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LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

AFFAIRE N° IT-95-05/18

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL
CONTRE
RADOVAN KARADZIC

ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 18 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « Statut du Tribunal ») accuse :

Radovan KARADZIC

de GÉNOCIDE, de CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ, de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE et d’INFRACTIONS GRAVES AUX CONVENTIONS DE GENÈVE DE 1949, comme exposé ci-après :

L’ACCUSÉ

  1. Radovan KARADZIC est né le 19 juin 1945 dans la municipalité de Savnik, actuelle République du Monténégro, République fédérale de Yougoslavie.
  2. Radovan KARADZIC est l’un des membres fondateurs du Parti démocratique serbe (SDS) créé dans la République socialiste de Bosnie-Herzégovine (la « Bosnie-Herzégovine ») le 12 juillet 1990. Radovan KARADZIC a été Président du SDS du 12 juillet 1990 jusqu’à sa démission, le 19 juillet 1996. À ce titre, il présidait entre autres les réunions du Comité central du SDS.
  3. Radovan KARADZIC est un proche de longue date de Momcilo KRAJISNIK, ancien Président de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine (l’« Assemblée du peuple serbe ») et membre du Conseil de sécurité nationale et de la présidence élargie de ce qu’il est convenu d’appeler la République serbe de Bosnie-Herzégovine (la « République serbe »), et de Biljana PLAVSIC, ancien membre de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, Président par intérim de la République serbe, membre de la présidence de la République serbe et vice-président de la Republika Srpska.
  4. Radovan KARADZIC est devenu Président du Conseil de sécurité nationale de la République serbe le 27 mars 1992.
  5. Radovan KARADZIC est devenu membre de la présidence à trois de la République serbe le 12 mai 1992. Le même jour, Radovan KARADZIC a été élu Président de la présidence.
  6. Radovan KARADZIC a été, avec Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres membres du SDS, membre de la présidence élargie de la République serbe de début juin 1992 au 17 décembre 1992.
  7. Radovan KARADZIC a été, avec Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, membre du commandement supręme des forces armées de la République serbe ŕ partir du 30 novembre 1992 ou vers cette date.
  8. Radovan KARADZIC a été le Président unique de la Republika Srpska du 17 décembre 1992 jusqu’à sa démission, le 19 juillet 1996. Dès le 20 décembre 1992, Radovan KARADZIC a, en sa qualité de commandant suprême des forces armées, présidé les réunions du commandement suprême.

CHEFS D’ACCUSATION

  1. Radovan KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d’autres entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, agissant de concert notamment avec Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1992, a participé aux crimes ci-après reprochés afin de prendre le contrôle des régions de Bosnie-Herzégovine qui avaient été déclarées partie intégrante de la République serbe. Ces régions incluent, sans s’y limiter, les municipalités suivantes : Banja Luka, Bijeljina, Bileca, Bosanska Krupa, Bosanski Novi, Bosanski Petrovac, Bosanski Samac, Bratunac, Brcko, Cajnice, Celinac, Doboj, Donji Vakuf, Foca, Gacko, Hadzici, Ilidza, Ilijas, Jajce, Kljuc, Kalinovik, Kotor Varos, Nevesinje, Novi Grad, Novo Sarajevo, Pale, Prijedor, Prnjavor, Rogatica, Rudo, Sanski Most, Sekovici, Sipovo, Sokolac, Teslic, Trnovo, Visegrad, Vlasenica, Vogosca, Zavidovici et Zvornik.

     

  2. En vue de réaliser cet objectif, les dirigeants serbes de Bosnie, parmi lesquels Radovan KARADZIC ainsi que, durant la période couverte par l’acte d’accusation, Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, ont établi et mis en œuvre un plan d’action qui prévoyait la création de conditions de vie impossibles, se traduisant par des persécutions et des tactiques de terreur destinées à pousser les non-Serbes à quitter ces régions, l’expulsion des personnes peu disposées à partir et l’élimination des autres.

     

  3. Les forces serbes de Bosnie, parmi lesquelles des unités militaires, paramilitaires, des unités de défense territoriale et de police (les « forces serbes de Bosnie »), le SDS et les autorités civiles, sous la direction et le commandement de Radovan KARADZIC et, durant la période couverte par l’acte d’accusation, de Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, se sont livrés à une série d’actions pour réduire fortement le nombre de Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes de ces municipalités.

     

  4. De fin mars au 31 décembre 1992, les forces serbes de Bosnie ont pris le contrôle des municipalités énumérées au paragraphe 9, souvent au prix de violentes attaques. Ces attaques et prises de pouvoir se sont déroulées de manière coordonnée et planifiée. L’organisation et la direction des prises de pouvoir survenues entre fin mars et le 31 décembre 1992, et les persécutions et les expulsions auxquelles il a été procédé sans discontinuer jusqu’au 30 novembre 1995, en particulier hors des municipalités de Bijeljina, Banja Luka et de ce qu’il est convenu d’appeler la « zone de sécurité » de Srebrenica (« l’enclave de Srebrenica ») et ses environs, sont l’œuvre du SDS, des dirigeants politiques et militaires et des instances dirigeantes des municipalités serbes, parmi lesquelles les cellules de crise, les présidences de guerre et les commissions de guerre.

     

  5. Entre le 1er avril 1992 et le 30 novembre 1995, les forces serbes de Bosnie ont aussi mené une attaque contre Sarajevo qui a duré 44 mois, et qui a semé la terreur parmi les habitants de Sarajevo.

     

  6. Entre le 11 et le 18 juillet 1995, les forces serbes de Bosnie ont tué des milliers d’hommes musulmans de Bosnie qui avaient été faits prisonniers en différents endroits de l’enclave de Srebrenica et alentour.

