Presse Kosovo 2004 - 2011

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Vives tensions au Kosovo

 par Jean-Arnault Dérens, vendredi 29 juillet 2011 

Le Kosovo, qui a proclamé en 2008 une indépendance contestée par Belgrade, a vécu une semaine d’extrême tension. Les violents incidents qui ont éclaté sur les postes frontière reliant le secteur nord du Kosovo, majoritairement serbe, à la Serbie, ont fait à nouveau basculer le pays dans l’inconnu. Les soldats américains de la Force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR), la mission de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ont repris les postes frontière, mais les Serbes conservent des barricades dans tout le secteur.

Du correspondant Le Monde Diplomatique à Mitrovica


Tout a commencé lundi soir, quand les unités spéciales de la police du Kosovo (KPS) ont voulu prendre par la force le contrôle des postes frontière de Brnjak et de Jarinje. Ces postes sont situés dans le secteur nord, majoritairement serbe, du Kosovo, et ils ont toujours échappé, de facto, à l’autorité de Pristina.

Les hommes du KPS ont réussi à atteindre le poste de Brnjak, mais ils ont été bloqués, avant d’atteindre Jarinje, par les Serbes de la petite ville voisine de Leposavic qui, alertés par les mouvements de troupe, ont immédiatement érigé des barricades sur la route montant de Mitrovica vers la frontière. Un face-à-face très tendu s’en est suivi. Mardi, à la suite d’accords négociés par la KFOR, la mission de l’OTAN au Kosovo, le KPS a évacué Brnjak, mais, en se retirant, il s’est heurté à des manifestants serbes armés. Une fusillade a éclaté. Bilan : un policier tué, et trois Serbes grièvement blessés. Le lendemain soir, le poste de Jarinje a été incendié par des jeunes « extrémistes » serbes, probablement liés aux groupes de hooligans qui pullulent dans le nord du Kosovo.

La KFOR a rapidement repris les deux postes frontière, proclamés « zone militaire » : les soldats de l’OTAN contrôlent les passages et peuvent ouvrir le feu sans sommation. Depuis le début de la crise, la mission de l’OTAN est sur tous les fronts, non seulement militaires, mais aussi politiques : c’est le général allemand Erhard Buhler qui a mené, durant toutes ces journées d’extrême tension, des négociations parallèles avec le gouvernement du Kosovo et les émissaires de Belgrade.

Par contraste, la mission européenne Eulex brille par son absence. Elle est pourtant précisément chargée d’« assister » le Kosovo dans la construction de l’Etat de droit, et dans la mise en place d’un service des douanes et d’une police frontalière. A Bruxelles comme à Pristina, les responsables européens jurent que le gouvernement du Kosovo ne les a pas avertis de l’opération visant à reprendre les postes de Brnjak et de Jarinje, ce qui sonne comme un flagrant désaveu.

Il est vrai que la présence européenne au Kosovo manque fortement de cohérence. La mission Eulex a encore du mal à faire ses preuves dans le domaine judiciaire, même si elle a ouvert plusieurs importants procès pour crimes de guerre touchant d’anciens commandants de la guérilla albanaise de l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Cette mission doit aussi mener l’enquête sur les allégations de trafic d’organes frappant le premier ministre Hashim Thaçi. Plus grave, le Bureau civil international (ICO), chargé de jouer un rôle – mal précisé – de « conseil politique » des institutions du Kosovo est en pleine crise. Jusqu’à présent, le chef de ce Bureau assumait également la charge de Haut représentant de l’Union européenne au Kosovo. Depuis la fin du mandat du Néerlandais Pieter Feith, les Européens sont incapables de se mettre d’accord sur le nom de son successeur. Le diplomate italien Fernando Gentili assume, à titre intérimaire, les seules fonctions de représentant de l’Union au Kosovo, tandis que plusieurs pays, dont la France, ont fait officieusement savoir qu’ils seraient favorables à une fermeture de l’ICO, justifiant cette pantalonnade par le fait que l’Etat du Kosovo serait désormais suffisamment « mûr » pour accéder à une « pleine indépendance », sans supervision internationale.

Le moment choisi pour déclencher cette opération ne manque pas, non plus, d’être particulier : au début du mois de juillet, le dialogue entre Belgrade et Pristina avait atteint de premiers résultats, avec la signature d’accords aussitôt qualifiés d’« historiques » par l’Union européenne. De manière rétrospectivement bien ironique, ces accords portaient précisément sur la liberté de circulation entre le Kosovo et la Serbie.

Pour avoir signé ces accords, le gouvernement de M. Thaçi a été vivement critiqué par l’opposition, qui a parlé de « trahison ». On peut supposer que l’opération de police visait, au moins en partie, à désamorcer ces critiques et à ressouder l’opinion publique kosovare, à un moment où les inculpations pour crimes de guerre se rapprochent dangereusement de l’homme fort de Pristina.

Euphorie patriotique à Pristina

De ce point de vue, l’objectif est atteint : une atmosphère d’union sacrée, voire d’euphorie patriotique, règne à Pristina. Tous les éditorialistes sont unanimes à estimer qu’il s’agit de « l’instant de vérité » pour le Kosovo, s’il veut rendre effective sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Jeudi, le Parlement a voté à la quasi-unanimité une résolution de soutien, appelant le gouvernement à poursuivre l’opération. Le député Albin Kurti, dirigeant du mouvement radical Vetëvendosja (« Autodétermination »), estime que « le gouvernement ne peut plus faire marche arrière », et il a même appelé la présidente du Kosovo, Mme Atifete Jajhaga, à proclamer l’état d’urgence et la mobilisation générale.

Le nord du Kosovo, qui échappe toujours à l’autorité de Pristina, constitue un point de fixation permanent pour la population albanaise. Ces dernières semaines, le gouvernement Thaçi avait multiplié les mises en garde, parlant des « réseaux mafieux et criminels » qui contrôlent cette zone. De fait, celle-ci constitue, depuis 1999, une véritable zone de non-droit. Selon la police serbe, beaucoup de « hooligans » condamnés pour des actes de violence en Serbie auraient trouvé refuge à Mitrovica-nord : ils seraient responsables de l’incendie, mercredi soir, du poste de Jarinje. Tous les mouvements radicaux de Serbie, comme le groupe Obraz ou le mouvement 1389, sont bien implantés dans le nord du Kosovo : « Des cadres venus de Belgrade se sont installés à Mitrovica, et ils n’ont eu aucun mal à recruter beaucoup de jeunes désœuvrés », explique le responsable d’une ONG locale, qui tient à garder l’anonymat.

Le nord du Kosovo est toujours, de facto, administré par des structures « parallèles » serbes, largement dominées par des partis de l’opposition nationaliste, notamment le Parti démocratique de Serbie (DSS) de l’ancien premier ministre Vojislav Kostunica. Depuis 2008, Belgrade mène un patient travail d’influence pour reprendre le contrôle de ces structures ou, du moins, en marginaliser les éléments les plus radicaux.

Le gouvernement ne manque pas d’arguments sonnants et trébuchants : les salaires, les pensions de retraite, les aides sociales versées par Belgrade représentent toujours la principale ressource des Serbes du nord du Kosovo, même si des coupes sérieuses ont été opérées ces dernières années dans les budgets publics. Pourtant, dans ce vase clos que constitue le nord du Kosovo, chacun s’observe et tout se sait : il peut se révéler très dangereux de manifester une opinion « différente ».

Parmi la population serbe, un point fait de toute façon consensus : cette région n’appartient pas au Kosovo et Pristina ne peut pas couper le cordon ombilical qui la relie à la Serbie. « Pristina parle de contrebande, s’indigne un retraité, mais si je ne peux pas me rendre en Serbie pour acheter des poivrons, si je dois changer mes plaques d’immatriculation serbes pour des plaques du Kosovo qui ne me permettront pas de circuler en Serbie, je n’ai plus qu’à crever. C’est sûrement ça, la stratégie de Pristina : étouffer le nord du Kosovo, en lui coupant l’accès à la Serbie. »

Impéritie européenne

Malgré la fragile accalmie qui prévaut depuis jeudi, l’heure reste donc à la mobilisation : alors que des soldats américains de la KFOR ont pris les postes frontière dans la nuit de mercredi à jeudi, les Serbes conservent des barricades, bloquant notamment tous les accès à la zone sud du Kosovo, contrôlée par Pristina.

L’évolution de la crise est difficilement prévisible. Mais quelques leçons peuvent d’ores et déjà en être tirées, notamment sur l’impéritie des missions européennes déployées au Kosovo. La nouvelle radicalisation des deux communautés laissera également des traces, longues à effacer. Le dialogue entre Belgrade et Pristina, qui doit normalement reprendre en septembre, semble sérieusement compromis.

Théoriquement, ce dialogue doit porter sur des questions pratiques, de nature à faciliter la vie des citoyens. Vendredi, le publiciste kosovar Veton Surroi a toutefois estimé que la question du nord devait être posée de toute urgence. C’est ouvrir la voie à un débat sur le statut du Kosovo, que Pristina refuse catégoriquement, estimant que son indépendance est irréversible et qu’il n’y a donc plus rien à discuter en la matière. D’autres options pourraient toutefois revenir à l’ordre du jour, comme celle d’un éventuel partage territorial, dont les conséquences régionales pourraient se révéler extrêmement dangereuses.

Jean-Arnault Dérens est rédacteur en chef du Courrier des Balkans. Dernier ouvrage paru : Voyage au pays des Gorani (Balkans, début du XXIe siècle), en collaboration avec Laurent Geslin, Cartouche, Paris, 2010. Voir aussi son reportage « Balade en “Yougonostalgie” » dans le numéro d’août du Monde diplomatique (en kiosques).

Statut du Kosovo : la dernière pièce de la mosaïque balkanique
Traduit par Nerimane Kamberi

Publié dans la presse : 22 novembre 2005
La durée des négociations va dépendre du travail et du sérieux des institutions kosovares pour atteindre les normes fixées par la communauté internationale, afin que les extrémistes qui menacent par la force ne puissent pas pas faire obstacle au processus.

Par Fatmir Aliu

Le chef de la Mission de Nations Unies au Kosovo, Soren Jessen-Petersen, a déclaré que la dernière pièce de la mosaïque des Balkans sera mise en place avec la définition du statut du Kosovo. Pour achever cette mosaïque, il faudra beaucoup travailler pour atteindre les standards en ce qui concerne la décentralisation, la sécurité et l’intégration des minorités. PourJ essen-Petersen, beaucoup de questions sont liées, depuis les peurs des citoyens jusqu’au développement même de l’économie du pays.

« Je ne sais pas combien de temps va durer le processus de définition du statut et je ne sais pas non plus quel sera le résultat des négociations. Mais ce que je sais, c’est que meilleur sera le travail et l’engagement des institutions kosovares pour atteidre les standards concernant la décentralisation et la question des minorités, plus court sera le processus de négociations et plus favorables en seront les résultats », a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’après l’arrivée de l’envoyé spécial des Nations Unies chargé de négocier statut, Martti Ahtisaari, « l’équipe de l’Unité » du président Rugova devra répondre aux questions de ce dernier : « comment pensent-ils réaliser les aspirations exprimées par la plateforme approuvée par le Parlement du Kosovo ? Qui va diriger les négociations ? »

Des « fous », il y en a chez les Serbes et chez les Albanais

Soren Jessen-Petersen a insisté sur le fait que pendant les négotiations il n’y aura pas de place pour des troubles ou du désordre public, même si la communauté internationale a des craintes, mais va s’engager pour que la la sécurité au Kosovo soit assurée durant cette période.

« Nous savons qu’il y a des ’fous’ de tous les côtés. Il y a des fous qui pensent qu’ils peuvent accélérer le processus de résolution du statut par la violence. Ils se trompent, car cela aurait un effet inverse. De même, il y en a qui pensent qu’ils peuvent arrêter ou retarder la marche vers la définition du satut par la violence. Eux aussi se trompent ».

Soren Jessen-Petersen s’est aussi adressé « à tous ces fous », en leur disant que la KFOR, la police internationale et la police locale ont prouvé ces derniers 18 mois qu’elles savaient comment répondre aux provocations, et que toutes ces forces de sécurité ne vont pas permettre une nouvelle escalade de la violence ».

Il n’a pas oublié de parler aussi du nord du Kosovo, déclarant que pour cette partie du Kosovo, les forces de sécurité sont conscientes que la sûreté générale du pays peut être mise en danger par ceux qui veulent arriver à leurs fins par tous les moyens. « Toute la communauté internationale a déclaré qu’il n’y aura pas de partage du Kosovo. Ainsi, le problème de la division de Mitrovica sera résolu avec le statut du Kosovo ».

La communauté internationale a « repris ses esprits » depuis mars 2004

Le chef de l’administration internationale au Kosovo Jessen-Petersen a admis que la résolution du statut du Kosovo n’a pas été une priorité de la communauté internationale ces derniers temps pour plusieurs raisons. L’une des principales de ces raison, selon lui, a été les nombreuses crises en Irak, Iran et Afganistan, qui avaient la priorité sur le Kosovo dans l’agenda international. Mais après les événements de mars 2004, la communauté internationale a repris ses esprits et compris qu’une telle situation ne pouvait pas être maintenue, et que les négociations sur le statut devaient commencer.

Cependant, pour résoudre la question du statut du Kosovo, Soren Jessen-Petersen a déclaré qu’il faudra aussi l’accord des pays voisins, raison pour laquelle Martti Ahtisaari va se rendre à Belgrade, au Monténégro, en Albanie et en Macédoine. « Le diplomate finlandais veut montrer que la question du statut sera résolue dans un contexte régional ». Soren Jessen-Petersen a expliqué que la résolution du statut du Kosovo doit impliquer « toutes les minorités », et que leur voix sera très importante lors du choix de cette décision politique. Tant que la province sera administrée en fonction de la résolution 1244, il a écarté toute possibilité que soit organisé un référendum par lequel le peuple du Kosovo pourrait décider seul de l’avenir politique de son pays. « C’est le Conseil de sécurité qui décide de cela, en ce moment même. Mais ce n’est que lorsque la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité sera caduque que l’on peut imaginer un référendum », a-t-il souligné.

Quoiqu’il en soit, comme l’a dit Sorren-Petersen lui même, tant que le statut du Kosovo ne sera pas résolu, tous auront peur pour eux et pour l’avenir. « Les Albanais du Kosovo sont inquiets d’un retour au passé et je pense que c’est un fait que, de la même façon, les Serbes du Kosovo ont peur de l’avenir. En clarifiant le statut, les esprits vont se calmer et tout le monde y verra plus clair. Cela sera le début des progrès que nous attendons pour le peuple. C’est seulement en faisant la lumière sur l’avenir qu’on pourra effacer la peur des deux côtés, chez les Albanais et chez les Serbes du Kosovo. La définition du statut pourra vaincre cette peur qui tient en otages les deux côtés », a déclaré Soren Jessen-Petersen.

 

Covic : le gouvernement de Belgrade cherche un alibi pour abandonner le Kosovo
Traduit par Jasna Andjelic

Publié dans la presse : 19 novembre 2005
Nebojsa Covic, ancien président du Centre de coordination pour le Kosovo et dirigeant du Parti social-démocrate serbe, s’exprime sur l’ouverture des négociations, avec un constat majeur : la Serbie ne s’est pas préparée pour ce rendez-vous essentiel.

Propos recueillis par Jasmina Lukac

« Les citoyens serbes n’ont pas suffisament d’informations sur le processus des négociations concernant le statut du Kosovo, bien que les politiques les « bombardent » de tous les côtés avec des propos généralistes sur la souveraineté et l’intégrité territoriale. Nous soutenons tous ces idées, mais quelles sont les propositions concrètes ? Qui connaît les détails du processus de négociation ? Ceux qui devraient le mener ne semblent pas être informés non plus. Si l’on en juge d’après la proposition de résolution parlementaire, l’Assemblée nationale ne sait pas qui participera à ces négociations, et le Parlement ne sera pas associé parce que le proposition exige un transfert de responsabilité au gouvernement serbe », explique Nebojsa Covic.

Danas : Comment jugez-vous la scène politique serbe avant le début des négociations sur le Kosovo ?

Nebojsa Covic : Nous sommes témoins d’une compétition entre les partis politiques souhaitant offrir la meilleure solution, ce qui est exclusivement destiné au marché politique intérieur. Tous nos efforts pour arriver à l’unité nationale avant les négociations se transforment en échecs. Je plains les partis qui cherchent à marquer des points politiques sur une question aussi importante que celle du Kosovo ! Il est absurde que les seuls partis consultés lors de la préparation de la résolution aient été le Parti radical serbe (SRS) et le Parti socialiste de Serbie (SPS), qui ne participeront pas aux négociations parce que le gouvernement s’y est déjà opposé . Le fait que seulement deux journaux, dont le votre, aient publié la version intégrale des dix principes du groupe de contact qui feront office de commandements pour les futures négociations, démontre que notre approche est peu sérieuse. D’autre part, les Albanais ont démontré un sérieux et une organisation de haut niveau. La constitution de leur délégation est connue depuis deux mois et, ce qui est le plus important, la réprésentativité des partis politiques dans cette délégation reflète la volonté de 97 % de citoyens albanais du Kosovo.

D : On annonce la possibilité d’organiser un référendum sur le statut du Kosovo...

NC : Pensez-vous que le référendum sera organisé en cas de solution positive ? Un gouvernement qui exclut la plupart des partis d’opposition et l’Assemblée nationale du processus de négociations est en même temps prêt à trouver dans la volonté du peuple un alibi pour l’éventuelle perte du Kosovo. Le référendum était la méthode utilisée par Milosevic, avec le soutien des radicaux, qui demandent maintenant la répétition de ce procédé. Les responsables sont bien connus, ce ne sera pas la faute de nous tous !

D : Vous avez déclaré que la résolution du gouvernement serbe sur le mandat pour le début des négociations sur le Kosovo ne contenait rien de nouveau. Qu’est-ce que vous attendez de ce document et comment voteront les deux deputés du SDP ?

NC : Je ne suis pas le seul à le penser. Demandez aux représentants des autres partis politiques et vous verrez. Si c’est tout ce que nous avons à offrir, je suis pessimiste. Le cadre est bon et il serait difficile de faire mieux, d’autant plus que j’y reconnais nos propres positions. Toutes les obligations contenues dans le projet de résolution existent déjà dans le cadre constitutionnel. Cependant, je ne vois aucune proposition pour l’avenir, aucune prise de position, excepté le besoin du gouvernement serbe d’obtenir une bénédiction de l’Assemblée, pour avoir, d’un côté, le droit exclusif de « représenter la volonté du peuple », et pour se procurer un prétexte en cas d’éventuel insuccès. L’attitude des députés du SDP sera constructive, ils tenteront de contribuer à la concrétisation du cadre proposé. Leur vote dépendra de l’estimation sur le texte final : sera-t-il dans l’intérêt du peuple au Kosovo et renforcera-t-il notre position dans les négociations ?

D : Le Président Tadic a mentionné en Russie la proposition de partager le Kosovo en deux entités. Cette proposition vous avait-elle semblé acceptable lorsque vous avez accepté le mandat du chef du centre de coordination pour le Kosovo ?

NC : Vous avez raison. Cette proposition n’est pas nouvelle, mais à ce moment-là elle était inacceptable pour la communauté internationale qui, avec le groupe de contact en première ligne, insistait sur la création de conditions de vie normales pour tous les citoyens du Kosovo. Nous l’avions accepté. Comme la communauté internationale n’a pas répondu à nos attentes et qu’elle n’a même pas rempli les obligations qu’elle s’était imposées, cette approche devient inévitable.

D : L’actuel centre de coordination pour le Kosovo est-il capable de fournir une assistance technique au gouvernement durant les futures négociations, et pourquoi votre parti dit-il que ce centre est plutôt une émanation de DSS que du gouvernement ?

NC : Si vous m’aviez posé cette question il y a trois mois, j’aurais dit oui. Je serai heureux si le centre de coordination pouvait toujours le faire, mais les actions enterprises depuis l’arrivée de la nouvelle direction indiquent que cette institution ne pourra pas relever les défis des négociations. Il semble, malheureusement, que les intérêts personnels, familiaux et politiques l’ont emporté sur les interêts nationaux et de l’État.

D : Le Premier ministre Kostunica a dit que toute solution imposée durant les négociations sur le futur statut du Kosovo ainsi que « l’usurpation » d’une part de territoire serbe étaient « impensables ». Dans quelle mesure cette position est réelle ?

NC : J’aimerais l’entendre dire par les Présidents Poutine et Bush. Ce n’est qu’alors je saurais que cette position correspond à la réalité.

D : Que voulez-vous dire ?

NC : Si Kostunica était tellement persuadé qu’une solution imposée est impensable, le texte de la résolution proposée n’aurait pas stipulé que l’Assemblée nationale considérera toute solution imposée comme illégitime, contraire à la Loi et non valable, et on ne parlerait pas non plus de la possibilité du référendum. Je suis également préoccupé par la possibilité de perdre une partie du territoire et je ne souhaite pas m’opposer à tout ce que Kostunica dit ou ordonne. Cependant, je pense vraiment qu’il ne suffit pas de dire qu’une chose est impensable ou inacceptable. Nous devons être réellement prêts à affronter tous les défis et obtenir un maximum dans ces circonstances. Le refus autistique de la réalite et la politique d’autruche ne nuiront qu’à nous-mêmes. Nous savons bien que c’est mauvais. Il faut prouver au monde que c’est également mauvais pour tout le monde.

D : Est-ce que l’objet principal des négociations sera l’octroi d’un siège à l’ONU pour le Kosovo ?

NC : L’obtention du siege à l’ONU après les négociations n’est pas la question essentielle. De même, un éventuel refus de ce siège ne représenterait sûrement pas notre victoire ni une concession faite à la partie serbe. Il est beaucoup plus important de savoir si les Serbes pourront continuer à vivre là-bas, dans quelles conditions et avec quells droits. Est-ce que plus de 230 000 Serbes chassés du Kosovo pourront retourner sur leur terre ? C’est la question-clé que nous devrons régler durant ces négociations. L’attribution d’un siege à l’ONU n’est que le respect de la forme qui n’a aucun sens sans le contenu mentionné. La partie turque de Chypre n’a pas de siège à l’ONU, mais aucun Grec n’a encore réussi à y retourner, ni d’obtenir le droit de retrouver ses propriétés.

 

Serbie : comment négocier le statut du Kosovo ?
Traduit par Persa Aligrudic

Publié dans la presse : 5 novembre 2005

« La position des Albanais dans les futures négociations sera dure, et ils auront derrière eux le même groupe de pression que lors des négociations de Rambouillet. La Serbie essaiera de protéger ses frontières, mais elle doit encore définir sa technique de négociation », explique Predrag Simic, ambassadeur de Serbie Monténégro à Paris, qui a participé aux entretiens de Rambouillet en 1999.

Propos recueillis par Dragan Bisenic

L’ambassadeur Simic, auteur du livre La route de Rambouillet, nous parle des négociations parallèles de 1999 et des futures discussions sur le statut final du Kosovo, de la solution probable et de son caractère, entre statut « futur » et statut « final », ainsi que de la tactique de négociation de Belgrade.

« Il s’agit ici d’un grand jeu sur les nerfs, où la pression pour l’indépendance est énorme, mais la Serbie ne doit en aucune façon soutenir la conception qui insiste sur l’urgence et une solution rapide, car les différences entre la Serbie de 1999 et celle de 2005 sont plus qu’évidentes. Avant tout, la Serbie est actuellement un pays démocratique et, en ce moment, elle n’a absolument aucun instrument de force qu’elle pourrait utiliser au Kosovo, et qui pourrait servir d’argument pour offrir l’indépendance au Kosovo », explique Predrag Simic.

Danas : Quelle est la différence entre la position de la Serbie en 1999 et en 2005 ?

Predrag Simic : Vojislav Kostunica est le premier Président démocratique de Yougoslavie et le Premier ministre de Serbie qui a obtenu une entière crédibilité sur la scène politique au nom de la démocratie et du respect de l’État de droit, de sorte que l’argument d’une Serbie non démocratique et qui priverait les Albanais de démocratie ne tient absolument pas. De plus, la Serbie est coopérative. Elle désire conserver sa démocratie et sa souveraineté et respecter les intérêts des Albanais. Ceux qui se rangent du côté de la revendication des Albanais pour l’indépendance disent qu’il y a statu quo ces cinq dernières années depuis le départ de Milosevic, que rien n’a changé, de sorte que les arguments des Albanais pour l’indépendance du Kosovo ne sont pas épuisés. Selon cette position, la Serbie doit être punie pour ce que le régime de Milosevic a fait aux Albanais, ce qui met à égalité l’époque de Milosevic et l’après Milosevic. Puisque les deux époques ne sont pourtant pas identiques, cela reviendrait à sanctionner un régime démocratique. Nous avons devant nous une période de négociations très incertainse et compliquées car, pour Belgrade, il ne s’agit pas seulement de signer ou non la reconnaissance de l’indépendance. Il est certain que personne n’apposera sa signature sur un tel document, mais ce qui est important, c’est de savoir comment éviter le piège où est tombé le régime de Milosevic à cause de sa non coopération, de l’abandon des négociations. Pour l’heure la plus grande incertitude pour Belgrade est de définir sa tactique de négociation.

Danas : Nous avons plusieurs scénarios pour résoudre la question du Kosovo. Il semble que la proposition de la Commission internationale pour les Balkans soit la plate-forme pour régler le statut du Kosovo...

Predrag Simic : Effectivement, mais le principal problème est qu’une solution arrachée trop tôt pourrait avoir certaines conséquences. Cela entraînerait une épuration ethnique définitive et le départ des derniers Serbes, la destruction du patrimoine culturel serbe et l’homogénéité nationale du Kosovo que nous oublions souvent. Pour la Serbie, la question est de savoir quel sera son sort, car nous entrons dans une phase délicate de transition, ou de récession transitionnelle, qu’ont subie tous les pays de l’Europe de l’est. La transition efficace de ces deux dernières années peut être détruite par un règlement rapide du problème kosovar. Ce que nous devons à l’influence française dans ce rapport, c’est la position qui expliqque que le moment n’est pas encore venu de définir le statut définitif, mais le « futur » statut du Kosovo, et que la solution doit être recherchée dans le contexte de l’intégration européenne de l’Union de Serbie et Monténégro. Le statut définitif suppose deux phases : la stabilisation du Kosovo, et que le statut final soit mis à l’ordre du jour seulement après que l’USM soit en cours d’intégration à l’Union Européenne. Il est évident que les Albanais veulent se libérer de la MINUK qui les a libérés de la présence serbe afin d’arriver à leur but, qui est l’indépendance. Toute la situation est le résultat d’une politique qui oublie l’histoire, et ne regarde pas non plus très loin dans l’avenir. Ce qui est également dangereux, c’est que certains de nos voisins soutiennent cette position.

Danas : Que signifie un « Kosovo indépendant sans souveraineté », comme étape dans le règlement du problème kosovar, ainsi que l’écrivent les média français ?

Predrag Simic : Pour nous, il est essentiel que le règlement de la question kosovare ne mette pas en danger la souveraineté de la Serbie Monténégro. Il est difficile de dire jusqu’où s’étend cette mesure dans la conception de « l’indépendance conditionnelle », car on prévoit que le Kosovo n’aura pas tous les attributs de la souveraineté puisque les forces internationales et un Haut représentant international vont rester, mais le statut évoluera dans une fourchette comprise entre la situation actuelle et celle qui existe dans la Bosnie de Dayton. Cette approche sous-estime quelque peu la force du mouvement nationaliste albanais, de sorte qu’il n’est pas réaliste d’attendre que l’indépendance conditionnelle puisse satisfaire les appétits de ce mouvement. Le mouvement nationaliste albanais, depuis une vingtaine d’années, a montré une grande habileté, mais aussi sa ténacité et sa disposition à accepter la guerre si cela peut servir ses intérêts. Il me semble que des problèmes importants apparaissent dans les Balkans, qui pourraient à un certain moment faire apparaître deux drapeaux albanais devant le siège de Nations Unies, et nous savons comment ces problèmes ont été résolus dans l’histoire.

Danas : Etes-vous certain que personne à Belgrade ne signera la séparation du Kosovo ?

Predrag Simic : À Belgrade, personne ne signera, surtout pas le gouvernement qui dépend des électeurs actuels. Une éventuelle indépendance du Kosovo menace la transition et l’ordre démocratique en Serbie. La question est de savoir si l’on peut imposer des solutions à un pays démocratique. Nous savons que la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays membres de l’ONU sont les principaux postulats de la Charte des Nations Unies, sur laquelle repose tout le système international. La doctrine américaine des rapports internationaux part du principe que les solutions ne peuvent être imposées aux démocraties car celles-ci peuvent parvenir à une solution par des négociations, précisément comme le propose Belgrade actuellement.

Danas : Quelle est la tactique prévisible des Albanais kosovars ?

Predrag Simic : Leur tactique sera d’insister sur l’indépendance afin d’essayer, comme à Rambouillet, d’imposer une solution en cas d’insuccès des négociations. En ce moment, quand les Albanais ne parlent que d’indépendance, il est difficile de s’attendre à autre chose qu’à des négociations infructueuses. Cependant, beaucoup de choses dépendront aussi des intermédiaires et des négociateurs. Les possibilités de la partie serbe ne sont pas non plus illimitées car des changements du statut constitutionnel du territoire de Serbie ne peuvent être acceptées sans que le peuple ne s’exprime.

Danas : Pour renoncer au Kosovo, on propose à la Serbie une « compensation européenne ». Est-ce réaliste ?

Predrag Simic : Espérer que la Serbie soit acceptée à une rapidité foudroyante dans l’UE n’est pas réaliste, avant tout parce que la Serbie n’est pas prête. Si demain notre industrie devait être exposée à la concurrence de l’UE, elle cesserait tout simplement d’exister. Mais l’essentiel est ce qui se passe dans l’UE et la manière dont on propose cette « compensation européenne ». L’UE sera beaucoup plus réservée quant aux futurs élargissements, malgré les récentes décisions d’ouvrir les négociations avec la Turquie, la Croatie et notre pays. En France, on prévoit que tout élargissement futur ne pourra plus être validé par le Parlement mais par référendum. Tout cela rappelle la déclaration de Richard Holbrooke, comme quoi la Serbie devrait renoncer au Kosovo ou bien oublier l’UE. Cela portait toujours à confusion, car comment Holbrooke pouvait-il, depuis l’Amérique, promettre quelque chose que l’Europe fera ou ne fera pas ?

Danas : Le Conseil de sécurité parle du statut « futur » et non pas « final » du Kosovo. Que signifie cette formulation ?

Predrag Simic : Derrière cela, il y a le désir d’empêcher que la solution comprise comme un statut final n’agisse un domino qui pousserait la Serbie et toute la région, ce qui est inévitable si l’on prend maintenant une décision sur le statut final. Même dans les milieux américains, on remarque que la capacité démocratique au Kosovo doit être un facteur essentiel. L’American Enterprise Institute, qui est le centre de l’idéologie de Bush, note que le Kosovo indépendant, sans surveillance internationale, deviendrait un nouveau « Djubretistan », un pays qui ne sera jamais capable de se gérer seul, constamment en proie au chaos, à la pression sociale, dépendant de la mafia, et non pas un pays stable en transition. Même ceux dont le point de vue est l’indépendance du Kosovo ne sont pas certains que le Kosovo soit en état de fonctionner de cette façon.

Danas : Quelle est la position française sur le Kosovo ?

Predrag Simic : En France, comme dans les autres pays du Groupe de contact, il y a un changement de politique. Au lieu d’exiger « les standards avant le statut », on accepte la solution « les standards et le statut », ce qui est le mot de code derrière lequel se cache le soutien à l’indépendance conditionnelle du Kosovo. Les événements qui se sont produits dans l’axe Paris-Berlin ont diminué l’influence politique de l’Europe. Les actions françaises seront orientées vers la protection de ce qui reste de la population serbe au Kosovo, du patrimoine culturel et historique et éventuellement vers la création de conditions pour le retour. À mon avis, la France va essayer d’empêcher que la définition prématurée du statut final ou futur du Kosovo ne provoque l’effet causé en 1991 par la décision de la Slovénie de sortir de la Fédération yougoslave. Ce sera une tentative pour gagner du temps, mais qui risque d’échouer car les pressions sont très fortes. La rapidité répond aujourd’hui avant tout aux besoins des USA de quitter la région pour s’engager ailleurs, et les pressions vont dans le sens des exigences de l’Administration Bush. On ressent bien l’absence de Colin Powel qui invoquait la prudence dans le règlement des problèmes balkaniques.

 

Retours au Kosovo : la communauté internationale patauge
Traduit par Jacqueline Dérens


Mise en ligne : lundi 17 octobre 2005

Pendant plus de six ans, l’administration internationale s’est embourbée dans la question des retours. Pourtant, beaucoup d’argent de la communauté internationale a coulé dans les coffres du Kosovo pour essayer de convaincre les personnes déplacées à retourner chez elles. Mais sans succès.

Par Marek A. Nowicki, médiateur pour les droits de la personne du Kosovo

Je quitterai le Kosovo en décembre, résultat de ce que la communauté internationale appelle, par euphémisme, « la kosovarisation du processus ». Parmi les nombreuses questions dont je me propose de continuer à être le champion d’ici la fin de mon mandat en tant que médiateur au Kosovo, il y a les promesses de la communauté internationale d’assurer le retour des personnes déplacées en 1999 et après les émeutes de mars 2004.

L’affaire s’est compliquée au début octobre avec l’arrivée du rapport soumis au Secrétaire général des Nations unies par l’envoyé spécial, l’ambassadeur norvégien Kai Eide, qui a passé plusieurs mois à dresser l’état des lieux de la province administrée par les Nations Unies en ce qui concerne l’établissement d’un Kosovo multiethnique.

Comme un disque rayé, le rapport répète inlassablement la liste des problèmes dont les principaux sont le non-respect de la loi, le manque de sécurité pour les non-Albanais, la résolution non satisfaisante des questions de propriété, la lenteur des solutions à la question des personnes disparues, et bien sûr, l’insuffisance notoire du nombre des retours.

Pendant plus de six ans, l’administration internationale s’est embourbée dans la question des retours. Pourtant, beaucoup d’argent de la communauté internationale a coulé dans les coffres du Kosovo, employant toute une armada de personnel, des organisations internationales, en passant par des représentants des municipalités locales, des entrepreneurs, des traducteurs, des représentants du gouvernement et des bureaucraties adéquates de la MINUK, pour essayer de convaincre les personnes déplacées à retourner chez elles. Mais, rien n’a d’effet sur les minorités déplacées.

Il n’existe pas de véritables statistiques fiables pour connaître le nombre de personnes qui sont revenues. Même si l’on se fie au décompte officiel qui note près de 12 500 personnes revenues, j’ai passé beaucoup de temps à me rendre dans les sites de retour, et je peux dire qu’il y a bien peu d’exemples où une personne saine d’esprit applaudirait et appellerait cette affaire une histoire à succès, en particulier dans l’ouest du Kosovo.

