette arme pour se protéger, puisque les juges locaux reçoivent de nombreuses menaces. Cette tragédie est intervenue quelques jours après qu’une loi d’amnistie sur les armes ait échoué, amnistie qui voulait débarrasser le Kosovo d’environ 400 000 armes à feu détenues illégalement. Se pose donc maintenant la question de savoir pourquoi cette forte campagne n’a rien donné. Elle a duré tout le mois de septembre, mais durant cette période, seulement 155 armes ont été remises aux autorités, en dépit d’une information publique de trois mois, à l’initiative du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Marie-France Desjardins, directrice de programme du PNUD pour le Projet de contrôle des armes légères illicites (ISAC), a reconnu les résultats décevants de la campagne. « Nous ne savons encore pas pourquoi nous n’avons pas pu avoir plus d’influence sur le nombre des armes illégales encore en circulation. Il faut que nous réfléchissions à ce sujet pour comprendre où nous nous sommes trompés », a-t-elle déclaré L’incertitude qui se poursuit sur le statut final du Kosovo, la méfiance vis-à-vis des forces de sécurité, le soupçon de corruption des responsables locaux et le climat grandissant de violence, se mélangent pour expliquer l’échec de l’amnistie. Les Albanais sont soucieux des délais sur les négociations du statut final du Kosovo qui, espèrent-ils, leur apportera leur pleine indépendance par rapport à la Serbie. Halim Gecaj, guide opérateur du complexe du mémorial Adem Jashari de Prekaz, dans la vallée de la Drenica, le cœur de la résistance albanaise contre les Serbes, explique : Personne ne peut dire si une nouvelle guerre va avoir lieu ou pas. S’ils ne nous donnent pas notre indépendance, cela peut signifier le retour des forces serbes, et personne ne veut avoir les mains vides si cela se produisait ». On pense aussi que la méfiance vis- à- vis des troupes de l’OTAN et des forces de sécurité locales a contribué à l’échec de l’amnistie. Gani Xhemajli, paysan de Prekaz, complète : « Même si j’avais des armes, je ne les donnerai pas, parce que je ne pense pas que la police ou la KFOR puissent assurer ma sécurité ». Cette défiance provient du constat que peu de meurtres ou de crimes sont résolus. Gari Xhemajli ajoute : « tu as besoin d’une arme pour te protéger, puisque nous entendons tous la police dire, quand un crime a lieu, que l’enquête suit son cour, et dans la plupart des cas, rien n’arrive au bout du compte... » Beaucoup de gens pensent que la police est davantage préoccupée par sa propre sécurité que par celle des citoyens ordinaires. Pour Artan Rexha, étudiant de Prekaz, « la police est armée de pistolets alors que les criminels, même les petits bandits, ont des fusils automatiques AK-47. Si bien que lorsqu’un citoyen est attaqué, les flics pensent beaucoup plus à leur propre peau qu’à sauver quelqu’un d’autre ». Une récente enquête du PNUD a fait apparaître que la majorité des armes illégalement détenues sont aux mains des civils depuis la guerre. Ces armes viennent d’Albanie et de Serbie. L’Institut d’études internationales de Genève, qui a mené une recherche dans le protectorat en juillet , pense qu’il y a une arme dans environ 65 % des maisons du Kosovo. Alex Anderson, le directeur du bureau de l’International Crisis Group au Kosovo ne se dit pas surpris que si peu d’armes ait été rendues, parce que les Kosovars ne savent pas s’ils auront encore à se battre pour leur indépendance. « Les Albanais apprécient ce qui a été fait depuis 1999, mais ils n’ont pas une bien grande confiance sur les intentions de la communauté internationale par rapport au statut final du Kosovo », explique-t-il. La mauvaise volonté locale s’est confirmée en dépit d’encouragements financiers substantiels liés à l’amnistie. Le PNUD avait promis de partager 675000 dollars américains entre les trois communes qui auraient rassemblé le plus grand nombre d’armes. Cette somme, fournie par le gouvernement japonais, devait financer des projets scolaires locaux, des centres de santé et des réparations de bâtiments. Il semble que ce programme d’encouragement a été mal conçu, parce que l’opinion publique est très méfiante envers les conseils locaux. Pour l’étudiant Faruk Binaku, « les gens pensent que l’administration municipale est corrompue. Pour beaucoup de personnes, il n’y avait aucun intérêt à remettre les armes, puisque quel que soit l’argent obtenu par la commune, ces sommes étaient appelées à disparaître ». Un autre élément peut avoir contribué à l’échec de l’amnistie, c’est le climat de violence qui règne dans le pays. « La société albanaise du Kosovo voit la montée de la violence à la maison, à l’école et dans le sport. La culture locale commence à être dominée par une obsession militariste et le folklore qui l’accompagne », explique Blerim Latifi, sociologue au centre Gani Bobi de Pristina. La minorité serbe du protectorat n’était pas plus désireuse de se séparer de ses armes. Dans les années 1990, les Serbes avaient été armés par la police et, ils ont reçu encore plus d’armes de la part de l’armée yougoslave, lors du retrait de celle-ci en juin 1999. Un Serbe de l’enclave de Gracanica, qui a préféré garder l’anonymat, explique que ni lui ni ses voisins n’avaient l’intention de rendre leurs armes. « Nous pensons qu’aucune force de sécurité présente aujourd’hui au Kosovo n’est capable de protéger réellement les Serbes. C’est à nous de nous préoccuper de notre sécurité ». |
Kosovo : la guerre contre le patrimoine se poursuit TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC Publié dans la presse : 14 octobre 2003 Plus de cent églises orthodoxes serbes ont été détruites au Kosovo en quatre ans. Ces attaques auraient surtout visé les « églises politiques », représentant « le pouvoir colonial serbe au Kosovo ». Mais les monastères les plus prestigieux du Kosovo sont aussi revendiqués par les Albanais comme faisant partie de leur propre patrimoine ! Par le père Sava Janjic, du monastère de Visoki Decani L’avenir des monastères et des églises orthodoxes serbes au Kosovo et Metohija dépend en grande partie du futur statut de la province. Ce n’est pas une question qui touche directement et seulement l’Église orthodoxe serbe et ses fidèles sur ce territoire, mais c’est un problème d’intérêt national général, puisqu’au Kosovo et Metohija se trouvent quelques uns des monuments les plus importants de la culture et de la spiritualité serbes, d’une valeur inestimable pour la sauvegarde de l’identité culturelle et de la continuité historique de l’État et du peuple serbe. Depuis la fin du conflit armé et l’arrivée de la KFOR et de la MINUK en juin 1999, les édifices sacrés sont constamment la cible des extrémistes