     

  7. Au 30 novembre 1995, ce plan d’action avait causé le décès ou le départ forcé d’une fraction importante des Musulmans de Bosnie, des Croates de Bosnie et des autres groupes non serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9 et de l’enclave de Srebrenica et alentour.

CHEFS D’ACCUSATION 1 À 6
(GÉNOCIDE, COMPLICITÉ DE GÉNOCIDE, EXTERMINATION, MEURTRE, HOMICIDE INTENTIONNEL)

  1. Les allégations générales figurant aux paragraphes 1 à 15 ci-dessus et aux paragraphes 67 à 92 sont reprises et incorporées dans les chefs d’accusation 1 à 6.

     

  2. Radovan KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d’autres, parmi lesquels Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1992, et entre le début mars 1995 et le 30 novembre 1995, agissant seul ou de concert avec d’autres, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la destruction, en tout ou en partie, des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux musulmans et croates de Bosnie, comme tels, dans plusieurs municipalités, notamment : Bijeljina, Bratunac, Bosanski Samac, Brcko, Doboj, Foca, Ilijas, Kljuc, Kotor Varos, Novi Grad, Prijedor, Rogatica, Sanski Most, Srebrenica, Visegrad, Vlasenica, Zavidovici et Zvornik. La destruction de ces groupes dans ces municipalités a été obtenue par les moyens suivants :

     

    1. le meurtre de milliers de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie pendant et après l’attaque des municipalités ; le meurtre de Musulmans et de Croates de Bosnie dans des camps et des centres de détention et après les en avoir sortis ; et le meurtre de Musulmans de Bosnie après les avoir détenus en différents endroits dans l’enclave de Srebrenica et alentour ;
    2. les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de Musulmans et de Croates de Bosnie pendant leur séjour dans des camps et des centres de détention et durant les interrogatoires qu’ils ont subis en ces lieux, dans des postes de police ou dans des casernes militaires, où ces détenus ont été constamment victimes ou témoins malgré eux d’actes inhumains, dont des meurtres, des violences sexuelles, des tortures, des brutalités et des vols ; et
    3. la soumission de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie détenus dans des camps et des centres de détention, à des conditions d’existence calculées pour entraîner la destruction physique partielle ou totale de ces groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, comme tels, ainsi qu’il est indiqué plus en détail au paragraphe 30.

       

    MEURTRES

     

  3. Les meurtres commis par les forces serbes de Bosnie pendant et après l’attaque des municipalités et à l’intérieur de celles-ci comprennent, sans s’y limiter :

     

     

  4. Le SDS et les autorités gouvernementales ont ouvert des camps et des centres de détention dans ces municipalités. Après avoir attaqué ces municipalités, les forces serbes de Bosnie ont pris dans des rafles des dizaines de milliers de Musulmans et Croates de Bosnie et les ont forcés à marcher jusqu’aux divers points de rassemblement, avant de les transférer dans les camps et les centres de détention. Des Musulmans et des Croates de Bosnie étaient séparés des colonnes en marche et exécutés sur place.

     

  5. Des milliers de Musulmans et Croates de Bosnie qui avaient survécu aux attaques et aux marches forcées ont été emmenés dans ces camps et centres de détention, qui comprennent, sans s’y limiter :

     

  6. Ces camps et ces centres de détention étaient gardés par des membres de l’armée et de la police qui en assuraient le fonctionnement, sous la direction et le contrôle suprêmes des hauts dirigeants serbes de Bosnie, y compris Radovan KARADZIC, Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC, ainsi qu’il est indiqué plus en détail aux paragraphes 60 à 66.

     

  7. Les meurtres de Musulmans et de Croates de Bosnie commis par les forces serbes de Bosnie dans ces camps et centres de détention ou en-dehors de ceux-ci, comprennent sans s’y limiter :

     

  8. Les prises de pouvoir par les forces serbes de Bosnie en 1992, qui sont mentionnées au paragraphe 12, leur ont permis de contrôler les principales municipalités de la Bosnie orientale, et le « nettoyage ethnique » qui s’en est ensuivi et qui s’est poursuivi de 1993 à 1995, plus particulièrement dans les municipalités de Bijeljina et de Banja Luka, ont contraint la population musulmane et croate à l’exode. Les Musulmans de Bosnie sont allés se réfugier principalement dans les régions rurales peu peuplées de la Bosnie-Herzégovine orientale qui avaient jusqu’alors échappé à l’attention des forces serbes de Bosnie. Dans ces régions, et notamment à Srebrenica, la population musulmane de Bosnie a considérablement augmenté.

     

  9. Le 16 avril 1993, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (« ONU »), agissant conformément au Chapitre VII de la Charte de l’ONU, a adopté sa résolution 819, par laquelle il exigeait que toutes les parties au conflit dans la République de Bosnie-Herzégovine traitent Srebrenica, Zepa, Gorazde, Sarajevo et Tuzla (et leurs environs) comme des « zones de sécurité » qui ne devaient être la cible d’aucune attaque armée ni d’aucune autre action hostile.

     

  10. Le 8 mars 1995, Radovan KARADZIC a, en sa qualité de commandant suprême, donné pour instruction aux forces serbes de Bosnie de créer une situation d’insécurité totale intolérable, sans laisser aucun espoir de survie aux habitants, notamment à ceux de Srebrenica.