Le rapport de l’Ambassadeur Eide mentionne aussi le nombre inconnu de personnes qui ont quitté le Kosovo pour de bon, une tendance qui continue encore aujourd’hui. À ce que je vois, il y a une réelle déconnexion de la politique qui se fait en salle et de la réalité sur le terrain. Je me souviens d’une conversation que j’ai eue avec un ancien chef de la MINUK. En tête à tête avec lui , il martelait son bureau de ses poings en disant : « Je m’engage au retour de 90 000 personnes pendant mon mandat ».

Avec la même vigueur, il m’accusait de ne pas jouer le jeu avec l’administration internationale : « Comment pouvez-vous croire que nous ne sommes pas capables de créer les conditions pour le processus du retour ? »... Et il exigeait une réponse. Je lui rétorquais : « Je suis sûr que cela n’arrivera pas, mais si cela arrive, alors croyez-moi, je serai le premier à vous féliciter ».

Il n’était pas très content de tout ce que je lui ai dit ce jour-là. Mais, j’étais sûr de ce que j’avançais en m’appuyant sur les expériences que j’avais eues, les témoignages qui me parvenaient, la frustration ressentie par des communautés de personnes déplacées et des facteurs objectifs à ma disposition.

Prenons un exemple à l’ouest du Kosovo. Pendant plus de deux ans, il y a eu une campagne pour le retour des familles dans le village serbe de Belo Polje/Bellopoje. Le premier projet de retour a eu lieu il y a deux ans et 20 familles sont revenues ches elles. La reconstruction des maisons qui avaient été détruites en 1999 était presque achevée, quand elles ont été détruites une seconde fois en mars 2004.

Après mars 2004, la pression internationale a forcé le gouvernement du Kosovo à dépenser des fonds publics et à renouveler ses efforts de reconstruction... Le résultat, c’est que, depuis, les chefs de famille « travaillent » pour assurer le retour de leurs familles dont la plupart vivent en Serbie. La formule, selon le gouvernement et l’administration internationale, était la suivante : aidez-nous à construire les infrastructures grâce aux dollars, aux euros des ONG, pour que votre famille revienne. Faites-nous confiance. Nous savons que c’est la voie du succès. Nous l’avons fait en Bosnie. Avec votre aide, nous pouvons le faire au Kosovo.

La preuve que de tels programmes sont faisables dans des cas spécifiques est rare. À ma connaissance, les familles ne sont pas revenues à Belo Polje/Bellopoje. Ni ailleurs dans cette région.

De plus en plus, les aspects du processus de retour uniquement « orientés vers les dollars », et « orientés vers les infrastructures » se révèlent insuffisants, et cette perception de la réalité n’est plus réservée au seul médiateur.

Les aspects sociaux beaucoup plus complexes qui permettraient un retour durable ne sont pas appliqués. Il faut que les familles qui reviennent puissent cultiver leurs terres, avoir des marchés pour écouler leur production, envoyer leurs enfants à l’école, réintégrer le marché du travail du Kosovo. En fait, beaucoup de ceux qui sont revenus se contentent de compter sur une assistance humanitaire qui se raréfie. Certaines familles ont même étaient prévenues que cette assistance en produits alimentaires de base allait prendre fin.

Je pense qu’il a y aussi un autre aspect de cette incapacité à faciliter le retour qui échappe à la discussion publique. Le retour des minorités dans certaines zones ne fait qu’augmenter le besoin de terres pour la majorité qui manque de terres et qui ne trouve pas de solution satisfaisante. Aussi, quand ceux qui vivent à Belo Polje/Bellopoje se plaignent de la saisie de leurs propriétés, ils expriment ce que je considère comme un instinct de survie.

D’une manière légale, si l’on comprend cela, cette réalité n’a aucune chance de résister dans la durée.

Jackson Allers a contribué à cet article.

 

La chronique du médiateur
Kosovo : responsabilité ultime
Traduit par Jacqueline Dérens


Mise en ligne : lundi 3 octobre 2005

Un dicton local dit que « le champ pleure parce qu’il n’a pas été ensemencé », ce qui correspond au proverbe ancestral « tu récolteras ce que tu as semé ». Malheureusement, les programmes sociaux sont laissés en jachère par les dirigeants internationaux et locaux, et la reconstruction reste toujours gangrenée par la corruption.

Par Marek A. Nowicki, médiateur pour les droits de la personne du Kosovo

Admettons que les discours politiques sur la responsabilité sociale embrassée par les dirigeants politiques et municipaux du Kosovo soient les graines du bien-être social pour la grande masse des gens. Couplés avec les millions d’euros dépensés pour la mise en œuvre des programmes sociaux ces six dernières années, les municipalités du Kosovo devraient recueillir la satisfaction sociale des éléments les plus forts et les plus faibles de la société.

Avec un tel modèle, j’imagine les dirigeants municipaux aux avants-postes de ce processus de plantation et de récolte. Les structures municipales se situent au niveau le plus proche de l’interaction civique pour la population du Kosovo, une sorte de pacte de solidarité.

Malheureusement, mon observation régulière du Kosovo me fournit amplement la preuve que les programmes sociaux sont laissés en jachère par les dirigeants internationaux et locaux.

Pourquoi ce déficit entre ce qui est dit et ce qui est vraiment fait ? Entre ce qui est dépensé et les résultats effectifs de ces dépenses ?

Pour certains, ce qui est en cause, c’est la déconnexion entre les gouvernements locaux, le gouvernement intérimaire (les ministères) et la Kosovo Trust Agency. Cette déconnexion finit par diminuer la capacité des dirigeants municipaux et le gouvernement à fournir aux gens l’accès aux services sociaux de base. D’autres disent que les dirigeants municipaux sont gênés par un manque de financement direct en provenance du gouvernement central.

Je mets en garde contre ces explications trop évidentes.

Nulle autorité, à quel que niveau que ce soit, ne peut échapper à la loi internationale, ce qui veut dire qu’il y a une responsabilité claire à établir, un filet de sécurité sociale solide pour les Kosovars, alors que le Kosovo va vers son statut final selon la formule des standards. Cette formule appelle à une mise en application réelle des programmes d’aides sociales, à tous les niveaux gouvernementaux : santé, aide sociale pour les communautés les plus pauvres, reconstruction des maisons détruites et relogement social.

Quand une personne me demande pourquoi elle n’a pas reçu d’aide sociale, j’ai peu de réponses à fournir en dépit du fait que j’ai soulevé la question auprès des autorités. (Sans aucun doute, la procédure rigide mise en place par le gouvernement disqualifie de facto une partie de la société dans le besoin pour l’obtention de toute assistance).

On dit aux gens qu’il n’y a rien à faire, et ceux qui le leur disent se tournent vers l’administration internationale. « Nous n’avons pas la compétence pour cette forme d’aide sociale », ou bien « nous n’avons pas cet argent dans nos coffres pour vous aider. Si nous recevons des donations, alors nous serons en mesure d’offrir plus aisément une aide sociale ».

Ces mots sont très visiblement une formule codée pour dire « nous ne disons pas que nous n’avons pas d’argent ; mais nous avons d’autres dépenses prioritaires ». Dans un contexte où il y a une forte demande pour une amélioration des services sociaux, la construction, avec l’argent municipal, de fontaines clinquantes au milieu des places publiques n’est pas un bon exemple de la volonté politique de répondre aux préoccupations sociales.

Je me pose alors la question : où est le sens de l’outrage civique ? Pourquoi la population n’exige pas un accès plus important à cette aide pour les éléments les plus vulnérables de leurs communautés ?

Et puis il y a le processus de la reconstruction. Sans argent, je maintiens que les représentants municipaux ne tirent aucun bénéfice politique en apportant leur soutien à la population à la recherche de nouveaux logements, en particulier s’il s’agit de minorités, à moins que l’argent des donateurs internationaux ne fasse partie du marché. Et je demande à savoir combien d’argent est vraiment dépensé pour les minorités les plus vulnérables, comme les Roms. Maintenant que la période des donateurs internationaux généreux touche à sa fin, le vide fiscal laissé à la suite de l’évaporation de l’argent est comblé par d’autres méthodes.

Bakshish

Une femme m’a raconté son expérience avec un représentant municipal qui surveillait la reconstruction dans son village. On lui a dit qu’il y avait une « liste prioritaire », et que pour être inscrit sur cette liste, il fallait verser 2000 euros dans une certaine « poche ». On lui a dit aussi qu’être sur la liste ne garantissait en rien que sa maison serait construite en temps voulu. Cette liste même n’apporte aucune garantie légale du soutien municipal pour le retour des déplacés. Et si cela ne fait pas partie des droits d’inscription municipaux légaux, on peut dire que cela est une forme de corruption qui est rendue plus facile par le manque de procédures claires et le manque de transparence qui seraient une assurance pour un processus honnête.

En ce qui concerne les déplacés, les abris communautaires soi-disant temporaires sont inadéquats ou non-existant dans beaucoup de municipalités. Une étude menée par un groupe pour les droits municipaux déclare que les autorités municipales au Kosovo manquent « de programmes et de projets pour répondre aux problèmes urgents du logement et de l’aide sociale, même dans les cas extrêmes où les conditions sont catastrophiques pour la santé et le bien-être de ces familles ».

J’ai reçu beaucoup de plaintes dans mon bureau de la part de Kosovars déplacés pendant la guerre et qui ont été renvoyés de force par les pays qui les avaient accueillis, alors que les municipalités du Kosovo manquent d’infrastructures sociales. Dans certains cas, il s’agit de victimes de guerre souffrant de troubles post-traumatiques qui rentrent chez elles sans aucun soutien psychologique. Dans d’autres cas, les municipalités du Kosovo sont allés jusqu’à refusé aux Roms leurs droits à être rapatriés, en prenant pour prétexte le manque de d’infrastructures sociales, ce qui est pour une fois admettre la vérité.

En fin de compte, tout le monde au Kosovo devrait accepter que la responsabilité pour le bien-être de tous repose sur toutes les épaules. On ne peut accorder aucun crédit aux autorités quand la transparence demandée n’est pas réalisée.

Jackson Allers a aussi contribué à ce point de vue

 

Belgrade et le Kosovo : souveraineté serbe, pouvoirs étendus pour le territoire
Traduit par Persa Aligrudic

Publié dans la presse : 22 septembre 2005

Sanda Raskovic-Ilic, la nouvelle présidente du Centre de coordination serbe pour le Kosovo et Metohija, exprime son point de vue sur le statut futur de la province : maintien de la souveraineté serbe, pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires pour le Kosovo. Un commentaire de la formule : « plus d’autonomie, moins d’indépendance ».

Par Jelena Tasic et Jelena Bjelica

« La partie albanaise au Kosovo aura les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Dans le cadre de la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité, les Nations Unies garantissent à l’État serbe la souveraineté nationale et territoriale. Le Kosovo reste à l’intérieur des frontières de la Serbie. Les policiers serbes gardent les frontières, la politique fiscale et douanière appartient à l’État, en lien avec la politique centrale. Il y aura un ministère de la Défense, un ministère des Affaires étrangères, un siège aux Nations Unies, mais en même temps nous ferons notre possible pour que le Kosovo et Metohija soit une zone démilitarisée, afin d’empêcher l’émergence de formations paramilitaires sur cet espace, et aussi pour dissipe la crainte des Albanais kosovars que l’armée serbe revienne pour maintenir l’ordre ».

D’après elle, les communautés serbes et non albanaises du Kosovo et Metohija « obtiendraient une décentralisation qui permettrait que certains aspects du fonctionnement fondamental de la société, de l’État et de la Province soient de nouveau établis au niveau local », et ce dans les domaines de l’éducation, de la santé et des affaires sociales, de la religion et de la conservation du patrimoine culturel, ainsi que de la juridiction au niveau municipal et de la police locale. Sanda Raskovic-Ivic a souligné que la formule de Belgrade sur le futur statut du Kosovo représente le programme du Centre de coordination qui est entièrement conforme au programme de la direction de l’État de Serbie et de l’Union Serbie-Monténégro.

Contre la division de la province

Sanda Raskovic-Ilic a eu une réunion mercredi à Pristina avec le premier adjoint du chef de la MINUK, Larry Rosin. Le principal sujet de discussion a été la décentralisation des autorités au Kosovo, ainsi qu’il a été communiqué par le Département des médias et des communications du Centre de coordination.

Mme Raskovic a souligné que la décentralisation du Kosovo, pour laquelle elle s’engage, ne signifie pas la division de la province, et que la division et l’indépendance du Kosovo ne sont pas les objectifs de la partie serbe. Sanda Raskovic-Ilic a fait part à Larry Rosin du Plan du gouvernement de Serbie pour la décentralisation du Kosovo, en mettant l’accent sur le fait qu’il a été élaboré afin que les Serbes reviennent et demeurent au Kosovo, mais aussi sur la nécessité que le processus de décentralisation englobe toute la province.

La présidente du Centre de coordination, a également exposé en détails à ses interlocuteurs de la MINUK les raisons pour lesquelles elle insiste pour qu’il y ait une seule et unique délégation des Serbes lors des futurs entretiens sur l’avenir du Kovoso et Metohija.

À propos des manifestations de protestation organisées par les Albanais, Sanda Raskovic-Ilic a exprimé l’espoir que ceux-ci ne représentaient pas toute l’opinion publique des Albanais du Kosovo et Metohija. Elle a souligné que les protestations organisées à l’occasion de sa visite au Kosovo pouvaient être comprises aussi comme un signe de mauvaise volonté de la partie albanaise à ouvrir des négociations constructives sur l’avenir de la province.

 

Statut du Kosovo : les négociations ont déjà commencé
Traduit par Belgzim Kamberi

Publié dans la presse : 3 septembre 2005

Les grandes tractations autour du statut futur du Kosovo ont déjà commencé. Belgrade veut obtenir l’autonomie la plus large pour les zones serbes dans le cadre du processus de décentralisation, mais qu’est-ce que les Albanais peuvent réellement attendre ? L’indépendance sans conditions semble exclue, et la communauté internationale essaie d’inventer une formule de « semi-indépendance » octroyée.

Par Besnik Pula

Soren Jessen-Petersen l’a dit lui-même il y a quelques jours : les négociations ont commencé. Le statut est en train de se définir. Alors que les autres font des commentaires et parlent de « préparations pour les négociations » ou « des negociations de l’automne », les contours de ce statut sont en train de se dessiner graduellement.

Maintenant, le jeu politique tourne autour de la définition du processus qui reste toujours ambigu et peu clair. L’un des aspects fondamentaux de cette dynamique - comme l’a déclaré le chef de la MINUK Jessen-Petersen - est le processus de décentralisation. Maintenant, il est clair que la décentralisation, bien loin des fables politiques sur « la démocratisation du pouvoir » ou le « rapprochement du citoyen et du pouvoir » n’est pas un combat pour les droits des minorités, mais pour le contrôle de territoires ethniques. Il n’est donc pas question de réorganisation territoriale sur des principes démocratiques comme il a été souvent déclaré, mais de réorganisation territoriale selon des principes politiques. Le gouvernement a accepté d’entrer dans un jeu dangereux, dont les conséquences ne se feront pas sentir tout de suite

La réorganisation territoriale du Kosovo ne serait pas problématique en elle-même s’il n’existait pas deux problèmes principaux. Le premier est que la division territoriale se fait dans le contexte d’un statut toujours indéfini. On ne sait toujours pas quelle sera la position du pouvoir central du Kosovo, qui est déja mutilé. Il n’est pas logique et même pratiquement impossible de vouloir décentraliser un pouvoir qui n’est pas encore centralisé !

Décentralisation et organes parallèles de Belgrade

Par ailleurs, dans la majorité des enclaves serbe, les organes parallèles de Belgrade sont toujours fonctionels. Le processus de décentralisation commencé par le Gouvernement sous le patronage de la MINUK et avec la participation active de la Serbie ne donne aucune garantie sur l’extinction de ces organes. De toute façon, la MINUK a acccepté les organes de la Serbie au Kosovo durant six ans. Il n’existe donc aucune raison de croire que la MINUK va entreprendre quoi que ce soit contre ces institutions parallélles maintenant.

Il est vrai que Pristina décentralise son autorité, mais je ne sais toujours pas si le gouvernement sait à qui déléguer ce pouvoir et ces territoires, qui seront gérés dans l’avenir par les nouvelles unités administratives. Malgré tout, ce qui est clair, c’est que l’on n’est pas en train de donner le territorire et le pouvoir aux « citoyens ». Cela jouera encore moins en faveur de l’intégration de la minorité serbe dans le systéme politique et civique du Kosovo.

Dans ces conditions d’un statut indéfini et d’un fonctionement maintenu des institutions parallèles de la Serbie, justement dans les zones qui deviendront autonomes avec une administration locale (comme cas concret, on peut citer Gracanica), on ne peut parler d’un véritable procesus de décentralisation. En réalité, le pouvoir ne se décentralise pas, mais les négociations pour le statut commencent.

Ainsi, à la place d’avoir des négociations au plus haut niveau (comme on le pense d’habitude quand on parle de négociations), celles-ci se dispersent dans différents processus parrallèles, avec plusieurs représentants, sous-représentants et médiateurs - autant de processus qui reçoivent la bénédiction des plus hauts dirigeants. Le Parlement - qui se réduit désormais à son seul Président - est marginalisé, alors que l’opinion publique est bombardée par des demi-informations, qui visentà « lui rafraichir la mémoire » à travers le language de l’optimisme naif et le rituel baiser de la main des dirigeants politiques actuels, ou bien encore à travers même les déclarations sur l’indépendance qui est inévitable et qui aurait le soutien de la communauté internationale.

Malgré tout, désormais, il est bien clair que le processsus de définition du statut a commencé. Comment peut-il se caractériser et où peut-il nous mener ? Maintenant, plusieurs choses sont claires. La Serbie a un rôle actif dans le processus de décentralisation, rôle qui se poursuivra malgré le limogeage de Nebojsa Covic de la direction du Centre de Coordination de la Serbie pour le Kosovo. Sa relève est une conséquence des batailles intérieurs entre les fractions politiques en Serbie et n’a rien avoir avec une réorientation de Belgrade envers le processus de décentralisation ou les objectifs poursuivis pour le Kosovo.

Les représentants de Belgrade ont commencé à se rappeler des schémas des années 1990, des plans Z-4 pour la Krajina et des autres plans pour la Bosnie qui, indépendamment de leurs contenus, avaient pour principes et objets de classiques divisions territoriales. Quoi qu’il en soit, la réalité est que la Serbie a un rôle dans un processus qui, théoriquement, devrait être une question interne au Kosovo. Ceci est la dimension qui est souvent négligée par les différents commentateurs qui se prononcent en faveur du processus de décentralisation et qui se rendent aux évidences de la réthorique officielle, du style : « la décentralisation est un processus qui se déroule partout en Europe et qui joue en faveur de la démocratisation générale du Kosovo ». Je n’ai jamais entendu parler d’un État qui, dans sa politique de décentralisation prendrait en compte les revendications d’un autre pays, sauf dans des conditions de pressions, de chantage ou de manipulations ouvertes. Malgré tout, le processus a commencé son chemin. La fin n’est toujours pas claire, mais l’on se rapproche de quelques formules possibles pour le statut.

Les options exclues

Deux possibilités sont exclues : la première, la classique partition territoriale du Kosovo, qui est la solution préféré de Kostunica et de son entourage. Cette solution n’a aucun soutien en Occident, alors qu’il demeure toujours envisageable que la Serbie utilise la force pour annexer à nouveau des territoires au Kosovo. Ceci provoquerait une confrontation avec l’OTAN, ce qui n’est pas du tout de l’intérêt de la Serbie en ce moment, sachant que la Serbie n’aurait aucune chance d’en sortir gagnante.

En second lieu, l’indépendance sans condition du Kosovo. L’indépéndance n’est pas une solution de compromis, celle-ci est une solution de principe, alors que, pour le moment, les diplomates parlent par la langue du compromis. Il est donc sous-entendu que la solution se base sur une logique de marché et non pas une logique de principes. Il est clair depuis longtemps maintenant que l’équité n’est plus au centre des conceptions dominantes politiques occidentales envers le Kosovo. Pour le moment, domine le language relativiste de « la satisfaction de toutes les parties ». On préfère décortiquer le débat, comme aime à le faire le discours technocratique de ceux qui dirige le processus de négociations, sur des dimensions normatives. Au final, on réduit tout, à commencer par le statut lui-même, à une simple question technique et administrative.

Quand il est question de compromis, la décentralisation qui est ipso facto liée à la question du statut peut être considérée comme un « compromis » que fait le Kosovo envers la Serbie. La décentralistaion relève du masochisme politique qui a été imposé au Kosovo comm condition pour la poursuite du processus.

La décentralisation ne débouchera pas nécessairement sur une territoriale division classique, mais de nouvelles entités territoriales apparaîtront à l’intérieur du Kosovo, sous la forme des mini-cantons habités majoritairement par la minorité serbe, quelle que soit leur dénomination officielle (de toute façon, le jeu autour de leur dénomination est devenu la meilleure forme de manipulation de l’opinion publique). Ceci ne concerne que l’aspect juridique des nouvelles entités administratives, et non leur réalité pratique. En prenant en compte l’existence des organes parallèles serbes dans certaines de ces zones, celles-ci fonctionneraient comme des zones de facto séparées du Kosovo.

Loin de représenter une garantie pour la liberté de mouvement, celles-ci créeront des conditions institutionelles de ségrégation physique et institutionelle de la population serbe du Kosovo dans la vie politique et civique du Kosovo. Elles seront peut-être même à l’origine de nouveaux conflits locaux dans les communes multiethniques - au nom de la défense contre les « terroristes » - et de l’organisation des milices armées serbes dans les enclave officialisées de la sorte.

Vers une pseudo-souveraineté ?

Quoi qu’il en soit, en « contrepartie » de l’autonomie territoriale pour les Serbes du Kosovo, la Serbie pourrait accepter (sûrement sous la pression internationale) la solution d’un Kosovo à demi souverain, à la condition qu’il lui soit impossibilité de se séparer du cadre de l’Union de Serbie et du Monténégro, sous la garantie d’un accord diplomatique, et sans possibilité de changement constitutionel au sein de cette Union.

Ceci serait en accord avec la formule nébuleuse de Belgrade, « moins que l’indépéndance, plus que l’autonomie », alors que les liaisons du Kosovo avec l’entité de Serbie-Monténégro ne se développeraient pas directement, mais par la médiation (provisoire) de la MINUK ou d’un autre organe international.

Ces nouvelles ambiguités permettront aux politiciens kosovars de déclarer que voilà, ceci est l’indépendance (ou, dans le pire des cas, que ceci est le maximum qui puisse être obtenu dans ces conditions, avec la précision que le travail n’est pas terminé et que l’engagement pour l’indépendance doit continuer). Entre temps, le Kosovo fonctionerait comme un semi-État, « monitoré » de différents côtés et avec toutes les compétences régaliennes - exceptés l’adhésion à l’ONU, le droit d’émettre ses passeports et de posséder une armée. Cette solution sera offerte sous le prétexte (maintenant incontournable) que ceci est une solution « intermédiaire », qu’il s’agit du « prochain statut » et non pas du « statut final » - jusqu’à l’adhésion de la Serbie et du Kosovo dans l’Union Européenne dans un avenir de moyen terme, quand - ainsi que le prétendent certains démagogues - les frontières et la souveraineté ne seront plus des questions importantes.

Ceci devrait être à peu près la fin du scénario, qui selon les développements actuels, a toutes chances de se déployer dans les mois à venir. Je ne connais pas de cas concret, du moins au XXe siècle, où l’indépendance ait été offerte à une société, comment l’attendent nos dirigeants politiques et les citoyens du Kosovo qui, de façon directe ou non, soutiennent le concept de négociations pour l’indépendance. Une indépendance offerte est une indépendance formelle, et c’est justement ce qui attend le Kosovo : une indépendance formelle qui, en fait, n’est pas du tout l’indépendance.

 

Le projet de décentralisation ne suffit pas aux Serbes du Kosovo
Traduit par Stéphane Surprenant
Mise en ligne : lundi 22 août 2005

Les Serbes doivent décider s’ils acceptent l’offre du gouvernement du Kosovo qui leur concéderait un gouvernement autonome au niveau local. Les Albanais estiment que l’offre est généreuse et et définitive, mais les Serbes la trouvent trop maigre. Dans les deux nouvelles municipalités prévues, Serbes et Albanais seraient en effet presque à égalité numérique.

Par Jeta Xharra

Le projet pilote - qui, s’il est couronné de succès, sera appliqué ailleurs - prévoit que cinq nouvelles municipalités recevront les mêmes pouvoirs en matière de santé, d’éducation, de planification urbaine et de services publics que les autorités locales déjà existantes.

La mission de l’ONU au Kosovo (MINUK) a dessiné les frontières de ces nouvelles municipalités le 12 août dernier.

L’initiative fait suite aux critiques adressées au gouvernement du Kosovo par ses alliés occidentaux sur son inaction dans le processus de décentralisation, et ce quelques semaines avant que l’envoyé de l’ONU, Kai Eide, ne remette son rapport sur l’ouverture possible des négociations sur le statut final en octobre prochain. Les députés de la Liste serbe du Kosovo et de Metohija (SLKM) ont rejeté la première version du projet de décentralisation le 10 août dernier.

Ils se sont plaints que celle-ci ne leur offrait que de petites agglomérations isolées autour de Gracanica, un village serbe situé à 8 km au sud-est de Pristina, ainsi que Partes, une communauté principalement serbe près de Gjilan/Gnjilane.

Le gouvernement du Kosovo a répondu avec une version révisée du plan. Il a ajouté les quatre villages de Ajvala, Laplje Selo, Preoce et Susica à la municipalité pilote de Gracanica, de même que les villages de Cernice et Budrige à celle de Partes, afin de former des structures plus grandes.

Quasi-équilibre entre Serbes et Albanais dans les nouvelles communes

Bien que plusieurs aient accepté ces modifications, la proportion presque équivalente de Serbes et d’Albanais dans les deux municipalités pilotes demeure un problème pour les Serbes.

Vesna Jovanovic, professeure et membre de la SLKM à Partes, a déclaré : « L’idée fondamentale de ce projet est de donner aux communautés minoritaires davantage de pouvoirs locaux en devenant des majorités dans les nouvelles structures municipales ». Elle a ajouté : « Le gouvernement du Kosovo n’a pas démontré une volonté politique sérieuse pour que les choses aillent en ce sens ».

Toutefois, Lutfi Haziri, Ministre des Administrations locales du Kosovo, explique que le plan n’a jamais été prévu pour mettre sur pied des structures municipales autonomes spécifiquement serbes. « Nous ne voulons pas créer des municipalités sur une base ethnique, et cela encouragerait certainement ce genre de division. »

Malgré qu’aucun recensement officiel n’ait été mené au Kosovo depuis 1981, les chiffres disponibles utilisés par les Serbes et par le gouvernement du Kosovo laissent supposer que les Serbes ne disposeraient que d’une faible majorité aux conseils des municipalités pilotes de Gracanica et de Partes, variant entre 3 et 10 %.

Une comparaison entre Ajvala, village albanais en forte croissance, avec ses nombreuses construction à plusieurs étages, et Gracanica tout près de là, aide à comprendre pourquoi les Serbes craignent que la tendance démographique n’érode leur faible majorité actuelle.

Randjel Nojkic, un député important de la SLKM qui vit à Gracanica, soutient qu’unifier les deux villages mènera bientôt à une minorité serbe dans l’administration conjointe. « Fondre Ajvala et Gracanica dans une même structure municipale fera probablement que les Albanais seront majoritaires aux prochaines élections locales en 2006 », a-t-il affirmé.

Riza Llapashtica, notable de la communauté d’Ajvali, n’est pas plus enthousiaste devant la perspective d’une fusion, quoique pour des raisons différentes.

Du haut de sa maison à deux étages, il a une excellente vue de Gracanica. Llapashtica n’est pas chaud à l’idée de partager les services avec Gracanica plutôt qu’avec Pristina. « Beaucoup de gens ici pensent qu’il est trop tôt après la guerre pour négocier le partage de services locaux avec les Serbes des environs, c’est pour cela que je ne suis pas très content de ce projet », a-t-il confié. « Nous craignons toujours que les Serbes barrent des routes vitales et la circulation qui passe par leur municipalité ».

Riza Llapashtica croit que la solution réside dans la croissance démographique albanaise de son village, dont la population devrait éventuellement surpasser celle des Serbes autour de Gracanica.

« Au rythme où les Albanais achètent des terrains et emménagent, nous serons bientôt plus nombreux que les Serbes, alors il y aura moins de raisons de craindre cette nouvelle municipalité », conclut-il. Le voisin de Llapashtica, Randjel Nojkic, reconnaît que le temps ne joue pas en faveur des Serbes.

Les Serbes du Kosovo dans une position inconfortable

« L’offre n’est pas aussi bonne que nous le souhaiterions, mais nous ne devons pas la rejeter », a-t-il dit, « parce que nous raterions une opportunité de nous battre pour nos droits à un moment où des décisions cruciales doivent être prises ».

Randjel Nojkic croit que les Serbes du Kosovo se sentent frustrés par leur marge de manœuvre limitée, étant piégés entre les « offres peu généreuses de Pristina » et les pressions de Belgrade en faveur d’une « non participation catégorique ».

Il poursuit : « Je suis assez critique face aux réticences du gouvernement de Pristina de donner seulement une municipalité majoritaire aux Serbes dans un endroit si fortement albanais. Je suis aussi frustré par le gouvernement de [le Premier Ministre serbe Vojislav] Kostunica, qui diffère peu au fond de ce que [Slobodan] Milosevic pensait du Kosovo ».

Randjel Nojkic en déduit que Belgrade ne fera pas une faveur aux Serbes du Kosovo en les pressant de rejeter automatiquement le plan. Si cela était le cas, les Serbes perdraient simplement une nouvelle opportunité de lutter efficacement pour leurs droits au Kosovo.

 

Kosovo : Les Serbes du Kosovo rompent avec Belgrade
Traduit par Stéphane Surprenant

Publié dans la presse : 22 juillet 2005
Mise en ligne : lundi 25 juillet 2005

La politique de Belgrade exigeant des Serbes du Kosovo qu’ils boycottent le gouvernement du Kosovo suscite le mécontentement des dirigeants serbes locaux.

Par Arben Qirezi

Un gouffre s’est ouvert entre le gouvernement de Belgrade et les dirigeants des Serbes du Kosovo après que l’un de ces derniers a déclaré se joindre à l’Assemblée locale - majoritairement albanaise - en signe de désaccord. En effet, la position de la Serbie est claire : pas de participation sans davantage de garanties. Comme le précisait récemment le Président Boris Tadic, « la Serbie demande une activité accrue de la Communauté Internationale et des garanties pour les Serbes de la part des autorités locales. Sans cela, une participation serbe dans les institutions du Kosovo n’aurait aucun sens ».

Boris Tadic s’exprimait ainsi après une réunion avec un émissaire de l’ONU, Kai Aide, qui avait pressé en vain le gouvernement serbe de tenter de convaincre les Serbes du Kosovo de se joindre aux institutions locales.

Mais Oliver Ivanovic, chef de la Liste serbe pour le Kosovo et la Metohija (SLKM), dit maintenant craindre que la Serbie ne se serve de cette question comme d’un ballon politique, au détriment des véritables intérêts des Serbes du Kosovo.

« Tout a été fait pour causer des déchirements internes », a-t-il déclaré cette semaine. « Ces calculs pourraient coûter cher aux plus de 100 000 Serbes qui ont décidé de demeurer au Kosovo. » Ivanovic a annoncé que son groupe va désormais prendre les huit sièges qu’il détient - mais qu’il n’a pas occupés jusqu’ici - à l’Assemblée du Kosovo. En outre, la formation va annoncer formellement sa décision de se joindre au gouvernement au cours des prochains jours.

Ces déclarations marquent une rupture avec la ligne politique suivie normalement par la SLKM, caractérisée par le désir de laisser toutes les décisions politiques importantes à Belgrade.

Sous les pressions de la Serbie, la plupart des Serbes du Kosovo avaient boycotté les élections législatives d’octobre dernier.

Avec moins d’un millier de Serbes ayant exercé leur droit de vote, la SLKM et la Liste civique de Serbie (CLS) se sont partagés les dix sièges alloués à la communauté serbe, sans tenir compte du nombre de votes enregistrés. La CLS, menée par Nebojsa Petkovic, a récolté deux de ces dix sièges et a immédiatement rejoint l’Assemblée pour occuper le poste de Ministre du Retour et des Communautés.

Puisque le Kosovo déploie d’importants efforts pour le retour des réfugiés, par l’intermédiaire de nombreux programmes, Petkovic s’est retrouvé à la tête du plus important budget ministériel, à savoir 14 M€ en 2005. Le Ministère de l’Agriculture, aussi réservé aux Serbes du Kosovo, était toutefois resté sans ministre, la SLKM ayant décidé de poursuivre le boycott inspiré par Belgrade.

Bien que la structure conçue par l’ONU pour gouverner le territoire, le Plan Constitutionnel pour le Kosovo, stipule que les représentants qui ne se présenteraient pas aux réunions de l’Assemblée pendant plus de six mois seraient démis de leurs fonctions, la mission de l’ONU au Kosovo (MINUK) a décidé de ne pas appliquer cette disposition, espérant que la SLKM changerait d’idée.

À ce moment-là, Petkovic reprochait à la MINUK de donner tant d’importance à la SLKM plutôt que de permettre à la CLS, « qui avait démontré sa bonne foi à travailler au sein des institutions, d’occuper les sièges vacants à l’Assemblée et au gouvernement ». La position initiale d’Ivanovic, selon laquelle la SLKM ne devait prendre aucune décision concernant une participation aux institutions du Kosovo sans l’appui de la Serbie, était, d’après certains observateurs, une tactique calculée, destinée à renforcer au maximum la position de la Serbie et ainsi assurer à Belgrade un rôle décisif lors des négociations sur le statut final.

« Belgrade comptait sur le boycott des Serbes du Kosovo pour soutenir l’argument selon lequel ceux-ci ont besoin d’un gouvernement autonome à l’intérieur du Kosovo », a expliqué Bekim Kastrati, analyste politique à Pristina.« D’autre part, en tant que parti politique commandité par Belgrade, la SKLM a manqué de ressources internes pour prendre des décisions autonomes. »Mais les dernières déclarations d’Ivanovic suggèrent que ces calculs ont perdu beaucoup de leur force...

La Serbie a souffert d’un déficit de prestige majeur l’an dernier après que la communauté internationale eut rejeté son plan visant à établir cinq régions autonomes serbes au Kosovo, toutes reliées par un corridor. Une telle impasse a montré que la Serbie renforçait sa position aux dépens des Serbes du Kosovo dont la dépendance vis-à-vis de Belgrade les a privés d’une voix crédible.

 

Kosovo : les fractures de la communauté islamique

 

Traduit par Nerimane Kamberi

Publié dans la presse : 20 juin 2005
Mise en ligne : mardi 5 juillet 2005

Depuis dix ans, ils sont apparus. Eux-mêmes prétendent défendre l’islam traditionnel, pourtant, nombreux sont ceux qui les considèrent comme un danger et une menace. Les Selefi, plus connus sous le nom de Wahhabi, font désormais partie de la société du Kosovo. Aujourd’hui, ils sont partout.