albanais. Au début, il semblait que les attaques des églises et monastères n’étaient qu’une conséquence provisoire de la colère de la population albanaise qui revenait de l’exil. Cependant, il est vite apparu qu’il s’agissait d’une campagne coordonnée et systématique dont le but était de chasser pour toujours la population serbe et d’effacer toutes traces de la culture séculaire serbe. Cette destruction se poursuit encore de nos jours. En même temps que la destruction des églises et monastères, les cimetières orthodoxes sont systématiquement saccagés et profanés. À l’été 2003, 112 églises et monastères orthodoxes serbes avaient été entièrement détruits ou endommagés. Dans 211 cimetières orthodoxes, 5177 tombes ou monuments funéraires ont été saccagés. Certaines tombes ont même été ouvertes et les os des défunts dispersés dans le cimetière. Certains cimetières, en particulier dans la région de Pec, servent de décharges à ordures, alors que 11 cimetières ont été complètement rasés. En raison de l’impossibilité de circuler librement, l’Église orthodoxe serbe n’a pu constater complètement l’étendue des dégâts depuis l’arrivée des forces internationales au Kosovo. On suppose qu’en plus des destructions d’églises, d’innombrables icônes ont été pillées et exportées de la province pour être vendues à des collectionneurs étrangers. Usurpation morale du patrimoineÉtant donné l’importance des destructions et des profanations de monuments au cours des quatre dernières années, on peut conclure, à regret, que plus encore de monuments orthodoxes ont été saccagés et profanés qu’au cours de cinq siècles d’occupation ottomane. Il est important de souligner que pas un seul leader politique albanais du Kosovo, pas une seule institution, ne se sont insurgés contre la destruction systématique du patrimoine culturel serbe. De plus, certaines personnalités albanaises telles que Ibrahim Rugova, président du Kosovo et Metohija, Bajram Rexhepi, Premier ministre, Mgr Marko Sopi, évêque catholique, et Adem Demaci, ont tenté d’expliquer que ce sont les soi-disant « églises politiques » qui ont été détruites, représentant les symboles du « pouvoir colonial serbe au Kosovo ». Mais on a fait le silence sur le fait que la plupart des églises détruites avaient été bâties au Moyen ge. En faisant de telles déclarations irresponsables, souvent en incitant à l’intolérance ethnique, les leaders albanais ont grandement contribué à la destruction des richesses culturelles serbes. En même temps que ces saccages se poursuivent, on imprime des livres où l’histoire de cette partie des Balkans est grossièrement déformée, où l’on apprend que les plus importants monuments sacrés orthodoxes appartiennent au patrimoine culturel du peuple albanais. Ainsi, les monastères de Visoki Decani, Gracanica, Bogorodica Ljeviska et Pecka Patrijarsija seraient, selon les nouveaux historiens albanais, des anciennes églises catholiques que les « occupants serbes, depuis le Moyen ge jusqu’à ce jour, ont transformées en églises orthodoxes ». La principale raison de cette attitude des Albanais du Kosovo envers le patrimoine orthodoxe serbe est d’établir un nouvel État ethniquement pur du peuple albanais et de réviser toute l’histoire antérieure de la région. Qui doit protéger le patrimoine ?Dans le contexte des futures négociations sur le Kosovo, qui aborderont tôt ou tard le statut de la province, on peut difficilement croire que le sort des monuments orthodoxes, dans un Kosovo albanais indépendant, sera bien différent de ce qu’il est aujourd’hui. Une question tout à fait légitime se pose alors : en cas de sécession du Kosovo et Metohija, comment la Serbie pourra t-elle prendre soin de son patrimoine culturel, et comment le peuple serbe sera t-il en mesure de sauvegarder son identité historique, culturelle et spirituelle, qu’il a cependant réussi à sauvegarder à l’époque du règne ottoman ? Étant donné que l’indépendance du Kosovo entraînera inévitablement une émigration accélérée des Serbes, il est plus que certain que ce qui reste des monuments serbes sera un jour albanisé et proclamé comme étant le « patrimoine culturel kosovar ». C’est pourquoi il est indispensable, au tout début des négociations, de soulever la question du patrimoine culturel serbe dans cette région et d’exiger une protection directe sous la compétence du ministère de la Culture de Serbie et de l’Institut pour la protection des monuments de la culture, institution qui depuis longtemps travaille activement à la restauration et à la conservation de ces monuments. Il est important aussi d’insister pour continuer à assurer une protection militaire des monuments les plus menacés, si possible en collaboration avec la KFOR et des unités spéciales de l’Union de Serbie et Monténégro, ce qui est d’ailleurs prévu dans la Résolution 1244. Il faudrait en particulier prendre toutes les mesures nécessaires pour que les biens ecclésiastiques, en grande partie confisqués par l’État après la Deuxième Guerre mondiale, soient protégés contre la privatisation. Autour des monuments les plus importants de la culture serbe il serait nécessaire d’établir une zone de protection à l’intérieur de laquelle il serait interdit de construire des bâtiments industriels, des routes ou de nuire à l’environnement. Quel que soit le statut final de la province, les monastères et les églises les plus importants devraient avoir un statut spécial, qui les exclurait de la juridiction des structures locales municipales et provinciales et leur permettrait de faire l’objet d’une attention particulière de la part des institutions de la République de Serbie et de l’Union Européenne. De l’avis général de l’Église orthodoxe serbe, la solution politique la meilleure pour le Kosovo serait une large autonomie au sein de la République de Serbie. Dans les zones où les Serbes forment la majorité relative, il faudrait qu’il y ait un plus grand degré d’autonomie locale, avec des liaisons particulières entre les institutions de la république, surtout dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la protection du patrimoine culturel. Cela inclurait aussi des mécanismes de protection pour les monuments sacrés qui se trouvent dans les régions où vit en majorité la population albanaise. |