     

  11. Le 6 juillet 1995 ou vers cette date, les forces serbes de Bosnie ont bombardé Srebrenica et attaqué les postes d’observation de l’ONU qui étaient situés dans la « zone de sécurité ». Cette attaque contre la « zone de sécurité » de Srebrenica s’est poursuivie jusqu’au 11 juillet 1995, lorsque les forces serbes de Bosnie regroupant plusieurs unités sont entrées dans la ville. Les Musulmans de Bosnie qui se trouvaient à Srebrenica lorsque l’attaque a été déclenchée ont réagi de deux manières :

     

       

    1. un groupe de plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants musulmans de Bosnie sont allés se réfugier dans le complexe des Nations Unies à Potocari, qui était situé dans la « zone de sécurité » de Srebrenica. Le 12 juillet 1995, les forces serbes de Bosnie ont séparé les hommes et les garçons musulmans de Bosnie des femmes et des enfants, et les ont placés en détention à Potocari et dans les environs. Par la suite, les femmes et les enfants ont été transportés en car et en camion dans des zones situées à l’extérieur de l’enclave ;

       

       

    2. un deuxième groupe d’environ 15 000 hommes musulmans de Bosnie accompagnés de quelques femmes et enfants s’est enfui en formant une longue colonne pour rejoindre Tuzla à travers bois. Des milliers de ces hommes ont été capturés par les forces serbes de Bosnie ou se sont rendus.

       

  12. Entre le 11 et le 18 juillet 1995, les forces serbes de Bosnie ont exécuté des milliers d’hommes musulmans de Bosnie de manière organisée, massive et systématique. Ces forces ont en particulier exécuté sommairement, peu après leur capture, des hommes musulmans de Bosnie sur les lieux mêmes où ils étaient détenus, et en d’autres lieux où elles les transportaient pour les exécuter.

     

  13. Ces meurtres, commis en différents endroits de l’enclave de Srebrenica et alentour, comprennent, sans s’y limiter :

     

    Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale

  14. Dans les camps et les centres de détention mentionnés aux paragraphes 20 à 22, les forces serbes de Bosnie et d’autres individus autorisés à entrer librement dans les camps ont soumis les détenus musulmans et croates de Bosnie venant des municipalités à des violences physiques et morales, attentant gravement à leur intégrité physique ou mentale. Pendant la période allant de fin mars 1992 au 31 décembre 1992, des milliers de Musulmans et de Croates de Bosnie sont morts dans ces centres de détention, du fait de ces actes inhumains.

    CONDITIONS DE VIE AYANT POUR BUT D'ENTRAINER LA DESTRUCTION PHYSIQUE

  15. Pour ce qui est des conditions d’existence dans les camps et dans les centres de détention, la nourriture était très insuffisante, l’eau polluée, les soins médicaux insuffisants ou inexistants, les conditions d’hygiène déplorables et l’espace manquait.

     

  16. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, Radovan KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que des forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient ou avaient commis les actes décrits aux paragraphes 17 à 30 ci-dessus. Radovan KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  17. En outre, entre le 1er décembre 1995 et le 19 juillet 1996, Radovan KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que des forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement avaient commis les actes décrits aux paragraphes 17 à 30 ci-dessus. Radovan KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

Par sa participation à ces actes et omissions, Radovan KARADZIC s’est rendu coupable de :

Chef 1 : GÉNOCIDE, sanctionné par les articles 4 3) a), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal ;

Chef 2 : COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE, sanctionnée par les articles 4 3) e), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal ;

Chef 3 : Extermination, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 b), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal ;

Chef 4 : Assassinat, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 a), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal ;

Chef 5 : Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun aux Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal ;

Chef 6 : Homicide intentionnel, une INFRACTION GRAVE AUX CONVENTIONS DE GENÈVE DE 1949, sanctionnée par les articles 2 a), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

CHEF D’ACCUSATION 7
(PERSÉCUTIONS)

  1. Les allégations générales figurant aux paragraphes 16 à 32, 38 à 41 et 67 à 92 sont reprises et incorporées dans le chef d’accusation 7.

     

  2. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d'autres, parmi lesquels Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC du 1er juillet 1991 au 31 décembre 1992, a planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la persécution des populations musulmane et croate de Bosnie ainsi que d’autres populations non serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9 et de l’enclave de Srebrenica. Ces persécutions comprenaient sans s’y limiter :

     

    a) le meurtre par les forces serbes de Bosnie de milliers de Musulmans et de Croates de Bosnie, pendant et après l’attaque des secteurs et des municipalités énumérés aux paragraphes 17 et 18, dans les camps et les centres de détention décrits aux paragraphes 20 et 22, et après leur capture en différents endroits de l’enclave de Srebrenica et alentour, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 28 ;

    b) le transfert forcé ou l’expulsion par les forces serbes de Bosnie de dizaines de milliers de Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9, et de Musulmans de Bosnie de l’enclave de Srebrenica ;

    c) les traitements inhumains et/ou les tortures infligés à des Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9. Pendant et après l’attaque de ces municipalités, qu’ils aient été emmenés dans des centres de détention, des postes de police, des casernes, des maisons privées ou d’autres lieux, des Musulmans et des Croates de Bosnie et d’autres civils non serbes ont été soumis par les forces serbes de Bosnie à des traitements atroces et inhumains, associant jour après jour coups, violences sexuelles et menaces de mort. Nombreux sont ceux qui ont été contraints d’assister à des exécutions et des agressions sur la personne d’autres détenus ;

    d) les humiliations et les traitements dégradants constants, infligés par les forces serbes de Bosnie aux Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9. Dans les centres de détention, les hommes et les femmes musulmans et croates de Bosnie et d’autres non-Serbes ont vécu jour après jour dans des conditions horribles et inhumaines. Les détenus souffraient d’un manque de nourriture, de soins et de sanitaires et leurs conditions d’hébergement étaient inhumaines. Les détenus vivaient dans un climat de terreur constant, créé par des violences aveugles. Les violences physiques, les souffrances morales, les violences sexuelles et d’autres circonstances dégradantes et humiliantes, qui constituaient des atteintes fondamentales à leur dignité humaine, étaient constantes ;

    e) le refus des forces serbes de Bosnie de reconnaître aux Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9 des droits fondamentaux comme le droit au travail, la liberté de circulation, le droit à être entendu par un juge et un accès égal aux services publics, y compris à des soins médicaux appropriés ;

    f) la destruction sans motif par les forces serbes de Bosnie d’agglomérations, de villes et de villages peuplés de Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes dans les municipalités énumérées au paragraphe 9. Pendant et après l’attaque des municipalités, les forces serbes de Bosnie ont systématiquement détruit les agglomérations, les villes, les villages et les biens, y compris les habitations, les commerces et les lieux de culte musulmans et catholiques des Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes. Des bâtiments ont été bombardés, incendiés ou dynamités. Les destructions étaient si importantes que, dans nombre de ces municipalités, il n’est resté que des bâtiments en ruines et des gravats. Les édifices orthodoxes serbes sont demeurés intacts.