 

Par Ilir Mirena

La discorde verte

Parmi les nombreux fidèles de la nouvelle mosquée de Vucitern, on voit de nouveaux visages. Des enfants, des vieux hommes courbés... Et parmi eux on remarque inévitablement quelques hommes qui se distinguent par leur apparence et leur façon de prier. On les remarque, et pas seulement à la mosquée. « Voilà les barbus, les barbus ! », ces mots peuvent vous échapper ou vous venir à l’esprit lorsque vous les voyez passer près de vous.

Mais en dehors de leur apparence extérieure, peu nombreux sont ceux au Kosovo qui les connaissent vraiment (...)

Les Selefi et les Wahhabi

Le Wahhabisme est actuellement considéré par les théologiens de l’école religieuse islamique Hanefi, comme le courant le plus extrême et le moins tolérant de la religion musulmane. Les adeptes de ce mouvement, quant à eux, n’aiment pas être appelés Wahhabi. Ils préfèrent le terme Selef.

Albert Haziri-Zejdi, 29 ans, originaire de Gjilan et diplômé à l’Université de Zerkasé en Jordanie, est considéré comme un des représentants les plus influents des Selefi (ou Wahhabi) au Kosovo. Albert, qui vient de changer son nom en Zejdi, donne les raisons pour lesquelles ils n’aiment pas être appelés Wahhabi..

« Nous n’appartenons pas au même mouvement. Muhamemed ibn Abdul-Wahabi est seulement un des grands érudits de l’islam. En son temps, il permit au peuple d’accéder à une éducation religieuse. Ceux qui ne nous dénigrent, nous et notre nom, tentent d’effrayer les gens en leur disant que nous sommes Wahhabi » explique Albert, auteur du livre « Positions selefites dans certaines questions méthodologiques ».

Selon la doctrine wahhabi, toute personne qui ne suit pas les préceptes du mouvement est considérée comme takfir (non croyante). Le mouvement commence à s’étendre et avec elle l’intolérance envers les autres communautés religieuses..

« Il n’y a pas de différence essentielle entre les Wahhabi et les Selefi, il s’agit du même phénomène » souligne le conseiller de la Communauté islamique du Kosovo, Resul Rexhepi.

Les années ’90 et l’apparition des premiers Wahhabi

Le conseiller de la Communauté islamique se souvient de l’apparition des premiers Wahhabi au Kosovo. « Dans le temps ce mouvement n’était pas présent au Kosovo. Il est apparu ces 20 dernières années, principalement après la guerre au Kosovo » explique Rexhepi. Selon lui, ce courant est arrivé au Kosovo par les étudiants albanais revenant Arabie Saoudite, et de l’Université de Medina. « Cependant, on ne peut également exclure l’influence de quelques organisations venues principalement de l’Arabie Saoudite. Par le suite se sont développées des organisations kosovares converties au Wahhabisme ».

Pour les adeptes de ce courant, le Wahhabisme représente le salut de l’islam dans la région. Pour d’autres, ce mouvement constitue surtout une menace pour l’islam traditionnel pratiqué au Kosovo depuis presque six siècles. Si les responsables de la Communauté Islamique du Kosovo- la plus haute autorité islamique du pays - se gardent bien de faire toute la vérité sur ce mouvement, certains jeunes qui les ont côtoyés, affirment sans détours que les représentants Wahhabi arrivent pour prendre le pouvoir.

Gj.B précise avoir connu les Wahhabi en 1995 alors qu’il était élève à l’école coranique. Selon ses déclarations, on lui aurait proposé plusieurs fois de l’argent. Au Kosovo, beaucoup pensent que les Wahhabi sont soutenus financièrement par des organisations arabes. Pour Zejdiu de Gjilan, ce n’est que de la propagande de la Communauté islamique du Kosovo.

« Tout ceci n’est que mensonges. Je suis désolé que ces calomnies aient été colportées sur la place publique par quelques membres de la Communauté Islamique. Sans est-il possible d’attirer un jeune kosovar par l’argent, mais des dizaines, des centaines, des milliers ? »

Le grand schisme

L’apparition des Wahhabi a brisé pour la première fois l’unité de la Communauté Islamique du Kosovo. L’arrivée des Wahhabi semble avoir concurrencé le courant officiel Hanefi pratiqué depuis des siècles. Désormais ce dernier n’échappe plus à une remise en question...

« L’arrivée de ce courant a créé une division, c’est indéniable. Le fait simple qu’il y ait désormais des Sunnites et des Selefis a brisé une unité vieille de six siècles. Les musulmans du Kosovo et de la région sont à présent ébranlés » explique Resul Rexhepi.

Les partisans du Wahhabisme au Kosovo et dans la péninsule balkanique sont apparus après la chute du communisme et les guerres yougoslaves.

Pour les responsables de la Communauté islamique du Kosovo, ce mouvement ne correspond pas à l’identité des Kosovars. “L’école juridique hanefi, héritée de 6 siècles de traditions, s’adapte à la nature des Kosovars et au contexte dans lequel nous vivons” explique avec conviction le conseiller Rexhep. Pour Zejdiu au contraire, les Kosovars, comme les Musulmans du reste du monde, peuvent s’adapter facilement à cette forme de l’islam.

Danger ou réforme ?

Gj.B. n’est pas avare d’accusations contre les Selefi : « Ce sont des destructeurs. Toutes les attaques, le 11 septembre, Madrid et toutes les autres dans le monde sont commises par les membres de cette secte. Le prophète dit que le Musulman ne peut pas même abîmer l’arbre d’un croyant d’une autre religion et les Wahhabi lancent des bombes dans des lieux publiques. Ce sont des destructeurs. Ce n’est pas une école juridique comme les autres : le wahhabisme est simplement la chose la plus néfaste de la religion musulmane ».

« Contrairement à ce que pense le peuple, tout porteur de barbe n’est ni un terroriste, ni un fidèle de Ben Laden » répond Zejdiu.

Le Wahhabisme appelle à retourner aux pratiques traditionnelles de l’islam, celles de ses origines. Cela sous-entend la soumission de l’individu à des règles strictes : habillement spécifique, prières quotidiennes, attitudes strictes envers les femmes, etc.

Un musulman, un califat

« Le danger avec cette secte est qu’elle espèrent créer un jour ou l’autre un califat mondial. Milosevic affirmait que là où il y a une maison serbe, il fallait faire un état serbe, eux pensent que là où il y un musulman il faut créer un califat. Le jour où le Kosovo aura son indépendance, ils vont détruire l’islam ici » ajoute Gj.B.

Pour autant, actuellement on sait que les Wahhabi au Kosovo ne fonctionnent pas sous une forme organisée. Les responsables de la Communauté Islamique ne se sentent pas encore menacés par les Selefi. Selon Rexhepi, « malgré les faits mentionnés plus haut le CI ne se sent pas menacé. Pour nous ce sont des Musulmans et il n’y a pas de risque venant d’eux ». Le problème est que désormais l’unité des musulmans kosovars est brisée.

Zejdiu résonne autrement : « A cause de la voie juridique et religieuse qu’elle mène, nous n’avons aucun rapport avec la CI du Kosovo. Nous espérons que dans un avenir proche la CI va changer, elle se doit d’être plus tolérante avec nous ». Selon lui, ils n’existe pas encore de structure organisée au Kosovo. Ni de leader. « Aujourd’hui, nous sommes indépendants mais nous espérons que dans un avenir proche, nous allons être en mesure de constituer une structure organisée ».

Les structures parallèles

La Communauté Islamique ne dispose pas d’informations sur l’organisation institutionnelle des Wahhabi. Selon Rexhepi, « s’ils possèdent une forme d’organisation parallèle, ils seront considérés comme des dissidents ».

« Ils ont leur hiérarchie, mais elle est très secrète. Il est primordiale que cette secte ne parvienne pas à la tête de la Communauté Islamique du Kosovo. Si cela arrive, la secte s’institutionnalisera » déclare Gj.B. Selon lui ce phénomène prend de l’ampleur car l’économie reste dans une situation catastrophique. « Si vous observez ces gens, vous voyez qu’ils sont sans avenir. Pas de travail, pas d’école, rien ».

Refki Morina

« Je ne suis pas informé de quelque incident que ce soit avec eux, et nous n’avons pas non plus l’ordre de les suivre de façon particulière. Ils sont soumis aux mêmes règles que tous les autres habitants du Kosovo. Nous n’avons pas eu de problèmes ni avec les organisations arabes présentes et nous n’avons pas d’information sur des abus de leur mission ».

 

Statut du Kosovo : négociations, compromis ou décision internationale ?
Traduit par Stéphane Surprenant

Publié dans la presse : 18 mai 2005
Mise en ligne : samedi 28 mai 2005

Si les deux parties, serbe et albanaise, ne parviennent pas à se mettre d’accord et à trouver un compromis sur l’avenir du Kosovo, une solution imposée par la communauté internationale, basée sur le principe « d’indépendance conditionnelle », deviendrait de plus en plus probable.

Par Tim Judah

Après les émeutes de mars 2004 au Kosovo, il y a eu beaucoup de grincements de dents chez ceux qui sont impliqués dans les affaires balkaniques. D’abord, ils ont déclaré que ces événements tragiques constituaient « un réveil » puis, ils ont affirmé que « quelque chose devait être fait ».

Plus tard, les mêmes ont soutenu qu’ils n’avaient pas été entendus et que, tôt ou tard, le Kosovo replongerait dans la crise.

En fait, rien n’était plus éloigné de la vérité et un grand bal diplomatique a commencé à se mettre en place. Que tout cela mène au « statut final » du Kosovo ou à ce que les diplomates appellent son « statut futur » reste cependant à voir.

Le 27 mai, le Conseil de Sécurité de l’ONU va examiner le dernier rapport régulier produit par la Mission de l’ONU au Kosovo, mais officiellement présenté par le Secrétaire général Koffi Annan. Ce rapport doit évaluer les progrès faits au Kosovo au regard des « standards » établis comme objectifs à atteindre. Ceux-ci incluent les droits de l’homme et ceux des minorités.

De toute évidence, le Conseil de Sécurité va déclarer que le Kosovo a fait assez de progrès pour envisager un compte-rendu plus approfondi. Kofi Annan devrait ensuite désigner un vérificateur des standards pour mener à bien cette tâche. Le rapport du vérificateur, probablement positif, permettra de passer à l’étape suivante.

D’après des sources diplomatiques, Kofi Annan nommera un envoyé qui fera la navette diplomatique entre Pristina et Belgrade pour tenter de parvenir à une entente négociée. L’envoyé devrait commencer à travailler vers la mi-septembre. On discute de l’idée de le pourvoir de trois adjoints, un de l’UE, un des États-Unis et un de la Russie.

Plusieurs noms ont été mentionnés comme candidats au poste d’envoyé. L’un d’entre eux est celui de Carl Bildt, l’ancien Premier Ministre suédois, qui connait très bien les Balkans. Un autre est Giuliano Amato, ancien Premier Ministre italien. Toutefois, selon une source diplomatique, « tous deux pourraient s’être écartés eux-mêmes » en prenant part à la récente Commission internationale sur le Rapport des Balkans, qui avait proposé l’indépendance pour le Kosovo en quatre phases.

Reste comme candidat sérieux l’ancien Président finnois, Martti Ahtisaari, qui possède également beaucoup d’expérience dans les Balkans.

Les diplomates étasuniens et européens envisagent une navette diplomatique d’une durée de 6 à 9 mois. Si cela dure plus longtemps, pensent-ils, le processus va perdre son élan et risque de s’embourber indéfiniment - d’autant plus que les autorités serbes ont tout intérêt à remettre à plus tard toute issue un tant soit peu défavorable.

En préparation pour les pourparlers, les dirigeants serbes adoptent la formule « plus que l’autonomie mais moins que l’indépendance ». Ils veulent prévenir toute indépendance formelle tout en donnant l’impression qu’ils sont plus flexibles et raisonnables que les albanophones, qui exigent l’indépendance complète.

Néanmoins, des diplomates européens et américains influents croient que la position serbe est simplement impraticable, puisque tout semble indiquer que les Kosovars reprendraient les armes si le Kosovo était lié à nouveau à Belgrade.

Une des possibilités serait que le Conseil de Sécurité impose une solution, en tenant pour acquis que la Serbie et les Albanais du Kosovo ne pourront jamais s’entendre par eux-mêmes. Cela pourrait prendre la forme d’une « indépendance conditionnelle ». Cela n’impliquerait pas un retour du pouvoir serbe ni une partition formelle.

L’indépendance conditionnelle pourrait signifier, par exemple, que le Kosovo détienne un siège à l’ONU mais qu’un responsable international, semblable au Haut Commissaire en Bosnie-Herzégovine, puisse être nommé avec le pouvoir de réserve d’exercer un veto législatif.

Les zones à majorité serbe ou d’autres minorités pourraient bénéficier d’une autonomie élargie et une présence militaire internationale serait maintenue au Kosovo.

Cette solution ferait que l’indépendance totale serait remise à plus tard et la Serbie pourrait soutenir que le Kosovo « n’est pas vraiment indépendant ». En effet, elle conserverait un mot à dire dans certains cas, dans les districts autonomes ou en général, par exemple dans les domaines de l’éducation serbe et de la préservation des monastères et églises serbes.

D’un autre côté, avec les symboles de la souveraineté et une indépendance virtuelle, les Albanais pourraient prétendre que le Kosovo est devenu dans les faits un État indépendant, sans se préoccuper des détails restrictifs.

Mais quelque soit la solution imposée, elle impliquera que le statut du Kosovo soit redéfini après cette phase de transition, par exemple lorsque toute la région sera prête à se joindre à l’UE. Cela pourrait se produire vers 2014 au plus tôt.

Bien entendu, des événements imprévus peuvent toujours entraver le déroulement du processus diplomatique. Les Occidentaux espèrent ainsi que la Russie va appuyer ce plan, ce qui n’est pas acquis. Car la Russie pourrait bien s’y opposer et être ensuite ignorée si les États occidentaux reconnaissaient l’indépendance du Kosovo.

Les autorités serbes, dans une tentative destinée à prévenir tout recul, pourraient aussi refuser de négocier et ne pas reconnaître le choix de la communauté internationale. Si cela se produit, la Serbie risque cependant de perdre sa meilleure opportunité depuis longtemps de protéger ses intérêts et ceux de la minorité serbe du Kosovo.

 

La chronique du médiateur
Kosovo : « Les standards ! Les standards ! »
Traduit par Jacqueline Dérens
Mise en ligne : lundi 16 mai 2005

C’est dans la nature du travail du médiateur de faire une évaluation quotidienne informelle des véritables standards pour le Kosovo, pas de ces « standards pour le Kosovo », politiques, que la communauté internationale qualifie souvent de « références ».

Par Marek A.Nowicki, médiateur pour les droits de la personne du Kosovo

Ces standards politiques sont les critères mentionnés par les acteurs internationaux que les gens et le gouvernement du Kosovo doivent remplir ou au moins commencer à remplir pour ouvrir la voie vers le début des négociations sur le statut qui déterminera l’avenir de la province.

Les standards du médiateur sont plutôt d’une certaine façon autonomes vis-à-vis de la campagne promotionnelle des standards politiques. Ces standards sont des standards de base. Le niveau de leur réussite ou de leur échec est visible dans l’expérience quotidienne des gens ordinaires avec leurs autorités, leurs institutions publiques et leur voisinage. En d’autres termes, nous parlons de la vie de tous les jours.

Au cours d’une journée que j’appellerai « jour ouvrable », je reçois des plaintes de tout le Kosovo, des files de gens attendent parfois toute la journée, certains patiemment, d’autres moins, pour me parler de leurs problèmes individuels Mettez - vous à la place du médiateur pour une seule journée. Les histoires que vous allez entendre n’ont pas été particulièrement sélectionnées, mais ne sont pas non plus des cas isolés. Elles suffisent à donner une image diversifiée des doléances des gens qui poussent la porte du bureau du médiateur « un jour ouvrable ».

Un homme de 57 ans raconte comment il a travaillé pour les chemins de fer pendant 35 ns jusqu ‘à ce qu’il soit forcé de quitter son travail. Il est trop jeune pour avoir droit aux 40 euros mensuels de l’aide sociale et il ne peut pas prétendre à une pension ou à une autre forme de compensation. Dans un autre contexte, il pourrait trouver un travail ou recevoir une pension. Au lieu de cela, on l’a renvoyé sans autre forme de procès, sans aucune perspective d’un autre emploi. Il n’a plus qu’à compter sur la chance de vivre encore 8 ans pour espérer recevoir 40 euros de son gouvernement et son cas n’est pas isolé.

Un autre raconte que sa maison a été détruite pendant le conflit de 1999 et n’a toujours pas été reconstruite. D’autres familles albanaises du Kosovo ont réussi à faire reconstruire leurs maisons. Notre homme demande pourquoi ? - alors que lui et environ 1000 familles comme la sienne dans le seul quartier de Mitrovice/Mitrovica attendent de pouvoir reconstruire leurs maisons. D’un côté, il dit que la municipalité lui a indiqué qu’il n’y avait pas d’argent pour reconstruire ces maisons, ce qui est compréhensible. Mais cela fait six ans que ces familles attendent et elles disent qu’elle sont victimes de discrimination. Dans d’autres municipalités, la réponse à de semblables demandes pour reconstruire les maisons est la suivante : « Oubliez la reconstruction de votre maison. Notre préoccupation pour le moment est d’aider les minorités, selon les exigences des Standards Prioritaires indiqués par le gouvernement et la communauté internationale ». Où sont les standards pour ces familles, victimes du conflit et qui n’ont pas de toit , ou même un abri décent sur la tête ? Ailleurs, le message de nombreuses municipalités est sans équivoque : « Graissez-nous la patte et alors il y aura un bon motif pour mettre votre nom sur la liste des reconstructions, s’il y en a une ».

Un mari a perdu sa femme dans une violente attaque à Mitrovica Nord en février 2000. Pendant des années, il a attendu en vain que les auteurs de ce crime soient traduits devant la justice. Jusqu’à ce jour, rien n’a été fait à ce sujet. Il a aussi été chassé de son appartement et depuis cinq ans n’a réussi qu ‘à trouver des abris temporaires. Il fait partie de ces innombrables familles qui attendent des réponses à leurs questions : qui sont les tueurs ? qui sont les auteurs des crimes ? où est la justice ?

Un autre est venu me demander d’arrêter son voisin qui est en train de construire une maison illégalement sur un terrain adjacent à sa propriété. Le mur de la nouvelle maison a été érigé à quelques centimètres de sa maison, bloquant littéralement les fenêtres et créant ainsi un préjudice. Cet homme a porté son cas devant les tribunaux, mais il ne s’est rien passé. À cause de la passivité de la municipalité et des tribunaux, l’intégrité de sa maison est en danger, sans compter qu’on a empiété sur sa propriété. Où est l’inspection municipale ? Où est le juge prêt à agir ?

Par contraste, la municipalité de Prishtine/Pristina dans un effort pour apaiser le processus des Standards, a décidé de se battre avec détermination contre les constructions illégales. Les maisons ont été rasées sans avertissement et elles appartenaient à des familles pauvres et vulnérables. Mais pourquoi n’a -t -on pas envoyé les bulldozers d’abord vers les constructions illégales du centre ville dont certaines tours dominent le cœur de la ville et qui sont pour la plupart inhabitées ? Une application sélective de la loi ne conduit qu’à l’arbitraire et à la discrimination.

Ces histoires vous donnent un aperçu d’une « journée ouvrable ». La liste de ces questions est sans fin. J’ai délibérément mis de côté les questions qui affectent plus particulièrement les minorités, qui sont, en-soi, un autre problème. Mais, comme vous pouvez le voir, toutes les questions que j’ai soulevées ici sont d’une manière ou d’une autre liées aux standards du Kosovo.

S’il y a un certain progrès pour les Standards prioritaires, cela n’est pas une raison pour s’autocongratuler immédiatement. Pour atteindre les vrais standards, il a y encore beaucoup de travail à faire. On peut estimer que l’évaluation des standards politiques n’est que le premier pas d’un processus plus large qui mènera à une étape où les simples gens pourront avoir une vision future du Kosovo et accepter cet endroit comme un lieu sûr pour y vivre.

Si les pratiques que j’ai décrites comme exemples se perpétuaient, alors parler de la réalisation des standards serait pour reprendre la formule d’un plaignant, « une perte de temps ». C’est pour cette raison qu’il est essentiel de dire clairement que les standards dont nous parlons aujourd’hui ne sont que le commencement d’un long processus et non pas un exploit pour lequel nous devons nous féliciter et nous reposer sur nos lauriers.

Faire des efforts pour atteindre les standards et les maintenir est une lutte de tous les instants.

Kata Mester a contribué ce point de vue.

 

Kosovo : les maladies ravagent les camps de déplacés rroms et ashkali
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT

Publié dans la presse : 14 avril 2005
Mise en ligne : dimanche 17 avril 2005

Dans les camps de déplacés situés à Mitrovica, aux alentours des mines de Trepca, la contamination au plomb et à l’oxyde de souffre génère de nombreuses maladies. Les enfants comptent au nombre des premières victimes. L’ONU connaît le problème, mais ne fait rien.

Par Hajrudin Skender

Le petit Saban Cosa, trois ans, se promène dans le camp de personnes déplacées de Cesmin Lug avec une grosse plaie sur la tête. Sa famille, comme beaucoup d’autres des communautés rrom, ashkali et égyptiennes, ont trouvé refuge dans ce camp après la guerre de 1999, alors qu’ils avaient été chassés de leurs maisons par les Albanais.

Ils sont installés à seulement 500 mètres de la mine abandonnée de Trepca dans le nord du Kosovo. Le père de Saban, Agron, est convaincu que la plaie sur la tête de son fils est une conséquence de son empoisonnement au plomb dû aux substances résiduelles de la mine entreposées à côté.

Kablare et Zitkovac, situés à 3 km de Trepca, hébergent également des Rroms, des Ashkali et des Égyptiens. Tout comme à Cesmun Lug, les gens y sont exposés à des déchets toxiques de la mine. Les résidents des environs se plaignent aussi d’empoisonnement au plomb, affirmant que leur vie même est en danger.

Des tests menés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en juin 2004 démontrent que ces craintes pourraient bien être fondées, puisque 40 % des personnes examinées avaient un haut taux de plomb anormalement élevé dans leur sang.

Gerry McWeeney, représentant de l’OMS au Kosovo, explique que le plomb pénètre dans le sang de différentes façons, dont par la poussière et la nourriture contaminée.

Agron Cosa dit ne pas pouvoir faire grand chose pour son fils. « Nous avons découvert que Saban avait du plomb dans le sang lorsque l’OMS a fait les tests, c’est tout », raconte-t-il. « Ils ont dit qu’il devrait aller à Belgrade pour un traitement, mais nous n’avons pas d’argent pour ça ».

Les habitants de l’endroit disent que les sols ont été régulièrement contaminés par des gaz toxiques (plomb et oxyde de soufre) depuis 1927, quand la mine de Trepca a débuté ses opérations. Le rapport de l’OMS a établi que ses scientifiques avaient détecté des niveaux excessifs de plomb dans le sol, l’air et l’eau.

L’administrateur de l’ONU à Mitrovica, Joe Kazlas, a déclaré le 17 décembre 2004 que l’ONU était au courant du problème et avait pris certaines mesures pour y faire face.

« Les conséquences de l’empoisonnement au plomb affecte surtout les enfants et les femmes enceintes, alors nous avons loué un hôtel pour recevoir ces personnes afin de les éloigner des zones contaminées », dit-il. Néanmoins, Kazlas ajoute que plusieurs enfants et femmes enceintes ont refusé cette offre parce qu’ils ne voulaient pas être séparés de leur famille.

Le docteur Tatjana Cukic, pédiatre dans un centre de santé du nord de Mitrovica et qui visite occasionnellement les camps de Trepca, affirme que le problème n’est pas seulement causé par la proximité de la mine.

Elle soutient que les gens absorbent du plomb dans leur système sanguin parce qu’ils ne lavent pas leur nourriture adéquatement. « Si les gens ne lavent pas leurs fruits et leurs légumes avant de les manger, ils peuvent ingérer du plomb de cette manière aussi. »

Plusieurs résidents des camps déplorent que les autorités à Mitrovica fassent peu de choses pour les aider à améliorer la situation.

Cun Hajdini, dont la fille de 4 ans Fljurija souffre d’un empoisonnement au plomb, constate : « Personne ne se soucie de nous, nous sommes des gens oubliés ».

Une des suggestions pour régler le problème serait une relocalisation temporaire des habitants du camp dans la moitié sud de Mitrovica, contrôlée par les Albanais. Le projet est tombé à l’eau, car les résidents ne veulent pas déménager en territoire albanais.

Le docteur Cukic rappelle que la présence de plomb dans le sang pose de sérieuses menaces à la santé, en particulier celle des enfants. Après avoir examiné Saban Cosa, elle a prévenu que « Le plomb peut endommager le cerveau et causer des problèmes d’ouïe. Le niveau d’hormones peut être aussi affecté, ce qui peut limiter la croissance ».

« Il est certain que Saban aura toujours des problèmes d’anémie et de haute pression. Il pourrait avoir de la difficulté à parler et à étudier et sa mémoire pourrait être atteinte ».

Le médecin dit que les enfants et les femmes enceintes qui savent qu’ils ont du plomb dans le sang devraient manger une nourriture riche en calcium, ce qui contribue à expulser du corps les quantités excessives de cet élément. Mais l’accès à une telle diète n’est pas toujours facile compte tenu des conditions de vie misérables dans les camps.

Sadeta Gasnjani, qui a 13 ans, est une autre victime de la contamination. Son corps est couvert de plaies. « Au début, elles ressemblaient seulement à des égratignures », explique son père.

Quand les plaies se sont aggravées, il l’a emmenée voir un médecin qui a confirmé la présence de plomb dans son sang. « Le médecin a dit qu’elle devait prendre des vitamines et manger un certain type de nourriture, mais je n’ai pas d’argent pour lui acheter tout ça », dit-il.

 

Kosovo : sortir des visions tribales
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS


Mise en ligne : samedi 16 avril 2005

Quel avenir pour le Kosovo si ses habitants ne voient pas dans la personne qui marche vers eux d’abord un être humain, et non pas un Serbe, un Albanais, un Rrom ou un Askhali ? Cette vision tribale typique des sociétés pré-modernes, caractérise une société sur la défensive qui voit « l’autre » comme un risque ou une menace.

Par Marek A.Nowicki, médiateur pour les droits de la personne du Kosovo

Plusieurs personnes m’ont récemment fait cette remarque : « Si nous appartenions à une minorité, vous auriez une attitude différente. Vous auriez pu régler notre problème tout de suite ».

Qu’est ce qui donne maintenant l’impression à certaines personnes que les communautés minoritaires reçoivent parfois plus d’attention, ou sont parfois davantage favorisées par les institutions du Kosovo ? L’exemple qui suit peut aider à fournir une réponse possible à cette question

Il y a peu de temps, une famille albanaise et venue me demander de l’aide pour le dossier de reconstruction de leur maison détruite en 1999. Ils avaient contacté plusieurs fois la municipalité à ce sujet. La réponse la plus récente qu’ils ont reçu se résumait à cela : « Allez-vous en. Le seul argent disponible servira à la reconstruction des maisons serbes pour effacer les blessures de mars 2004 ».

À ce jour, la première estimation des standards pour le Kosovo a été remplie, même si elle n’est pas encore publiée. Il est bien sûr très important de parler des minorités, pas seulement dans le contexte des standards, parce que le niveau de développement d’une société peut être mesuré par le niveau de protection et de libertés dont bénéficient les communautés minoritaires. En d’autres termes, montrez-nous comment le Kosovo est en mesure de les protéger et nous prendrons connaissance de la « santé » politique et sociale de votre Kosovo. Cela permettra aussi de confirmer le degré de sincérité des dirigeants politiques qui traitent les questions des minorités et d’écarter certains doutes à ce sujet.

Toutefois, je ne peux pas m’empêcher de me demander si ces efforts pour montrer le soutien apporté aux minorités, après avoir atteint un point critique, ne courent pas le risque de devenir contre-productifs, étant donné les exemples que j’ai déjà mentionnés. Tout en faisant des efforts pour préparer une place convenable pour les minorités et pour leur assurer de bonnes conditions, le gouvernement ne doit pas dans le même temps ignorer les difficultés endurées par une grande partie de la population, en l’occurrence les Albanais.

D’une manière paradoxale, la population majoritaire pourrait se sentir marginalisée et croire que ses problèmes sont mis de côté et considérés comme moins importants que le processus des « standards avant le statut ».

Ayant dit cela, il semble raisonnable d’affirmer que le gouvernement et les gens au Kosovo doivent soutenir tous les efforts pour convaincre les minorités qu’il y a de la place pour eux dans la société, et pas comme citoyens de seconde classe.

Pour cette raison, il est primordial de maintenir un équilibre dans les messages envoyés au grand public, que ce soit dans la bouche des hommes politiques ou dans la façon dont fonctionnent les relations entre les institutions et la population. Tous les membres de la société devraient participer à la réalisation de cet objectif déclaré : que le Kosovo soit pour tout le monde.

Un observateur pourrait avoir la fausse impression qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire sur la question des minorités autre que les Serbes. Ai-je besoin de dire qu’il n’est pas seulement question des Serbes, mais de toutes les communautés non-albanaises, dont les besoins sont souvent ignorés ? quel soutien politique ou symbolique y-a-t-il pour les communautés rroms ou Gorani ?

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’efforts réalisés et visibles pour répondre aux besoins de ces communautés. Des panneaux et des affiches sont couramment érigés dans toute la région, dans toutes les langues officielles du Kosovo, ce qui est important parce que c’est une reconnaissance et un respect pour les racines traditionnelles, culturelles et historiques. Mais quelle valeur donner à cet exercice, si les gens qui ont vécu dans ces villes pendant des siècles ne peuvent pas retourner chez eux ou ne peuvent pas circuler librement dans la province et n’ont donc aucune chance de lire ces panneaux et affiches ?

Qu’est-ce que protéger les minorités veut dire ?

De bonnes lois peuvent être promulguées et des programmes spéciaux établis, mais s’il n’y a aucune volonté sociale pour adopter ces changements dans la vie quotidienne, il y a peu de chances de modifier le statu quo affligeant. Si la majorité des habitants ne veut pas accepter les minorités, ils disent ainsi qu’ils ne les acceptent pas en tant qu’êtres humains méritant les mêmes droits et privilèges dont eux-mêmes jouissent. Il est temps de commencer à prendre les gens pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des gens. Penser exclusivement en termes d’appartenance ethnique a produit des effets désastreux partout dans le monde.

Pour aussi important que soient le changement des noms de villes et des plaques devant les ministères, la question du retour des réfugiés ne peut pas être mise de côté. Il y a encore des milliers de personnes déplacées qui ne peuvent pas retourner chez elles, pas seulement après les événements de mars 2004, mais depuis 1999. Quand on discute de la création de bonnes conditions ou de la garantie des droits, tout en excluant une partie significative des Serbes, des Rroms et des Ashkali déplacés qui vivent au Kosovo ou en dehors du Kosovo, on remet en question l’effort d offrir à ces communautés une place vivable. On ne peut pas non plus soulever sérieusement la question du retour des réfugiés, quand on l’applique sélectivement à certaines minorités et que bien peu de choses sont faites pour le nombre considérable d’Albanais déplacés de Mitrovica nord.

Les efforts récents pour encourager le retour des réfugiés, même s’ils sont appréciables, ne répondent pas à la question de fond : retourner, oui, mais où ? Cela ne répond pas non plus aux questions de sécurité pour faire une telle offre.

La société, dans son ensemble, est-elle capable de créer un espace acceptable pour ces communautés, dans une situation ou presque tout le monde lutte pour sa survie ? Il est normal de voir, par des temps difficiles, surgir une attitude d’auto-préservation, en s’occupant de sa famille et de sa communauté. Il y a beaucoup de gens fatigués, pauvres et affamés, mais cela n’est pas une excuse pour une situation où les premiers à souffrir dans ces conditions sont d’abord les minorités. Il est certain qu’au Kosovo, les relations sont contrariées par des blessures profondes qui n’aident pas au changement d’attitude. En même temps, est-ce que la majorité de la population va s’asseoir à la table et laisser les minorités debout jusqu’à ce que leurs jambes se dérobent sous eux ? Est-ce que les gens vont, au contraire, comprendre que, dans une situation où il y a deux places et trois convives, chacun doit accepter un peu d’inconfort pour faire de la place à tous ceux qui ont besoin de s’asseoir à cette table ? C’et le défi, mais c’est aussi exactement cela, les standards.

Qu’est-ce que le Kosovo peut offrir à l’Europe dans l’avenir, si ses habitants ne voient pas dans la personne qui marche vers eux d’abord un être humain, et non pas un Serbe, un Albanais, un Rrom ou un Askhali ? Cette vision tribale typique des sociétés pré-modernes, caractérise une société sur la défensive qui voit « l’autre » comme un risque ou une menace. Sans un changement général dans l’attitude de la population, les panneaux indicateurs des villes continueront à être recouverts de graffitis.

Kata Mester a contribué à ce point de vue.

 

Le Kosovo et les « standards » de l’ONU : mission impossible ?
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS

Publié dans la presse : 1er avril 2005
Mise en ligne : vendredi 8 avril 2005

Cet été, le Kosovo devra faire face à un examen critique de l’avancée des « standards » exigés par l’ONU, ce qui pour la majorité des Albanais représente un espoir pour l’indépendance. Toute la question est cependant de savoir si la province répondra aux conditions nécessaires pour que de réelles négociations commencent.

Par Stacy Sullivan

Des réformes politiques en panne, la question des droit des minorités et une économie qui stagne, tout cela alimente la colère des Albanais qui pensent que les discussions sur le statut final n’avancent pas.

En dépit de signes de progrès, le Kosovo a du mal à répondre aux exigences internationales qui le sortiraient du statut ambigu de protectorat, qui le laissent dans les limbes, ni sous la direction de la Serbie, ni indépendant.

Une économie dépressive, un nationalisme radical qui enfle et une hostilité envers l’administration de l’ONU indiquent que le statu quo n’est plus tenable et pourtant ces signes de début de crise ne semblent pas influencer l’allure nonchalante de la communauté internationale pour résoudre le problème.

La sortie en douceur de Ramush Haradinaj camoufle la colère sourde de l’opinion

Plusieurs hommes politiques ont cru voir, dans la façon dont le Premier ministre avait démissionné et s’était rendu au tribunal de La Haye pour répondre de l’inculpation de crimes de guerre, le signe de la maturité politique des institutions du Kosovo pour envisager le début des discussions pour l’indépendance

Robin Cook, l’ancien ministre des affaires étrangères britannique, a déclaré dans le quotidien The Guardian que « Haradinaj avait rendu un plus grand service au Kosovo en encourageant son peuple à accepter la loi internationale que par toute décision qu’il aurait pu prendre au gouvernement. Le Kosovo est peut-être maintenant plus proche que jamais d’un statut d’indépendance accepté par la communauté internationale ».