KARAVAN Le Kosovo, maillon de la complexité balkanique TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC Publié dans la presse : juillet 2003 Dans le cadre du Processus de stabilisation et d’association, l’Union européenne (UE) a créé un mécanisme pour la stabilisation du Kosovo – une méthode spécifique qui pourrait ouvrir la voie à une approche généralisée pour l’intégration de l’ensemble des Balkans occidentaux. Par Arben Kirezi [1] Le miroir géopolitique de l’Europe du sud-est subit des changements constants depuis l’éclatement de l’ex Yougoslavie, au début des années ’90. Ces changements, dans une perspective géostratégique élargie, ont entraîné des conséquences non-négligeables dans le processus d’élargissement de l’UE et dans le rôle global des États-Unis et de l’OTAN – non seulement en dehors de cette zone directe de défense, mais aussi en ce qui concerne le nouveau rôle des Nations Unies en tant qu’administrateur politique des zones post-conflictuelles. Finalement, la guerre du Kosovo a apporté un nouveau précédent dans la redéfinition de l’intervention humanitaire internationale et des opérations pacifiques, tout en mettant en perspective le rôle puissant des organisations régionales en tant que gardiens de la sécurité internationale, avec ou sans le consensus du Conseil de sécurité de l’ONU. Implications internationales Pour cette occasion, les implications géopolitiques régionales de la situation au Kosovo sont plus importantes. L’intervention de l’OTAN, suivie de l’adoption de la Résolution 1244 des Nations Unies, a plusieurs conséquences positives pour toute la région. Pour la première fois dans l’histoire, la communauté internationale a unanimement suspendu la souveraineté d’un pays sur une partie de son territoire. Cela est survenu du fait que la communauté internationale a reconnu que la Serbie n’avait plus de légitimité en continuant d’appliquer sa souveraineté sur le Kosovo, et qu’elle a transféré cette souveraineté aux Nations Unies tant que son statut final ne sera pas résolu. La perte de souveraineté serbe sur le Kosovo a créé les conditions préalables pour renverser le régime de Milosevic dont l’autorité reposait sur sa politique ethnocide envers les Albanais kosovars. La chute du régime de Milosevic en octobre 2000 fut la conséquence de la fin de sa politique hégémoniste. D’autre part, le changement de la situation en Macédoine, suite à la signature des accords d’Ohrid et à la fin du gouvernement corrompu de Georgijevski, ont apporté un changement de qualité dans la position de Skoplje en ce qui concerne le statut final du Kosovo. Le gouvernement de Crvenkovski a accepté de manière pragmatique que la stabilité du Kosovo et la stabilité de la Macédoine soient de façon vitale liées l’une à l’autre, lorsqu’il a déclaré qu’il ne s’opposerait pas à l’indépendance du Kosovo si cela devait avoir pour effet la stabilisation du protectorat. Ainsi le nouveau gouvernement macédonien a t-il abandonné son ancienne doctrine de domination sur la population albanaise de son pays, en se reposant en même temps sur la domination de Belgrade envers le Kosovo. De cette manière, il a à l’esprit le fait que la conception de la communauté internationale pour la région ne prévoit pas que la Serbie rétablisse de nouveau sa souveraineté sur le Kosovo. Par sa position, la Macédoine a donné l’occasion aux autres pays, comme la Bulgarie et la Turquie, de revoir leurs intérêts en ce qui concerne le statut final du Kosovo. Le Kosovo et le nouveau rôle de l’Union européenne L’intervention internationale au Kosovo qui s’est terminée de manière efficace et les changements en Serbie ont ouvert la voie au réexamen de la politique d’intégration de l’UE dans la région des Balkans occidentaux. Le Consortium des organisations internationales installées au Kosovo après juin 1999 comprend l’UE, l’OSCE et l’OTAN. Sous l’égide des Nations Unies, ces organisations ont eu de nouvelles expériences dans la gestion des situations post-conflictuelles. La répartition des tâches dans les secteurs spécialisés (l’UE dans le domaine de l’économie, l’OTAN pour la sécurité, l’OSCE pour le renouvellement des institutions et l’ONU pour l’administration) est remplacée par leur consolidation graduelle. Le rôle de l’ONU se réduit tandis que celui de l’UE s’accroît en fonction des compétences des pouvoirs acquis par les institutions kosovares. Conformément à cela, les Européens acquièrent un rôle de plus en plus grand au Kosovo et dans la région. Cela a été démontré lors du processus du règlement de la crise en Macédoine, de la création de l’Union de Serbie et Monténégro et, enfin, lors de la dernière déclaration du Conseil de l’Europe dont l’objectif est d’entamer le dialogue entre Pristina et Belgrade. En automne 2002, le représentant spécial de l’ONU, Michael Steiner, avait mentionné la possibilité de remplacer la mission onusienne au Kosovo par une nouvelle mission de l’UE, qui pourrait être mise en place après que le statut final du Kosovo ait été résolu. Dans le cadre du processus de stabilisation et d’association, l’UE a créé un mécanisme pour la stabilisation du Kosovo comme une approche spéciale qui assurera une approche complète dans l’intégration des Balkans occidentaux. Bien que de nombreux observateurs considèrent ceci comme une stratégie d’ajournement du processus d’intégration des Balkans occidentaux en raison du manque de politique définie envers la région, le processus de stabilisation et d’association aura des effets multiples sur la stabilité régionale et une nouvelle approche de la collaboration régionale pour les pays des Balkans occidentaux. Dans ce contexte, les Européens ont prouvé qu’ils ont su utiliser le processus de stabilisation et d’association comme un puissant moyen politique lors du règlement de la crise en Macédoine en 2001 lorsque, en échange des signatures des accords d’Ohrid, ils ont remis au gouvernement macédonien le Pacte de stabilisation et d’association. Le Conseil de l’Europe a récemment profité de la politique extérieure commune européenne, traditionnellement fondée sur la tactique de la carotte et du bâton, lorsque les ministres des Affaires extérieures des pays de l’UE ont autorisé la participation du Kosovo au sommet de Thessalonique à condition que le dialogue entre Pristina et Belgrade soit entamé. Les observateurs de l’intégration européenne disent que l’intégration des Balkans dans l’UE sera rayée de l’ordre du jour en même temps que prendra fin la présidence de la Grèce en juin. Comme l’attention américaine est actuellement orientée vers le Proche-Orient et la Corée du Nord, le vide dans la médiation internationale aura de sérieuses conséquences dans la gestion des phases finales de la définition géopolitique des Balkans occidentaux que l’on espère d’ici l’année 2005 au plus tard, lorsque sera défini le statut final du Kosovo ainsi que les rapports entre la Serbie et le Monténégro. Les Balkans, l’Amérique et l’Europe ont besoin les uns des autres afin d’atteindre efficacement leur but. En dépit de toutes les incertitudes, il semble que les Balkans, l’Europe et l’Amérique aient l’intention de réaliser cet objectif en commun.