     

  3. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient les actes décrits au paragraphe 34 ci-dessus ou qu’elles les avaient commis. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  4. 36) En outre, entre le 1er décembre 1995 et le 19 juillet 1996, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement avaient commis les actes décrits au paragraphe 34 ci-dessus. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir.

Par sa participation à ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC s’est rendu coupable de :

Chef 7 : Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

CHEFS D’ACCUSATION 8 ET 9
(EXPULSION, AUTRES ACTES INHUMAINS)

  1. Les allégations générales figurant aux paragraphes 33 à 36 et 67 à 92 sont reprises et incorporées dans les chefs d’accusation 8 et 9.

     

  2. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d'autres, parmi lesquels Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC du 1er juillet 1991 au 31 décembre 1992, a planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter le transfert forcé ou l’expulsion de dizaines de milliers de Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9 et de l’enclave de Srebrenica.

     

  3. C’est à partir du début d’avril 1992 qu’a commencé le transfert forcé organisé des populations musulmanes et croates de Bosnie ainsi que d’autres non-Serbes des municipalités énumérées au paragraphe 9. Les transferts forcés se sont poursuivis entre le 1er janvier 1993 et le 30 novembre 1995, notamment des municipalités de Bijeljina et de Banja Luka.

     

  4. Entre le 11 et le 18 juillet 1995, des milliers de Musulmans de Bosnie ont été transférés de force de l’enclave de Srebrenica. Les forces serbes de Bosnie ont de la sorte quasiment éliminé toute présence de Musulmans de Bosnie de l’enclave de Srebrenica, poursuivant ainsi une campagne de « nettoyage ethnique » lancée début avril 1992.

     

  5. Les Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes ont pour la plupart été expulsés vers d’autres régions de Bosnie-Herzégovine qui étaient sous le contrôle du gouvernement internationalement reconnu, ainsi que vers la Croatie et la Serbie. Les transferts forcés et les expulsions étaient organisés par les forces de police des Serbes de Bosnie et par d’autres organes municipaux serbes de Bosnie opérant sous la direction des cellules de crise. Très souvent, pour que les autorités serbes de Bosnie les autorisent à partir ou les libèrent des centres de détentions où ils étaient retenus, les Musulmans de Bosnie, Croates de Bosnie et autres non-Serbes ont été obligés de signer des documents portant renonciation à tous leurs biens au profit de la République serbe de Bosnie.

     

  6. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient les actes décrits aux paragraphes 38 à 41 ci-dessus ou qu’elles les avaient commis. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  7. En outre, entre le 1er décembre 1995 et le 19 juillet 1996, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement avaient commis les actes décrits aux paragraphes 38 à 41 ci-dessus. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir.

Par sa participation à ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC s’est rendu coupable de :

Chef 8 : Expulsion, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 d), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

Chef 9 : Autres actes inhumains, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 i), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

CHEF D’ACCUSATION 10
(RÉPANDRE ILLÉGALEMENT LA TERREUR PARMI LA POPULATION CIVILE)

  1. Les allégations générales figurant aux paragraphes 1 à 15 et 67 à 92 sont reprises et incorporées dans le chef d’accusation 10.

     

  2. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d'autres, a planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter une campagne prolongée de bombardements et de tirs isolés contre des zones civiles de Sarajevo et contre la population civile, répandant la terreur en son sein.

     

  3. Peu après la reconnaissance internationale de la Bosnie-Herzégovine comme État indépendant le 6 avril 1992, des affrontements armés se sont produits à Sarajevo. Avant même le début du conflit, des forces armées soutenant le SDS et des éléments de l’Armée populaire yougoslave (la JNA) ont occupé des positions stratégiques dans Sarajevo et alentour. À partir de ces positions, elles ont soumis la ville à un blocus, à des bombardements et à des tirs isolés. Une grande partie des bombardements et des tirs isolés provenaient des collines entourant et surplombant Sarajevo, d’où les attaquants avaient une vue dégagée, précise et panoramique de la ville et de sa population.

     

  4. Le 20 mai 1992 ou vers cette date, après un retrait partiel des forces de la JNA de Bosnie-Herzégovine, celles qui encerclaient Sarajevo sont devenues le corps Romanija de Sarajevo de l’Armée de la République serbe.

     

  5. Durant 44 mois, le corps Romanija de Sarajevo a appliqué une stratégie militaire combinant tireurs embusqués et bombardements pour tuer, mutiler, blesser et terroriser la population civile de Sarajevo. Les bombardements et les tirs isolés ont fait des milliers de victimes civiles des deux sexes et de tout âge, y compris des enfants et des personnes âgées.

     

  6. Le corps Romanija de Sarajevo prenait pour cibles des civils qui jardinaient dans leurs potagers, faisaient la queue pour acheter du pain, allaient chercher de l’eau, assistaient à des funérailles, jouaient au football ou assistaient à un match, faisaient leur marché, prenaient le tramway, ramassaient du bois ou, tout simplement, se promenaient avec leurs enfants ou leurs amis. Il arrivait même que les gens soient blessés ou tués chez eux par des balles traversant leurs fenêtres. Les attaques contre les civils de Sarajevo étaient souvent menées indépendamment de toute opération militaire et étaient destinées à maintenir les habitants dans un état de terreur constant.