Mais cet exil en douceur cache colère et frustration, auxquelles s’ajoutent une économie stagnante, la perception d’une administration internationale arrogante et éloignée des réalités, une direction politique locale intransigeante, qui répond à l’entêtement de Belgrade, un radicalisme grandissant sur les campus universitaires et dans les villages une population bien armée. Tout cela pourrait avoir pour résultat un regain de violence surtout si les discussions pour résoudre la question du statut ne vont pas dans le sens souhaité.

Les standards sont-ils impossible à atteindre ?

La plupart des experts s’accordent à dire que le Kosovo a peu de chance de répondre aux standards énoncés dans le document de l’ONU de 120 pages, en particulier le respect des droits des Serbes et des autres minorités, la démocratisation des institutions, une économie viable et le respect de la loi. Un diplomate avoue que cela n’est pas uniquement de la faute des dirigeants politiques du Kosovo. La responsabilité de la direction du Kosovo est partagée entre le gouvernement provisoire et la MINUK et les deux parties ont des torts.

Les pourparlers avec Belgrade pourraient reprendre

Le départ de Ramush Haradinaj a permis la reprise du dialogue entre Belgrade et Pristina. Dés le lendemain de sa démission, le gouvernement de Serbie a accepté de rencontrer les dirigeants du Kosovo pour discuter du de la question des personnes disparues dans les deux camps.

Pourtant Haradinaj, qui était un dirigeant politique dynamique et efficace, avait réussi à faire plus pour la minorité serbe que n’importe quel autre dirigeant politique albanais, faisant même avancer un projet pilote controversé pour accorder l’autonomie à un quartier à majorité serbe près de Pristina.

L’administration du Kosovo montre peu d’empressement sur la question des droits des minorités

Le respect des droits des minorités est une des conditions fondamentales pour que les discussions sur le statut commencent. Mail il est évident que les dirigeants albanais n’ont pas fait grand chose pour faciliter le retour des Serbes, ni pour garantir leur sécurité ou pour nourrir une culture de la tolérance.

L’alphabet cyrillique a disparu du Kosovo, la langue serbe ne s’entend plus que dans les enclaves. À chaque coin de rue, on trouve des monuments à la gloire des anciens combattants de l’UCK, le stade de Pristina est décoré d’un portrait d’Adem Jashari [1], considéré comme un héros de la lutte d’indépendance. Son village natal est devenu un vrai musée où l’on amène les enfants albanais en voyage scolaire.

Il y a peu de discussions dans les médias albanais sur les exactions commises par l’UCK pendant la guerre, et il n’est pratiquement pas admis par l’opinion publique que les Serbes et les autres minorités ont été agressés depuis la fin du conflit. Dans un sondage publié par RINVEST, un tiers des interrogés se disaient hostiles aux droits des réfugiés de retourner au Kosovo.

Dans tout le Kosovo, on peut lire des graffitis proclamant « Pas de retour pour les Serbes ». Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater que peu de Serbes sont revenus et que ceux qui sont restés craignent pour leur vie.

Les Serbes se sentent vulnérables

À l’ouest du Kosovo, les enclaves sont toujours gardées par les troupes de l’OTAN et les harcèlements sont fréquents.

Même dans la ville de Gnjilane/Gjilan, où l’on dit que les relations entre Serbes et Albanais sont meilleures que partout ailleurs, les tensions sont aveuglantes.

Les Serbes et les Albanais ont deux marchés en plein air différents. Les Serbes ont droit à un petit endroit dans une allée loin de tout contact avec la population albanaise du village.

Un vieux Serbe de 78 ans, Velibor Zivkovic, qui tient un étal de légumes secoue la tête en disant « je vis ici. Je n’ai jamais touché à personne et personne ne m’a touché jusqu’en mars 2004 ». Il était au marché quand l’émeute a commencé à Gjilan. Il a été entouré par une foule menaçante quand son voisin albanais, Feti Xhemaili, est venu à son secours et l’a abrité chez lui pendant quelques jours. Son fils a quitté le Kosovo et s’est installé en Serbie. En allant à l’école, les enfants cognent à la porte du vieux Velibor et l’insultent. « J’aimerai bien que leurs professeurs leur disent de ne pas faire cela », soupire-t-il.

Dans la ville voisine, à Kamenica, les relations semblent meilleures. Au café Zuca, tenu par un Serbe, deux Albanais, un Serbe et un Rrom boivent de la bière ensemble à l’heure de la pause du déjeuner.

Mais même ici, la tolérance a été ébranlée pendant les émeutes de mars 2004. Sinisa Milenkovic, un prêtre orthodoxe dont l’église a été entourée d’une foule hostile, dit que la police n’a rien fait pour l’aider. « Ils étaient du côté des assaillants, ils dirigeaient les projecteurs sur les biens des Serbes pour que les émeutiers sachent où aller ».

Les dirigeants locaux serbes ne se sont pas engagés

Les dirigeants serbes du Kosovo portent aussi la responsabilité dans l’absence de réconciliation. Belgrade soutient les structures parallèles dans les enclaves et apportent un soutien financier aux Serbes du Kosovo, ce qui les éloigne de toute participation dans le gouvernement de Pristina.

Les représentants serbes du gouvernement du Kosovo ont constamment refusé de participer aux groupes de travail pour l’application des normes de l’ONU. Les autorités serbes locales ont toujours insisté pour que le Kosovo soit divisé en entités, sur le modèle des divisions ethniques mises en place par les accords de Dayton en Bosnie.

Les deux parties sont toujours aussi éloignées en ce qui concerne l’avenir du statut du Kosovo. Selon de nombreux sondages, 85 % des Albanais sont pour un Kosovo indépendant et les 15 % restants souhaitent une unification avec l’Albanie. Personne ne veut de l’autonomie au sein de la Serbie. Parmi les Serbes du Kosovo, tous veulent que le Kosovo fasse partie de la Serbie.

Un radicalisme croissant

Six ans après la fin du conflit, la lenteur des progrès pour commencer des discussions sérieuses sur le statut légal du Kosovo est mal reçue sur le terrain.

Les Albanais en ont assez de la MINUK qu’ils ressentent comme un obstacle sur le chemin de leurs aspirations à l’indépendance. On peut craindre que certains pensent que la reprise de la violence serait la meilleure façon de faire avancer leur programme.

La dernière semaine du dernier mois de mars, une grenade a été lancée sur un véhicule de l’ONU, une mine anti-char a été retrouvée sous un autre, il y a eu une explosion devant le quartier général de l’ONU à Pristina, et l’on a tiré sur l’antenne parabolique de l’ONU.

On peut aussi avoir des soucis avec des éléments plus radicaux comme les étudiants ou les anciens combattants. Faik Fazliu, président de la Société des Invalides de Guerre reconnaît qu’il ne serait pas mécontent de voir la communauté internationale se retirer. « Nous sommes reconnaissants pour l’assistance de la communauté internationale, mais maintenant elle doit partir. Nous devons atteindre notre but. Les Kosavars ne font pas confiance à la MINUK ».

Les représentants de l’ONU peuvent sentir cette hostilité sur le terrain : « Ils en ont plein le dos de la MINUK », reconnaît un policier allemand qui sert dans les rangs des forces de l’ONU.

L’abondance des armes disponibles est un souci majeur en cas d’insurrection. On estime à plus de 300 000 les armes légères aux mains des Albanais. En 2003, la campagne de désarmement de l’ONU a permis de récolter 155 armes au lieu des dizaines de milliers attendues, malgré l’offre d’une amnistie et d’une somme d’argent.

La faillite économique

Quand la MINUK est arrivée en 1999, elle avait un mandat sur quatre points : mettre en place une administration civile, construire une force de police et un système judiciaire, établir des institutions démocratiques et surveiller la reconstruction économique.

Sur ce dernier point, le bilan est particulièrement décevant. Même si le Kosovo a connu un taux de croissance positif spécifique à toutes les économies après un conflit, cela est dû à l’injection de l’assistance étrangère, ce qui n’est pas une situation durable sur le long terme. Par contre, les perspectives de production restent sombres.

L’agriculture reste une agriculture de subsistance, aux méthodes obsolètes ; le gros de l’activité économique repose sur les services, comme les cafés et les petites boutiques et un commerce transfrontalier, sans oublier beaucoup de contrebande.

Pour relancer l’économie, il était entendu que les entreprises d’État, fermes, mines ou usines, devaient être privatisées. Pendant 18 mois, les juristes ont discuté sur l’aspect légal des privatisations. Pour certains, l’ONU n’avait aucun droit sur les entreprises du Kosovo puisque la province n’avait pas de statut. L’État serbe, de son côté, affirmait ses droits sur ces entreprises puisqu’il n’y a pas eu de changement officielle des frontières.

Pour finir, la MINUK a crée une institution pour les privatisations, Kosovo Trust Agency (KTA) et a délégué à l’Union Européenne la surveillance du processus.

Un an après l’arrivée de l’ONU, la KTA a commencé à travailler avec l’énorme responsabilité de privatiser 500 entreprises d’État ayant toutes des dettes envers les autorités yougoslaves. Elle organisa des ventes aux enchères publiques et ces propriétés, bien que de peu de valeur, trouvèrent des acquéreurs parmi les Albanais de la diaspora qui avaient envie d’investir dans leur pays d’origine.

Mais chaque fois que la KTA trouvait un acheteur, Belgrade faisait des objections à la vente en prétendant que la Serbie était le véritable propriétaire. Des procès s’ensuivirent, mais le pire est arrivé quand un Roumain a prétendu être le vrai propriétaire d’une usine qui venait d’être vendue et qu’il a porté plainte contre la KTA devant un tribunal de New -York.

Les représentants de la KTA, pris de panique, ont suspendu toute privatisation jusqu’à ce que le Kosovo ait un statut définitif. Après huit mois de querelles entre l’UE, le bureau des Nations Unies à Pristina et des accusations de népotisme de la part de la KTA, le processus a repris avec la lenteur d’un escargot.

L’incapacité de la KTA de vendre les entreprises d’État a eu un effet désastreux sur l’économie car elles comptent pour la moitié des biens immobiliers du protectorat, et aucune ne peut se développer. Ce qui est catastrophique pour la compagnie nationale d’électricité (KEK) qui ne parvient pas à fournir l’énergie en quantité suffisante et pratique des coupures à répétition.

Dans ces conditions il est pratiquement impossible d’attirer les investissements étrangers. « J’ai passé deux à ans à aller d’un bureau à l’autre », se plaint un homme d’affaires albanais de Brooklyn qui voulait construire une centrale hydro-électrique à Decan.

Pas d’avenir pour la nouvelle génération

Le Kosovo a la population la plus jeune d’Europe, qui arrive sur le marché du travail et ne trouve pas d’emplois. Ni les usines d’État, ni l’agriculture de subsistance, ni les petits commerces ne peuvent absorber cette masse de jeunes à la recherche d’un emploi. On estime le taux de chômage à plus de 60 %, mais beaucoup travaillent dans le secteur informel.

Le revenu des ménages doit beaucoup à l’argent envoyé par la diaspora. Il est certain que ces problèmes économiques ont été un facteur aggravant dans la flambée de violence de mars 2004.

Pour le Père Milenkovic, dont la maison et l’église ont été endommagées par une foule en colère, la situation économique catastrophique est plus responsable de ces événements que l’intolérance. « Si ces jeunes avaient du travail, ils seraient restés calmes et rien de tout cela ne serait arrivé ».

La ville de Glegovac illustre bien cette situation. C’est une petite ville minière au cœur du Kosovo, où vivaient 2000 familles avant la guerre. Les gens travaillaient à la mine, dans l’industrie textile ou bien dans une usine d’élevage de volailles. Pendant le conflit, 85 % des maisons ont été détruites ainsi que la mine, l’usine et l’élevage, soit brûlés par les forces serbes, soit touchés par les bombardements de l’OTAN..

La plupart des maisons ont été reconstruites et, en prévision de la réouverture de la mine et des autres entreprises, un complexe commercial géant appelé Quendra Zejtatre a été construit en centre ville.

Le complexe minier Feronikel devait être vendu aux enchères par la KTA en septembre dernier mais il attend toujours un acheteur et reste donc fermé. Sans mine, sans usine, le centre commercial est un complet fiasco. Sur la route qui mène à ce centre aux boutiques aguichantes, une famille de cinq personnes vit dans un complet dénuement dans un garage sans électricité, ni eau et n’a pas les moyens d’acheter de médicaments pour le bébé malade.

Un représentant de la KTA explique qu’étant donné les conditions économiques, ce qu’on exige du Kosovo est hors de sa portée. « C’est une situation absurde. On dit aux Albanais de reconstruire les églises détruites en même temps qu’on exige d’eux qu’ils atteignent les standards, alors que 70 % de la population est au chômage, mais c’est absurde ! »

Un engagement diplomatique est nécessaire

Les experts s’accordent pour dire qu’une façon d’éviter une flambée de violence, qui serait vraisemblablement dirigée contre la MINUK, serait de ranimer une diplomatie indolente qui n’a rien rapporté.

« Cela avait du sens en 1999 de retarder les décisions sur le futur statut, mais depuis six ans personne n’a osé s’attaquer au problème », remarque un diplomate américain qui est dans les Balkans depuis dces dix dernières années.

L’ONU n’a pas l’air de vouloir prendre la direction des affaires. Le nouveau chef de la MINUK, Soren Jessen-Petersen a montré son efficacité mais il doit rattraper des années d’inaction.

Le Washington Post a demandé, le mois dernier, au Président Bush de nommer un envoyé spécial américain pour servir de catalyseur. Attirer l’attention de Washington, ou son engagement, à un moment où l’Amérique est préoccupée par ce qui se passe en Irak, s’avère difficile.

Les décideurs politiques américains disent qu’ils veulent voir l’UE prendre la direction diplomatique au Kosovo. Ce n’est peut-être pas souhaitable pour les Albanais du Kosovo, car les Américains se sont montrés plus enclins à accorder l’indépendance au Kosovo que leurs collègues européens qui évitent de prononcer ce mot.

« Pour les USA, ce n’est pas juste de rendre responsables les Albanais du Kosovo pour des choses qu’ils ne contrôlent pas. Nous pensons que l’on devrait faire signe au Kosovo de s’engager sur les discussions pour le statut, même si le Kosovo est loin d’avoir atteint les standards », affirme ce diplomate qui veut garder l’anonymat et il ajoute qu’il faut arrêter de chercher l’accord de Belgrade. « Jamais les Serbes ne seront d’accord pour abandonner le Kosovo., Ce qu’il faut faire, c’est réduire leurs capacités d’obstruction au minimum ».

Les Européens ne voient pas la question sous cet angle. « En Europe, l’indépendance du Kosovo est loin d’être une conclusion acquise. Personne en Europe dira que le Kosovo doit être indépendant », affirme un représentant de l’UE à Washington qui souhaite aussi garder l’anonymat.

Une chose est certaine : que cela soit l’ONU, les Américains ou l’UE, quelqu’un doit prendre l’initiative, parce que si personne ne le fait, des hommes armés le feront une fois encore.

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[1] Ancien commandant de l’UCK, tué en mars 1998

 

Personnes disparues au Kosovo : un grand pas en avant
TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC

Publié dans la presse : 17 mars 2005
Mise en ligne : vendredi 18 mars 2005

Une réunion du groupe de travail albano-serbe s’est tenue cette semaine à Belgrade. La liste de la Croix Rouge sur laquelle figurent les noms des portés disparus a été adoptée comme un document unique par les délégations serbe et albanaise. Cette liste comporte 2960 noms, dont 2300 albanais.

Le président du Groupe de travail pour les disparus au Kosovo, François Shtum a déclaré hier que les membres de ce groupe ont convenu de valider la liste du Comité international de la Croix rouge pour toutes les parties inclues dans l’élucidation du sort des disparus. François Shtum, qui est aussi le chef de la mission du CICR pour l’Europe du sud-est, a déclaré aux journalistes après la réunion tenue à Belgrade que la liste comportait 2.960 noms de personnes portées disparues en 1998, 1999 et 2000, en ajoutant que les Albanais représentaient la majorité de ces disparus. « Le CICR ne désire pas préciser les chiffres relativement à l’appartenance ethnique et considère que la responsabilité de toutes les parties est égale », a souligné François Shtum.

D’après lui il est important que tous les participants du Groupe de travail se soient mis d’accord sur une liste unique, car il arrive fréquemment que chaque partie insiste sur sa propre liste et complique ainsi le travail. Les deux parties, constate François Shtum, savent que leur devoir est de donner des réponses aux familles qui ne savent rien du sort des leurs depuis plus de six ans. Il est essentiel que cette question soit réglée, d’abord pour des raisons humanitaires, mais aussi pour des raisons de réconciliation et d’avenir. François Shtum a annoncé que la prochaine réunion du Groupe de travail se tiendrait le 9 juin à Pristina.

Veljko Odalovic, à la tête de la délégation belgradoise, a précisé que 2 300 Albanais se trouvaient sur la liste, le reste étant des non Albanais, et que le principal était que tous ont été d’accord pour que les disparus soient traités de manière égale, quelle que soit la nationalité, le lieu, le moment et la manière de leur disparition. « Il est bon que le Groupe de travail poursuive ses recherches quotidiennement pour élucider les cas de disparus et que le règlement de ce problème contribue aussi à régler les autres problèmes au Kosovo », a constaté Veljko Odalovic.

Le représentant de la délégation de Pristina, Nedzmedin Spahiju, a exprimé sa satisfaction sur les conclusions de la réunion et sur le fait que le travail du Groupe continue malgré la démission et le départ pour La Haye du premier ministre Ramush Haradinaj la semaine dernière. Spahiju est convaincu que le gouvernement kosovar fera tout son possible pour éclaircir le cas des portés disparus. Olgica Bozanic représentait les familles dont les membres sont disparus au Kosovo et a déclaré que la réunion de ce jour était un encouragement pour toutes les familles car « elles savent finalement qu’elles ne sont plus seules et que le gouvernement a pris sur soi de s’occuper d’elles ».

Le chef de la Minuk, Soren Jessen-Petersen a salué la poursuite du dialogue entre Belgrade et Pristina et a estimé qu’il s’agissait « d’une question humanitaire délicate ».

« Le principal devoir du Groupe de travail sera de donner des réponses concrètes aux familles des disparus. Je suis reconnaissant au CICR et je me réjouis de la prochaine réunion en espérant qu’un réel progrès sera très bientôt remarqué ».

Nenad Djurdjevic, du Forum pour les relations ethniques, à déclaré à la radio B92 que la tenue de cette réunion signifiait une grand pas en avant et montrait que la partie albanaise était prête à se rendre à Belgrade et à participer aux discussions directes : « Comme chaque partie a sa propre liste de disparus il est essentiel de coordonner toutes les informations autour d’une table, d’autant plus que le Tribunal de La Haye détient aussi une liste de personnes disparues ».

Nenad Djurdjevic pense aussi qu’il faudrait régler les droits statutaires des familles : « étant donné que les personnes sont portées disparues, aucune procédure de succession ne peut être effectuée, de sorte qu’il faudrait demander au gouvernement républicain de délivrer un document sur la base duquel ces personnes pourraient être proclamées défuntes afin que leurs familles puissent faire valoir leurs droits de succession ».

 

ZËRI
Attentat manqué contre Ibrahim Rugova : le Kosovo entre dans une zone de turbulence
TRADUIT PAR BELGZIM KAMBERI

Publié dans la presse : 16 mars 2005


Le Président du Kosovo a échappé à une tentative d’attentat mardi 15 mars. Cette attaque, qui n’a pas été revendiquée, est un signe inquiétant pour l’avenir. Le Kosovo va-t-il entrer dans une période de vide et d’incertitude politique ?

Les surprises se succèdent au Kosovo. Après les bonnes, les mauvaises surprises sont aussi à l’ordre du jour. Les bonnes - comme tout le monde peut le penser - ont rapport avec la façon dont a été géré la publication de l’acte d’accusation du Tribunal de La Haye contre Ramush Haradinaj, l’ancien Premier ministre du Kosovo, le 8 mars dernier.

Tout d’abord, en raison du comportement même de Ramush Haradinaj, la société kosovare a réussi à transformer l’essai de La Haye. Lors des deux derniers jours qu’il a passé au Kosovo avant son départ pour La Haye, Ramush Haradinaj a su gérer la crise prévue depuis des mois, en conséquence de l’acte d’accusation du Tribunal pour les crimes de guerre de l’ex-Yougoslavie. Ainsi, contrairement à toutes les craintes, non seulement il n’y a pas eu de grands problèmes mais, au contraire, le Kosovo a amélioré sa position internationale, comme cela a été constaté dans le pays et dans toutes les capitales occidentales.

Quelques jours seulement après cet examen très difficile pour le Kosovo, qui sera sûrement pris en compte lors de l’évaluation générale du processus de réglement final du statut, les explosions de Pristina et de Mitrovica ont créé des problèmes inattendus.

L’attentat le plus dangereux est celui de mardi matin. La cible de l’explosion était la voiture du Président du Kosovo, Ibrahim Rugova. La semaine dernière, la stabilité a été assurée par le mérite du Premier ministre Haradinaj, cette fois-ci tout dépendait de la chance et du hasard. On peut imaginer ce qui aurait pu se dérouler au Kosovo, si la vie du Président Rugova avait réellement été mise en danger.

Dans les circonstances actuelles, on peut seulement spéculer sur les responsabilités des dernières explosions. Sont-elles toutes liées entre elles ? Qui a attaqué le président Rugova ? Quelles sont les objectifs de l’attaque du mardi 15 mars et puis quelles sont les rapports entre ces explosions et les événements de La Haye ainsi qu’avec le gouvernement du Kosovo ? Tout comme lors des cas similaires dans le passé, il n’est pas difficile d’identifier la partie la plus lésée, à savoir la société kosovare. Ces explosions vont remettre en cause les succès de la semaine passée. Le retentissements des explosions de Pristina se fait maintenant entendre, pour le plus grand mal du Kosovo, au contraire des appels des hommes politiques du Kosovo, en premier lieu celui de Ramush Haradinaj, la semaine passée, qui réunissait la rationalité et le pragmatisme politique.

Quoi qu’il en soit, la première chose qui nous vient à la pensée, comme réponse à la surprise de ces explosions est que la question du gouvernement du Kosovo, après le départ de Ramush Haradinaj à La Haye, doit se refermer le plus vite possible. Peut-être que les derniers incidents n’ont aucune liaison avec cette question. Mais tant que la question sera ouverte, tant que le gouvernement du Kosovo, quel qu’il soit, en se basant sur un accord entre les partis politiques, n’aura pas reçu à nouveau la confiance du Parlement du Kosovo, ce vide, cet inconnu, peuvent être exploités par tout le monde. Indépendament des motifs des uns et des autres, cela met en danger l’avenir du Kosovo.

 

Pristina - Belgrade : des jeunes tentent de lancer des ponts vers la réconciliation
TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC

Publié dans la presse : 12 mars 2005
Mise en ligne : mardi 15 mars 2005

Des jeunes Serbes choisissent de se rendre à Pristina, et des jeunes Albanais du Kosovo viennent à Belgrade. Le Bureau pour les initiatives des jeunes pour les droits de la personne humaine, une ONG de Pristina, essaie de reconstruire les bases d’un dialogue direct. Une expérience enrichissante.

Par Milica Jovanovic

« D’après ce que me racontaient mes parents lorsque j’étais enfant, j’imaginais que Belgrade était le centre de l’Europe, il me semblait que tout ce qui était beau et important s’y déroulait », raconte Neki Emra, étudiant en dernière année de la Faculté électro-technique de Pristina. À la fin du mois de février dernier, Neki, pour la première fois de sa vie, a visité Belgrade qui est entre temps devenu grisâtre et a perdu quelque peu de son charme. Bien que ravi d’avoir découvert la fourmilière urbaine et les jolies filles, Neki rêve aujourd’hui de connaître d’autres métropoles. « J’aimerais rester au Kosovo pour y travailler et gagner suffisamment d’argent pour pouvoir voyager à travers le monde. J’aime les grandes villes, j’aime éprouver ce sentiment que tout le monde a sa place ».

Neki Emra est originaire de Pristina et il venu accompagné de Ema Gjevori, la future directrice de la société slovène Gorenje à Tirana ainsi que de l’artiste peintre Fitore Berisha Lekaj, du Bureau pour les initiatives des jeunes pour les droits de la personne humaine à Pristina. Le projet de cette organisation non gouvernementale dénommée « Alternativni dijalog Kosovo-Srbija », dont le siège est à Belgrade, a été lancé au début de l’année comme un service unique en son genre destiné aux étudiants et aux jeunes professionnels. À travers des liaisons directes un dialogue s’est instauré pour la première fois entre deux mondes en apparence inconciliables.

« J’ai vu l’invitation sur le réseau académique, j’ai postulé et j’ai eu des entretiens avec les organisateurs de l’Initiative, puis je me suis rendu à Pristina », explique Marko V. Milosevic, un étudiant post-universitaires belgradois qui collabore aussi avec l’Institut de géographie près de l’Académie serbe des sciences et des arts (SANU).

Marko et son collègue, Igor Miscevic, également étudiant post-universitaire et enseignant de géographie à l’école secondaire de Stara Pazova, disent que c’est par curiosité qu’ils ont voulu restaurer, uniquement de leur propre initiative, en dehors des canaux officiels, une passerelle de communication. « Les personnes plus âgées ont le droit de ne pas se pardonner mutuellement, ils se sont fait beaucoup de mal entre eux, et c’est à eux de se confronter avec cet héritage. Un jour, nous allons nous trouver dans l’Union européenne et il est vraiment absurde de ne pas faire connaissance alors que nous sommes voisins ». Il ajoute que malgré ses craintes et un peu d’embarras lors de son départ pour Pristina, « c’est dans les ports que les bateaux sont le plus en sécurité, mais ils ne sont pas prévus pour cela ».

« J’ai voulu venir et me rendre compte de la manière dont vivent les gens à Pristina, raconte Igor. « La seule image que j’ai du Kosovo c’est celle que nous présentent les médias, où il n’y a pas de place pour les histoires vécues des gens ordinaires dans leur vie quotidienne, on ne nous montre ni l’art ni la culture, ni les sciences, rien. Seulement la haine ».

L’« oasis » de Pristina

Igor et Marko disent que l’atmosphère à Pristina était chaleureuse mais soulignent que la capitale kosovare est néanmoins une oasis rare. « Il y a des jeunes Albanais de pensée libérale avec lesquelles nous partageons nos opinions, avec lesquelles ils est facile de discuter, tout comme ici. Des deux côtés, il y a ces oasis que nous nous devons de cultiver », constate Marko. Avant leur départ à Pristina, les organisateurs de l’Initiative des jeunes ont remis leur « liste de souhaits », c’est-à-dire les personnes qu’ils désiraient rencontrer. C’est aussi ce qu’ont fait Ema et Neki avant de partir pour Belgrade, avec l’aide de Fitore. Depuis des professeurs d’université, des artistes, journalistes, jusqu’à des rencontres fortuites.

« Il serait intéressant que j’aille maintenant à la table voisine en disant, « salut, je suis un Albanais du Kosovo, bavardons donc un peu », propose Ema Gjevori au groupe pristino-belgradois assis autour d’une table dans un café.

Ema, diplômée de management d’affaires de l’Institut suédois à Pristina, est actuellement en stage dans une société slovène et se prépare à partir à Tirana pour diriger les nouveaux bureaux. Elle a terminé ses études secondaires et supérieures en Angleterre et elle passe ses loisirs à faire des films. Récemment, avec un groupe de collaborateurs de différentes communautés ethniques au Kosovo, elle a filmé un documentaire « Quatre ans après », qui a été diffusé à la RTV Kosovo. Les auteurs ont discuté avec leurs concitoyens, les Rroms, les Serbes et les Albanais, en notant avec exactitude la quotidienneté de la société post-conflictuelle.

Quel dialogue ?

« Le dialogue existe aussi parmi les politiciens du Kosovo et de la Serbie, bien qu’ils ne communiquent pas directement, ils échangent constamment des injures et des accusations. Pendant ce temps, nos vies s’arrêtent, nous attendons des temps meilleurs », commente Neki Emra. « Il est difficile d’être étudiant dans une faculté qui n’a jamais atteint le niveau d’université de Zagreb ou de Belgrade, et qui est aujourd’hui dans une situation encore plus difficile. Il n’y a pas de laboratoire, pas de travaux pratiques, pas d’argent... et les perspectives non plus ne sont pas géniales, mais j’espère que ça ira mieux. Une nouvelle centrale électrique devrait être construite, j’espère que j’obtiendrai un poste et que je pourrai travailler pour gagner suffisamment ma vie. Actuellement, tout est en arrêt, on attend la définition du statut, la vie de centaines de milliers de gens est stoppée. Tu ne peux pas obtenir de crédit, il n’y a pas d’investissements, le risque est trop grand pour les sociétés étrangères, il n’y a pas de création d’emplois. Tu n’as pas de passeport, mais seulement des documents que beaucoup de pays ne reconnaissent pas, et tu ne peux donc pas voyager, déplore Neki.

« J’ai aussi ressenti comme un défi professionnel d’aller à Pristina, raconte Igor Miscevic. C’est un milieu qui, ces dix dernières années, a subi de grands changements, tant démographiques qu’urbanistiques. Cette ville qui comptait 150 à 200 000 habitants en compte aujourd’hui un demi-million. La liste des gens que je souhaitais rencontrer comprenait, outre mes collègues de la profession, les représentants du Bureau régional du centre écologique à Pristina avec lesquels nous avons convenu d’avoir une collaboration à l’avenir. J’ai rencontré également des étudiants en architecture et quelques artistes, ce qui a été très créatif ».

Le collègue d’Igor, Marko, mentionne qu’il a été ravi de savoir qu’une jeune élite artistique se créé à Pristina et que en dehors des urbanistes et des artistes, il a voulu aussi rencontrer des représentants du domaine de la politique. « C’est une branche qui définit la vie de tous au Kosovo. J’aimerais en particulier faire part de ma rencontre avec le porte-parole du parti ORA, Ljabinot Salihu, qui est dans le fond un parti civique, libéral, qui sait que des partenaires identiques existent à Belgrade, avec lesquels ils peuvent discuter. Je suis d’accord avec eux pour penser que le problème des Serbes au Kosovo n’est pas d’ordre politique mais humanitaire. Le vide qui se créé entre nous s’explique uniquement par des raisons électorales ».

 

Les coupures de courant mettent les Serbes du Kosovo en colère
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS


Mise en ligne : mercredi 2 mars 2005

La compagnie d’électricité du Kosovo, la KEK, est confrontée à des factures impayées s’élevant à plus de 190 millions d’euros. Solution draconnienne : environ 140 quartiers sont privés d’électricité. Ce problème économique est rapidement détourné en problème politique quand Boris Tadic, le président de Serbie, assure que ces mesures sont discriminatoires envers la communauté serbe du Kosovo. Mais là encore, les témoignages des Albanais et des Serbes montrent simplement que leurs difficultés quotidiennes ne sont pas prises en compte.

Par Muhamet Hajrullahau

Leila Simonovic du village de Batuse, un village à majorité serbe, proche de Fushe Kosovë/Kosovo Polje ,près de Pristina, n’a plus d’électricité depuis deux mois.

Dans une pièce éclairée à la bougie, elle est blottie avec ses deux enfants près d’un poèle qu’elle bourre de bois pour essayer d’avoir un peu de chaleur.

Elle est très en colère contre la Compagnie d’électricité du Kosovo ( KEK ) car dit-elle, elle punit la minorité serbe du Kosovo. « Elle fait de la discrimination contre nous. Quelqu’un va mourir de froid avant que l’électricité ne revienne ».

La coupure de courant chez Leila Simonovic est le résultat d’une nouvelle directive de KEK qui coupe l’électricité aux foyers ou aux quartiers qui n’ont pas payés leurs factures depuis des mois, voire depuis des années. La Compagnie affirme qu’elle ne punit personne, mais qu’elle veut faire respecter la règle à ses clients.

Palkë Berisha, un porte-parole de la KEK, précise : « Nous offrons des contrats aux gens qui n’ont pas payé leurs factures pour qu’ils paient leur dette petit à petit ».

Cela ne réconforte aucunement Leila Simonovic : « Et comment je vais payer ? Personne ne travaille ici. Comment allons nous avoir de l’argent alors que 90 % des gens de ce village sont au chômage ? » Beaucoup de ceux qui habitent les enclaves serbes du Kosovo voient dans les coupures d’électricité une forme de mesure discriminatoire, qui vise d’abord les Serbes.
« Ils veulent tout simplement nous chasser. Ils veulent que nous quittions nos maisons » confie à IWPR un habitant de Lipljan/Lipjan , une bourgade à 20 kilomètres de Pristina.

Ces doléances ont été prises en compte au plus haut niveau par les hommes politiques serbes. À la mi-janvier, le Président de Serbie, Boris Tadic, a dit à Soren Jessen-Petersen, chef de la mission des Nations Unies au Kosovo, la MINUK, que les coupures de courant achevaient de détruire ce qui restait de la communauté serbe.

Dans une lettre au chef danois de la Minuk il écrivait que les coupures d’électricité au milieu de l’hiver étaient proches d’une « forme silencieuse de nettoyage ethnique. »
En dépit de ce chœur de lamentations serbes, Soren Jessen-Petersen et la direction de la KEK sont restés fermes sur l’idée que les usagers devaient payer leurs dettes ou être privés d’électricité.

Palkë Berisha affirme que la compagnie ne tient pas compte de l’origine ethnique des gens quand elle décide de couper ou pas l’électricité : « A la KEK, nous classons les gens en deux catégories : ceux qui payent leurs factures et ceux qui ne payent pas. »
La presse serbe et les hommes politiques se sont concentrés uniquement sur le sort des Serbes du Kosovo, mais beaucoup d’Albanais souffrent des mêmes problèmes.

Ali Aliu, un homme de 37 ans vit sans électricité dans la banlieue de Pristina avec sa famille de six personnes, sa femme et des enfants âgés de trois à huit ans. Il est le seul à travailler. Mais les 120 euros de son salaire comme gardien de nuit dans une clinique vétérinaire ne sont pas suffisants pour commencer à payer ce qu’il doit à la KEK.
« La KEK m’a dit que mes dettes se montaient à 1400 euros. Mais c’est impossible de payer une pareille somme avec ce que je gagne. »

Aliu pense que des cas comme le sien mérite une attention spéciale et que sa famille mérite une aide humanitaire au lieu d’avoir l’électricité coupée.

Les gens des deux communautés du Kosovo divisé disent tous qu’ils sont « des cas spéciaux » mais la réalité c’est que la KEK est confrontée à un gigantesque problème de factures impayées.

Selon ses calculs, les usagers doivent à la compagnie quelques 190 millions d’euros. La plupart des mauvais payeurs sont des Albanais, pas des Serbes, et sur 140 quartiers qui n’ont plus d’électricité seulement cinq ou six sont habités par des Serbes, comme Lipljan ou Fushë Kosovë/KosovovoPolje.