[1] Conseiller politique auprès du Bureau du Canada à Pristina. |
Nouvelle escalade de la violence au Kosovo TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS Publié dans la presse : 20 août 2003 Après l'assassinat de deux jeunes Serbes le 13 août à Gorazdevac, les incidents se multiplient à Gracanica comme à Mitrovica. Ces dramatiques incidents fragilisent encore plus les relations entre Serbes et Albanais, alors que le nouveau chef de la Mission des Nations Unies, le Finlandais Harri Holkeri, vient d'arriver au Kosovo. Par Jeta Xharra et Tatajna Matic Le 17 août, au moins trois véhicules ont été lapidés et leurs occupants albanais passés à tabac, alors qu'ils traversaient l'enclave serbe de Gracanica, ce que la police des Nations Unies considère comme une réponse aux assassinats de deux jeunes Serbes la semaine précédente. Les deux victimes de ce crime, Pantelija Dakic, 11 ans, et Ivan Jovonic, 20 ans, ont été tuées le 13 août : un homme inconnu a ouvert le feu sur un groupe de jeunes nageant dans la rivière Bistrica, près du village albanais de Zahac et de l'enclave serbe de Gorazdevac. Dans la fusillade, quatre autres jeunes ont été blessés. Nemanja Dakic, 9 ans, était dans la rivière au moment de l'attaque. Le lendemain, il nous a raconté : « J'ai entendu une mitrailleuse faire feu et quand je me suis retourné, la tête de mon frère était couverte de sang ». Deux jours auparavant, on avait tiré sur Dragan Tonic, un Serbe de 45 ans en train de pêcher près du village de Skulanovo, dans le centre du Kosovo. Il est mort le 18 août. Personne n'a été arrêté à la suite de ces incidents. La violence a monté d'un ton aussi dans la ville divisée de Mitrovica, au nord du Kosovo, où il y a eu quatre explosions en autant de jours. La dernière bombe a éclaté le 16 août devant un immeuble albanais dans le nord de la ville, là où prédominent les Serbes. À Mitrovica, ces explosions ont eu lieu en dépit de dispositions sécuritaires augmentées par la police onusienne et les gardiens de l'ordre de l'OTAN. Angela Joseph, porte-parole de la police de la MINUK, estime que les incidents de Gracanica et les explosions de Mitrovica sont une réponse aux meurtres de Gorazdevac. « Je pense qu'il s'agit de représailles de la part de la communauté serbe, par rapport aux morts tragiques des deux Serbes de Gorazdevac », a-t-elle commenté. Ce déchaînement de violence a nourri une nouvelle guerre verbale des hommes politiques serbes et albanais, chaque camp accusant l'autre de mettre le feu aux poudres. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies s'est réuni le 18 août, et le vice-Premier ministre serbe Nebosja Covic en a profité pour accuser les extrémistes albanais de ce qu'il a qualifié de « campagne pour chasser tous les Serbes du Kosovo et de la Metohjia, de décourager le retour des réfugiés et des personnes déplacées, et d'achever ainsi la purification ethnique de la province ». Nebosja Vukumirovic, un ancien membre des « gardiens du pont », la milice serbe de Mitrovica, a prétendu que c'était des Albanais et non pas des Serbes qui étaient responsables des explosions récentes dans la ville. « Les bombes qui ont explosé dans la partie albanaise du nord de Mitrovica sont dûes aux Albanais eux-mêmes, qui voulaient ainsi détourner l'attention du meurtre des Serbes à Gorazdevac ». Pour sa part, le dirigeant albanais Ramush Haradinaj qui est à la tête de l'Alliance pour l'Avenir du Kosovo (AAK), a prétendu que les forces serbes portaient la responsabilité des morts de Gorazdevac, même si ces morts étaient de jeunes Serbes. Selon lui, « il ne peut s'agir d'une simple coïncidence, car ceci est intervenu le jour de l'arrivée de Harri Holkeri au Kosovo, le nouveau représentant spécial des Nations Unies ». Ramush Haradinaj a rappelé l'assassinat de trois Serbes à Obilic, il y a moins de deux mois, pendant la visite de Xavier Solana, qui dirige la politique étrangère de l'UE. La MINUK a exprimé son souci face à l'escalade de la violence. Son porte-parole, Izabella Karlowicz explique : « Un incident tragique incroyable est intervenu à Gorazdevac mais en fait, c'est aux communautés locales de ne pas se laisser entraîner dans le mécanisme de la vengeance. Ces actions violentes préoccupent beaucoup la MINUK. Elles ne vont pas aider les retours des réfugiés serbes qui commençaient, justement parce que ceux-ci avaient reçu une lettre officielle des dirigeants albanais les invitant à revenir ». La communauté internationale encourage le retour des réfugiés - Serbes, Albanais et autres. Au début juillet, tous les dirigeants albanais du Kosovo ont expliqué que le moment du retour des Serbes était arrivé. Les dernières violences ont encore détérioré la bien faible confiance que se vouent Serbes et Albanais. Pour Antoneta Kastrati, 22 ans, du village albanais de Zahar, près duquel les deux jeunes Serbes ont été tués, cette fusillade a fait du mal aux relations des deux communautés tout autant qu'aux politiciens de haut niveau. « Nous avions une façon de vivre avec le village voisin de Gorazdevac. Nous ne nous aimions pas, mais pas au point de nous attaquer. Maintenant, et parce que les assassins se sont enfuis par notre village, on a fouillé nos maisons et l'atmosphère est bien plus tendue qu'auparavant ». Un chauffeur de taxi de 35 ans, albanais, assis à la terrasse d'un café de Pec, et qui préfère garder l'anonymat, affirme : « J'avais l'habitude de traverser Gorazdevac pour amener mes clients dans quatre ou cinq villages albanais de l'autre côté de la ville, mais après ce qui s'est passé je ne le ferai plus ». |
Après les procès d'anciens combattants de l'UCK : « les Kosovars doivent eux aussi affronter leurs démons » TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS Publié dans la presse : 31 juillet 2003 L'opinion publique albanaise trouve majoritairement injuste la récente condamnation des membres du « groupe de Lap » de l'ancienne Armée de libération du Kosovo (UCK), pour des crimes de guerre contre des civils albanais. Pourtant, regarder son passé en face ne signifie pas seulement exiger que justice soit rendue pour les crimes commis par les autres. Par Natasa Kandic Les Albanais pensent que cette condamnation est politiquement motivée, et qu'elle portera tort aux possibilités de réconciliation entre les Serbes et les Albanais. Les juges internationaux ont condamné à dix-sept années de prison l'ancien commandant de l'UCK Rrustem Mustafa, alias commandant Remi, pour avoir ordonné le meurtre de cinq Albanais du Kosovo, soupçonnés de collaboration avec les Serbes et pour « ne pas avoir empêché les emprisonnements illégaux » dans la région de Lap, au nord du Kosovo, en 1998 et 1999. Naziv Mehmeti a également été condamné à 13 années de prison, Latif Gashi à 10 ans et Naim Kadriu à cinq ans. La plus ancienne ONG albanaise pour les droits de l'homme, le Conseil des Droits de l'Homme et de la Liberté, voit dans ces condamnations « une tentative de la MINUK de criminaliser le combat de l'UCK pour la liberté et de mettre sur le même plan lutte de libération et autodéfense des Albanais du Kosovo d'un côté, et de l'autre la guerre génocidaire et d'occupation