     

  7. En raison des bombardements et des tirs isolés contre les civils, la vie des habitants de Sarajevo est devenue une lutte quotidienne pour la survie. Sans gaz, sans électricité ni eau courante, ils étaient contraints de s’aventurer à l’extérieur pour trouver les produits de première nécessité. Chaque fois qu’ils le faisaient, qu’ils aillent chercher du bois, de l’eau ou acheter du pain, ils risquaient leur vie. Outre le carnage causé par les bombes et les tirs isolés, le fait d’être constamment menacés de mort ou de blessures a traumatisé les habitants de Sarajevo et a induit chez eux des troubles psychologiques graves.

     

  8. Entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient les actes décrits aux paragraphes 45 à 50 ci-dessus ou qu’elles les avaient commis. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  9. En outre, entre le 1er décembre 1995 et le 19 juillet 1996, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement avaient commis les actes décrits aux paragraphes 45 à 50 ci-dessus. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir.

Par sa participation à ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC s’est rendu coupable de :

Chef 10 : Avoir répandu illégalement la terreur parmi la population civile, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 51 du Protocole additionnel I et l’article 13 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

CHEF D’ACCUSATION 11
(PRISE D’OTAGES)

  1. Les allégations générales figurant aux paragraphes 1 à 15 et 67 à 92 sont reprises et incorporées dans le chef d’accusation 11.

     

  2. Entre le 25 et le 26 mai 1995, les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (l’OTAN) ont entrepris des frappes aériennes contre les forces serbes de Bosnie-Herzégovine.

     

  3. Entre le 26 mai 1995 et le 2 juin 1995, suite aux frappes aériennes de l’OTAN des 25 et 26 mai 1995, RADOVAN KARADZIC, agissant seul ou de concert avec d'autres, a planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter une prise d’otages d’observateurs militaires et de membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies.

     

  4. Les forces serbes de Bosnie ont détenu plus de 200 observateurs militaires et membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies à Pale, à Sarajevo et en d’autres endroits. Ils ont été gardés en otage contre leur volonté dans des sites présentant un intérêt militaire ou stratégique dans toute la Bosnie-Herzégovine, afin de protéger ces sites contre de nouvelles frappes aériennes de l’OTAN et d’empêcher la poursuite desdites frappes. Certains de ces otages ont subi des sévices et ont été de toute autre manière maltraités pendant leur captivité. Certains d’entre eux ont été contraints d’avertir leurs commandants des Nations Unies qu’ils seraient tués si l’OTAN poursuivait ses bombardements.

     

  5. Durant et après les négociations prolongées avec les dirigeants serbes de Bosnie, dont RADOVAN KARADZIC, les otages onusiens ont été relâchés par étapes entre le 3 et le 19 juin 1995.

     

  6. Entre le 26 mai 1995 et le 2 juin 1995, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient les actes décrits aux paragraphes 55 à 56 ci-dessus ou qu’elles les avaient commis. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  7. En outre, entre le 3 juin 1995 et le 19 juillet 1996, RADOVAN KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement avaient commis les actes décrits aux paragraphes 55 à 56 ci-dessus. RADOVAN KARADZIC n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir.

Par sa participation à ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC s’est rendu coupable de :

Chef 11 : Prise d’otages, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) b) commun aux Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.

RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE

  1. Radovan KARADZIC, agissant seul entre le 1er juillet 1991 et le 19 juillet 1996 ou de concert avec d’autres, notamment Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1992, dirigeait et contrôlait de jure et/ou de facto les forces serbes de Bosnie et tous les organes du SDS et de l’administration qui ont participé aux crimes allégués dans le présent acte d’accusation.

     

  2. Entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1992, c’est principalement à travers ses fonctions de Président du SDS, y compris de son Comité central, de Président du Conseil de sécurité nationale de la République serbe et de Président de la présidence de la République serbe, que Radovan KARADZIC, seul ou de concert avec Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, dirigeait et contrôlait les forces serbes de Bosnie et tous les organes du SDS et de l’administration qui ont participé aux crimes allégués dans le présent acte d’accusation :

     

    a) Radovan KARADZIC était le Président du SDS et à ce titre, il était également entre autres Président du Comité central du SDS. Dans les faits, le Comité central était la plus haute autorité au sein du parti. Il formulait la politique du parti et veillait à sa mise en œuvre. Le Comité central, dont Momcilo KRAJISNIK est aussi devenu membre le 12 juillet 1991, et les dirigeants du SDS exerçaient un contrôle direct sur les activités et les politiques de tous les organes du SDS à tous les échelons, y compris ses comités municipaux. Le Comité central a ordonné la création des cellules de crise du SDS dans les municipalités où vivaient des Serbes de Bosnie. Très souvent, les présidents des comités municipaux du SDS présidaient les cellules de crise ou en étaient membres. Parmi les membres des cellules de crise, on trouvait des responsables de la police et de l’armée. Dans leurs zones de responsabilité respectives, les cellules de crise exerçaient la totalité du pouvoir exécutif, législatif et réglementaire, et contrôlaient les forces serbes de Bosnie ;