Néanmoins, la communauté internationale insiste pour que la minorité serbe ne se retrouve pas isolée sur cette question.

Le 9 février, Marek Nowicki, le médiateur pour le Kosovo et son adjoint serbe, Ljubinko Todorovic, ont visité Batuse, Priluzje et d’autres villages serbes où il y avait des coupures de courant.

Marek Nowicki a exprimé sa sympathie : « Avec ces coupures de courant, vivre dans ces quartiers, c’est être au bord d’une catastrophe humanitaire. Nous devons trouver une solution d’urgence pour que ces gens aient du courant. »
Milan Djekic, représentant des Serbes de Fushë Kosovë/Kosovo Polje est d’accord et il ajoute qu’il ne souhaite absolument pas exagéré la dimension ethnique du problème.
« Politiser cette question et prétendre que les coupures sont faites selon des critères ethniques ne sert la cause que de quelques politiciens, pas les gens de Batuse » dit-il.

Pour la KEK, à part exiger le paiement, la solution du problème lancinant des factures impayées, consiste à persuader les usagers à signer des contrats pour régulariser leurs statuts.

« Ces contrats exigeront de leur part des obligations, mais leur donneront aussi des droits et ils sauront combien va leur coûter l’électricité » expliquait le 26 janvier dernier, Craig Jenness, le conseiller de Soren Jessen-Petersen pour la question des minorités. « J’espère qu’ils vont commencer à comprendre que derrière cet écran de fumée qui politise l’affaire, se trouve une véritable question. Malheureusement, il y a des gens, qui soit de façon délibérée ou non, les encouragent à ne pas signer ces contrats. »

Un autre Serbe de Fushe Kosovë/Kosovo Polje , qui veut garder l’anonymat, a dit à IWPR que la communauté serbe était prise entre deux feux. « D’un côté, il y a la pression sur les pauvres villageois serbes de signer les contrats avec la KEK, et de l’autre Belgrade qui fait pression pour qu’ils ne signent pas. »

Les autorités serbes, explique-t-il, sont opposées à toute reconnaissance, même symbolique, d’une institution locale du Kosovo qui saperait l’autorité de la Serbie sur le territoire.

John Ashley, directeur de la KEK, approuve. « Il a des Serbes prêts à signer les contrats, mais ils ont peur de le faire parce qu’on va les accuser d’accepter les institutions du Kosovo. »

À Batuse, Leila Simonovic affirme que les représentants de la MINUK, ceux de la KEK et même les hommes politiques serbes brassent du vent. « Le fin mot de tout ça, c’est que tout le monde se fiche de ce qui arrive aux gens ici. Je veux bien payer l’ électricité, mais je n’ai pas l’argent pour le faire. »

 

La communauté internationale abandonne les Roms du Kosovo
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT


Mise en ligne : lundi 28 février 2005

" Ne te fatigue même pas à l’ignorer ". Ce proverbe autrichien, qui signifie qu’une chose ne mérite aucune attention, résume l’attitude de la communauté internationale devant le destin des Roms du Kosovo. Si les « standards » sont remplis, les discussions concernant le statut final du Kosovo pourraient débuter au milieu de l’année 2005, alors que les persécutions contre les minorités et notamment les Roms sont loin d’avoir cessé.

Par Karin Waringo [1]

Ces standards constituent un ensemble de conditions embrassant divers aspects de la vie sociale comme la liberté d’expression dans les médias ou l’implantation de réformes pour développer l’économie de marché. Cela inclut également le respect des droits des minorités, par exemple le droit au retour en sécurité, lequel représente pour plusieurs un test sur le degré de préparation de la société kosovare, ou plutôt de la majorité albanophone, à sa reprise en main de l’avenir de la province.

Aujourd’hui, plus de cinq ans après la fin de la guerre, il semble que le laxisme dans la façon d’appliquer cette condition soit plus grand que jamais. C’est particulièrement vrai pour les minorités non serbes et surtout pour les Roms et autres groupes considérés comme « tziganes » et persécutés en tant que tels. On pourrait parler carrément d’omission.

La réalité est le résultat d’une cruelle Realpolitik qui ne tient pas compte de ceux qui n’ont pas les moyens de faire entendre leur voix.

Autrefois, le Kosovo était un modèle d’intégration des Roms

Le Kosovo fut autrefois présenté comme un exemple d’intégration des Roms, qui y avaient atteint un niveau de vie enviable. Le niveau d’éducation était aussi élevé. Ainsi bénéficiaient-ils d’une reconnaissance sociale et étaient membres à part entière de la communauté. De ce Kosovo autrefois perçu comme un paradis rom, rien n’est resté. La destruction de Roma Mahala, qui hébergeait autrefois l’une des plus grandes communautés romes dans le sud de Mitrovica, symbolise plus que tout autre chose ce changement.

Il n’existe aucune information exacte sur le nombre de Roms qui vivaient au Kosovo. Le recensement de 1991 comptait 44 307 personnes se déclarant d’origine rom. Les estimations des ONG varient entre 60 000 et 200 000 personnes. Toutefois, il est difficile de quantifier la misère humaine causée par le nettoyage ethnique. Dans les faits, la réalité parle d’elle-même : les Roms du Kosovo sont les derniers habitants des camps de réfugiés de l’ancienne Yougoslavie. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux vivent dans des camps de fortune, sans véritable accès à l’eau courante, à l’électricité et à la collecte des ordures. Ils subsistent grâce à des dons et des emplois occasionnels au noir, comme la mendicité ou la vente d’objets récupérés parmi les déchets.

Les Roms du Kosovo reproduisent aujourd’hui les stéréotypes entretenus autour des « Tziganes », a remarqué un activiste rom. Difficile d’ignorer le processus de régression sociale qui a eu lieu, repoussant des gens auparavant économiquement indépendants aux marges de la société - une société qui a elle-même touché le fond, du moins selon les standards européens. L’été dernier, j’ai visité un camp de réfugiés - ou « centre collectif », euphémisme utilisé au Monténégro - pour parler à ses habitants. J’ai parlé à ceux qui trient les ordures et à ceux qui mendient dans les rues. La plus forte impression que j’ai conservé de mes visites est l’aptitude de ces personnes à préserver leur dignité malgré la cruauté de leur destin.

Rêves d’exil à l’ouest

Ils expriment ouvertement leur désillusion sur leur éventuel retour au Kosovo. Ils rêvent plutôt d’aller en Europe de l’Ouest et d’y recommencer leur vie. Si les camps se vident avec les années, c’est probablement parce que des centaines ou des milliers d’entre eux sont parvenus à rejoindre l’Europe de l’Ouest. À l’été 1999, un bateau coula lors d’une traversée de l’Adriatique, emportant dans la mort plus d’une centaine de personnes. « J’ai perdu une belle-fille un petit-fils », m’a confié un homme de Berane, une ville au nord du Monténégro.

Les camps sont aussi l’endroit où échouent ceux dont le rêve de trouver une vie meilleure s’est écroulé et ont été expulsés d’Europe de l’Ouest. Il n’y a pas de chiffre précis non plus de Roms ayant été refoulés d’Europe occidentale et maintenant installés en Serbie ou au Monténégro. Bien que des États comme l’Allemagne se défendent bien de renvoyer des Roms du Kosovo vers d’autres régions de la Serbie ou du Monténégro, des rumeurs persistantes circulent à l’effet que cela est bien le sort de plusieurs. J’ai rencontré deux familles romes du Kosovo rapatriées d’Allemagne et de Suisse dans le camp de Konik situé en périphérie de Podgorica, au Monténégro. L’un des rapatriés m’a expliqué qu’il avait espéré revenir au Kosovo. C’était en 1999, avant les bombardements.

Le processus de retour s’est déroulé plutôt paresseusement. À la fin de 2003, le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU avait enregistré environ 10 000 soi-disants retours de minorités. Le flux s’est considérablement ralenti après les pogroms de mars 2004 : les 4 100 personnes revenues cette année-là sont significativement moins nombreuses que deux ans plus tôt. De plus, plusieurs centaines de personnes ont quitté le Kosovo pour la Serbie ou le Monténégro ou encore d’autres destinations lors des troubles et les mois qui ont suivi.

D’après de récentes déclarations d’organisations influentes comme l’International Crisis Group (ICG), l’indépendance du Kosovo ne serait qu’une question de temps. Alors que les premières réactions aux pogroms de mars 2004 suggéraient que la protection des droits des minorités constitueraient un prérequis aux négociations sur le statut du Kosovo, le vent semble avoir tourné. Certains ont affirmé que les autorités locales ne pouvaient être tenues responsables de la sécurité des minorités sur le terrain tant que leurs pouvoirs seraient aussi limités.

En outre, l’ICG, entre autres, a prévenu que la frustration des albanophones du Kosovo devant l’impasse actuelle pouvait causer de nouvelles violences. Au point où le dilemme se situe maintenant entre l’indépendance et la barbarie. Au même moment, les avocats de l’indépendance rejettent toutes les propositions du gouvernement serbe sur une partition du Kosovo qui accorderait au Nord de la province, où vivent la majorité des Serbes du Kosovo - du moins selon le gouvernement serbe ; en effet, la chose a été contestée par l’ICG et l’Initiative pour la Stabilité en Europe -, une autonomie substancielle. Curieusement, l’argument employé pour réfuter l’idée d’une partition de la province sur une base ethnique est le même que celui employé pour justifier l’indépendance. S’il est clairement hors de question que les albanophones du Kosovo retournent sous l’autorité de Belgrade, il est aussi vrai que personne « n’imagine réellement que les non albanophones s’intègrent un jour à un Kosovo indépendant », comme l’a constaté Transitions Online (TOL).

Les minorités oubliées en cas d’indépendance ?

La question centrale est donc la suivante : que va-t-il advenir des minorités au Kosovo ? Le problème a certes déjà été soulevé à propos des Serbes et tout le monde s’entend pour dire que leurs droits doivent être respectés, mais les partisans de l’indépendance oublient dans leurs calculs les autres minorités ethniques, en particulier les Roms, les Ashkali et les Égyptiens. D’aucuns pensent que la minorité serbe ne recevrait pas autant d’attention si le gouvernement serbe ne se servait pas d’elle pour légitimer ses intérêts dans l’avenir du Kosovo. D’ailleurs, le gouvernement serbe a inclus les Roms et autres minorités non serbes dans ses propositions de partition - mais il s’agit probablement d’une tactique. Ce dont ont besoin les Roms, c’est de quelqu’un qui parlerait en leur faveur de manière désintéressée.

De plus, alors que leur seule chance serait de s’exprimer d’une seule voix, les Roms apparaissent divisés. Sans compter la distinction entre Roms, Ashkali et Égyptiens du Kosovo - fondées pour certains sur des différences réelles de langues, d’origines et de cultures, mais une trahison de l’origine rome commune pour d’autres -, existent également des divergences d’intérêts, ce qui empêche quiconque de parler au nom de toute la communauté. Et que la plupart des gens concernés soient dispersés en une véritable dispora n’aide en rien à clarifier la situation et parvenir à des positions communes...

Dans les circonstances, et considérant que les choses sont déjà assez complexes comme ça, il devient très tentant d’oublier les Roms et d’éventuellement miser sur ceux qui acquiesceront en silence. Le résultat en serait sans doute une aggravation de l’aliénation des Roms qui ont, dans le passé, souvent souffert d’instrumentalisations de toutes sortes. Pire, que les discussions sur le statut du Kosovo démarrent sur de telles bases risquent d’entériner pour longtemps le statu quo.

L’exemple de la Bosnie-Herzégovine

L’exemple de la Bosnie-Herzégovine post-Dayton peut être très instructif, sinon servir d’avertissement : presque 10 ans après la fin de la guerre, seul un petit nombre de Roms ont pu rentrer chez eux, les autres étant toujours déplacés à l’intérieur du pays et vivant dans des conditions dégradantes, ou bien encore exilés. Les Roms ne disposent d’aucuns représentants ni d’aucune institution politique. Le fait qu’ils n’aient pas été reconnus comme communauté constituante du pays leur interdit toute position politique significative ainsi que la Présidence elle-même. C’est en 2003 seulement que les Roms ont acquis de nouveau le statut de minorité nationale qu’ils possédaient sous l’ancienne Yougoslavie et, à ce titre, obtenu quelque protection de leurs droits.

Si la communauté internationale ne veut pas répéter pareilles erreurs et endosser le nettoyage ethnique, elle devra tenir compte des Roms lors des négociations à venir - et pas uniquement en tant que personnes à protéger, mais en tant que partenaires égaux et légitimes.


[1] Karin Waringo détient un Doctorat en Sciences politiques. Elle est journaliste pigiste et chercheuse spécialiste de l’Europe du Sud-Est et de la question des minorités. Elle a déjà été conseillère à Bruxelles au Bureau d’Information sur les Roms en Europe.

 

Quel avenir pour le Kosovo ?
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS
Mise en ligne : dimanche 20 février 2005

Que va-t-il se passer au Kosovo, dès cette année et dans les années à venir, alors que la communauté internationale, les dirigeants locaux et la population se préparent pour le long marathon politique des discussions sur le statut futur du territoire ?

Par Marek.A Nowicki, médiateur pour les droits de la personne au Kosovo

D’un côté, les Albanais du Kosovo attendent avec impatience un État indépendant et beaucoup ont l’impression qu’un tel souhait peut se réaliser rapidement. C’est ce qu’on entend souvent dans les conversations au café ou dans les salons. Mais remettons le génie dans sa bouteille, car l’indépendance n’apportera pas nécessairement et immédiatement la prospérité et les libertés dont chacun rêve.

De l’autre côté, les Serbes du Kosovo rejettent toute idée d’indépendance, qu’ils perçoivent comme l’achèvement du nettoyage ethnique de la province et comme faisant partie du projet de la Grande Albanie. Si une telle chose devait advenir, il n’y aurait plus de place pour eux sur cette terre qu’ils ont identifié, historiquement et culturellement, comme le berceau de leur identité culturelle et de leur spiritualité. Si l’on accorde au Kosovo une forme d’indépendance, pour la première fois, les Serbes du Kosovo, qui pensent depuis longtemps qu’ils font partie d’une entité plus large, celle de la Serbie, deviendront une minorité dans un paysage politique nouvellement tracé avec lequel il leur sera difficile de s’identifier. Avec toutes les conséquences que cela implique, sont-ils mentalement préparés pour une telle réalité, c’est-à-dire pour une réalité dominée par un réseau très serré de familles albanaises qui dirigent le pays d’une manière exclusive à la façon d’un clan ?

Soyons honnête et regardons la réalité du Kosovo d’aujourd’hui en face. La pauvreté est partout, et un nombre considérable de gens vivent dans des conditions très difficiles. Il y a un fossé entre ceux qui reçoivent une aide sociale parcimonieuse et ceux qui ne reçoivent rien. S’en parler du chômage et d’une jeunesse qui a bien peu d’espoir de trouver du travail.

Tout le monde souffre au Kosovo

Pour expliquer la discorde et les tensions existantes, j’entends beaucoup de discussions sur le fait que ces difficiles conditions d’existence alimentent un sentiment croissant de frustration et de colère dans la population. Mais il faut se souvenir que cette frustration n’est pas propre à une ethnie. Tout le monde souffre au Kosovo, même si cette souffrance est différente. Mais, de facto, les gens qui souffrent en premier sont les plus vulnérables, pas seulement les principales communautés. Dans le contexte du Kosovo, les Serbes n’occupent pas le dernier échelon social.

La communauté serbe du Kosovo jouit de conditions de vie relativement meilleures que les autres communautés non-albanaises, parce qu’elle reçoit un soutien notable de l’État serbe. Est-ce que cette population aurait pu vivre ces cinq dernières années sans une telle assistance ? On doit aussi se rappeler qu’une assistance financière ou autre renforce un sentiment de loyauté et de dépendance. L’indépendance signifie être privé de cette assistance et vivre avec les conséquences qui s’ensuivent. Le budget du Kosovo sera-t-il capable d’assumer ce coût supplémentaire ?

Comment une majorité frustrée peut-elle s’occuper de ses minorités ?

En plus de ces facteurs sociaux, politiques et matériels quotidiens, il y a d’autres facteurs qui rendent les gens irritables et peu coopérants. Lors d’une récente conversation, le Président de l’Assemblée du Kosovo, Monsieur Nexhat Daci a posé cette question : comment une majorité frustrée peut-elle s’occuper de ses minorités ? Une telle réflexion est la clé de la compréhension de la situation.

La question des disparus vient à l’esprit. Quelques milliers d’Albanais du Kosovo n’ont toujours pas été retrouvés et, cinq ans plus tard, il y a encore trop peu de personnes qui ont été reconnues coupables des atrocités commises pendant le conflit. L’histoire des innombrables cadavres d’Albanais du Kosovo brûlés dans une fonderie à Mackatica illustre combien de questions restent sans réponse.

La vie n’a pas été facile non plus pour les Serbes du Kosovo depuis 1999. Eux aussi ont des parents qui ont disparu, eux aussi ont été chassés de leurs maisons, eux aussi ont perdu leur travail. Ils ont été à nouveau chassés de leurs maisons en mars 2004, alors que les autorités locales et internationales ont fait bien peu pour les protéger.

Cela n’empêche pourtant pas les Albanais de voir, à juste titre ou non, dans chaque Serbe la présence de la Serbie au Kosovo et un fidèle sujet de Belgrade. Cela n’empêche pas le fait que lors des récentes élections serbes, une grande majorité des Serbes du Kosovo ont voté pour un candidat radical et qu’ils n’ont pas participé aux élections du Kosovo. De tels messages, sans aucun doute, influencent les Albanais ordinaires quand ils pensent à joindre les Serbes à une future cohabitation.

Pensons-nous, d’une manière réaliste, que les gens du Kosovo peuvent vivre ensemble ? Ce conflit remonte à des siècles. Avec l’indépendance, les Albanais du Kosovo atteindraient enfin ce qu’ils ont cherché pendant des générations, et tout le temps contre les Serbes et les intérêts des Serbes au Kosovo. Si l’indépendance est accordée au Kosovo, ce pays aura été créé par un processus politique rapide, évidemment contre la volonté des Serbes du Kosovo et probablement contre celle de la Serbie.

L’état d’esprit dominant chez les Serbes du Kosovo, c’est que la province a été prise par la force, volée, sans qu’on leur demande leur avis, même si leur réponse a toujours été claire. Il n’ y a toujours absolument aucune réflexion sur les conséquences dévastatrices des actions passées de Milosevic. Il faudra beaucoup de temps et de progrès pour que les non-Albanais, en particulier les Serbes, considèrent un Kosovo indépendant comme leur pays, si cela se produit un jour.

Si le Kosovo doit aller vers une forme démocratique d’État, basée sur les valeurs européennes, alors la Serbie et le Kosovo auront pour objectif d’être membres de la même famille suivant les mêmes normes. Si elle réussit à survivre dans ces conditions, la communauté serbe aura toutes les possibilités de préserver son identité et son héritage tout en maintenant des relations ouvertes et libres avec ses compatriotes de Serbie.

Comment ouvrir les enclaves ?

Comment ouvrir les enclaves et faire du Kosovo une terre d’opportunités pour les Serbes ? Ils demandent à juste titre la liberté de mouvement et l’accès aux ressources et à l’emploi pour stimuler la communauté. Pour mieux survivre en tant que communauté, le retour doit être envisagé. Il ne s’agit pas seulement d’une question de chiffres, mais beaucoup plus d’encourager en premier lieu les jeunes à revenir, parce qu’ils sont le fondement d’une société. Cela ne suffit pas de voir le retour de gens qui viennent mourir sur leur terre natale. Il faut des jeunes éduqués, ayant des compétences professionnelles pour renforcer la communauté. Pour cette raison, le retour vers les villes doit se faire. Mais le retour vers les centres urbains semble un rêve sur la toile de fond d’une réalité décourageante où les Serbes choisissent de vendre leurs biens à Pristina ou dans d’autres villes.

Mais la responsabilité repose aussi sur la communauté serbe du Kosovo. Une des questions de fond est celle de la langue. En plus d’être capable d’utiliser la langue serbe, il est clair que si les Serbes ont l’intention de vivre d’une manière plus ouverte que dans des enclaves isolées, ils doivent apprendre la langue albanaise dans un environnement à majorité albanaise.

La route vers la résolution du statut, même d’un point de vue des droits de la personne, est beaucoup plus complexe que les quelques exemples que j’ai utilisés en illustration. Quelqu’un a-t-il sérieusement réfléchi à la question du nouveau drapeau du Kosovo qui devrait avoir un sens symbolique auquel les non-Albanis pourraient s’identifier ? Ce n’est qu’une des multiples questions qui demande de la réflexion et du temps

Kata Mester a contribué à ce point de vue.

 

Kosovo : État de droit et responsabilité juridique des Nations Unies
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS
Mise en ligne : dimanche 6 février 2005

Dans tous les pays démocratiques d’Europe, les citoyens peuvent saisir la Cour européenne de justice contre leur propre gouvernement. Par contre, au Kosovo, les Nations Unies, qui exercent toutes les fonctions gouvernementales, ne sont responsables devant aucune instance d’appel internationale... Comment parler d’État de droit dans ces conditions ?

Par Marek A. Nowicki, médiateur pour les droits de la personne du Kosovo

Les recommandations sur les droits de la personne, adoptées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg la semaine dernière, ne sont pas de simples arguments pour des joutes oratoires entre juristes ni pour faire la une des journaux et disparaître.

Au Kosovo, souvent des gens viennent me voir pour me demander comment, par exemple, porter leurs problèmes de propriété devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Quand ils m’entendent dire que c’est impossible, ce qui n’est pas le cas pour les habitants de Serbie et Monténégro, ils me posent la question évidente : et pourquoi ? Pour faire une réponse simple, je dis que le Kosovo est sous protectorat de l’ONU.

Environ 800 millions de personnes en Europe peuvent avoir recours légalement pour la protection de leurs droits à la Cour de justice de Strasbourg, mais les citoyes du Kosovo sont parmi les rares à en être exclus. La grande majorité des gens en Europe ont la possibilité de porter plainte contre leur État ou leurs propres autorités pour défendre, avec équité, leurs droits fondamentaux devant une juridiction internationale. Les habitants du Kosovo sont privés de ce droit.

Tout le monde en Europe considère ce garde-fou comme une des composantes essentielles pour la protection à minima des droits de la personne. Les pays voisins des Balkans, par exemple, peuvent faire valoir leurs droits à Strasbourg, mais des plaintes semblables ne peuvent pas être déposées par quiconque au Kosovo. La même question surgit encore une fois : pourquoi ?

La protection des droits de la personne est expressément inscrite dans le Cadre constitutionnel du Kosovo, mais cinq ans plus tard, il y a encore trop peu de mécanismes mis en place pour assurer leur fonctionnement dans la pratique.

Les gens au Kosovo vivent dans un paradoxe quasi kafkaïen : la présence des Nations Unies au Kosovo s’est faite sur la base des droits de l’homme et du droit humanitaire. Cependant, à cause de cette présence, le Kosovo est dans un trou noir, si l’on peut dire, sans aucun système de protection des droits de la personne et du fonctionnement de la loi. L’ONU et ses institutions sont là pour aider à la protection des droits de la personne, mis dans le même temps et dans bien des domaines, ces mêmes autorités n’ont pas de compte à rendre aux personnes mêmes qu’elles sont dans l’obligation de protéger.

Ce qui est encore plus préoccupant, dans le cas où des Kosovars sont les victimes de violation des droits de la personne commises par la MINUK ou des membres du personnel, il n’y a pas d’institutions indépendantes de caractère juridique qui puissent intervenir ou permettre à ces personnes d’obtenir réparations pour les torts et dommages subis.

Au Kosovo, l’institution du médiateur est le seul instrument légal existant pour la protection des droits de la personne. Malheureusement, dans le cadre légal et institutionnel toujours chaotique et inadapté du Kosovo, l’institution du médiateur ne peut pas assurer, dans sa forme actuelle, le niveau de protection requis. Beaucoup reste à faire.

Sur le papier, la liste des arrangements proposés et adoptée par l’Assemblée parlementaire semble longue et compliquée, mais dans la pratique cela n’est pas toujours le cas. Par exemple, l’idée d’un tribunal pour les droits de la personne, dans une certaine mesure, suit l’exemple bien connu de la Chambre des Droits de la personne de Bosnie.

Cet ensemble de recommandations souligne les intentions d’améliorer les institutions et leur fonctionnement. De plus, il vise à construire des institutions judiciaires ou d’autres institutions similaires, dont certaines resteront longtemps après la fermeture des portes de la mission des Nations Unies. L’une de ses instances est la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême dont on a discuté pendant des années comme devant faire partie du système de protection légale du Kosovo et qui est envisagée dans le cadre constitutionnel. Pour une raison mystérieuse, cette Chambre n’a toujours pas été créée, alors que l’on a un besoin urgent de cette instance et qu’on en aura besoin dans l’avenir proche.

Tous les aspects de l’action ou de l’inaction des autorités publiques, internationales et locales, y compris les juges du Kosovo, devraient être examinés scrupuleusement par des instances indépendantes, comme le sont le respect des droits de la personne dans le reste de l’Europe par les mécanismes de la Convention européenne des droits de l’homme. Au sommet de ces instances se trouve la Cour de justice pour les Droits de l’Homme de Strasbourg, qui devrait être remplacé temporairement dans le contexte du Kosovo par une cour similaire au service des gens qui vivent ici.

On doit comprendre que cette série de propositions, qui touche à presque tous les aspects de l’application de la loi et de la protection des droits individuels, si elle était mise en œuvre changerait d’une manière fantastique la situation générale de cet aspect crucial de la vie des gens au Kosovo. Bien évidemment, il y a des problèmes sérieux comme les problèmes économiques ou la fourniture de l’électricité qui ne seront pas réglés du jour au lendemain. Mais ce dont le Kosovo a besoin d’une manière désespérée, c’est de donner forme à son système légal, aux instruments de protection des droits de la personne et de construire une justice forte, ce qui fait partie de l’application de la loi et de la justice. Les propositions mises en avant à Strasbourg représentent un effort de grande valeur pour l’établissement d’un système de protection légale des droits individuels afin que tous au Kosovo, quelle que soit l’ appartenance ethnique, l’ origine sociale ou les croyances, aient des garanties pour les droits élémentaires et les libertés, ce qui est considéré comme un acquis depuis longtemps dans la plupart des pays européens.

Je suis tout à fait surpris par des déclarations et des commentaires, que je dois qualifier de tendancieux, apparus récemment dans les médias, en réaction à l’adoption des propositions concernant les droits de la personne par l’Assemblée parlementaire. En dehors de l’immunité générale accordée aux organisations telles que les Nations Unies, elles ne peuvent échapper à l’ observation d’une organisation internationale d’un point de vue des droits de la personne. Je dois répéter qu’au Kosovo, les Nations Unies n’ont pas une simple mission, mais qu’elles sont le gouvernement, qui doit avoir les mêmes obligations qu’un autre gouvernement de par le monde.

Il doit être clair que toutes ces propositions ont été le résultat d’une profonde préoccupation européenne sur la situation des droits de la personne au Kosovo au quotidien et la conviction que le statu quo concernant le niveau de protection de ces droits est inacceptable. Pendant le débat à Strasbourg, Lord Russell-Johnston a utilisé ces mots pour décrire la performance des Nations Unie dans ce domaine : " Il ne semble pas que ce soit terriblement bien réussi".

L’évaluation de l’état de la protection des droits de la personne par l’Assemblée parlementaire, à laquelle j’ai été invité à participer, confirme dans une grande mesure ce que j’ai vu et renforce ma détermination à mettre en place ce qui fait cruellement défaut pour protéger les droits et les libertés fondamentales. Nous parlons ici de standards de base. La mission des Nations unies ne peut pas se contenter au Kosovo d’étre "gentille", et de déclarer publiquement que les droits et la loi sont respectés. Cela n’a rien de particulier, c’est le rôle de n’importe quel gouvernement. On devrait s’attendre à ce que les institutions, qui ont pris la responsabilité générale au Kosovo, en particulier les pays qui contribuent à la MINUK et à la KFOR, mais aussi les dirigeants politiques et les autorités, comprennent ces concepts fondamentaux pour le respect des droits de la personne et prêtent une attention sérieuse aux propositions formulées par les parlementaires à Strasbourg dans l’intérêt des gens qui vivent au Kosovo.

Kata Mester a aussi contribué à ce point de vue.

 

Des experts américains préparent une Constitution pour le Kosovo indépendant
TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC

Publié dans la presse : 17 février 2005
Mise en ligne : samedi 19 février 2005

Des experts américains ont élaboré un projet de constitution pour un Kosovo indépendant, à l’initiative de l’ancien Premier ministre kosovar Bajram Rexhepi. Les langues officielles du Kosovo seraient le serbe et l’albanais et la capitale Pristina. La MINUK ne fait pas de commentaires officiels sur ce projet.

Par Jelena Bjelica

Une organisation non gouvernementale américaine, le Groupe international public pour la loi et la politique, a publié au début du mois de février un Cadre général pour la constitution du Kosovo. Dans le texte qui comporte une cinquantaine de pages, dont certains extraits publiés par un nouveau journal de Pristina, Ekspres, ont été remis à la rédaction de Danas, le futur Kosovo est présenté comme un pays démocratique, indépendant et souverain où l’autorité est fondée sur le respect des droits et des libertés de tous les citoyens à l’intérieur de ses frontières.

Le projet prévoit que les frontières du Kosovo peuvent être changées uniquement en conformité avec les règlements internationaux, « d’une manière pacifique et sur la base d’un accord ».

L’élaboration de ce document a durée un an et a été entreprise à l’initiative de l’ancien Premier ministre kosovar, Bajram Rexhepi, en 2002, lors de sa visite aux États-Unis. Ce groupe d’experts comprend le professeur de droit à l’Université américaine à Washington, Paul Williams, et l’avocat américain, en même temps président du Conseil national albano-américain, Martin Vuljaj. En fait, Williams a déjà travaillé sur les projets de la constitution de l’Afghanistan, de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie-Monténégro et des pays baltes.

D’après une déclaration faite par Soren Jessen-Petersen, le chef de la MINUK, après la réunion qu’il a eue mardi dernier avec Nexhat Daci à Pristina, « il est bon que ce que deviendra maintenant le Kosovo soit préparé et prêt pour les futurs entretiens au sujet du statut ».

« Pour être clair, je ne fais pas de commentaires sur la proposition de Constitution telle quelle est formulée, mais je soutiens le besoin des institutions kosovares et de la société kosovare d’être prêtes à avoir des entretiens sur le statut ».

Daci a ajouté qu’il n’y avait pas de statut sans Constitution, et que l’aide des juristes internationaux était très importante à ce sujet. D’après le journal Ekspres, Martin Vuljaj devrait bientôt venir à Pristina pour rencontrer Ramush Haridinaj et Ibrahim Rugova. À cette occasion, il devrait faire part aux plus hauts fonctionnaires kosovars du projet de Constitution, avant de le présenter à l’assemblée. Le texte du projet de loi prévoit que la Constitution peut entrer en vigueur cinq jours après la tenue du référendum, à condition que plus de la moitié du corps électoral se soir prononcé par référendum.

« Tout individu né au Kosovo est un citoyen du Kosovo, de même que tout citoyen ayant au moins un de ses parents né au Kosovo a le droit à la nationalité », est-il indiqué dans le projet de Constitution élaboré par l’ONG américaine.

Le document prévoit la double nationalité pour les citoyens du Kosovo, ainsi que le fait qu’aucun citoyen du Kosovo ne peut être extradé vers un autre pays, sauf si cela est convenu par un accord bilatéral spécifique. De même, il est prévu que le gouvernement sera formé sur la base de la Constitution et que toutes les lois seront en conformité avec elle. « Le Kosovo respectera les lois et les standards internationaux », est-il stipulé dans ce document.

Les langues officielles seront le serbe et l’albanais, et la capitale sera Pristina. Le gouvernement du Kosovo devra être organisé sur la base du principe de la répartition des pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. La Constitution sera le document le plus important du Kosovo.

Il est également prévu que le Président, le Premier ministre et tout membre de l’assemblée doivent prêter serment avant d’entrer en fonction et qu’ils peuvent travailler uniquement en conformité avec la Constitution ou une loi relative à leur fonction. Le projet de Constitution prévoit que toutes les séances de l’assemblée du Kosovo, de même que les transcriptions, seront publiques à l’exception de certains cas particuliers.

Le Parlement du Kosovo se voit confier, outre l’élection et la révocation du Président et du vice-Président, la formation et l’élection des membres des commissions parlementaires. L’élection des députés du Parlement du Kosovo sera tenue tous les quatre ans et tout citoyen du Kosovo de plus de 21 ans pourra devenir député.

Le député qui aurait commis un délit pénal ou qui fait l’objet d’une accusation jouira de l’immunité tant qu’il n’aura pas été privé de ce privilège par la majorité des deux tiers des membres du Parlement.

Il est également prévu que tout citoyen de plus de 18 ans aura le droit de vote. Ce n’est que l’assemblée et le Premier ministre qui auront le droit de proposer de nouvelles lois, mais ce droit sera aussi accordé à un groupe de plus de 100 000 citoyens majeurs. La loi entre en vigueur après avoir été signée par le Président du Kosovo, dans un délai de 21 jours au plus tard après qu’elle lui ait été remise. Si le Président du Kosovo ne procède pas à la signature, ce sera le Président du Parlement qui aura le droit de signer.

 

Kosovo : l’indépendance dès 2006 ?
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À BRUXELLES
Mise en ligne : mercredi 26 janvier 2005

L’International Crisis Group (ICG), un think tank très écouté à Washington, vient de présenter un rapport explosif sur le Kosovo, proposant l’indépendance du territoire placé sous protectorat des Nations Unies dès 2006. Une option inacceptable pour Belgrade, et qui pourrait remettre le feu aux poudres dans l’ensemble de la région. Ce rapport semble également n’accorder aucun rôle à l’Europe dans les processus à venir.

Par Jean-Arnault Dérens

Tout le monde s’accorde sur un constat. « Le statu quo ne peut plus durer », ainsi que l’a souligné l’ancien commissaire européen Chris Patten, qui présentait ce rapport. Plus de cinq ans après les bombardements du printemps 1999 et l’instauration du protectorat international, le Kosovo ressemble de plus en plus à un bateau ivre. Les Albanais ne veulent pas entendre parler d’autre chose que de l’indépendance, tandis que la Serbie s’accroche au respect de la résolution 1244 des Nations Unies, qui garantit la souveraineté formelle de la Serbie sur le Kosovo.

Le bilan de la communauté internationale n’est guère brillant : le Kosovo ne connaît aucun frémissement économique, les services publics sont en déshérence, la corruption est massive, et les émeutes de mars 2004 ont tragiquement révélé l’incapacité de la Mission des Nations Unies (MINUK) et de celle de l’OTAN (KFOR) à garantir l’ordre et la sécurité dans le territoire. Point essentiel, on ne compte toujours pratiquement aucun retour de réfugiés serbes et toutes les populations non-albanaises (Serbes, Roms, etc) continuent de vivre terrées dans des enclaves.