destructrice des Serbes ». De nombreuses actions d'extrémistes à Pristina et à Podujevo, depuis le jugement, ont donné l'impression que les tribunaux internationaux du Kosovo n'apparaissent pas comme des garants de la justice et de la loi. Pourquoi personne au Kosovo ne soutient-il l'action des juges internationaux, et pourquoi la majorité dénonce-t-elle les procès d'anciens membres de l'UCK, coupables de crimes de guerre ? Avant de répondre sur ce point, il faut dire à nouveau que les forces serbes sont responsables de crimes de guerre brutaux et de grande ampleur. Voilà pourquoi le tribunal de La Haye a condamné plusieurs responsables serbes de haut niveau. L'ancien Président yougoslave Slobodan Milosevic a été le premier, suivi par l'ancien chef d'état-major, le général Dragoljub Ojdanic, l'ancien vice-Premier ministre fédéral, Nikola Sainovic, et l'ancien Président serbe, Milan Milutinovic. Ils ont tous été accusés individuellement et pour leur responsabilité de commandement. Les crimes serbes commis au Kosovo ont été abordés au cours du procès de Slobodan Milosevic, même s'il faudra des années pour rendre compte de ces atrocités. Les Albanais ne s'indignent pas quand le tribunal fait un procès pour crimes de guerre commis contre des Albanais. Ils ont aussi raison de penser que la justice ne sera pas seulement rendue par le tribunal. Quand des éléments de la police spéciale et des unités de l'armée ayant commis des crimes de guerre au Kosovo seront jugés en Serbie, on pourra dire que la loi existe dans ce pays, et que Belgrade accepte la responsabilité des atrocités commises sous Milosevic. En vérité de tels procès n'ont pas eu lieu en Serbie, alors que ceux dont on dit qu'ils ont ordonné ces crimes et qu'ils les ont commis ont un rang moins élevé que les accusés de La Haye et seraient donc à la disposition des tribunaux locaux. Au Kosovo, même si se tiennent des procès de Serbes ayant commis des crimes de guerre, l'opinion publique albanaise demeure mécontente de la façon dont les juges internationaux rendent la justice. Au cœur du mécontentement des Albanais, il y a l'idée bien ancrée qu'ils ont été les victimes et qu'on ne peut pas dire cela des civils serbes, ni des civils albanais ou rroms que l'UCK soupçonnait de collaboration avec les Serbes. Au Kosovo, personne ne parle du meurtre et de la disparition de civils serbes et rroms et de traîtres albanais suspects durant l'année 1998 ou après l'arrivée des forces internationales. Chacun sait bien que le jour même où l'armée et la police serbes sont sorties du Kosovo et que la KFOR y est entrée, la chasse a commencé contre les Serbes qui étaient restés dans le territoire. Cependant, personne ne veut en parler. On considérait tous les Serbes comme des criminels. Il était facile de les arrêter et de les accuser de génocide ou bien de crimes de guerre. Chaque meurtre serbe se justifiait sous le prétexte que la victime aurait été un paramilitaire, coupable de génocide. Les Serbes arrêtés étaient condamnés avant que ne commence leur procès. Quand la MINUK a désigné des juges internationaux, beaucoup d'Albanais s'attendaient naturellement à ce qu'ils condamnent chaque Serbe accusé, pour les crimes commis par les forces serbes. Les questions ont commencé à se poser quand les procureurs internationaux se sont mis à revenir sur les condamnations émises par des juges albanais locaux, comme cela a été le cas pour Milos Jokic. Accusé de génocide par les procureurs locaux, les juges internationaux l'ont fait libérer. Lorsque Sava Matic, un autre Serbe du Kosovo, a été acquitté, des Albanais ont manifesté devant le tribunal de Prizren. Ils prenaient la libération d'un Serbe comme signifiant que les crimes n'avaient jamais eu lieu, et non comme une décision de justice ne s'appliquant qu'à la culpabilité d'un homme. De la même façon, ils pensent que d'autres acquittements de Serbes par les juges internationaux ne sont pas justes, et montrent que la communauté internationale n'est pas de leur côté. Sur le fond, beaucoup pensent réellement que tous les Serbes sont coupables de crimes de guerre. Voilà pourquoi ils ressentent comme une injustice chaque libération de l'un d'entre eux, sans tenir compte du fait qu'il y ait ou non des preuve du crime commis. L 'antipathie albanaise à l'égard des juges internationaux lors du procès du groupe de Lap traduit leur conviction que les crimes de guerre ne pouvaient être commis que par des Serbes. Ce qui explique pourquoi au Kosovo, personne n'a pris ce jugement comme une leçon importante au plan de la légalité et de la morale. Leur condamnation a pourtant montré que personne n'avait le droit de faire justice soi-même, pas même d'anciens soldats de l'UCK, comme Mustafa, Gashi, Mehmeti et Kadriu. Leur jugement est la première mention publique de crimes que chacun au Kosovo connaît, mais préfère ne pas évoquer, par peur d'une vengeance ou bien parce que l'on pense que les hommes de l'UCK avaient raison d'abattre des « collabos ». Le verdict de la cour internationale présidée par le juge Timothy Clayson a ouvert une fenêtre pour que les Albanais du Kosovo se réconcilient avec leur passé récent. Regarder le passé ne peut pas se limiter à voir punis les crimes commis par les Serbes. De la même façon qu'il faut que la société serbe prenne conscience des crimes commis par la police, l'armée, les unités paramilitaires et les civils armés de leur pays, il faut aussi que la société albanaise accepte de se confronter à sa propre histoire. Son passé est lui aussi marqué par des crimes commis contre des civils serbes et rroms, ainsi que par des meurtres et des disparitions d'Albanais accusés de collaboration avec les Serbes. La réconciliation entre les nations ne peut commencer que lorsque chacun reconnaît sa propre responsabilité, reconnaissant ainsi la dignité humaine des victimes de meurtres politiques et ethniques. Voilà pourquoi la condamnation du groupe de Lap devrait être prise comme une aide pour que la société albanaise puisse se retourner sur son passé, et non comme un obstacle à la réconciliation ethnique. |
Rugova et Zivkovic s'expriment sur