    b) Du 28 février 1992 au 12 mai 1992, Radovan KARADZIC était, conjointement avec Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, responsable du déploiement de la Défense territoriale des Serbes de Bosnie, que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre, et de l’utilisation de la police en cas de guerre et autre état d’urgence. C’est devenu particulièrement évident lorsque l’Assemblée des Serbes de Bosnie a créé le Conseil de sécurité nationale de la République serbe le 27 mars 1992. Radovan KARADZIC est devenu Président de ce Conseil, dont Momcilo KRAJISNIK était également membre. Le Conseil de sécurité nationale avait officiellement pour fonction d’examiner les questions politiques, juridiques, constitutionnelles et autres ayant trait à la sécurité du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Radovan KARADZIC était d’avis que les décisions du Conseil de sécurité devaient s’imposer à tous les organes de l’exécutif, à la police et à l’administration, en particulier dans les situations d’urgence, lorsque des décisions relatives à la guerre, à la paix et autres questions de sécurité nationale devaient être prises. Jusqu’à l’institution de la présidence le 12 mai 1992, le Conseil de sécurité nationale était la plus haute autorité dans la République serbe ;

    c) Le 15 avril 1992, le Conseil de sécurité nationale a exercé ses pouvoirs en recommandant la proclamation de l’état de menace de guerre immédiate. Le même jour, Biljana PLAVSIC et Nikola KOLJEVIC, signant au nom de la présidence, ont déclaré l’état de menace de guerre immédiate et ordonné la mobilisation de la Défense territoriale des Serbes de Bosnie ;

    d) Le 12 mai 1992, Radovan KARADZIC est devenu membre de la présidence à trois et en a été élu Président le même jour. Le 2 juin 1992 ou vers cette date, la présidence a été officiellement élargie pour inclure Momcilo KRAJISNIK et le chef du Gouvernement. Du 12 mai au 17décembre 1992, la présidence assumait le commandement suprême de l’armée des Serbes de Bosnie en temps de guerre comme en temps de paix, et des forces de police serbes de Bosnie en cas de guerre et autre état d’urgence. La présidence décidait du déploiement des troupes en cas de guerre. Elle nommait, promouvait et démettait de leurs fonctions les officiers de l’Armée de la République serbe de Bosnie (« VRS »). En outre, elle recevait des rapports sur les activités des unités placées sous son commandement ;

    e) Entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1992, les forces serbes de Bosnie, les instances du SDS et l’appareil d’État ont été utilisés par les dirigeants des Serbes de Bosnie, notamment Radovan KARADZIC, Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC, pour exécuter les crimes allégués dans le présent acte d’accusation. Dans certains cas, les forces serbes de Bosnie, les instances du SDS et l’appareil d’État ont, avec le soutien et les encouragements de Radovan KARADZIC et d’autres, agi de concert avec des forces des Républiques de Serbie et du Monténégro ;

    f) Le 17 décembre 1992, la présidence a été dissoute et Radovan KARADZIC élu unique Président de la République serbe (Republika Srpska).

  3. En outre, du 1er janvier 1993 jusqu’à sa démission le 19 juillet 1996, Radovan KARADZIC, principalement à travers ses fonctions de Président du SDS, y compris de son Comité central, de Président du Conseil de sécurité nationale de la République serbe, de Président de la Republika Srpska et de commandant suprême des forces armées, et seul ou de concert avec Momcilo KRAJISNIK, Biljana PLAVSIC et d’autres, dirigeait et contrôlait les forces serbes de Bosnie et tous les organes du SDS et de l’administration qui ont participé aux crimes allégués dans le présent acte d’accusation :

     

    a) À partir du 17 décembre 1992, Radovan KARADZIC était l’unique Président de la Republika Srpska et il a assumé tous les pouvoirs de la présidence, y compris ceux de commandant suprême des forces armées, ainsi qu’il est indiqué plus en détail au paragraphe 61 d). En sa qualité de commandant suprême des forces armées, Radovan KARADZIC commandait les forces armées de concert avec d’autres membres du commandement suprême ;

    b) Entre le 1er janvier 1993 et le 30 novembre 1995, les dirigeants des Serbes de Bosnie, notamment Radovan KARADZIC, ont utilisé les forces serbes de Bosnie, les instances du SDS et l’appareil d’État pour exécuter les crimes allégués dans le présent acte d’accusation ;

  4. En octobre et novembre 1991, l’Assemblée des Serbes de Bosnie a également autorisé Radovan KARADZIC, Biljana PLAVSIC et d’autres membres éminents du SDS à « représenter et protéger les intérêts du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine vis-à-vis des instances fédérales et internationales », et à négocier avec les représentants des Musulmans et des Croates l’organisation de la future cohabitation en Bosnie-Herzégovine.

     

  5. Radovan KARADZIC, tant en raison des fonctions officielles évoquées plus haut que du pouvoir qu’il exerçait de facto, avait le pouvoir d’ouvrir des informations, d’engager des poursuites et de punir tous les individus ou membres des forces armées placées sous ses ordres qui étaient soupçonnés d’avoir commis des crimes sur le territoire de la République serbe.

     

  6. Par conséquent, entre le 1er juillet 1991 et le 30 novembre 1995, tant en raison des fonctions officielles susvisées que du pouvoir qu’il exerçait de facto, Radovan KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que des forces serbes de Bosnie placées sous le commandement des dirigeants des Serbes de Bosnie commettaient ou avaient commis les crimes allégués dans le présent acte d’accusation et il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les en punir.

     

  7. En outre, entre le 1er décembre 1995 et le 19 juillet 1996, tant en raison des fonctions officielles susvisées que du pouvoir qu’il exerçait de facto, Radovan KARADZIC savait ou avait des raisons de savoir que des forces serbes de Bosnie placées sous le commandement des dirigeants des Serbes de Bosnie avaient commis les crimes allégués dans le présent acte d’accusation et il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir.

    ALLÉGATIONS GÉNÉRALES

     

  8. Tous les actes ou omissions que le présent acte d’accusation qualifie de génocide ou de complicité de génocide ont été commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie, en tant que groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux.