Depuis plusieurs mois, un consensus semblait s’être établi dans la communauté internationale pour ouvrir les négociations sur le statut final du Kosovo au printemps 2005, mais sans préciser de calendrier sur l’évolution de ces négociations. Le rapport des experts de l’ICG préconise au contraire une marche forcée vers l’indépendance, avec la désignation d’un envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies chargé de mener ces négociations.

Dans cette perspective, l’assemblée du Kosovo devrait adopter un projet de Constitution pour le Kosovo, tandis que le gouvernement du territoire devrait définir une stratégie spéciale pour la protection des minorités, notamment pour le retour des Serbes dans la capitale Pristina, qui serait proclamée « ville ouverte ». L’intégralité des 40 000 Serbes qui vivaient dans la ville avant 1999 en ont effectivement été chassés. L’assemblée et le gouvernement sont entièrement dominés par les représentants albanais, puisque les Serbes du Kosovo ont massivement boycotté les élections du 23 octobre dernier.

Conférence internationale en 2006

Selon les recommandations de l’ICG, un accord devrait être établi sur le projet de Constitution, ouvrant la voie à un « Accord du Kosovo », accepté par une Conférence internationale qui aurait lieu d’ici la fin de l’année 2005. Au début 2006, cet accord serait validé par un référendum au Kosovo et la MINUK transférerait toutes ses compétences au gouvernement du Kosovo au milieu de l’année 2006. L’indépendance serait ensuite proclamée et reconnue, un accord spécifique pouvant être trouvé sur la prolongation d’une mission de maintien de la paix de l’OTAN.

La stratégie définie par le rapport donne le rôle principal au groupe de contact, sans évoquer à une seule reprise celui que pourrait jouer l’Union européenne. Pourtant, l’Union a repris ces derniers mois les compétences politiques et militaires des Nations Unies et de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, et certains scénarios prévoient un renforcement du rôle de Bruxelles dans la gestion du dossier du Kosovo.

Ballon d’essai

Le rapport de l’ICG a probablement la valeur d’un ballon d’essai lancé par certains cercles diplomatiques américains pour tester les réactions serbes et européennes. Lors de la présentation du rapport, on notait ainsi dans la salle la présence de personnalités comme Jamie Shea, l’ancien porte-parole de l’OTAN durant les bombardements du printemps 1999.

Également présent, l’ancien ministre serbe des Affaires étrangères, Goran Svilanovic, aujourd’hui expert auprès du Pacte de stabilité pour l’Europe du sud-est, reconnaissait en coulisses que le grand problème est que l’Union européenne n’a aucune stratégie alternative lisible pour le Kosovo. En cas d’avancées vers des négociations effectives, il est également possible que les différentes diplomaties européennes aient bien du mal à se mettre d’accord entre elles.

Salué par les Albanais, le rapport de l’ICG a, naturellement, été fort mal reçu à Belgrade, où l’on dénonce une approche « partiale », qui risque de contribuer à une nouvelle « déstabilisation » de la région. Le chef du Corps de coordination serbe pour le Kosovo, Nebojsa Covic, qui était auditionné mardi après-midi par le Parlement européen, n’a pas hésité à relancer la vieille menace serbe : si le Kosovo devenait indépendant, pourquoi ne pas reconnaître aussi l’indépendance de la Republika Srpska, « l’entité » serbe de Bosnie-Herzégovine, ce qui ferait immédiatement éclater ce fragile pays.

Autant on ne peut qu’être surpris par la désinvolture avec laquelle les auteurs du rapport de l’ICG traitent les enjeux régionaux, notamment les risques toujours réels et majeurs de déstabilisation de la Macédoine, autant il faut reconnaître que ni l’Europe ni Belgrade n’ont aujourd’hui de stratégie alternative claire et lisible à proposer. De même, dans le camp albanais, la revendication unanime d’indépendance sert aussi de miroir aux alouettes contribuant à esquiver le débat essentiel sur le type de société que les citoyens du Kosovo veulent construire.

 

Femmes violées : les victimes invisibles de la guerre au Kosovo
Mise en ligne : lundi 24 janvier 2005

Il y a une histoire dont on ne parle presque jamais en public au Kosovo, c’est celle des viols et agressions sexuelles dont ont été victimes les femmes albanaises pendant le conflit de 1999. Les femmes victimes de viols sont toujours des parias, souvent contraintes de mene une vie de recluses, rejetées par la société.

Par Marek.A.Nowicki, médiateur pour les droits de la personne au Kosovo

Depuis 1999, au Kosovo, chacun a une histoire à raconter, car pas une famille n’a échappé à la tragédie, qu’elle soit albanaise, serbe, rrom ou d’une autre communauté. Il suffit de poser la question à quelqu’un que vous rencontrez pour qu’il vous fasse un récit à faire dresser les cheveux sur la tête.

Mais jusqu’à aujourd’hui, il y a une histoire dont on ne parle presque jamais en public, c’est celle des viols et agressions sexuelles dont ont été victimes les femmes albanaises pendant le conflit de 1999.

On sait que les cas de viols ou d’agression n’ont pas été des cas isolés ou rares, mais qu’ils étaient largement au contraire répandus et systématiques. Le viol était une arme utilisée pour briser psychologiquement et moralement la communauté albanaise du Kosovo.

Le viol comme arme de guerre

Un témoignage recueilli par l’organisation Human Rights Watch et publié dans un rapport en 2000 décrit ce qui est arrivé à une jeune femme de 22 ans qui se trouvait dans une file de réfugiés qui fuyaient le Kosovo.

« Ils se sont approchés de mon oncle et ils l’ont éloigné de nous. Ils lui ont pris son or et son argent. Et puis ils sont revenus vers moi. J’étais serrée dans les bras de mon frère et ma mère était derrière nous. Un paramilitaire s’est approché de moi et m’a demandé ’c’est qui celui-là’, et j’ai dit que c’était mon frère. Il a pris ma main et m’a dit de monter dans sa voiture. J’étais si surprise que je ne voulais pas avancer. Il m’a dit que si je refusais il y aurait beaucoup de victimes. Il m’a insultée et m’a dit ’Sale putain, monte dans la voiture’. Je n’ai pas pu dire au revoir à ma famille. Quand je suis montée dans la voiture, j’ai vu une autre fille. Nous étions deux filles et il y avait deux hommes serbes en uniforme ».

Le sort réservé à ces femmes, filles, mères, sœurs, épouses n’était en rien un choix. Elles seront confrontées toute leur vie à l’horreur de leurs expériences. On ne parle pas ouvertement de la violence impensable que les victimes ont subi, beaucoup de familles et de communautés connaissent la sombre vérité, mais elles ont choisi de l’ensevelir, de la cacher. Contrairement aux autres victimes de ce conflit, aucune attention particulière n’est accordée à ces jeunes filles et à ces femmes. La plupart d’entre elles vivent comme des parias et les familles et la société font le silence autour d’elles. Ces milliers de victimes, et même leurs enfants, sont invisibles.

Le concept du viol comme arme n’était pas inconnu pour la plupart des membres de la communauté albanaise du Kosovo, car beaucoup en avait entendu parler comme était une pratique utilisée contre les femmes musulmanes de Bosnie pendant la guerre. Il y a aussi, en plus, de nombreux témoignages qui attestent que pendant le conflit de 1999, quand les Albanais du Kosovo étaient confrontés aux forces militaires ou paramilitaires serbes, ils essayaient d’acheter aux soldats la protection des femmes de la famille et ainsi de leur éviter cette infamie. En sachant tout cela, on se demande comment il se fait que la même attention et la même protection ne soient pas exigées après des actes d’une telle brutalité.

Les femmes les plus vulnérables

Aujourd’hui, à Pristina, l’ONG « Jeta ne Kastriot » fournit une aide médicale et psychologique et d’autres formes de soutien à 2019 victimes. Ces femmes sont les mères de 3007 enfants, mais un seul de ces enfants est officiellement né à l’issue d’un viol. Il y a certainement un certain nombre de ces survivantes qui ne sont pas comptées dans ces statistiques de peur que si leur terrible secret venait à être révélé, elles cessent d’exister pour la société. Cette souffrance est-elle si intense que les gens au Kosovo peuvent l’ignorer, en toute conscience ?

Ces femmes sont les plus vulnérables du Kosovo, elles ont peu de droits et pratiquement aucun recours légal. La majorité de ces femmes sont des mères seules, pour la plupart leurs maris les ont abandonnées quand ils ont appris qu’elles avaient été violées. Ces victimes vivent dans des conditions très précaires et ne reçoivent aucune aide substantielle du gouvernement du Kosovo. Par exemple, de nombreuses victimes qui étaient mariées avant la guerre n’ont pas fait enregistrer leur union, ce qui était un acte de défiance envers le régime qui gouvernait alors la province. Elles découvrent maintenant que les familles des maris prennent prétexte du non-enregistrement du mariage pour les abandonner, elles et leurs enfants, quand le viol ou l’agression sexuelle est révélée.

Une grande partie de ces femmes s’infligent une vie de recluses permanentes à cause de la honte, de l’angoisse mentale et de la douleur qui revient quand elles pensent à ce qu’elles ont souffert. D’autres sortent rarement de chez elles de peur que leurs traits ravagés ou leurs cicatrices ne révèlent l’histoire qu’elles essaient désespérément de cacher, d’oublier ou de dépasser. Comment ces femmes peuvent-elles espérer vivre ?

Femmes recluses et femmes exploitées

. Si les tortures sexuelles subies par ces femmes sont l’un des secrets cachés du Kosovo, le rôle de la vaste majorité des femmes dans la société du Kosovo ne l’est certainement pas. Le rôle des femmes au Kosovo est toujours clairement défini comme secondaire par rapport à celui des hommes et consiste à veiller aux besoins de la famille. La femme porte de lourdes responsabilités, mais est aussi sujette à de grands désavantages quand elle est séparée de son réseau familial ou communautaire. Au Kosovo, la société ne permet guère à une femme de vivre seule, comme dans d’autres pays en Europe.

Les événements qui ont suivi 1999 pont laissé des cicatrices et changer le paysage du Kosovo, comme ils ont changé les gens et leurs perspectives. Les événements ont exigé des gens qu’ils s’adaptent au nouvel environnement. Il est crucial de se rendre compte que les victimes de viol sont des victimes. Les stigmates sociaux associés à de tels actes de violence abominable ont besoin d’être reconsidérés, comme l’ont été des handicaps et des blessures dont ont été victimes les anciens combattants. Il n’y a pas si longtemps, avant le conflit, certains handicaps physiques étaient source de moquerie ou bien de honte. Cependant, cette vision a commencé à changé à la suite du conflit à cause du grand nombre d’invalides et d’anciens combattants qui exigent une assistance et des soins médicaux. Mais pour ces femmes victimes de violence, le grand public et les dirigeants politiques se comportent comme si ces femmes et ces enfants n’existaient pas à cause de la honte liée à la persistance de leur traumatisme.

C’est pourquoi la société au Kosovo, y compris le gouvernement, devraient prendre des mesures concrètes pour fournir à ces victimes une assistance significative. En faisant cela, non seulement, ils allégeraient leur difficultés quotidiennes, mais ils seraient solidaires de leurs souffrances, une solidarité dont ces femmes et ces enfants ont un besoin désespéré.

Kata Mester a contribué à la rédaction de cet article.

 

La réorganisation de l’armée dans le sud de la Serbie inquiète le Kosovo
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT

Publié dans la presse : 14 janvier 2005
Mise en ligne : mardi 18 janvier 2005

À l’approche des négociations sur le statut final du Kosovo en 2005, Belgrade renforce sa présence près d’une frontière sensible. Dans le cadre des réformes de l’armée serbe, exigées par l’OTAN, il est prévu d’édifier une nouvelle base militaire entre les communes, majoritairement albanaises, de Presevo et Bujanovac. Beaucoup d’Albanais voient cette décision comme une menace ou une provocation.

Par Pedja Obradovic, Dragana Nikolic-Solomon et Muhamet Hajrullahu

Les craintes concernant une crise éventuelle autour des négociations sur le statut final du Kosovo en 2005 et la nécessité de rejoindre les standards de l’OTAN expliquent le plan controversé de réorganisation de l’armée de Serbie et Monténégro, la VSCG, destiné au sud de la Serbie.

Le plan prévoit de réunir les divisions de Nis et de Pristina au sein d’un même Commandement intégré des forces terrestres d’ici 2005.

L’aspect le plus controversé de ce plan consiste à donner pour base à la nouvelle force un vaste complexe neuf de 52 hectares situé entre deux localités majoritairement albanaises, Bujanovac et Presevo.

La construction du complexe, qui devrait être terminée fin 2005, a été perçue comme une gifle par les Albanais qui pensent qu’une telle initiative ne pourra qu’accroître les tensions entre leur communauté et les forces de sécurité serbes.

Commandement intégré à Nis

La création de ce nouveau Commandement intégré signifie que la division de Pristina cessera d’exister. Ce bataillon avait perdu la zone relevant de sa responsabilité lors de son retrait forcé du Kosovo en 1999, alors que la KFOR, la force internationale de maintien de la paix, en avait pris le contrôle.

Le Conseil Suprême de la Défense, l’institution civile en charge de l’armée, avait décidé en 2004 de réunir les commandements dans le sud et l’est de la Serbie, une région couvrant le tiers du terrtoire national.

Outre l’amalgame entre les unités, le plan prévoit le remplacement des conscrits par des soldats de métier dans les zones frontalières avec la Macédoine et le Kosovo, afin d’éviter que des conscrits aient à protéger une zone en crise.

L’indignation des Albanais a donné lieu à des rumeurs dans les médias de Belgrade concernant un « printemps chaud » entre les rebelles albanais et les forces serbes en 2005.

Malgré la colère suscitée par la base militaire, les politiciens albanais locaux tempèrent ces spéculations. Naser Aziri, vice-président du Parti démocratique des Albanais, explique : « Nous ne sommes aucunement intéressés à provoquer du désordre dans la région au printemps, malgré ce que certains colportent. Mais si la Serbie cache des intentions belliqueuses, alors oui, les gens ici se soulèveront pour défendre leur famille ».

Accord de l’OTAN

Un responsable de l’OTAN à Bruxelles déclare que l’Alliance atlantique était au courant du plan serbe et n’avait aucune objection, assurant que « tous les efforts pour que la VSCG atteigne les standards de l’OTAN étaient les bienvenus ».

« Ces mesures sont positives », a-t-il ajouté. « La réorganisation des forces armées serbes doit être achevée, c’est l’une des conditions à remplir pour rejoindre le Partenariat pour la Paix ».

La Serbie et le Monténégro ont en effet exprimé un vif intérêt pour ce Partenariat, un programme établi par l’OTAN pour les futurs États candidats.

Si l’OTAN a bien accueilli cet intérêt, elle a aussi déclaré qu’elle n’inviterait pas la Serbie et le Monténégro à se joindre au Partenariat avant que Belgrade ne fasse preuve d’une véritable collaboration avec le Tribunal de La Haye.

Les experts militaires soutiennent que le plan de réorganisation dans le sud de la Serbie n’est qu’une partie d’une stratégie de restructuration plus large, visant à réduire le nombre de militaires d’active et simplifier le commandement. Il s’agirait de placer toutes les unités d’une même zone sensible sous le même commandement opérationnel.

Le ministre de la Défense de la Serbie et du Monténégro, Prvoslav Davinic, a déclaré que ce plan n’était pas une préparation à la guerre mais une mesure de sécurité préventive.

« Nous voulons seulement envoyer le message que nous sommes capables de répondre à toute éventualité concernant notre sécurité », a-t-il expliqué aux médias de Belgrade. « Cela constitue un message clair à tous ceux qui seraient tentés de jouer avec la sécurité des citoyens du sud de la Serbie ».

Professionnalisation de l’armée en vue

Selon les experts, la décision de remplacer les conscrits par des professionnels dans la zone relève aussi d’enjeux sécuritaires plus généraux qui s’inscrivent dans la stratégie globale de restructuration de l’armée.

Zoran Dragisic, professeur à la Faculté de Défense civile de l’Université de Belgrade, soutient que les unités de police ne sont pas équipées pour faire face aux problèmes de sécurité qui pourraient surgir à la frontière du Kosovo dans l’avenir. « S’il y a un soulèvement armé ou une infiltration de groupes terroristes kosovars, la police ne sera pas capable de garder le contrôle de la situation », explique-t-il.

Le général Ninoslav Krstic, ancien commandant des Forces combinées de sécurité qui était entrées dans la zone tampon entre la Serbie et le Kosovo en 2001, après la fin de l’insurrection armée dans le sud de la Serbie, affirme que les modifications à la durée du service militaire ne donnent pas le choix à l’armée de remplacer à la frontière les conscrits par des troupes de métier.

C’est devenu inévitable puisque le service militaire est passé de 12 mois à 9 mois, ce qui est insuffisant pour entraîner adéquatement les recrues », dit-il. Autre raison à ce remplacement selon Krstic : le nombre élevé d’incidents menant au décès de jeunes recrues. « Cela affecte fortement le moral des troupes et l’image de l’armée dans la société », ajoute-t-il, avant de poursuivre : « Une tragédie reste une tragédie, mais la perception de l’opinion est différente si c’est un soldat professionnel, payé pour ce travail, qui meurt dans un incident ».

Depuis la fin du conflit entre les rebelles albanais et les forces serbes dans la région, en mai 2001, la situation est demeurée plutôt calme, bien qu’elle se soit déteriorée le 7 janvier, quand Dasnim Hajrullahu, un jeune Albanais de 16 ans, a été tué par l’armée alors qu’il essayait de franchir illégalement la frontière.

Environ 70 000 Albanais vivent dans les trois villes frontalières de Presevo, Bujanovac et Medvedja, où leur nombre dépasse celui des Serbes.

À Presevo, où plus de 90 % de la population est albanaise, le pouvoir est passé aux récentes élections locales du parti modéré de Riza Halimi (Parti de l’Action démocratique) au DPA, plus radical, lequel gouverne la municipalité en coalition avec l’Union démocratique de la Vallée et le Parti du Progrès démocratique.

Lier l’avenir du sud de la Serbie au statut du Kosovo ?

Ces trois partis prônent des solutions radicales au problème de la religion, liant l’avenir du sud de la Serbie au statut final au Kosovo et exigeant une autonomie territoriale réelle pour les trois municipalités, revendiquant même leur rattachement au Kosovo si la partie nord de celui-ci, majoritairement serbe, était un jour rattachée à la Serbie.

Le Général Krstic a aussi déclaré que Belgrade prenait la bonne décision en renforçant la VSCG à la frontière : « L’année 2005 sera très importante, car s’ouvriront les pourparlers sur le statut final du Kosovo ».

Les inquiétudes de Belgrade concernant d’éventuels troubles au Kosovo qui s’étendraient au sud de la Serbie sont partagés par Veljko Kadijevic, qui a démissionné récemment de son poste de conseiller à la réforme de la Défense auprès du ministre Davinic. Il soutient que les négociations sur le statut final « se répercuteront sur le terrain », et représentent donc une menace pour la sécurité.

Cependant, les observateurs serbes ne sont pas tous convaincus qu’une réorganisation militaire du sud du pays peut améliorer les choses. Duska Anastasijevic, analyste au think-tank Initiative pour la Stabilité en Europe (ISE), explique que ces changements ne peuvent que dégrader davantage des relations interethniques déjà mauvaises dans la région. « Les gens dans le sud de la Serbie ont besoin d’emplois, pas de troupes supplémentaires », dit-elle.

La population locale est d’ailleurs profondément divisé sur la question, les Albanais voyant la nouvelle base comme une provocation alors que les Serbes y sont plutôt favorables.

Qui veut déstabiliser le sud de la Serbie ?

L’ancien membre de la guerilla devenu politicien Orhan Rexhepi remarque que des investissements de 12,5 M € pour un complexe militaire et policier - dans l’une des régions les plus pauvres du pays - suggèrent que Belgrade entend renforcer à long terme ses positions militaires dans la zone frontalière.

« Nous nous opposerons par des moyens politiques à la construction de cette base », assure Orhan Rexhepi. « Si le complexe est effectivement construit, ce ne sera pas une bonne chose pour les personnes qui vivent ici ».

« Nous ne pouvons pas travailler dans nos champs en raison de l’armée », raconte Vuljnet Neziri de Miratovac, près de la frontière de la Macédoine. « C’est du harcèlement, leur seule présence suffit à effrayer les gens et causer de l’insécurité », ajoute-t-il.

« Quelqu’un veut déstabiliser cette région », déplore Ekrem Ljutfiju de Presevo. « Mais pourquoi diable aurions-nous besoin de nouvelles baraques pleines de soldats chez nous ? »

La communauté serbe de l’endroit ont un point de vue diamétralement opposé. Bojan Markovic, professeur d’anglais à Presevo, soutient que le nouveau complexe rassure plutôt les Serbes quant à leur avenir dans la région.

« La communauté serbe va se sentir plus en sécurité », dit-il. « La raison en est très simple : on se souvient ici des incidents récents qui ont affecté la population civile. Je dirais même que ce sera une bonne chose pour les Albanais, parce qu’ainsi les effectifs militaires et policiers dans les villages qui les dérangent seront réduits ». Markovic estime que l’armée se comporte correctement avec les habitants Albanais.

« S’il y a des incidents dans lesquels ils sont impliqués, ils ont plusieurs moyens de se faire entendre, que ce soit des organisations non gouvernementales, les visites fréquentes de diplomates étrangers ou l’attention considérable que leur portent les médias », affirme-t-il.

Ana, 23 ans, une Serbe du Presevo, pense que l’armée ne pose aucun danger pour les Albanais locaux et craint comme certains une éventuelle annexion par le Kosovo.

Ana poursuit : « J’espère que le renforcement de l’armée au printemps se passera sans problème, mais si des troubles se produisent, au moins nous aurons une certaine protection ».

Le Général Krstic soutient que l’armée devra déployer beaucoup d’efforts pour défendre son droit de protéger la sécurité du pays face aux critiques des Albanais. « Tous les militaires se doivent de protéger tous les citoyens de la République de Serbie dans la région, sans égard à l’origine ethnique ou à la religion des personnes ».

 

LAJMI
Kosovo : misère réelle et optimisme de commande
TRADUIT PAR BELGZIM KAMBERI

Publié dans la presse : 6 janvier 2005
Mise en ligne : lundi 10 janvier 2005

Aujourd’hui, la société kosovare occupe la première place mondiale dans deux domaines bien distincts : la pauvreté et l’optimisme. Nous sommes très pauvres, mais en même temps très optimistes. Comment expliquer un tel paradoxe ? Nos médias et nos dirigeants politiques sont en train de créer des citoyens schizophrènes, au ventre vide mais la tête pleine de mythes et d’optimisme irationel.

Par Blerim Latifi

Comment comprendre l’optimisme du citoyen kosovar, dont la vie est minée par la misère et les difficultés ? Plusieurs années ont passé depuis la guerre et le présent ne peut être comparé au passé . L’optimisme de 2005 est différent de l’optimisme de 1999. Ce dernier était le résultat normal de la transition entre la terreur de la guerre et une liberté relative, du passage de la peur à la sécurité. Pareilles périodes sont habituellement vécues dans l’euphorie et l’enthousiasme, deux composantes de l’optimisme.

Les temps ont changé. L’optimisme en 2005 est une toute autre chose. En fait, cet optimisme est surtout devenu la création des divers acteurs politiques et médiatiques de l’opinion publique. Le discours politique chez nous souffre d’ailleurs terriblement de cet optimisme quelque peu irrationel, lequel déforme la réalité kosovare. Les mensonges autour du « progrès dans tous les domaines » domine toujours le contenu des discours. La pensée et la perception de la réalité qui prévalent dans les cercles du pouvoir semblent ne souffrir aucune concurrence. Cette vision des choses est massivement transmise par les médias, lesquels la distillent dans le cerveau des gens sans examen critique ni modification. Le citoyen, bombardé de tous côtés par la formule « le progrès dans tous les domaines », devient évidemment optimiste.

Cet état de chose est renforcé par une culture politique autoritaire qui en impose au citoyen : « Tais-toi, car ceux qui sont en haut savent mieux que toi ce qu’il faut faire ». Bien entendu, les médias - surtout électroniques - portent la plus grande part de responsabilité, eux qui devraient servir la vérité plutôt que le pouvoir. Mais au Kosovo, ce principe est simplement inopérant. Je le répète : les médias kosovars, en particulier les médias électroniques, ont échoué à s’émanciper de leur servilité face au pouvoir. Ils continuent de remplir leur rôle avec trop de prudence et démontrent ainsi à quel point ils sont en retard sur la transition démocratique.

Le protocole gouvernemental, occupant la plus grande partie de l’espace médiatique, se transforme en instrument médiatique destiné au lavage des cerveaux kosovars. Nos médias sont en train de créer des citoyens schizophrènes, au ventre vide mais la tête pleine de mythes et d’optimisme irrationel.

(Correction : Stéphane Surprenant)

 


Pourquoi les jeunes du Kosovo reproduisent les schémas de méfiance et de haine
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS
Mise en ligne : dimanche 9 janvier 2005

Les jeunes représentent le plus grand défi pour l’avenir du Kosovo. Aujourd’hui, les enfants et les jeunes accumulent les traumatismes hérités de la guerre, et ne fréquentent presque jamais les membres d’une autre communauté ethnique que la leur. Le rôle des familles est essentiel : ce sont elles qui contribuent souvent à inculquer les schémas de méfiance et de haine.

Par Marek A.Nowicki, médiateur pour les droits de la personne au Kosovo

J’ai souvent vu, sur les routes, des panneaux indicateurs, comme ceux qui se trouvent à la sortie de Pristina, où les noms serbes de la ville ont été souillés de peinture, vandalisés, effacés ou couverts d’autocollants avec cette phrase en anglais « Indépendance pour le Kosovo ». On peut voir la même chose à la sortie de Gracanica où d’abord les noms serbes ont été barbouillés à la hâte de peinture, et quelques semaines plus tard, en représailles, les noms en albanais ont subi le même sort.

Le sort réservé à ces panneaux en dit long sur ces actes de vandalisme, sans aucun doute commis par des jeunes. Prendre une bombe de peinture, faire des graffitis, et en plus des graffiti en anglais : ce sont à l’évidence des jeunes qui ont fait tout cela.

Les enfants et les adolescents, ici comme partout dans le monde, connaissent des passages difficiles. Mais ce qui est troublant, c’est la façon dont ces actes sont acceptés socialement, tolérés, voire même encouragés au Kosovo.

Cela fait cinq ans que le conflit armé a ravagé le paysage, mais longtemps auparavant, la répression et la guerre étaient déjà dans l’air du temps avec les reportages sur les conflits en Bosnie et Croatie. Quand on pense à ce laps de temps, on s’aperçoit que tous les enfants d’âge scolaire ici sont des enfants de la guerre ou de la période d’après conflit.

Qu’est-ce que cela veut dire d’être un enfant de la guerre ?

Ces expériences ont eu une influence sur le développement mental des enfants. Bien sûr, beaucoup n’ont pas de souvenirs de première main, ou sont nés après le conflit. Et que dire de ceux qui sont nés pendant les bombardements sur l’ex-Yougoslavie ? Avec des expériences différentes, ils ont tous vécu dans des atmosphères identiques.

Ces enfants de la guerre connaissent de nombreux problèmes : beaucoup souffrent sans le savoir de troubles post-traumatiques, ils ont moins de modèles et bien souvent n’ont pas de parents ou d’adultes responsables. Ces enfants des années d’après-guerre grandissent dans un environnement difficile, encore alourdi par le chômage et un avenir politique incertain. Ces enfants sont forcés de trouver leur propre voie dans une atmosphère fortement polarisée, où ils apprennent la haine et à voir dans l’autre une menace.

Les conséquences de cette éducation sont multiples et jettent la confusion dans les jeunes esprits. Je ne peux m’empêcher de penser à ce petit Serbe de cinq ans qui demande pourquoi sa famille ne va pas à Pristina. Elle a pu aller en Serbie et au Monténégro, mais un voyage à cinq kilomètres depuis Gracanica est impensable pour le moment. La famille de cet enfant a ses racines à Gracanica depuis des générations, mais il y a aussi Pristina, la ville où des membres de la famille ont travaillé, sont allés à l’école, faisaient les courses, rendaient visite aux amis. Ces déplacements de voisinage ne sont plus possibles.

La responsabilité des familles

La situation actuelle joue un grand rôle pour le développement des enfants et l’avenir de ce pays. Les familles, les parents, et dans cette société les pères en particulier, ont une forte influence. La société ici repose sur des relations familiales fortes. Les parents et les familles ont un rôle particulier dans le processus de l’éducation des enfants, pas forcément au sens formel, mais ils sont les messagers principaux pour transmettre une compréhension du monde et faire grandir les relations humaines dans une société et une culture.

Dans une société comme celle-ci, il y a une grande différence entre la famille et l’école. L’influence de l’école est par définition beaucoup plus faible que celle de la famille. Si, dans une école, on enseigne des valeurs qui sont à la base des sociétés démocratiques et tolérantes et si ces valeurs ne rencontrent pas d’écho dans ce que l’enfant entend dans sa famille, l’efficacité de cet enseignement est remise en question.

Inutile de rappeler aux lecteurs que les parents et les familles de cette génération d’enfants sont aussi des produits de la guerre et des conflits. Ces pères et ces familles ont, malheureusement, mais de façon bien compréhensible, été négativement influencés par ces expériences.

Les enfants suivent naturellement les attitudes des adultes et des gens qu’ils considèrent avec respect. Par exemple, un enfant apprend beaucoup de choses quand il observe que son père ou son grand frère regarde autour de lui avant de serrer la main d’un ami serbe en public ou de le saluer avec discrétion de loin. Après cela, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces enfants jettent des pierres sur les bus transportant des passagers serbes.

Pas de contacts entre enfants de différentes communautés

Un des devoirs des parents est de protéger leurs enfants, en particulier des malheurs et des souffrances qu’eux-mêmes ont connus et de les protéger de la répétition de l’histoire, soit dans le rôle de la victime, soit dans celui de l’agresseur... C’est le devoir de la famille d’enseigner aux enfants un système de valeur sans haine. Aujourd’hui au Kosovo, les enfants d’origines ethniques différentes n’entrent pratiquement jamais en contact avec leurs camarades d’âge qui vivent dans les enclaves ou dans des villes géographiquement mais socialement et psychologiquement très éloignées. Cette séparation et cet environnement limité font finalement que les enfants apprennent dans leurs familles comment agir avec leurs voisins. Cette distance entre les communautés rend la situation encore pire et imprègne négativement toute une population.

Cinq ans après le conflit armé, la violence de mars dernier quand des jeunes sont descendus dans la rue, amène à se poser d’autres questions : qui a conduit ces enfants dans les rues ? Qui a appris ce code de la haine à ces jeunes ? Quand on regarde des images de ces écoliers renverser des croix, que peut-on conclure sinon que cette attitude destructrice est approuvée par les familles ?

Les bombages de peinture sur les noms des villes écrits sur les panneaux est aussi troublant parce que la langue est non seulement un moyen de communication, mais aussi le véhicule de la culture et des traditions et de la compréhension entre les peuples. Le rejet pur et simple de la langue serbe aggrave la situation. La seule façon de changer les attitudes des autres, c’est de les rencontrer, de les connaître et de les comprendre, de se familiariser avec leur entourage et de reconnaître les différences, tout en essayant d’avoir de l’empathie avec certains traits inattendus. Même si pour des raisons circonstancielles la possibilité d’aller dans des écoles vraiment multiethniques reste du domaine de l’utopie, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres options pour réduire la distance entre ces gens. Les enfants sont ceux qui, demain, vont changer et développer le Kosovo.

Il y a aussi des gens qui ont bien réagi et qui n’ont pas besoin d’être stigmatisés pour le reste de leur vie, des gens qui ont mûri sous l’influence de leur environnement.

Si on ne donne pas aux enfants l’opportunité de penser aux autres en dehors de leurs normes culturelles, si leurs familles restent aveugles devant les problèmes existants, cela va perpétuer une situation semblable aux bombages sur les panneaux : on peut ne pas être capable de les lire, mais ils sont toujours là.

Si le Kosovo doit rejoindre l’Europe, qui d’autres que les familles conduira la génération suivante vers cette réalité ?

Kata Mester a contribué à cet article.

 

Kosovo : les services secrets serbes ont couvert les crimes de guerre
TRADUIT PAR THOMAS CLAUS

Publié dans la presse : 30 décembre 2004
Mise en ligne : mardi 4 janvier 2005

Le 23 décembre, la directrice du Centre du droit humanitaire de Belgrade, Natasa Kandic, a lancé une véritable bombe en accusant les services secrets serbes d’avoir caché des crimes de guerre perpétrés durant la guerre du Kosovo, en incinérant des corps dans une usine de la ville de Surdulica. Natasa Kandic dénonce nommément plusieurs anciens membres du gouvernement, ainsi que des hauts fonctionnaires toujours en poste. Nous reproduisons le texte complet de sa déclaration, publié sur le site de B92.

Par Natasa Kandic

La dissimulation des crimes de guerre serbes commis au Kosovo en 1998 et pendant les bombardements de l’OTAN a été avant tout une tâche de la police, menée à bien par les hommes de confiance de Vlajko Stojiljkovic, alors ministre de l’Intérieur serbe, de Nikola Sainovic, alors Premier ministre serbe, de Vlastimir Djordjevic, ancien chef de la Sécurité publique, et de Rade Markovic, ancien chef de la Sûreté de l’État (DB). Dans le sud de la Serbie, l’homme de confiance était Dragomir Tomic, un haut fonctionnaire du gouvernement et du Parlement serbes à l’époque de Slobodan Milosevic, aujourd’hui propriétaire de la compagnie Simpo. Son soutien a été fondamental pour la gestion et pour le transport des corps du Kosovo jusque dans la région de Vranje et Surdulica. Ont pris part à la réalisation de ce « devoir patriotique », du Kosovo via Bujanovac, des membres de l’Unité d’Opérations Spéciales (les Bérets Rouges), des responsables locaux et nationaux de la Sûreté de l’État, et le directeur de l’usine de Mackatica - devenu à présent son propriétaire.

À Surdulica, tout le monde sait que des corps venant du Kosovo ont été incinérés dans cette usine pendant les bombardements de l’OTAN. Mais personne n’ose en parler publiquement, parce que tous ceux qui ont participé sont encore au pouvoir. Pour empêcher les témoins de parler, les chefs de la Sûreté de l’État les ont forcés à signer des déclarations où ils auraient déclaré « ne subir aucune pression psychologique pour parler de ce qui est arrivé » à Mackatica en mai 1999. Alors que les témoins visuels craignent pour la vie de leurs enfants et pour leur propre vie, l’ensemble de ceux qui ont dirigé et participé à la dissimulation des crimes continuent sans aucun problème leur activité principale : le pillage de la Serbie et de ses citoyens, activité à laquelle ils se consacraient déjà avant l’incinération des corps. Dans n’importe quel autre pays, ils seraient surveillés par les enquêteurs et par les tribunaux. Mais pas en Serbie, où les activités criminelles des groupes et des individus à l’intérieur des institutions sont reconnues comme une forme de patriotisme et de défense du peuple serbe.