l'avenir du Kosovo Publié dans la presse : 16 juin 2003 Koha Ditore publie deux entretiens parallèles, l'un avec le Président du Kosovo, Ibrahim Rugova, et l'autre avec le Premier ministre serbe, Zoran Zivkovic. Est-ce que l'indépendance du territoire « calmerait tous nos voisins », ou « entraînerait des problèmes dans toute la région » ? Entretiens réalisés par Adelheide Feilcke-Tieman pour la Deutsche Welle. Ibrahim Rugova : « le Kosovo est prêt pour l'indépendance » Comment voyez-vous le Kosovo quatre ans après la fin de la guerre ? Rugova : Après quatre années de liberté, le Kosovo est une région qui a progressé dans tous les domaines. Maintenant, nous nous préparons au développement économique avec des privatisations et des investissements : ce sont les objectifs actuels du gouvernement et de toutes les institutions du Kosovo. Naturellement, le Kosovo est sur la route de son indépendance. Le Kosovo est aussi en route vers son intégration à l'UE et à l'OTAN. Son amitié pour les États-Unis est constante. Comment voyez-vous la réalisation de l'indépendance ? Rugova : L'indépendance du Kosovo est une revendication de tout le peuple du Kosovo, et cela depuis le référendum de 1991. L'indépendance a été acceptée par toutes les institutions et, bien entendu, en tant que Président du Kosovo, je représente cette aspiration et souhaite que l'indépendance du Kosovo arrive le plus tôt possible. Le chemin le plus court est sa reconnaissance par les États-Unis et l'UE, puis celle, formelle, des Nations unies. Une telle chose calmerait tous nos voisins. Et si la partition du Kosovo est exigée en échange de l'indépendance ? Rugova : Le Kosovo a déjà assez payé et la partition relève de la spéculation. Le Kosovo doit être reconnu avec ses frontières actuelles parce que - comme vous le savez - aucune frontière n'a été modifiée depuis la dissolution de l'ex-Yougoslavie. Vous avez appuyé la formule de Steiner, les « standards avant le statut » ? Rugova : M. Steiner a posé ces standards comme des conditions d'intégration à l'UE et aux autres institutions diplomatiques et financières internationales. Nous soutenons donc ces standards et nous travaillons activement à leur réalisation. Mais il est évident que si la réalisation des standards avancent parallèlement au statut, ça ne peut être que positif. Une de ces conditions est le dialogue avec vos voisins, dont naturellement la Serbie. Comment voyez-vous ce dialogue ? Rugova : Nous dialoguerons avec tous nos voisins. C'est un des objectifs prioritaires de nos institutions. Les discussions se dérouleront d'abord dans le but d'améliorer les relations politiques et la libre circulation des personnes et des marchandises, car toute la région est paralysée par des frontières peu poreuses. Nous discuterons ensuite de questions techniques et de collaboration dans divers domaines d'intérêt commun, de projets et de stratégie de développement économique par exemple. Est-ce que les institutions du Kosovo sont prêtes à discuter du statut du Kosovo ? Rugova : Nous sommes prêts, c'est très simple. L'indépendance du Kosovo viendra et toutes nos institutions et nos citoyens l'attendent. Je ne sais pas qui répand des mythes à ce sujet. Si une petite réunion internationale se déroule pour déterminer enfin le statut final, c'est-à-dire l'indépendance du Kosovo, nous sommes prêts. Zoran Zivkovic : « priorité à la sécurité » Qu'a-t-on fait pour résoudre la question du Kosovo, quatre ans après la guerre ? Zivkovic : Très peu. L'un des seuls succès est l'absence de conflit armé dans la région. Il n'y a pas vraiment eu d'autres progrès. La communauté internationale tarde à remplir ses obligations. De son côté, le gouvernement de Serbie a rempli les siennes il y a un an maintenant. Le retour des Serbes n'a pas encore commencé et ceux qui vivent au Kosovo ont de sérieux problèmes de sécurité et n'ont aucune liberté de mouvement. L'accord signé sur la décentralisation n'a pas encore été appliqué. Les résultats des mandats des Nations unies - Kouchner, Haeckerupp et Steiner - sont négatifs. Que doit-on faire pour améliorer la situation ? Zivkovic : Il faut améliorer le niveau de sécurité. Cela est possible parce qu'il y a une forte présence internationale de ce point de vue, sans compter la soi-disant TMK et la police locale. Si on voulait vraiment augmenter le niveau de sécurité, ça pourrait se faire en une semaine, mais il semble que cette volonté n'existe pas. Une amélioration de la sécurité des Serbes créerait des conditions favorables au retour des personnes déplacées. L'autre question est celle de la décentralisation, qui procurerait aux organes municipaux les moyens de résoudre les problèmes des citoyens. Selon vous, comment peut-on résoudre la question du statut final du Kosovo ? Zivkovic : Le statut final doit être résolu de manière à ne pas provoquer de nouvelles déstabilisations. Cela exclut donc l'indépendance : une telle solution entraînerait des problèmes en Serbie, au Monténégro, en Macédoine, en Albanie et dans toute la région... Je respecte le point de vue de la communauté internationale qui dit que ce n'est pas le moment de déterminer le statut final du Kosovo. Pour l'instant, l'important est de remplir des standards déterminés dont la sécurité et le retour des déplacés. Je pense que les conditions pour résoudre ces deux problèmes existent et qu'il s'agit seulement d'une question de volonté. Qu'attendez-vous du Sommet de Thessalonique ? Zivkovic : Je m'attends à ce que le Sommet de Thessalonique confirme les discussions des deux derniers mois à Washington, Bruxelles et ailleurs, que ce soit l'occasion que l'UE saisisse pour affirmer qu'elle souhaite intégrer à terme les Balkans et qu'elle y précise ses exigences. Il est très important que l'on pose des conditions définies pour que la Serbie et le Monténégro apparaissent sur la liste blanche de Schengen. Ce sont les résultats minimaux que nous attendons de Thessalonique. (Mise en forme : Stéphane Surprenant) |
Publié dans la presse : 29 septembre 2002 Cela fait quatre ans que les forces de l'OTAN sont installées au Kosovo. Le « cabinet Steiner » doit faire face à de nombreux problèmes. Les enfants des communautés minoritaires doivent notamment pouvoir recevoir un enseignement dans leur langue maternelle. Par Stanislav Milojkovic Les membres de la communauté turque ont conservé à Pristina une chaire de langue et de civilisation. Ils ont réussi à ce que, dans le secondaire, l'enseignement s'effectue dans leur langue. Bien que peu nombreux, leurs chefs politiques, soutenus par la Turquie, sont parvenus à ce que leur idiome ait un statut officiel à Prizren. À Mamusi, le plus grand village turc du Kosovo, le bataillon turc de la formation de la KFOR a édifié un magnifique centre d'études secondaires. Les élèves du lycée auront la possibilité de continuer leurs études dans les facultés de Turquie. L'enseignement proposé aux enfants rroms s'effectue en albanais ou, comme dans la zone nord de Mitrovica, en bosniaque et en serbe. On a enregistré le cas de Rroms de Gnjilane qui souhaitaient inscrire leurs enfants dans les écoles où l'enseignement proposé était en bosniaque. Le président du Parti des Rroms du Kosovo, Adzi Merdza Zulfi, député au parlement kosovar, pense que les Rroms font l'objet d'un même (mauvais) traitement suite aux accords de Rambouillet. L'éducation en langue serbe dans la partie nord de Mitrovica est, d'après les Albanais, contraire à la résolution 1244, et elle concourt à l'éclatement du Kosovo. La partie serbe affirme que le système d'éducation local est parfaitement légal. Les Bosniaques luttent pour avoir leurs écoles. Dans les régions où ils sont majoritaires, ils ont introduit leur langue dans le primaire et le secondaire. À cette fin, la mission internationale de l'UNMIK a fourni gratuitement des manuels en provenance de Bosnie-Herzégovine au printemps 2000. À l'école de commerce de Pec, une cinquantaine d'étudiants est inscrite en langue bosniaque. Toutefois, les politiciens bosniaques se sont donnés pour objectif de créer une faculté à Prizren. C'est la ville qui connaît la plus grande concentration de Bosniaques. Cependant, il y a de nombreux