     

     

  9. Tous les actes ou omissions que le présent acte d’accusation qualifie de crimes contre l’humanité ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre les populations civiles musulmane et croate de Bosnie ainsi que contre d’autres civils non serbes de Bosnie-Herzégovine.

     

  10. partir du 6 avril 1992, la Bosnie-Herzégovine était la proie d’un conflit armé international et était partiellement occupée.

     

  11. Tous les actes et omissions que le présent acte d’accusation qualifie d’infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 (« infractions graves ») ont été commis pendant le conflit armé international et l’occupation partielle de la Bosnie-Herzégovine.

     

  12. Radovan KARADZIC était tenu de respecter les lois et coutumes régissant la conduite des conflits armés, y compris les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels.

     

  13. Aux termes de l’article 7 1) du Statut du Tribunal, Radovan KARADZIC est individuellement responsable des crimes que le présent acte d’accusation met à sa charge, et ce pour avoir planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter des crimes tombant sous le coup des articles 2 à 5 du Statut du Tribunal.

     

  14. Investi d’un pouvoir hiérarchique ainsi qu’il est indiqué dans les paragraphes qui précèdent, Radovan KARADZIC est, aux termes de l’article 7 3) du Statut du Tribunal, également pénalement responsable des actes de ses subordonnés. Un supérieur est responsable du fait de ses subordonnés s’il savait ou avait des raisons de savoir que ceux-ci s’apprêtaient à commettre ces actes ou l’avaient fait, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les empêcher ou les en punir.

FAITS ADDITIONNELS

  1. Le SDS était l’un des trois partis qui se sont constitués sur une base ethnique en Bosnie-Herzégovine dans la perspective des élections pluripartites de novembre 1990. Dès sa création, le SDS a été présidé par Radovan KARADZIC alors que Biljana PLAVSIC et Momcilo KRAJISNIK en étaient des membres éminents. Chacun des trois partis s’identifiait à l’un des principaux groupes ethniques de Bosnie : le SDS était le principal parti serbe, le Parti de l’action démocratique (« SDA ») était le plus important parti des Musulmans de Bosnie et la Communauté démocratique croate (« HDZ ») était le parti croate dominant. Le résultat des élections a reflété la domination de ces trois grands partis nationaux. Au niveau de la République, c’est le SDA qui a remporté le plus de sièges à l’Assemblée, suivi du SDS puis du HDZ. Les autres partis, dont l’ex-Parti communiste, se sont répartis le reste des sièges.

     

  2. L’idée maîtresse du programme politique du SDS, comme l’ont exposée ses dirigeants, dont Radovan KARADZIC, Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC, était l’union de tous les Serbes au sein de la Yougoslavie, comme unique moyen de défendre les intérêts nationaux serbes. Elle était liée au concept de « Grande Serbie », qui commençait à être ouvertement évoqué dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie (« RSFY ») à la fin des années 1980. Le SDS voyait dans la sécession de la Bosnie-Herzégovine une menace pour les intérêts des Serbes qui y vivaient.

     

  3. Le résultat des élections de novembre 1990 signifiait qu’à terme, le SDS ne serait plus suffisamment puissant pour maintenir la Bosnie-Herzégovine au sein de la Yougoslavie par le biais du processus politique démocratique. Au printemps 1991, le SDS a commencé à organiser certaines régions de Bosnie-Herzégovine en structures régionales formelles à travers le concept d’« associations de municipalités », autorisées par la Constitution yougoslave de 1974.

     

  4. Parallèlement à la structure organisationnelle du SDS qui se déclinait aux plans de la République, des régions, des municipalités et des communautés locales, ses dirigeants ont commencé, en 1991, à mettre secrètement en place un système fermé de commandement, de contrôle et de communication. Dans ce système, le pouvoir principal revenait aux organes centraux du parti et, notamment, à son Président et à son Comité central, ce qui garantissait un contrôle total aux dirigeants du parti.

     

  5. À la fin de juin 1991, la RSFY a commencé à se désintégrer suite à une succession de guerres en Slovénie et en Croatie, après que ces deux Républiques se furent déclarées indépendantes le 25 juin. La JNA s’est très vite retirée de la Slovénie, permettant à celle-ci de sortir de la RSFY. En revanche, en Croatie, les combats ont fait rage tout l’été et jusqu’à l’automne 1991.

     

  6. Pour la guerre en Croatie, la JNA a appelé à la mobilisation de la population masculine de Bosnie-Herzégovine. Le Gouvernement bosniaque s’y est opposé et a informé la population qu’elle n’avait pas à y répondre. De ce fait, très peu de Musulmans et de Croates de Bosnie y ont répondu à la différence des Serbes de Bosnie, poussés en cela par le SDS.

     

  7. À mesure que la guerre en Croatie se prolongeait, il devenait de plus en plus probable que la Bosnie-Herzégovine proclamerait aussi son indépendance. Le SDS souhaitait cependant le maintien de la Bosnie-Herzégovine au sein de la Yougoslavie. Comme il devenait évident qu’il ne serait pas en mesure de la maintenir dans le giron de la fédération yougoslave, le SDS s’est attelé à la création d’un territoire serbe distinct en Bosnie-Herzégovine. En septembre 1991, le SDS a proclamé une Région autonome serbe et quatre Districts autonomes serbes (« SAO »). Les SAO devenaient les premières circonscriptions de base sur lesquelles la République serbe devait s’édifier.

     

  8. De l’avis des dirigeants du SDS, l’un des problèmes majeurs posé par la création et le contrôle du territoire serbe était la présence dans les zones revendiquées d’importantes populations musulmane et croate de Bosnie ainsi que d’autres populations non serbes. En conséquence, l’un des points importants du projet de création d’un nouvel État serbe était l’élimination définitive de ces zones ou « nettoyage ethnique » de la quasi-totalité des populations musulmane et croate de Bosnie et autres non-Serbes. Il était prévu qu’un petit nombre de non Serbes pourrait rester, à condition qu’ils acceptent de vivre dans un État dominé par les Serbes.