La Serbie n’a pris aucune distance par rapport aux politiques et aux pratiques criminelles de son ancien régime. Pourtant, elle n’a pas d’autre option que de se soumettre aux principes de base de la responsabilité d’un État, ce qui implique l’ouverture d’un débat parlementaire sur les fosses communes, la réalisation d’enquêtes concernant les soupçons d’incinération des corps d’Albanais du Kosovo et la condamnation des membres de la police et de tous ceux qui y ont pris part.

Selon des données collectées par le Centre du droit humanitaire auprès de nombreuses sources différentes, l’incinération des corps dans l’usine de Mackatica s’est produite à deux reprises, les 16 et 24 mai 1999, après minuit, sous la protection des Bérets Rouges, qui à cette époque occupaient une base dans le village de Bele Vode, près de Vranje. Selon ces mêmes données, Milorad Lukovic Legija, alors commandant des Bérets Rouges, a personnellement accompagné un chargement de corps et a assisté à l’incinération. Les corps étaient incinérés dans les fours n° 4 et 5. À en juger par les commentaires de la Sûreté de l’État à Surdulica juste après l’incinération, il y aurait eu des enfants parmi les victimes.

L’organisation de l’incinération des corps aurait été dirigée par Zoran Stosic, alors chef de la Sûreté de l’Etat pour le district de Pcinja, et aujourd’hui inspecteur général du ministère de l’Intérieur pour les communes de Vranje, Leskovac, Nis et Prokuplje ; par Bratislav Milenkovic, chef de l’Agence pour la Sécurité et l’Information (BIA) pour Vladicin Han, Surdulica et Bosiljgrad ; par Dragan Stankovic, chef de l’Office des Affaires intérieures à Surdulica depuis 1993 ; par Miroslav Antic, chef de la BIA à Vranje ; par Dragan Lakicevic, qui était le directeur de l’usine de Mackatica et qui en est maintenant le propriétaire ; ainsi que par son adjoint, Aca Djordjevic.

Quand les véhicules militaires TAM 110 arrivaient avec les corps, Bratislav Milenkovic et Dragan Stankovic éloignaient les gardiens habituels de l’usine et les remplaçaient par des membres de la police, sous le contrôle de Dragan Stankovic, Dragoslav Djikic - un employé de la Sûreté de l’État à Surdulica - et Tomislav Velickovic - le responsable de l’Office des Affaires intérieures à Surdulica.

Suite aux événements de Mackatica, de nombreux témoins visuels ont été conraints à signer la déclaration évoquée plus haut, ainsi que des personnes ayant appris ce qui était arrivé, qui ont contacté des membres de la police en qui ils avaient confiance, espérant provoquer un mouvement pour élucider les événements. Au lieu de cela, ces personnes ont été averties au niveau local de ne pas réitérer leur démarche.

Selon une information reçue par le Centre du droit humanitaire, la décision d’utiliser l’usine de Mackatica pour incinérer les corps a été suggérée par la découverte d’un camion frigorifique chargé de cadavres, près de Kladovo, en avril 1999. Les personnes chargées du « nettoyage » du terrain ont annulé l’ordre d’enterrer les corps transportés du Kosovo via Bujanovac dans des lieux inaccessibles, et ont introduit une nouvelle technique de destruction des preuves par l’incinération.

Se référant aux activités criminelles des responsables de la police et de la Sûreté de l’État à Surdulica et Vranje, un groupe de citoyens anonymes a déposé plainte en septembre 2004 auprès de Vladimir Bozovic, Inspecteur général du ministère de l’Intérieur ; de Rade Bulatovic, directeur de la BIA ; de Dragan Jocic, ministre de l’Intérieur de Serbie ; et de Vojislav Kostunica, Premier ministre, en fournissant la preuve des abus des autorités. À ce jour, pourtant, personne n’a émis le moindre commentaire sur ces preuves qui, associées aux informations relatives au racket, aux détournements, aux paiements fictifs, aux propriétés acquises illégalement, et aux autres types d’activités criminelles, incluant la destruction des archives de la Sûreté de l’Etat, éclairent le rôle des « patriotes » et de ceux qui ont combattu pour le peuple serbe au moment des bombardements de l’OTAN et après la chute du régime de Milosevic.

 

Déplacés du Kosovo : l’éternel retour
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS

Mise en ligne : jeudi 4 novembre 2004

Dans un jeu d’échecs, les pions sont les pièces qui sont le plus souvent manipulées et le plus souvent sacrifiées. Ces pions ont peu de champ de manœuvre sur l’échiquier. Dans le jeu politique en cours au Kosovo, les personnes déplacées et leur droit au retour sont des pions. Le point de vue du médiateur pour les droits de la personne au Kosovo.

Par Marek Antoni Nowicki, médiateur pour les droits de la personne au Kosovo

Depuis que la partie a commencé, le droit au retour a été au cœur de presque toutes les discussions concernant l’agenda politique au Kosovo. Il y a cinq ans, l’administration dirigée par les Nations unies est arrivée en présence des troupes de la KFOR, alors qu’une foule de Serbes et de non-Albanais fuyaient le pays.

Aujourd’hui, il n’est pas très difficile de comprendre le malaise de la communauté internationale quand les non-Albanais continuent à quitter le pays sous les yeux de cette présence internationale, en dépit des appels répétés au retour. Les informations documentées sur le départ de ces familles ces cinq dernières années sont beaucoup trop limitées.

Personne ne dispose de chiffres exacts sur le nombre de Serbes et de non-Albanais qui ont quitté la province. Et quand on dispose de chiffres, les différents joueurs présentent des statistiques qui varient considérablement. Et pourtant, des milliers et des milliers de Serbes, d’Ashkalis, de Rroms et de membres d’autres minorités ont quitté le Kosovo depuis 1999. Beaucoup de ces gens non comptabilisés vivent aujourd’hui en Serbie ou au Monténégro, dans des conditions précaires et sans statut légal. Il suffit de visiter un de ces centres collectifs pour comprendre le sort tragique de ces hommes et de ces femmes du Kosovo.

Mais aujourd’hui, après toutes ces années, ces centres collectifs ferment peu à peu leurs portes, mettant à la rue les personnes déplacées. Des récits dans la presse du Monténégro font état du désespoir de ces personnes, qui pour certaines ont choisi de se suicider pour en finir.

Le droit de retour n’est pas seulement une question humanitaire, c’est un droit fondamental de la personne. Aussi devrait-il être respecté et suivi par tous ceux qui sont impliqués dans ce problème, y compris la communauté internationale. Malheureusement dans les Balkans, comme ailleurs dans le monde, les personnes déplacées sont sans pouvoir, et sont seulement des pions dans les diverses stratégies politiques en compétition.

Les responsabilités de la Serbie et de la communauté internationale

Les autorités serbes font état de plus de 200 000 non-Albanais ayant quitté le Kosovo depuis 1999, alors que les Nations Unies et les ONG réduisent ces données d’une manière significative. Même si leurs ressources sont limitées, la Serbie et le Monténégro font bien peu pour alléger le sort de ceux qui ont fui le Kosovo.

Pourquoi ces gouvernements n’accordent-ils pas aux personnes déplacées les mêmes droits dont bénéficient les réfugiés de Bosnie, puisqu’il est impossible de déterminer quand ces personnes pourront revenir au Kosovo ?

La question est bien sûr de la responsabilité de ces gouvernements, mais dans le même temps, c’est aussi au moins une obligation morale de la part de la communauté internationale de les aider. Elle a le devoir de veiller aux besoins des personnes déplacées, puisque la province n’est pas dans la situation de pouvoir faire face, sous bien des aspects, à leur retour. Malgré beaucoup d’argent et de nombreux efforts consacrés au retour, les résultats sont vraiment calamiteux. Les données du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) pour ces cinq dernières années le montrent clairement.

Les trop nombreuses « Années du retour »

Dans ce contexte de statistiques peu satisfaisantes, d’autres questions se posent. Comment une institution internationale ou locale peut-elle discuter du retour des personnes déplacées et élaborer une stratégie à long terme sans ces chiffres indispensables ? Ce n’est peut-être pas par accident qu’il est presque impossible de trouver des données complètes pour indiquer, au moins, combien de familles ou de personnes sont parties ces cinq dernières années, en ayant en mémoire les efforts et les dépenses considérables consacrés aux retour des personnes déplacées. Souvenons nous comment, chaque année depuis 1999, les autorités ont renouvelé les campagnes publiques à ce sujet en proclamant l’année en cours « Année du retour » ? Combien de fois encore assisterons-nous à ce genre d’exercice ? 2005 sera-t-elle aussi une nouvelle « Année du retour » ?

Loin de ces chiffres et statistiques, les gens quittent régulièrement le Kosovo, si ce n’est en masse, famille après famille. Le schéma du départ existe et a été renforcé après les violents événements de mars dernier.

On comprend facilement cette décision de partir. Il est difficile d’ignorer ce que ces communautés, ces familles et leurs voisins ont vécu ces cinq dernières années.

Il serait bon de comprendre pourquoi la question du retour des personnes déplacées n’a pas avancé d’une manière significative. Beaucoup de ces personnes parlent ouvertement de leurs craintes et du manque de sécurité pour leur communauté. Au Kosovo, des attaques violentes se produisent toujours, même si elles ne sont pas aussi fréquentes qu’auparavant, tout comme les tensions demeurent considérables entre les communautés. Des récits venus du Kosovo et colportés par les médias ou les personnes déplacées elles-mêmes circulent parmi les déplacés vivant en Serbie. Ces histoires donnent à ces familles une perception bien particulière de la situation au Kosovo, si jamais elles choisissaient d’y retourner. Mais cela n’explique pas tout.

La stagnation économique est un des facteurs clés. Ce sont les communautés non-Albanaises qui sont les plus touchées. La plupart de leurs biens, leurs appartements, leurs fermes, leurs terres ont été volés ou sont occupés. Étant donné le manque de clarté sur le statut de la province et la situation générale, beaucoup de ces biens ont été vendus à bas prix surtout dans les villes. Les ventes continuent, y compris celles des maisons reconstruites après les destructions de mars.

Les conditions de vie d’une manière générale n’encouragent pas que les non-Albanais a quitté le pays. J’entends souvent cette remarque, accompagnée d’un sourire ironique, venant des jeunes Albanais du Kosovo quand je leur parle de la question du retour ; les Serbes et les autres veulent revenir, et nous, nous attendons la première occasion pour quitter le pays.

Qui sait mieux que les autorités de Belgrade quels efforts il faut faire pour attirer les gens au Kosovo et continuer d’y vivre ? Cela n’est pas propre à l’actuelle direction, mais remonte au temps du Maréchal Iito. Beaucoup de Serbes restent parce qu’il y a des structures parallèles et un soutien apporté par Belgrade.

La grande question est de savoir si le Kosovo sera indépendant, partagé ou si une entité politique différente émergera. Si j’étais une de ces personnes déplacées, qui attend depuis cinq ans dans un centre collectif en Serbie ou au Monténégro, j’aimerais savoir dans quel Kosovo je vivrais si je décidais d’y retourner ; Cette question a été soulevée par toutes les parties, les gouvernements successifs et les joueurs, mais aucune réponse adéquate n’a été donnée jusqu’à présent. Il est difficile d’imaginer qu’un Kosovo indépendant pourrait encourager les Serbes au retour, bien au contraire.

Je suis bien conscient que dire cela est tout à fait incorrect politiquement, mais personne ne doit jouer avec la vie des gens. Des efforts locaux e internationaux, sincères et ouverts devraient être faits sur la question du retour. C’est même l’obligation de la communauté internationale et du gouvernement du Kosovo, même si cela est difficile, de rendre possible à chacun, s’il le décide, de revenir.

D’un autre côté, les gens qui, pour quelque raison que ce soit, décident de rester là où ils sont, doivent trouver les conditions propices à leur intégration. Les raisons politiques du miracle du retour ne doivent pas être une justification pour les laisser vivre comme aujourd’hui avec un statut précaire et des conditions de vie très fragiles

Combien de temps les personnes déplacées vont-elles servir de pions ? Chacun de nous, après tout, ne dispose que d’une seule vie.

Kata Mester a contribué à ce point de vue.
Ce point de vue a été initialement publié le 29 octobre dans le quotidien Koha Ditore.

 

Kosovo : les défis qui attendent le futur gouvernement
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS

Publié dans la presse : 20 octobre 2004
Mise en ligne : vendredi 22 octobre 2004

Le nouveau gouvernement devra essayer de satisfaire beaucoup d’espérances : réduire le chômage, s’attaquer à la crise énergétique et scolaire, sans oublier la question du statut final du Kosovo. Les élections du 23 octobre représentent un enjeu majeur pour l’avenir du territoire placé sous protectorat des Nations Unies.

Par Arben Salihu, Muhamet Hajrullahu et Jeta Xharra

Plus de 1,3 millions d’électeurs inscrits vont avoir l’occasion de donner forme au futur gouvernement du Kosovo ou, plus exactement, aux institutions provisoires du gouvernement du Kosovo.

Comme aucun parti n’obtiendra plus de 61 sièges, sur les 120 que compte l’Assemblée, pour former une majorité homogène, la nouvelle administration a de fortes chances de ressembler à celle d’aujourd’hui, qui a recours à des arrangements entre partis, ce qui est vivement critiqué comme source d’inefficacité.

Au total, 27 partis et 5 candidats indépendants vont se disputer les sièges au Parlement au cours de ces élections du 23 octobre. Dix sièges sont réservés aux Serbes et dix autres aux petites minorités, les Bosniaques, les Rroms, les Ashkalis, les Egyptiens et les Goranis ;

Les élections d’après guerre en 2001 ont eu pour résultat la formation d’une coalition dominée par les trois plus grands partis albanais, la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK), le Parti Démocratique du Kosovo (PDK) et l’Alliance pour l’Avenir du Kosovo (AAK). Jusqu’à présent, l’administration du Kosovo n’a que peu de pouvoir car, selon la résolution 1244 de l’ONU, l’entité est effectivement administrée comme un protectorat.

Des élections plus importantes qu’en 2001

Les pourparlers sur le statut final du Kosovo doivent commencer en 2005, ce qui rend ces élections beaucoup plus cruciales que les précédentes. Le futur gouvernement aura des pouvoirs plus étendus, une fois que l’administration internationale transmettra tous ou la plupart de ses responsabilités.

« Ces élections sont particulièrement importantes parce que pendant les trois années à venir, le processus de détermination du statut final du Kosovo devra commencer et se conclure », estime Naim Maloku, vice-président de l’AAK.

Pour Xhavit Haliti, député du PDK, le transfert de pouvoir sera un formidable défi pour les hommes politiques. « Ceux qui vont gouverner auront du pain sur la planche. Ils devront répondre aux standards, gérer la crise énergétique, créer un environnement sûr et assurer la liberté de mouvement de tous les citoyens ».

Pour Muhamet Hamiti, membre de la LDK et porte-parole du Président Ibrahim Rugova, les incohérences des différents ministres du gouvernement, dirigé par différents partis, ont grandement gêné le gouvernement pour mener ses taches. « Certains ministres se sont comportés comme s’ils étaient dans l’opposition. Le gouvernement était dans l’impossibilité de fonctionner normalement ».

Pour Heather Kashner, directrice du National Democratic Institute, un think tank basé à Pristina, « une des premières choses que le nouveau gouvernement devra faire sera d’avoir un programme plus cohérent sur des questions comme l’économie, l’éducation et l’environnement ».

Des recherches faites par le Programme de Développement des Nations Unies (PNUD) et par le bureau du Premier ministre sur la bonne gouvernance montraient que le public classait le gouvernement et la présidence parmi les cinq institutions les plus corrompues du Kosovo.

Leon Malazogu, directeur de recherches à l’institut pour une politique de recherche et de développement du Kosovo (KIPRED), pense que la meilleure façon de combattre cette idée est de favoriser une opposition parlementaire plus vigoureuse.

Le Kosovo aurait besoin d’une véritable opposition

« Pour avoir un système de contrôle et d’équilibre, le Kosovo a besoin d’une opposition. Plus il y aura d’opposition, et moins les institutions gouvernementales se livreront aux abus ». Mais pour Ramush Tahiri, conseiller auprès du président du Parlement, un tel développement est peu vraisemblable, tant que les dirigeants des partis s’accrocheront tous à l’idée de faire partie du gouvernement. « Les principaux partis sont plus intéressés par le pouvoir, même si ce n’est qu’un simple ministère, plutôt que d’être dans l’opposition ».

Pour lui, les prises de bec après les élections vont se concentrer pour savoir à qui va revenir le contrôle des ministères les plus lucratifs, comme les transports, les finances, l’économie ou l’agriculture. « Beaucoup de gens pensent que ceux qui remportent les appels d’offres pour construire des routes ou d’autres services donnent 15 % de la valeur des travaux aux ministres sous forme de pots de vin », explique-t-il. Heather Kashner, toutefois, pense qu’il sera plus difficile au futur gouvernement de continuer ces pratiques.

« Les Kosovars ont désormais plus de jugeote, et ils en ont assez d’entendre leurs dirigeants accuser la communauté internationale. Vous pouvez être sûr que le futur gouvernement devra rendre des comptes sur ce qui se passera pendant son mandat ».

Le futur gouvernement devra tenir compte de la frustration de l’opinion publique sur les questions du chômage, des coupures d’électricité, de la pauvreté des écoles tout autant que de celle du statut final.

Heather Kashner, craint cependant qu’il y ait encore des gens avec des espérances irréalistes sur ce que leur propre gouvernement ou la communauté internationale peuvent faire dans les mois à venir. « Comme on l’a vu auparavant, les espérances déçues ne sont pas une bonne chose ».

 

Environnement : les centrales d’Obilic menacent le Kosovo d’une catastrophe sanitaire
TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS

Publié dans la presse : 27 août 2004
Mise en ligne : samedi 4 septembre 2004

Cancers du poumon et maladies respiratoires font des désastres dans les villages qui se trouvent à côté des centrales électriques vieillissantes du Kosovo. Les émanations toxiques sont 74 fois supérieures aux normes européennes. Alors que la production d’électricité est toujours insuffisante, le protectorat des Nations Unies est menacé par une véritable catastrophe sanitaire.

Par Arberi Slihu

Les rues du village de Dardhishte, situé à sept kilomètres au nord-ouest de Pristina, sont désertées et pleines de poussière. Si l’on regarde de plus près, le faîte des toitures est recouvert d’une couche rouge sombre de particules, qui semble provenir de la cheminée en béton voisine, haute de 70 mètres, qui appartient à Kosova A, une des deux centrales thermiques de la Compagnie d’électricité du Kosovo, la KEK.

En regardant cette grande cheminée, qui rejette d’énormes nuages de fumée d’un jaune sinistre, Muhamet Gërguri 37 ans, un des dirigeants du village, explique que les familles locales ont beaucoup d’appréhension envers cette cheminée. « À Dardhishte, tu as de la chance si personne de ta famille n’est mort ou n’est en train de mourir d’un cancer ».

Beaucoup de preuves soutiennent les craintes des villageois sur l’impact terrible de cette usine sur leur santé. Un rapport du ministère de l’Environnement du Kosovo datant de mai 2003 expliquait que Kosova A rejetait en gros 2,5 tonnes de poussière par heure, ce qui est 74 fois supérieur aux standards européens.

Le même rapport concluait que dans la région d’Obilic, où se trouvent les centrales, la pollution de l’air est responsable du décès de 63% des cas de mortalité infantile et de 48% des enfants morts nés.

Ce même rapport souligne aussi que les effets nuisibles de Kosova A se répandent plus loin que les villages environnants, et que la ville de Pristina connaissait au moins 18 jours par an des nuages de poussière et de fumée, apportés par le vent, en provenance des centrales thermiques.

Mais c’est la région d’Obilic qui souffre le plus des centrales électriques du Kosovo. Les familles ayant des membres atteints d’un cancer du poumon ou d’autres maladies respiratoires sont beaucoup plus nombreuses que l’on aurait le droit de s’y attendre dans une région rurale.

Valon Mexhuani, 21 ans, commerçant à Dardhishte, accuse la pollution de Kosova A de la mort récente de son oncle. « Je sais que c’est la pollution du KEK, puisque mon oncle est mort d’un cancer du poumon, comme tant d’autres ici ».

La peur de l’atmosphère contaminée a éloigné beaucoup de gens du village. Depuis la guerre de 1999, à peu près 40% de la population de Dardhishte est partie dans d’autres villages ou dans les villes, pour fuir cette pollution. Ceux qui restent n’ont nulle part où aller et ne peuvent pas vendre leur maison, car il y a peu de personnes désireuses d’acquérir quoique ce soit dans ce village.

Kosova A et Kosovo B en accusation

On attribue essentiellement la pollution à une mauvaise maintenance globale des deux centrales, Kosova A et Kosova B, et au mauvais fonctionnement des filtres. Les filtres de Kosova A, en provenance de l’ancienne Union Soviétique, ne fonctionnent qu’à moitié de leur capacité.

Il semble que le mauvais état des filtres ne soit pas la seule cause de la pollution. Des ouvriers de Kosova A explqiuent que lors de la seconde et de la troisième équipe, de 4 heures de l’après midi à 8 heures du matin, on enlève souvent complètement ces filtres.

Nysret Temava, technicien à Kosova A, affirme que des ouvriers de ces équipes ont enlevé les filtres pour ne pas avoir à les surveiller. « C’est par pure paresse. Ils ne veulent pas avoir à se tenir près des machines. Voilà pourquoi ils enlèvent les filtres, pour faciliter leur travail ».

Muhamet Gerguri, qui travaille lui aussi au KEK, explique cette pratique un peu autrement : « Les filtres réduisent la production de puissance, c’est pourquoi ils sont enlevés la nuit sans aucune considération pour les questions de santé ».

Pas d’étude indépendante sur la pollution

Le seul institut officiel du Kosovo autorisé à mesurer la pollution est l’institut INKOS. Mais comme il est rattaché au KEK, responsable en premier lieu de la pollution, cet institut n’est guère indépendant.

De plus, les responsables d’INKOS affirment ne pas posséder le matériel nécessaire pour mesurer la toxicité de l’air, expliquant qu’il leur avait été volé ou bien détruit quand les Serbes se sont retirés du Kosovo en juin 1999.

Raif Bytyqi, coordinateur pour les questions d’environnement auprès d’INKOS, reconnaît son impuissance. « Quand nous voyons la couleur de l’eau usée qui s’écoule sans être traitée, nous savons qu’elle contient des éléments toxiques, que nous ne pouvons pas mesurer faute du matériel nécessaire ».

INKOS est aussi incapable de confirmer ou d’infirmer les rapports selon lesquels les filtres sont enlevés pendant les équipes de nuit, puisque INKOS ne s’occupe que de la première équipe.

La poussière polluante, mélange de plomb, de différents produits chimiques transportés par l’air et de dépôts usés, s’en prend à l’air du Kosovo, à la terre et à l’eau, en égale proportion.

Les eaux usées non traitées provenant des dépôts de cendre, ayant du phénol, un produit chimique très toxique, se déversent dans le cours d’eau de Dardhishte, qui inonde les maisons pendant et après les grosses pluies.

Ali Muriqi, chercheur à l’Université de Pristina, explique que l’effet de ces phénols se développe à court et long terme, « développant des cancers et des maladies psychiques et physiques chez les nouveaux nés ».

Ces phénols, que les fortes pluies relâchent dans le cours d’eau du village, contaminent aussi les puits des jardins dont beaucoup de paysans se servent pour leur eau potable.

Pas de solution en vue

Zeqir Veseli, conseiller au ministère de l’environnement, ne s’attend pas à une rapide amélioration. « Nous n’avons pas d’expérience sur les problèmes environnementaux », reconnaît-il, en ajoutant que le Kosovo n’a pas non plus d’infrastructure légale ni de savoir-faire permettant de punir une grande société comme la KEK.

Zeqir Veseli est convaincu que l’argent est le plus gros obstacle pour s’attaquer à une alerte environnementale contre la pollution émise par les centrales de la KEK. « Mettre en conformité la législation environnementale aux standards européens a coûté 1,7 milliard d’euros à la Slovénie », ajoute-t-il, faisant référence à la plus riche république de l’ancienne Yougoslavie.

Blerim Vela, du Centre Régional de l’Environnement TEC, une ONG internationale qui fait campagne contre la pollution du KEK, affirme que le Kosovo devra choisir quelle est sa priorité, un air pur ou bien de l’électricité. « Les institutions du Kosovo sont sous forte pression. Elles ne peuvent pas demander au KEK de s’arrêter, car on est à court d’énergie au Kosovo. D’un autre côté, la production d’énergie est source de pollution ».

Blerim Vela souligne que le niveau de pollution atteint par les centrales du KEK était fort menaçant. « Le dernier contrôle effectué par l’Institut de Santé et de Sécurité au Travail a conclu que tous les travailleurs des centrales souffraient d’une maladie respiratoire ».

Pour les villageois de Dardhishte, ce n’est pas une bonne nouvelle. Valon Mexhuani s’en irait volontiers s’il pouvait trouver un endroit où aller. Son dernier espoir est que le gouvernement développe un projet d’aide aux familles de Dardhishte pour échapper aux dangers de la vie près des centrales. « Nous avons entendu des promesses de relogement pour 40 familles le plus directement concernées, mais pour l’instant rien n’a été fait ».

Palokë Berisha, porte parole de la KEK, réplique : « Oui, nous sommes conscients que les centrales polluent, mais la maintenance de Kosova A et l’achat de nouveaux filtres représentent des investissements que la KEK ne peut pas se permettre ».

Pour ce qui concerne les filtres qu’enlèvent les travailleurs de Kosova A, Palokë Berisha affirme : « Je ne suis pas au courant que les filtres soient délibérément enlevés par les travailleurs, et il n’y a pas de raison que cela se produise ».

Confronté aux résultats du rapport du ministère de l’Environnement sur le lien entre les décès des bébés et la pollution locale, Berisha réplique : « Je n’ai pas eu connaissance de ces données, mais si elles sont avérées, je ne peux que reconnaître qu’elles sont absolument tragiques ».

 

Transition économique au Kosovo : un processus bloqué


Mise en ligne : dimanche 23 mai 2004

Au Kosovo, le processus de privatisation, annoncé comme prioritaire par l’administration provisoire des Nations Unies en charge du Kosovo (MINUK) est en panne depuis l’automne dernier. Entretien avec Bahri Shabani, président de l’Union des syndicats indépendants du Kosovo (BSPK).

La controverse autour des revendications de Belgrade sur la propriété des sociétés publiques empoisonne la vie politique du Kosovo et semble avoir joué un rôle non négligeable dans le déclenchement des émeutes de mars dernier. La province compte aujourd’hui près de 60% de chômeurs, sans compter les milliers de salariés à temps partiels dans des entreprises tournant au ralenti.

Le BSPK, unique organe syndical albanais au Kosovo, regroupe 16 fédérations professionnelles et compte environ 118 000 adhérents (sur une population active estimée à 300 000 personnes), issus principalement du secteur public et coopératif. Créée après la suppression du statut d’autonomie de la province, la centrale syndicale, au départ illégale, a eu un rôle essentiellement politique durant les années 90 dans la lutte contre le régime de Milosevic.

Entretien réalisé par Anne Madelain

Au sein du Kosovo Trust Agency (KTA), le BSPK est associé aux réformes mises en œuvre par l’administration des Nations Unies en matière sociale et économique et en particulier au processus de privatisation. Comment évaluez-vous la situation actuelle de ce processus ?

Bahri SHABANI : le BSKP soutient depuis le début le processus de privatisation des entreprises publiques et coopératives de travailleurs, parce que ces entreprises sont en état de faillite et qu’elles ne peuvent se redresser seules. Le décret d’application promulgué par la MINUK autorise deux types de privatisations : celui où l’acheteur doit mettre en place un programme de développement comportant des obligations précises en matière d’emploi et l’autre où l’acheteur peut faire ce qu’il veut de l’entreprise. Nous cherchons bien sûr à promouvoir le premier mode. Par ailleurs, dans cette loi qui n’a pas été conçue au Kosovo, la politique est très présente, la formulation des lois par les juristes de New York est peu claire et laisse beaucoup d’ambiguïtés. Nous demandons donc le respect de critères clairs et luttons pour une protection maximale des travailleurs. Ce qui nous intéresse, c’est l’emploi. Et pour le moment, nos entreprises sont détruites par la guerre et le passé. Il peut paraître paradoxal que nous soutenions la privatisation de ces entreprises, mais nous n’avons rien à perdre, car nous sommes hors circuit.

Le BSPK est associé formellement aux discussions sur les privatisations au sein du KTA, dirigé par le 4e pilier de la MINUK, sorte de ministère responsable du développement et l’économie du Kosovo. C’est un organe au dessus du gouvernement du Kosovo, qui rend ses comptes directement à l’Administrateur de la MINUK. Cette agence a de nombreuses compétences, dont celle d’administrer ou de contrôler toutes les entreprises publiques et privées. Elle est responsable également de la privatisation. Le conseil exécutif du KTA compte 8 membres : 4 internationaux et 4 locaux, parmi lesquels il y a 3 ministres du gouvernement du Kosovo -2 albanais et 1 serbe- ainsi que moi-même, en tant que président du BSPK, mais le directeur de l’agence et ses adjoints, désignés par le conseil exécutif, sont des internationaux.

Quelles sont les raisons du blocage actuel de l’application de la loi sur les privatisations, suspendue depuis l’automne dernier ?

BS : Le processus de la privatisation a été bloqué en octobre 2003 sur décision du directeur du KTA, Nicolas Lambsdorf, qui, je pense n’a pas respecté le règlement du KTA, car il a pris cette décision sans consulter les membres du Conseil exécutif. Je pense qu’il l’a prise à la demande du Gouvernement de Belgrade qui ne cesse pas de faire barrage à la privatisation au Kosovo, sous prétexte que les entreprises au Kosovo appartiennent à la Serbie.

La raison invoquée par M. Lambsdorf à cette décision a été la nécessité de modifier certaines règles de la privatisation pour le futur. Or les nouvelles règles proposées par M. Lamsdorf et Mme Fuci, son adjointe, sont contradictoires avec celles proposées par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Elles tendent à faire reconnaître de façon indirecte la Serbie comme propriétaire des entreprises kosovares. Auparavant la question de la propriété relevait de la Cour suprême du Kosovo présidée par des internationaux.

Quelle est votre position sur les revendications de la Serbie sur le capital industriel du Kosovo ?

BS : Les demandes des Serbes concernant la propriété de l’industrie du Kosovo n’ont pas de base légale et ni d’arguments valables. Les mines au Kosovo ont été créées par la nature, avant d’être des constructions humaines. Quant au développement de l’industrie, la plus grande contribution a été apportée par les travailleurs du Kosovo, qu’ils soient albanais ou serbes. Les transformations de la propriété opérées pendant le régime de Milosevic sont inacceptables, autant pour les Kosovars et pour la Communauté internationale. Nous avons une Cour de justice indépendance qui pourra trancher des contentieux et des prétentions des uns et des autres. Les prétentions des Serbes au sujet du Kosovo sont connues et je ne suis pas étonné pour ma part de la position du gouvernement de Belgrade. La question des demandes des Serbes du Kosovo est une autre chose. La Minuk, avec sa politique, a, en quelques sortes, gâté les Serbes en leur laissant la possibilité d’agir en dehors des lois du Kosovo. Ce comportement de la Minuk aura des conséquences sur le développement et la démocratisation du Kosovo.

Quel lien faites-vous entre les événements de mars 2004 et le soulèvement populaire au Kosovo et ces blocages du processus de privatisation des entreprises publiques ?

BS : La situation politique et économique actuelle du Kosovo ainsi que le statu quo créé par la Communauté internationale et la MINUK ne contribuent pas à la stabilisation ni du Kosovo et ni de la région. Le blocage du développement économique, comme cela était le cas dans le processus de privatisation, a été l’un des éléments des troubles du mois de mars. Avec ce statu quo du développement économique, la MINUK a crée plus de pauvreté au Kosovo, un climat d’insécurité, et pour les potentiels investisseurs, une situation sociale lourde, qui a fini par exploser. De toutes façons, il faut toujours un prétexte pour sortir ce qu’on retient. Pour résumer, c’est l’absence du statut politique du Kosovo et le blocage du développement économique qui sont facteurs de troubles. Il ne faut pas culpabiliser les citoyens du Kosovo pour ce qui s’est passé, mais il faut comprendre d’où est sortie cette violence ethnique. Actuellement au Kosovo il y a 57% de chômage. Pourtant, je crois que malgré tous ces problèmes, le Kosovo avec l’aide de la Communauté internationale arrivera à surmonter cette situation et que nous aurons un mouvement vers la démocratisation et le développement économique.

 

AMNESTY INTERNATIONAL
Kosovo : la KFOR et la MINUK tolèrent la traite des êtres humains

Publié dans la presse : 6 mai 2004
Mise en ligne : jeudi 6 mai 2004

Amnesty International vient de rendre public un rapport accablant pour la communauté internationale au Kosovo. Le proxénétisme et la traite des êtres humains se développent dans la quasi-impunité. Les jeunes femmes victimes sont traitées en délinquantes par la police, et les personnels internationaux représenteraient 20% des clients.

« Il a dit que nous lui appartenions. En nous achetant, il avait acquis le droit de nous battre, de nous violer, de nous laisser mourir de faim et de nous contraindre à avoir des rapports sexuels avec des clients »... « Même lorsqu’il faisait froid, j’étais obligée de porter des robes légères... le patron me forçait à me mettre au service des policiers et des soldats de la force internationale ». Tels sont les témoignages de femmes et de jeunes filles exploitées par des réseaux de proxénétisme, que cite le rapport d’Amnesty International [1].

En dépit de certaines avancées positives, la traite des femmes et des jeunes filles persiste et reste l’une des formes de violation des droits humains les plus honteuses au Kosovo. La communauté internationale est responsable du développement de l’industrie du sexe, lié à l’exploitation des femmes vendues à des réseaux de proxénétisme, a déclaré Amnesty International lors d’une conférence de presse au cours de laquelle ont été révélés les résultats d’une enquête sur la traite des êtres humains au Kosovo.

La communauté internationale est responsable du développement de l’industrie du sexe

Des femmes et des jeunes filles sont vendues comme esclaves. Elles sont menacées, battues, violées et enfermées par ceux qui les ont achetées. Comme des soldats et policiers de la force internationale font partie de leurs clients, les femmes et les jeunes filles ont souvent trop peur pour s’enfuir et les autorités ne leur apportent aucune aide.

Un rapport sur la protection des droits des femmes et des jeunes filles contraintes à la prostitution au Kosovo (index AI EUR 70/010/2004) révèle que les femmes et les jeunes filles vendues risquent de subir toute une série d’atteintes à leurs droits fondamentaux, parmi lesquels on peut citer l’enlèvement, la privation de liberté et l’absence de liberté de mouvement, la torture et les mauvais traitements, notamment les menaces psychologiques, les coups et les viols.