problèmes avec le personnel enseignant. Selon certaines informations, plus de quarante docteurs ès sciences bosniaques, auraient quitté le Kosovo après l'arrivée de la mission internationale. Albanisation des Bosniaques Dans les villages de Drajcic, Planjane et Gornje Selo (près de Prizren), l'enseignement en langue albanaise est introduit pour la première fois dans les écoles primaires. Dans le village de Drajcic, où les habitants sont serbes et bosniaques, les écoliers ayant terminé leur CM2 en 1998/99, ont dû, l'année suivante, poursuivre leur scolarité en albanais ! Ceci est certainement un exemple unique au monde : étudier dans une langue que l'on ne comprend pas ! Le plus étonnant, c'est que plusieurs élèves ont réussi leurs examens avec la mention très bien ! Certains habitants se considèrent comme de parfaits Albanais. Ils menacent physiquement les parents qui souhaitent un enseignement en bosniaque pour leurs enfants ! Les habitants de Drajcic se rappellent la cérémonie qui s'est déroulée fin 1999 : leur village au pied du mont Sar avait fêté en grande pompe l'introduction de l'enseignement en langue albanaise. Ce fut « une liesse générale », à laquelle participaient les dirigeants des formations albanaises, les fonctionnaires de l'UNMIK, de l'OSCE, de l'UNHCR, et les représentants des organisations non gouvernementales. Selon la devise populaire « dans une petite tribu les droits sont faibles », ce petit village est devenu le centre d'intérêts politiques, au vu et au su de la communauté internationale. Les enseignants bosniaques ont perdu leur travail. En 2002, les écoliers de Drajcic reçoivent de nouveau un enseignement dans leur langue. Ils se déplacent dans la commune voisine de Gornje Ljubinje, dans l'école primaire « 25 maj ». Dzavit Bajrami était un fervent partisan de l'enseignement en albanais. Il semblerait qu'il soit redevenu bosniaque depuis qu'il travaille dans la police. Aujourd'hui encore, les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient. À Drajcic, le ramassage scolaire s'est interrompu, et les élèves des classes supérieures passent plus de temps à la maison que sur les bancs de l'école de Gornje Ljubinje. Les écoliers non albanais de Musnikov connaissent des problèmes similaires. Dans leur village, le processus d'albanisation s'est arrêté, il y a une trentaine d'années, et le « serbo-croate » demeure leur langue véhiculaire. L'école du village dispense ses cours en albanais. La direction n'a pas voulu collaborer. Elle n'a pas permis aux élèves yougoslaves de poursuivre leur cursus dans un établissement où une langue proche de leur idiome maternel était enseignée. Revendications des écoles. Les Serbes de Drajcic ont demandé à plusieurs reprises que soit « libérée » leur école où flotte actuellement le drapeau albanais. Les Serbes de cette région affirment que cette école leur appartient et qu'elle a été construite sur leur terrain. L'un d'entre eux, qui a souhaité conserver l'anonymat, nous a déclaré : « Si les "nouveaux Albanais" désirent restaurer l'école, nous ne leur permettrons pas. C'est notre école. Qu'ils en bâtissent une ailleurs ! Ils pourront y enseigner l'albanais puisque tel est leur droit ». Des enfants, après trois ans de scolarisation en albanais, vont de nouveau étudier dans une langue qu'ils comprennent. Ils sont ravis même si pour cela ils doivent se déplacer dans un autre village. Le député et président du Parti Démocratique Bosniaque (DBS), Dzezair Murati a déclaré : « Je pense que le droit des parents et des enfants n'est que partiellement satisfait. Il le sera pleinement quand les élèves pourront fréquenter l'école de leur village. Je pense que les institutions concernées, comme la direction des écoles et l'institut pédagogique, accèderont aux demandes des parents, et cela de façon égalitaire. » Des problèmes subsistent dans l'agglomération de Ljubizda, près de Prizren. Sur les quatre mille habitants, plus de 90% sont bosniaques. Cependant, l'école « 7 mart » compte environ cinq cents écoliers, et l'enseignement en langue bosniaque n'est proposé qu'à une quarantaine d'élèves. Dans cette région, les enseignants bosniaques, peu à peu, perdent leurs postes. Notre interlocuteur Safer, âge de trente-cinq ans s'interroge : « La situation que nous connaissons se justifie peut-être par le fait que certains enseignants, par peur de représailles, ont inscrit leurs enfants dans des écoles où sont enseignées les langues albanaise et turque. » Il existe également des enseignements mixtes où les élèves reçoivent des cours tantôt en albanais tantôt en bosniaque. La classe de 9e est quelque chose de nouveau au Kosovo. Les Bosniaques ont le sentiment que leur système scolaire ne fonctionne plus au même rythme que ceux de leurs voisins de l'ancienne Yougoslavie. La coalition des députés turcs et bosniaques Vatan avait proposé aux Serbes et aux Bosniaques d'harmoniser leur programme, mais cette suggestion est restée sans réponse. Dans les villages de Ljubizda, de Skorobista, dans la région de Prizren, et en partie à Grncara, les auditeurs sont nombreux à écouter « Omega-3 », une station de radio en langue bosniaque « qui leur rappelle la langue de leurs grands-parents ». Cependant, les habitants de cette zone ne sont guère enclins à transmettre cet idiome à leurs enfants. Néanmoins, lors de conversation informelle, ils soulignent l'importance de parler cette langue afin qu'elle ne disparaisse pas. Le dilemme des Goranci. Dragas est une ville aux confins du Kosovo, de la Macédoine et de l'Albanie. Ses habitants sont en quête d'identité. Dans la Yougoslavie de Tito, la plupart des habitants de Gora se définissaient comme musulmans, jusqu'à l'entrée des forces de l'OTAN. Ils se sont ensuite proclamés Bosniaques ou bien Goranci. L'appellation « Slaves musulmans » attribuée par la communauté internationale aux Bosniaques musulmans n'a pas été bien reçue par les dirigeants politiques bosniaques. L'éducation de la population autochtone à Gora se déroule en deux langues avec des plans et des programmes séparés, en serbe et en bosniaque. L'aile serbo-croate dure menée par Rustem Ibisija est parvenue à ce que soit conserver un enseignement en serbe. Il ne reconnaît pas le caractère bosniaque de Gora où les enseignants serbes reçoivent, ainsi que le personnel de l'UNMIK, leur salaire de Belgrade. Les citoyens qui se veulent bosniaques regardent le serbe comme une menace pour leur langue. Ils considèrent que l'enseignement de l'albanais est, dans ce cas extrême, une nécessité. (Mise en forme : Stéphan Pellet) |
27 février 2002 (Traduit par Mandi Gueguen)