     

  9. À l’automne 1991, la JNA a entamé le retrait de ses troupes de Croatie et leur redéploiement en Bosnie-Herzégovine. Travaillant en collaboration avec certains éléments de la JNA, le SDS a commencé à armer en secret la population civile serbe de Bosnie.

     

  10. Une Assemblée des Serbes de Bosnie, distincte et dominée par le SDS, a été créée le 24 octobre 1991, en tant qu’organe représentatif et législatif suprême des Serbes de Bosnie.

     

  11. À la fin de décembre 1991, les dirigeants du SDS ont commencé à se préparer à prendre physiquement le pouvoir dans les municipalités de Bosnie-Herzégovine dont les Serbes n’avaient pas vraiment le contrôle, et à mettre ultérieurement en œuvre le plan général de nettoyage ethnique des régions qu’ils considéraient comme serbes. Les prises de contrôle ont été exécutées conformément aux instructions données par les dirigeants du SDS, souvent par l’entremise des cellules de crises, qui avaient été créées à cette fin.

     

  12. La cellule de crise était calquée sur une entité prévue dans le cadre du système de défense de la RSFY et était destinée à assurer le fonctionnement des municipalités ou de la République en cas de guerre ou d’état d’urgence, lorsque l’Assemblée, qui est normalement l’instance suprême de l’État, ne serait pas en mesure de se réunir.

     

  13. À la fin de décembre 1991, les cellules de crise ont commencé à fonctionner dans les municipalités revendiquées par le SDS. Elles étaient au niveau des régions et des municipalités chargées de la coordination de l’exécution de la plus grande partie de la phase opérationnelle du plan de nettoyage ethnique.

     

  14. Le 31 mai et le 10 juin 1992, la présidence a décidé que les cellules de crises seraient rebaptisées présidences de guerre puis commissions de guerre dans les municipalités. Les présidences de guerre/commissions de guerre avaient la même structure et quasiment le même pouvoir que les cellules de crise, appellation que la population a d’ailleurs continué à utiliser couramment.

     

  15. Les cellules de crise étaient censées cesser leurs activités dès que les assemblées pourraient se réunir et reprendre leurs travaux. Les organes municipaux normaux recommenceraient à fonctionner, généralement sous la direction des mêmes dirigeants du SDS. Ces organes municipaux approuveraient ou valideraient alors les actions des cellules de crise.

     

  16. Le 9 janvier 1992, l’Assemblée des Serbes de Bosnie a proclamé la « République serbe de Bosnie-Herzégovine ». Il était précisé que cette République comprenait « les territoires des Régions et Districts autonomes serbes et d’autres entités ethniquement serbes de Bosnie-Herzégovine, y compris les régions où la population serbe restait minoritaire suite au génocide dont elle avait été victime pendant la Deuxième Guerre mondiale », et qu’elle faisait partie intégrante de l’État fédéral yougoslave.

     

  17. À partir de la fin de mars 1992, les forces serbes de Bosnie ont commencé à prendre physiquement le contrôle des municipalités ethniquement hétérogènes qui avaient été déclarées partie intégrante de l’État serbe, y compris, mais sans s’y limiter, les municipalités énumérées au paragraphe 9. Ces attaques et prises de contrôle se sont opérées de la même façon, coordonnée et planifiée. Les cellules de crise, les présidences de guerre et les commissions de guerre et autres organes du SDS et de l’administration, agissant sous la direction et le contrôle des dirigeants du SDS, dont Radovan KARADZIC, Momcilo KRAJISNIK et Biljana PLAVSIC, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé les attaques, les prises de contrôle et les événements subséquents.

     

  18. Le 12 mai 1992, l’Assemblée des Serbes de Bosnie a voté la création de la VRS, transformant dans les faits les unités de la JNA qui étaient restées en Bosnie-Herzégovine et d’autres forces armées qui travaillaient de concert sur ce territoire en unités de commandement de la nouvelle armée. L’Assemblée des Serbes de Bosnie a nommé Ratko MLADIC chef de l’état-major principal de la VRS. En cette qualité, Ratko MLADIC recevait directement ses ordres de la présidence.

     

  19. La JNA s’est « officiellement » retirée de Bosnie-Herzégovine le 19 mai 1992, mais la VRS et la police des Serbes de Bosnie ont continué les opérations militaires contre la population non serbe. La JNA, rebaptisée Armée yougoslave (« VJ ») à l’occasion de la transformation de la RSFY en RFY en avril 1992, a maintenu des liens étroits avec la VRS. Elle a apporté à l’effort de guerre des Serbes de Bosnie un soutien crucial pour les combats, le financement, et la logistique. De nombreux officiers, commandants et soldats de l’ex-JNA sont restés en Bosnie-Herzégovine et la VRS a pu profiter des centres logistiques et des nombreux équipements et fournitures laissés là par l’ex-JNA. D’anciens officiers de la JNA ont été mutés dans les unités de la VRS qui avaient succédé à celles de la JNA et la plupart d’entre eux sont restés aux commandes de ces unités tout au long du conflit en Bosnie-Herzégovine. Les soldes des officiers de la VRS ont continué d’être versées par Belgrade. De plus, après le 19 mai 1992, des éléments de la VJ sont à l’occasion directement intervenus dans le conflit en Bosnie-Herzégovine et ont fourni à la VRS un soutien crucial dans les combats.

[cachet du Bureau du Procureur]

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Carla Del Ponte
Procureur

Fait le 28 avril 2000,
La Haye (Pays-Bas)