Certaines femmes, jeunes ou très jeunes, souvent vulnérables du fait d’une situation économique défavorable ou parce qu’elles ont déjà été victimes d’abus sexuels, sont des proies faciles. Elles rêvent d’une vie meilleure, que leur promettent les trafiquants en leur proposant de venir « travailler » en Europe de l’Ouest. Au lieu d’obtenir un véritable travail, ces femmes et ces jeunes filles se retrouvent prises au piège, réduites à l’état d’esclaves et contraintes à la prostitution.

Selon certaines informations, le nombre d’établissements abritant des femmes et des jeunes filles contraintes à la prostitution serait passé de 18 en 1999 à plus de 200 en 2003. Dans le même temps, les poursuites pour traite d’êtres humains sont restées très peu nombreuses.

« Après avoir échappé à une première série d’atteintes aux droits humains, les femmes et les jeunes filles victimes de ces réseaux sont soumises à une deuxième série de violations de leurs droits aux mains des trafiquants. Lorsqu’elles parviennent à s’enfuir, elles rencontrent souvent une troisième série d’épreuves, cette fois aux mains des autorités », a déclaré Amnesty International.

Les policiers de la MINUK traitent les victimes en délinquantes

Bien que les autorités aient pris certaines mesures positives pour combattre la traite d’êtres humains au Kosovo, les femmes et jeunes filles victimes des réseaux de trafiquants sont souvent traitées comme des délinquantes, qu’elles soient poursuivies pour séjour illégal au Kosovo ou inculpées comme prostituées après des rafles effectués par les policiers de la MINUK. Lorsqu’elles sont arrêtées, ces femmes et ces jeunes filles ne bénéficient pas des droits élémentaires accordés à tout détenu. On ne les informe pas de leurs droits, elles ne peuvent consulter d’avocat et les jeunes filles mineures sont souvent interrogées en l’absence d’un tuteur légal.

Amnesty International a constaté que la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), la Force internationale de paix au Kosovo (KFOR), dirigée par l’OTAN, et les institutions provisoires pour une auto-administration démocratique du Kosovo (PISG) n’avaient ni protégé ni respecté les droits humains de ces femmes et de ces jeunes filles.

On estime que 20 % des personnes profitant des services de ces réseaux de prostitution sont des membres de la communauté internationale, qui serait à l’origine d’une part substantielle des revenus de cette industrie.

Certaines personnes, censées protéger ces femmes et ces jeunes filles, profitent de leurs fonctions pour les exploiter et ne subissent aucune sanction. C’est une situation inacceptable, qui a des conséquences désastreuses sur la vie de ces femmes et de ces jeunes filles.

De nombreuses mineures contraintes à la prostitution

Amnesty International s’inquiète particulièrement de ce que les filles de moins de dix-huit ans constituent entre 15 et 20 % des femmes travaillant dans des bars. On pense qu’elles ont été vendues et sont contraintes de se prostituer. Au lieu de faire sortir des bars ces mineures, dont la MINUK a établi une liste, on les laisse dans ces établissements, où elles sont soumises à d’autres atteintes aux droits humains telles que les viols et les coups.

Certes, les femmes et les jeunes filles qui ont fait l’objet d’un trafic peuvent recevoir une aide de la part d’ONG locales et d’organisations internationales, mais Amnesty International constate avec préoccupation que la MINUK s’est montrée incapable de faire appliquer une directive administrative garantissant à ces femmes la possibilité d’obtenir réparations et dédommagements. Selon l’organisation, peu de femmes bénéficient de la protection à long terme dont elles auraient besoin après avoir témoigné contre les trafiquants.

« La vente de femmes et de jeunes filles à des réseaux de prostitution au Kosovo et dans d’autres pays en situation d’après-guerre ne cessera pas tant que les auteurs de tels actes resteront en liberté et tant que le personnel présent sur place, civil et militaire, pourra commettre des atteintes aux droits humains en toute impunité », a déclaré l’organisation.

Amnesty International appelle les autorités du Kosovo, notamment la KFOR et les institutions provisoires pour une auto-administration démocratique du Kosovo, à mettre en place des mesures visant à mettre un terme au trafic de femmes et de jeunes filles au Kosovo et à destination et en provenance de ce pays. Les autorités doivent également veiller à ce que des mesures soient prises pour protéger les victimes de la traite des femmes et pour leur accorder le droit à des réparations ou dédommagements pour les atteintes subies.

L’organisation a également demandé aux Nations unies et à l’OTAN de mettre en œuvre des mesures pour que les membres civils et militaires des forces de maintien de la paix soupçonnés d’infractions pénales liées à ce trafic soient traduits en justice.

La traite des êtres humains, notamment des femmes et des jeunes filles, dans des conditions s’apparentant à de l’esclavage, fait partie des crimes les plus graves définis par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

Vous pouvez consulter sur le site de l’organisation le rapport intitulé « Does that mean I have rights. Protecting the human rights of women and girls trafficked for forced prostitution in Kosovo » (index AI : EUR 70/010/2004) dans son intégralité.

Amnesty International mène campagne pour que soit mis fin à la violence contre les femmes partout dans le monde. Des informations sur cette campagne intitulée Halte à la violence contre les femmes, se trouvent également sur le site d’Amnesty International.

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[1] Index AI : EUR 70/012/2004

 

Kosovo : les jeunes filles privées d’école ?
TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS

Publié dans la presse : 29 avril 2004
Mise en ligne : samedi 1er mai 2004

Plusieurs rapports confirment que la moitié seulement des jeunes filles âgées de 15 à 18 ans vont à l’école. Alors que l’analphabétisme touche toujours une part importante de la population féminine du Kosovo, la déscolarisation est aussi le reflet des attitudes traditionnelles : les parents privilégient l’éducation des garçons.

Par Zana Limani et Driton Maliqi

A Peja,à l’ouest du Kosovo, Aferdita Gruda et sa sœur aïnée Merita passent le plus clair de leur temps dans la maison familiale, à faire le ménage, à regarder la télévision et à feuilleter Kosovarja, un magazine populaire

Ni l’autre, ni l’autre n’aura la chance d’entreprendre une carrière maintenant qu’elles ont quitté l’école élémentaire. Toutes les deux ont abandonné les études sous la pression familiale. « Ma grand-mère voulait que je quitte l’école, elle disait que je n’avais rien à apprendre là-bas », raconte Aferdita.

Le « choix » des sœurs, si choix il y a, n’est que trop caractéristique dans une société toujours gouvernée par le plus conservateur des codes moraux albanais qui veut que les femmes passent leur temps aux soins du ménage et ne « perdent » pas de temps avec l’éducation.

Après des décennies de campagnes pour améliorer l’éducation pour les deux sexes, le résultat est clair : il n’ y a toujours pas d’égalité entre les filles et les garçons dans l’éducation.

Selon Hazbije Krasniqi, membre du Forum Démocratique des Femmes, une ONG basée à Peja qui s’occupe des droits des femmes, l’analphabétisme des femmes est resté très élevé jusque dans les années 1990 dans les zones rurales, comme dans le village de Zahaq, à 7 kilomètres à l’est de Peja. « Nous avons découvert que 90 % des femmes de ce village, jeunes et vieilles, n’avait pas été un seul jour à l’école de toute leur vie », explique-t-elle.

Sous le régime serbe, les Albanais étaient bien trop préoccupés par la façon de survivre à la répression de Milosevic pour prêter attention à la question de l’école. Mais après les bouleversements de 1999, le Forum démocratique des femmes a commencé à développer des projets dans la zone de Zahaq, où l’on apprend à lire et à écrire.

Cinq ans plus tard, il y a encore des montagnes à franchir. Les statistiques montrent que les femmes sont bien moins loties que les hommes en matière d’éducation. Selon le Bureau des Statistiques du Kosovo (SOK), seulement la moitié des filles de 15 à 18 ans vont à l’école.

Ce chiffre alarmant correspond à ceux produit par l’Institut de Recherches sur le Développement , Riinvest, une organisation à but non lucratif basée à Pristina, et à ceux de la Banque Mondiale.

Publiées le 31 mars 2004, ces recherches montrent que la moitié des femmes du Kosovo , âgées de 25 à 64 ans, n’ont reçu aucune éducation, même pas au niveau primaire. Dans des pays européens développés comme la Suède ou la Finlande, le pourcentage de filles poursuivant des études est de plus de 90%

Hava Balaj, responsable de l’éducation des adultes au ministère de l’Éducation et de la technologie, affirme que l’analphabétisme chez les femmes s’est aggravé depuis les années 1990 et a continué à s’aggraver après la fin des bombardements de l’OTAN. Les raisons de ce phénomène sont multiples, allant de la pauvreté et des attitudes conservatrices à des facteurs aussi simples que le manque de moyens de transport.

Une étude de 2001, faite par le ministre de l’Éducation du Kosovo et le Fonds pour le développement des femmes de l’ONU, révèle que tous les facteurs qui conduisent à un abandon par les filles d’âge scolaire dans les autres pays se trouvent réunis au Kosovo.

La répugnance des parents à envoyer leurs filles dans des écoles éloignées, le manque d’enseignantes et le manque de ressources financières sont parmi les principaux facteurs relevés.

Hava Balaj fait remarquer que dans une communauté rurale, s’il faut choisir entre la fille et le garçon, c’est le garçon qui est toujours choisi. « Ils pensent qu’investir sur un garçon est un bon choix, car il est plus vraisemblable qu’il sera le soutien financier de toute la famille quand il sera adulte ».

Il ajoute que les filles ont quitté l’école en plus grand nombre dans les années 1990, quand les autorités serbes ont expulsé les élèves albanais des établissements scolaires à partir de 1991.

Les Albanais avaient bien mis en place des structures parllèlles pour contrecarrer cette discrimination, mais leurs écoles improvisés étaient principalement situées dans des maisons privées, loin de tous transports. Cela était beaucoup plus gênant pour les filles que pour les garçons.

Depuis juillet 1999 que la province est administrée par l’ONU, de nouveaux facteurs sont apparus comme le manque de transports publics pour aller du village à l’école. Les filles ont besoin de transports parce qu’elles ne peuvent pas marcher sur de longues distances pour des raisons de sécurité.

Il y a aussi un manque permanent de personnel enseignant. Selon Marta Prenkpalaj, directrice de Motrat Qirazi, une ONG locale qui se bat contre l’analphabétisme dans la région de Prizren, au sud-ouest du Kosovo, lemanque d’enseignants dans les zones a de sérieuses conséquences dans les zones rurales : soit les enseignants acceptent de venir de la ville, soit les écoles ferment.

Elle critique beaucoup la fermeture des écoles rurales. « C’est plus facile pour dix enseignants de venir dans une école rurale que pour 300 élèves de faire un long chemin pour aller à l’école en ville ».

Mais la question de l’éducation des filles au Kosovo n’est pas qu’une question d’argent. La société kosovare est conservatrice et kles filles sont soumises à des pressions pour se marier jeunes, ce qui écarte la possibilité de poursuivre des études. Selon l’ONG, dans la région de Prizren, l’âge moyen pour se marier est de 18 à 20 ans. Celles qui poursuivent leurs études et dépassent ce seuil symbolique ont pour perspective de rester célibataires.

Les femmes de l’ancienne génération qui ont fait des études ne se sont jamais mariées. Il n’est pas étonnant que beaucoup de filles se sentent découragées et quittent l’école au plus vite.

Dans la famille d’Aferdita à Peja , trois de ses frères iront à l’Université. « Je leur dis tous les jours qu’ils doivent bien travailler parce que l’école est importante. Quand on a une bonne éducation, on peut trouver un bon emploi, avoir de l’argent à soi et être indépendant », affirme la jeune fille, songeuse.

 

SHEKULLI
Ismail Kadaré et le Kosovo : « des actes peut-être irréparables »
TRADUIT PAR MANDI GUEGUEN

Publié dans la presse : 20 mars 2004
Mise en ligne : samedi 27 mars 2004

Le célèbre écrivain albanais Ismail Kadaré, interviewé par le journal Shekulli, exprime son inquiétude devant les troubles au Kosovo : les Kosovars albanophones desservent leur cause.

Shekulli

Quelles sont vos impressions sur les violences au Kosovo ?

Ismail Kadaré

Je pense qu’il s’agit des évènements les plus tragiques depuis la libération du Kosovo, et qu’ils n’auraient jamais dû se produire. Ils portent un énorme préjudice au Kosovo, ainsi qu’à la cause albanaise en général dans les Balkans. La plus grande victoire des dernières années pour le peuple albanais - à savoir le rapprochement avec l’Occident, l’établissement d’alliances avec le monde occidental - a reçu un grand coup. Malheureusement, les succès d’hier ont été piétinés ces jours-ci. Cela signifie que le Kosovo et l’Albanie risquent de revenir à leur isolement d’antan. Exactement ce dont rêvaient la Serbie et... Enver Hoxha. En effet, pour la Serbie, le rapprochement des Albanais et de l’Alliance Atlantique avait été une importante défaite géopolitique. Quant à Enver Hoxha, tout cela aurait encore plus mal tourné s’il avait été encore en vie.

Ces violences inutiles ont frappé de plein fouet la liberté du Kosovo, en même temps que son avenir et ses propres alliés, il faut le dire. Je comprends parfaitement tous les problèmes que connaissent les Albanais au Kosovo, je comprends leur mécontentement quand il est justifié. Ils sont tout à fait en droit de revendiquer une série de choses, au premier chef un traitement équitable et l’arrêt des provocations constantes de Belgrade. Mais rien ne peut justifier qu’ils tombent dans un tel piège et jouent, au fond, le jeu des Serbes.

Shekulli

Pensez-vous que la question du Kosovo puisse encore trouver une solution après le chaos de la semaine dernière ?

Ismail Kadaré

S’il faut demeurer conscient des terribles dégâts qui ont été causés, je persiste à croire que même dans les pires moments on doit toujours chercher une voie de sortie, un moyen pour réparer le mal. Dans le cas présent, la seule façon de réparer ce désastre est que les Kosovars albanophones saisissent le sens profond de la situation et réfléchissent à la portée de leurs actes - alors qu’ils ont saccagé des maisons serbes et brûlé des églises serbes en croyant aider leur cause... Ils doivent comprendre cela, ils devaient le comprendre surtout en attaquant leurs propres alliés et la communauté internationale, en attaquant l’Alliance Atlantique et en brûlant son drapeau. Ils doivent savoir qu’ils ont agi d’une manière très répréhensible, peut-être irréparable. La meilleure leçon à en tirer est la suivante : que ceux qui ont le sang trop chaud ne fassent plus jamais passer leur colère avant les intérêts de leur peuple et avant la liberté. On a porté atteinte à quelque chose de fondamental ici, cela doit être réparé à tout prix. Les Kosovars doivent condamner ces agissements et s’éloigner de tous les groupes obscurs mêlés à cette affaire. Car il est fort probable que certains services secrets étrangers soient impliqués, tout comme des aventuriers albanais et, pourquoi pas, des nostalgiques du communisme. Des personnes de toutes les sortes peuvent avoir leurs responsabilités. Le peuple albanais du Kosovo doit courageusement se détacher de ce mal. C’est la seule réparation possible. Il faudra désormais montrer un visage différent, montrer que ce peuple est civilisé - malgré que, malheureusement, il n’en ait pas fait la preuve lors de ces évènements déplorables.

(Correction : Stéphane Surprenant)

 

Kosovo : une administration internationale impuissante


Mise en ligne : mardi 23 mars 2004

Une semaine après les trois jours d’émeutes qui ont embrasé le Kosovo, la Mission des Nations Unies tire le bilan : 25 morts, 867 civils blessés, 286 maisons incendiées, 30 églises orthodoxes détruites ainsi que 11 monastères... « Rien ne nous permettait de prévoir une telle explosion », reconnaît Jean-Christian Cady, chef du département de la police et de la justice de l’administration onusienne du territoire. Pour lui, l’émotion suscitée par la noyade de trois enfants albanais dans un village des alentours de Mitrovica, l’après-midi du mardi 16 mars, a ensuite été utilisée par des éléments extrémistes parfaitement organisés.

Par Jean-Arnault Dérens à Pristina

Le drame des jeunes Egzon Veliu, Avni et Florent Veseli, tous trois âgés d’une douzaine d’années, demeure largement inexpliqué. Selon l’unique témoin rescapé, Fetim Veseli, le frère de Florent, les enfants jouaient près de la rivière Ibar qui coule en contrebas de leur village de Cabra, à une dizaine de kilomètres de Mitrovica. Durant la guerre, ce village a été totalement rasé par les forces serbes. Des jeunes Serbes du village voisin de Zupce les auraient insultés, attaqués, et les garçons se seraient noyés dans la rivière en essayant de s’enfuir.

Les habitants serbes de Zupce démentent ce scénario. Bogoslav Petrojevic habite la maison la plus proche de la route. « L’explication fournie par les Albanais ne tient pas : aucun Serbe n’aurait osé s’approcher de la rivière pour provoquer des jeunes Albanais. Depuis 1999, nous n’osons pas nous approcher de Cabra ». Les deux villages s’observent depuis l’instauration du protectorat international sur le Kosovo, et les villageois des deux communautés, autrefois amis ou associés en affaires, ne se parlent plus. Des villageois serbes avancent une autre explication : les enfants albanais auraient pu jouer de manière imprudente et tomber dans la rivière, dont les eaux glaciales sont agitées de dangereux tourbillons.

L’enquête de police a été interrompue en raison du déchaînement des violences, mais l’autopsie exclurait que les garçons aient reçu des coups. De toute manière, la rumeur du « lynchage » de jeunes Albanais par des Serbes, colportée par les médias, a suffi à mettre le feu aux poudres, dans la ville voisine de Mitrovica tout d’abord, puis à travers tout le Kosovo. Divisée en secteur serbe et albanais, Mitrovica est un baril de poudre, qui a connu des explosions régulières tout au long des cinq années de protectorat international sur le Kosovo. Par contre, jamais des incidents interethniques n’avaient encore éclaté simultanément dans toutes les régions de la province.

Le ghetto serbe du centre de Ljipljane, une ville située à une vingtaine de kilomètres de Pristina, a été l’objet d’attaques concertées mercredi et jeudi soir. Ljipljane a connu deux soirées de pogrom, mercredi et jeudi. Avant les événements, 2 000 Serbes habitaient au centre de la ville, mais bien souvent les zones d’habitat serbe et albanais s’entrecroisaient. Les émeutiers albanais ont systématiquement attaqué et incendié les maisons serbes. D’après les témoins, il s’agissait de très jeunes gens, âgés de 16 ou 17 ans. Cependant, les attaques ont été parfaitement coordonnées, frappant en même temps différents quartiers de la ville, de manière à ce que les soldats de la KFOR soient vite débordés. Le corps de police multiethnique du Kosovo (KPS) a également été débordé, et certains policiers serbes se sont contentés d’aller conseiller discrètement aux civils de fuir leurs maisons. Près de la moitié des maisons serbes ont été détruites, et les habitants sont toujours réfugiés dans le camp de la KFOR finlandaise ou dans les villages serbes des alentours.

Ljipljane avait conservé une population mixte, même si la ville est un bastion des anciens guérilleros de l’UCK, qui dominent la municipalité. Beaucoup de regards se tournent désormais vers le TMK, le Corps de protection du Kosovo, la structure paramilitaire formée par ces anciens guérilleros, sous le contrôle de l’OTAN. Des hommes du TMK pourraient avoir dirigé les émeutes.

Jean-Christian Cady  reconnaît que les forces internationales ont été débordées, et il promet des enquêtes rapides sur les membres du KPS qui se seraient rangés du côté des émeutiers. Il exonère par contre le TMK de toute responsabilité, en soulignant qu’à Prizren et Gnjilane, les hommes de cette unité ont même servi d’intermédiaires entre les manifestants et les soldats de la KFOR.

Les partis politiques albanais ont dénoncé les violences, et le gouvernement du Kosovo s’est engagé à financer la reconstruction des maisons serbes détruites. Plusieurs dirigeants albanais essaient d’orienter les soupçons vers de petites formations radicales, comme le Mouvement populaire du Kosovo (LPK) d’Emrush Xhemaili. Cependant, ce mouvement, surtout implanté dans les communautés albanaises de Suisse et d’Allemagne, ne paraît pas disposer de réseaux suffisants de militants. Pour Jean-Christian Cady, tous les partis politiques albanais sont en fait traversés par des courants plus ou moins radicaux. « Certains ont cru pouvoir exploiter les événements pour provoquer une partition de facto du Kosovo et précipiter le débat sur le statut final du territoire ».

Oliver Ivanovic, membre de la Présidence du Parlement du Kosovo, et dirigeant charismatique des Serbes de Mitrovica, ne veut pas non plus accabler le seul TMK. « Il y a en permanence au moins 1 000 hommes en armes au Kosovo, qui obéissent à deux ou trois groupes clandestins différents. Beaucoup d’anciens guérilleros n’ont pas oublié la belle époque où la possession d’une arme leur donnait tous les droits ».

Une seule certitude s’impose : l’administration internationale a été totalement prise de court. « Nous avions baissé la garde », reconnaît Jean-Christian Cady. « Pour deux raisons : nous voulions donner une image de plus grande normalité, rompre avec l’image d’un Kosovo en quasi-état de siège permanent. De surcroît, les troupes disponibles étaient devenues moins nombreuses ». En cinq ans, les effectifs de la KFOR étaient en effet passés de plus 40 000 à 19 000 hommes, et les responsables civils et militaires internationaux ont été totalement incapables de pressentir l’explosion de la semaine dernière.

 

Deuxième journée de violence au Kosovo


Mise en ligne : jeudi 18 mars 2004

Les violences interethniques qui ont éclaté mercredi entre Serbes et Albanais se sont poursuivis pour une deuxième journée consécutive, alors que plusieurs habitations et lieux de culte serbes étaient détruits par le feu sur l’ensemble du territoire du Kosovo. L’OTAN a promis mille hommes supplémentaires pour stabiliser la situation, tandis que la tension monte dans les grandes villes de la Serbie voisine.

Par Alexandre Billette

Au lendemain d’une journée qui a fait au moins 22 morts et plus de 500 blessés, selon le dernier bilan - encore provisoire - des Nations unies, plusieurs Serbes quittaient les villes et villages les plus exposées, parfois sous la protection de la KFOR.

Les violences ont éclaté mercredi à Mitrovica, suite à la noyade de trois jeunes Albanais qui auraient été poussés par de jeunes Serbes dans la rivière Ibar, qui marque la « frontière » entre les secteurs serbe et albanais de la municipalité. Mercredi matin, des manifestants albanais tentaient de pénétrer dans le secteur serbe de la ville, alors que les premiers échanges de coups de feu survenaient. Au même moment, près du village serbe de Caglavica, non loin de Pristina, des manifestants albanais s’apprêtaient à percer un barrage érigé par la population locale pour protester contre l’attaque d’un adolescent serbe par balles, la veille. Rapidement, la situation s’est envenimée sur l’ensemble du territoire du Kosovo.

A Obilic, petite ville « mixte » près de Pristina, « il n’y a plus de Serbes », a déclaré à l’agence B92 Mirce Jakovljevic, un résidant. « Ils sont tous à Plemetina maintenant. La rue Cerska est en feu. »

Dans la capitale, Pristina, la situation est extrêmement tendue, mais plus calme que mercredi, selon le correspondant de B92 sur place. Des manifestations pacifiques ont eu lieu, ainsi qu’à Gnjilane et Urosevac.

Plusieurs églises orthodoxes ont été incendiées. Le monastère de Prizren, notamment, a été totalement détruit par les flammes. Au total, quatorze lieux de culte auraient été jusqu’à maintenant complètement détruits.

A Bruxelles, L’OTAN s’est engagée à déployer mille soldats supplémentaires sur le territoire du Kosovo. 350 d’entre eux seraient déjà arrivés sur place. Des contingents britanniques (750 hommes), américains et italiens devraient être dépêchés sur place. L’aéroport de Pristina est fermé au trafic aérien, tandis que la KFOR et la police onusienne tentent de protéger les civils serbes de Pristina vers des lieux plus sûrs, dans un climat extrêmement chaotique.

Manifestations violentes en Serbie

Le Premier ministre serbe, Vojislav Kostunica, a qualifié de « pogroms et de nettoyage ethnique » les événements survenus mercredi, critiquant l’action « inadéquate » des autorités internationales en charge du territoire. Il a appelé la population serbe à se rassembler pacifiquement demain midi, en soutien aux populations serbes du Kosovo.

Des manifestations ont eu lieu mercredi dans les grandes villes de Serbie : Belgrade, Novi Sad, Nis. Dans cette dernière ville, la mosquée du centre-ville, construite en 1720, a été incendiée peu avant 23 heures. Les manifestants ont entravé l’action des pompiers qui n’ont pas pu maîtriser l’incendie. La circulation était par ailleurs bloquée dans le centre-ville par plusieurs centaines de personnes et des chauffeurs de taxis. A Novi Sad, plusieurs centaines de citoyens se sont rassemblés après 22 heures devant le siège du gouvernement provincial où l’on pouvait entendre les slogans suivants, « Nous ne donnons pas le Kosovo », « Réveille-toi, Serbie ».

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont bloqué la circulation dans la rue Knez Milos aux abords du siège du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères et ont demandé à être reçus par le Premier ministre, Vojislav Kostunica. La mosquée du centre de Belgrade a également été attaquée et incendiée par de jeunes extrémistes qui s’en sont pris aux forces de l’ordre.

 

LE COURRIER DES BALKANS,

Kosovo : le jour et la nuit où tout a basculé

Publié dans la presse : 17 mars 2004
Mise en ligne : mercredi 17 mars 2004

De très violents incidents ont éclaté mercredi au Kosovo, aux abords du village serbe de Caglavica, près de Pristina, et surtout dans le ville divisée de Mitrovica. D’après le dernier bilan en date, dressé jeudi en début de matinée par l’ONU, on compterait au moins 22 morts et plus de 500 blessés. Les troupes internationales de la KFOR paraissent débordées. Les responsables de la MINUK évoquent une « nuit de cristal » contre les Serbes, tandis que de nombreuses manifestations, parfois violentes, ont éclaté à Belgrade et dans les grandes villes de Serbie.

Par l’équipe du Courrier des Balkans, avec B92

Mardi soir, une bagarre entre des jeunes Serbes et Albanais s’est soldée par une mortelle course poursuite. Trois enfants albanais se sont noyés dans la rivière Ibar, qui marque la séparation entre les secteurs serbes et albanais de cette ville de 80 000 habitants du nord du Kosovo.

Mercredi matin, des manifestants albanais ont tenté de pénétrer dans le secteur serbe, au nord de l’Ibar. Des tirs ont alors rapidement éclaté aux abords du pont. Parmi les cinq victimes albanaises des affrontements, deux ont été tués par balle, ainsi qu’une femme serbe, qui a été touchée sur la terrasse de son appartement. Un autre Serbe a été tué dans la partie nord de la ville.

Très vite débordés, les soldats de la KFOR, la force internationale de maintien de la paix installée au Kosovo depuis juin 1999, compteraient 12 blessés, dont 3 grièvement atteint. Un soldat français serait décédé, mais cette information doit être confirmée.

Dans le même temps, des affrontements éclataient également aux abords du village serbe de Caglavica, à deux kilomètres de Pristina. Depuis lundi soir, les Serbes de ce village ont en effet érigé un barrage qui bloque la route nationale menant vers Skopje, en Macédoine, après qu’un adolescent a été blessé par balles par des inconnus. En milieu d’après-midi, des manifestants albanais auraient percé le barrage, suscitant un début de panique à Caglavica, où des civils serbes commençaient à se rassembler en vue d’un départ forcé, mais des renforts de la KFOR ont pu être déployés. En fin d’après-midi, des snipers ont ouvert le feu sur le village, blessant dix civils serbes.

Ces incidents sont les plus graves qu’ait connu le Kosovo depuis l’instauration du protectorat des Nations unies, en juin 1999. En février 2000, Mitrovica avait connu plusieurs journées d’émeute, mais le bilan humain était toujours resté bien plus limité. Les violences risquent d’enterrer le processus de normalisation de la ville de Mitrovica, amorcé depuis deux ans, et qui se traduisait notamment par un allègement des barrages et des check-points entre les secteurs serbes et albanais. L’Union européenne avait récemment formulé un nouveau projet de réunification de la ville, qui avait cependant été rejeté par les représentants serbes aussi bien qu’albanais.

La violence s’étend à tout le Kosovo

Les violences se sont étendues à d’autres régions du Kosovo. La situation est particulièrement alarmante dans la région de Gnjilane, où toutes les maisons serbes ont été incendiées dans l’après-midi. Dans la nuit, on était sans nouvelle d’environ 200 Serbes de la région. Des véhicules serbes auraient également été arrêtés sur la route Bujanovac-Gnjilane, et leurs occupants sont portés disparus.

Des sources serbes font également état d’incendie à Prizren, contre l’église orthooxe et la faculté de théologie de la ville. Des incendies et des affrontements se sont également produits à Lipljane, où quatre Serbes ont été tués.

Sous couvert de l’anonymat, des responsables de la MINUK parlent d’une « nuit de cristal » contre les Serbes du Kosovo. Selon des informations communiquées par l’AFP, des groupes d’hommes armés quitteraient la Drenica pour se diriger sur Mitrovica.

Manifestations en Serbie

Les heurts interethniques au Kosovo ont provoqué de vives réactions en Serbie, notamment de la part des réfugiés serbes originaires de cette province sous administration internationale depuis juin 1999.

Des manifestations ont eu lieu mercredi dans les grandes villes de Serbie : Belgrade, Novi Sad, Nis. Dans cette dernière ville, la mosquée du centre-ville, construite en 1720, a été incendiée peu avant 23 heures. Les manifestants ont entravé l’action des pompiers qui n’ont pas pu maîtriser l’incendie. La circulation était par ailleurs bloquée dans le centre-ville par plusieurs centaines de personnes et des chauffeurs de taxis. A Novi Sad, plusieurs centaines de citoyens se sont rassemblés après 22 heures devant le siège du gouvernement provincial où l’on pouvait entendre les slogans suivants, « Nous ne donnons pas le Kosovo », « Réveille-toi, Serbie ».

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont bloqué la circulation dans la rue Knez Milos aux abords du siège du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères et ont demandé à être reçus par le Premier ministre, Vojislav Kostunica. La mosquée du centre de Belgrade a également été attaquée et incendiée par de jeunes extrémistes qui s’en sont pris aux forces de l’ordre.

Mobilisation diplomatique à Belgrade

Le gouvernement serbe s’est réuni en session extraordinaire mercredi après-midi, mais le Premier ministre a rejeté la demande formulée par certains députés de déployer l’armée sur les frontières du Kosovo. Le ministre de la Défense, Boris Tadic, a cependant assuré que l’armée était prête à toute éventualité. Il a également confirmé que des renforts de la SFOR de Bosnie se dirigeaient vers le Kosovo. Les autorités serbes demandent une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies, et le ministre des Affaires étrangères, Goran Svilanovic a rencontré les ambassadeurs en poste à Belgrade.

Mercredi soir, la Macédoine a fermé ses frontières avec le Kosovo.

 

LE COURRIER DES BALKANS,
Nouvelle flambée de violence au Kosovo
TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS

Publié dans la presse : 17 mars 2004
Mise en ligne : mercredi 17 mars 2004

De très violents incidents ont éclaté mercredi au Kosovo, aux abords du village serbe de Caglavica, près de Pristina, et surtout dans le ville divisée de Mitrovica. D’après les premiers bilans, on compterait au moins sept morts et près de 250 blessés. Les troupes internationales de la KFOR paraissent débordées.

Par JAD, avec B92

Des affrontements violents se sont produits à Kosovska Mitrovica entre les forces internationales du maintien de la paix et des Albanais qui essayaient d’entrer dans la partie serbe de la ville ethniquement divisée dans le nord du Kosovo.

L’agence de presse Beta a parlé de plusieurs milliers d’Albanais du Kosovo qui ont essayé de traverser le pont au-dessus de la rivière Ibar, peu après onze heures ce matin. Les troupes internationales de la KFOR se sont servi de gaz lacrymogène pour les faire reculer, d’après l’agence.

Ceci est intervenu après que la police locale a retrouvé les corps de deux jeunes Albanais noyés dans la rivière. Ce drame serait intervenu mardi soir, en épilogue à une course poursuite entre jeunes serbes et alabanais.

« Nous avons retrouvé deux corps, un la nuit dernière et un ce matin et nous en recherchons encore un qui a disparu », a expliqué Tracy Becker, porte-parole de la police des Nations Unies à Mitrovica.

La TV albanaise du Kosovo a cité la nuit dernière un quatrième garçon qui racontait que lui et ses amis avaient été chassés par des enfants serbes avec un chien, et qu’ils avaient sauté dans la rivière pour s’échapper.

Il a expliqué qu’il avait nagé avec son petit frère sur son dos mais ce dernier a glissé dans l’eau. D’après la TV, les garçons disparus avaient huit, onze et douze ans.

7 morts, 250 blessés

Au moins sept personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessés mercredi, dans les heurts entre Serbes et Albanais quand les forces de maintien de la paix ont fait usage de gaz lacrymogène, des balles de caoutchouc et des grenades stun pour les séparer. Ces heurts soint intervenus alors que les manifestants albanais tentaient de pénétrer dans la partie serbe de la ville.

Le personnel hospitalier du côté serbe et albanais de la ville divisée de Kosovska Mitrovica a confirmé que deux Albanais étaient morts, de blessures par balles, et une femme serbe aussi a étéé tuée.

Après des fusillades sévères, des dizaines de personnes ont été, de chaque côté, hospitalisées, d’après les médecins.

Au sud, à dominance albanaise, des employés ont dénombré 42 blessés, dont plusieurs par balles. Xhelal Ibrahimi, témoin albanais, a parlé de fusillades venant de la partie dominée par les Serbes, et aurait vu plusieurs personnes tomber devant lui.

Du côté serbe, le personnel hospitalier fait état de 22 blessés, dont 5 sérieusement atteints, l’un à la tête et un autre aux poumons. Les autres ont reçu des jets de pierre, des balles en caoutchouc tirées par les maintiens de l’ordre ou bien des éclats de leurs grenades stun.

Les ambulances transportant les blessés étaient en ligne près de l’hôpital dans le sud de la ville où dominent les Albanais. Ceux qui étaient plus sérieusement atteints étaient amenés à l’hôpital de Pristina. Des dizaines de véhicules armés fonçaient sur la ville, pendant que les maintiens de la paix de l’ OTAN assuraient la sécurité.

Panique à Caglavica

Des affrontements ont également éclaté dans le village serbe de Caglavica, à quelques kilomètres de Pristina.

Depuis qu’un jeune homme serbe a été blessé par balles, lundi soir, des manifestants serbes avaient érigé une barricade aux abords du village, coupant la route nationale de Skopje. Mercredi après-midi, les habitants du village auraient commencé à s’enfuir, car des manifestants albanais auraient enfoncé le barrage. Des renforts de la KFOR seraient cependant arrivés sur les lieux.