Kosovo : l’UNMIK serait-il un nouvel occupant ? Pourquoi l'arrestation de quelques personnes suspectées de crimes a-t-elle suscitée tant de colère à Pristina ? Des représentants de formations politiques et les émissaires de l'UNMIK affirment qu'un tel événement pourrait porter atteinte aux relations diplomatiques entre le Kosovo et la communauté internationale. Les Albanais vont-ils se fâcher avec leurs protecteurs envoyés par l'ONU ? Par Adriatik Kelmendi Sous le monument de Skanderbeg, à Pristina, on peut lire l'inscription suivante : « Dehors l'UNMIK ! » Il semblerait que de nouvelles relations s'installent entre les citoyens du Kosovo et la communauté internationale. Depuis l'arrestation de trois anciens membres de l'Armée de Libération du Kosovo, on a noté un mécontentement grandissant de la part de quelques dirigeants politiques du Kosovo à l'encontre de l'UNMIK et de la KFOR. Les protestations massives de citoyens et des graffitis illustrent une situation où les institutions internationales sont regardées comme de nouveaux occupants. Les émissaires de l'UNMIK ainsi que les experts internationaux affirment qu'un tel événement pourrait porter atteinte aux relations diplomatiques entre le Kosovo et la communauté internationale. Les décisions de l'UNMIK semblent avoir particulièrement agacées les formations politiques dirigées par des personnes directement liées à l'UÇK. Le secrétaire général du Parti démocratique du Kosovo, Jakup Krasniqi, affirme que son parti est convaincu que les événements ont pris un tournant défavorable pour l'avenir politique du Kosovo : « Au moment où les institutions, qui étaient censées former le parlement du Kosovo, sont bloquées, des personnes ayant appartenu à l'UÇK sont arrêtées. Tout cela vise à attaquer la résistance albanaise. Il y a une volonté évidente de préparer le retour de la police serbe, comme cela s'est passé dans le Kosovo oriental. » Le chef du Mouvement national de libération du Kosovo (LKCK), Sabit Gashi, voit les choses de la même façon : « Le moment critique est venu pour l'UNMIK de nettoyer le terrain, puisque c'est de cette institution que sont partis les premiers préparatifs pour l'application complète de la résolution 1244 de l'ONU. L'UNMIK a apprécié les conditions de la Serbie qui souhaite de nouveau coloniser le Kosovo. L'UNMIK a commencé à mettre en œuvre une tactique parfaite en arrêtant les anciens combattants de l'UÇK. Ils sont accusés d'avoir commis des actes répréhensibles à l'égard de la communauté albanaise. L'UNMIK souhaite ainsi susciter des réactions de rejets de la part des Albanais à l'égard de la guerre. » Les membres de la Ligue Démocratique du Kosovo ne se sont pas prononcés sur la question. Leur président, Alush Gashi, a déclaré que le vice-président, Naim Jerliu, n'était pas la personne la plus qualifiée pour intervenir. Ce dernier s'est donc tu. Voyant la tournure des événements, mercredi dernier, le secrétaire général de l'OTAN, Lord George Robertson, a affirmé qu'il « était tout à fait d'accord » avec les arrestations effectuées par la KFOR et l'UNMIK. Il a déclaré que l'une des priorités de la communauté internationale était de réinstaller le pouvoir de la loi, en tant que fondement de la démocratie. La déclaration du chef de l'OTAN a été soutenue par le porte-parole de l'UNMIK, Simon Haselock, qui a affirmé que les arrestations étaient le résultat de longues investigations, et qu'elles n'avaient pas pour but de nuire à la réputation de l'UÇK. Il a ajouté que ce serait absurde si l'UNMIK ne s'occupait pas des crimes commis dans sa juridiction, et que les démonstrations de force n'auront aucune incidence sur le procès. L'expert international, Peter Palmer, ne voit rien de surprenant à une telle réaction. Selon lui, cette situation est caractéristique des pays qui se relèvent d'une guerre : « Les gens sont en colère, mais une telle réaction a été vue aussi en Croatie et en Bosnie. Or, la guerre contre le crime, doit se poursuivre au Kosovo. » Palmer distingue les gens qui ont agi par légitime défense et ceux qui ont commis des crimes : « Je pense que ceux qui ont combattu pour une cause juste, doivent être en colère contre ceux qui ont commis des crimes. Ces derniers ont entaché leur combat. » Enver Hoxhaj est un expert kosovar. Sa vision des faits est différente. Il reconnaît que porter l'anathème sur l'UNMIK n'est pas une solution, et les manifestations de rue non plus. Toutefois, il qualifie de myope la politique de l'administration de l'ONU : « La dernière arrestation a été précipitée. Elle n'a fait l'objet d'aucune préparation politique de la part de l’UNMIK. Il faut, pour que justice soit faite, que l'UNMIK ait une vision élargie du problème. La perspective n'est pas de trois ou quatre mois, mais d'une dizaine d'année. » Il considère qu'une bonne partie des problèmes actuels est due aux dysfonctionnements observés au niveau parlementaire où les députés ne parviennent pas à se mettre d'accord : « Si nous avions eu un gouvernement, la communauté internationale aurait été contrainte de collaborer, et de cette façon le parlement et le président du Kosovo auraient été informés des arrestations. » Krasniqi veut voir autre chose dans cette affaire que la simple interpellation de soldats qui n'auraient pas combattu selon les règles de droit : « Des membres de l'UNMIK collaborent avec la police et le régime serbe. Ils essaient de mettre sur un pied d'égalité les malversations commises par certains individus de l'UÇK et les meurtres commis par Milosevic. Pour nous, cela nous semble évident. » Un de ses anciens compagnons de guerre, chef aujourd'hui de l’Alliance pour l'Avenir du Kosovo, Ramush Haradinaj, se montre plus prudent. Cet ancien commandant de la zone d'opération de Dukagjin considère que les actions de l'UNMIK, dans la période d'après guerre, doivent être regardées comme une tentative pour bâtir une société civile, dotée d'institutions démocratiques afin de faire régner le droit au Kosovo et lui permettre de décider de son avenir. Il comprend l'attitude de ses compatriotes, mais il souhaite que les protestations demeurent pacifiques. Le message doit être entendu par la communauté internationale et l'UNMIK, mais il ne faut pas pour autant s'attirer leur hostilité. Il conseille donc la prudence, sachant que les représentants internationaux au Kosovo ont parfois tôt fait de se fabriquer une opinion erronée. Comment doit-on faire pour que la situation se normalise ? Palmer en appelle à la tolérance : « Ceux qui descendent dans la rue pour protester doivent savoir qu'il ne s'agit pas de remettre en cause la légitimité du combat mené par l'UÇK, mais de traduire en justice des individus qui ont commis des crimes. » Enver Hoxhaj exige plus de transparence de la part de l’UNMIK afin d'éviter la confusion et le mécontentement au sein de la population : « L'UNMIK est une organisation très fermée. Elle doit s'ouvrir et faire preuve de plus de transparence. L'absence de clarté a provoqué un malentendu politique. » Haradinaj souhaite que l'on agisse avec la plus grande prudence : « J'invite les citoyens du Kosovo à réfléchir sur leur façon de faire entendre leur voix. Il n'y a pas que la rue pour se faire entendre. Nous avons des institutions pour cela, comme les tribunaux, les partis politiques, et les parlementaires. Je suggère que nous renoncions aux initiatives qui mettraient en péril la sécurité du Kosovo. » Krasniqi et Gashi affirment de concert que l'animosité ne mène nulle part : « Il n'y a aucune raison pour que nous devenions les ennemis de la communauté internationale. Cela n'en vaut pas la peine. Toutefois, l'UNMIK doit faire preuve de plus de prudence. » ( Mise en forme : Stéphan Pellet ) |