Presse Bosnie Herzégovine 2005

Remonter ] Presse BiH 2002-2004 ]

 

Bosnie : bombardements à l’uranium appauvri, des séquelles à long terme
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 2 décembre 2005

Il y a dix ans, les avions de l’OTAN bombardaient les positions serbes autour de Sarajevo. Aujourd’hui, les conséquences s’en font toujours sentir. L’uranium appauvri provoque une explosion des cancers et de la mortalité dans les zones touchées, ainsi que des graves mutations génétiques. La Bosnie n’a pas encore fini de payer le prix de la guerre.

Par Emir Suljagic

La commission d’enquête du Parlement d’État est le premier organe officiel qui a entamé une enquête sur la radiation en Bosnie et Herzégovine. Les résultats de cette enquête s’avèrent alarmants : des milliers de projectiles à l’uranium appauvri, un taux de mortalité accru, la propagation des cancers, des mutations génétiques plus nombreuses, un environnement pollué pour toujours.

Les pressentiments et les craintes les plus pessimistes liées à la question de l’utilisation de l’uranium appauvri en Bosnie et Herzégovine sont enfin confirmés, dix ans après la guerre. Le rapport de la Commission parlementaire d’enquête pour la définition du degré de radiation de l’uranium appauvri et ses conséquences pour la santé des citoyens de la Bosnie et Herzégovine ne laisse aucun doute sur deux choses : la première, c’est que, durant les opérations militaires en automne 1994 et 1995, l’OTAN a utilisé des munitions contenant de l’uranium appauvri.

La seconde certitude, c’est que les conséquences sur la santé des citoyens qui se sont retrouvés à proximité des cibles de ces munitions sont évidentes. Selon l’enquête, un nombre indéfini de citoyens de Bosnie et Herzégovine sont déjà morts des conséquences de la radiation. En ce qui concerne les conséquences pour la nature, elles sont aussi de long terme, au moins pour ce qui est des endroits où ces bombardements ont eu lieu.

Le rapport que le magasine Dani a eu l’occasion de consulter est le résultat d’une enquête menée durant plusieurs mois par une commission parlementaire de neuf membres. Il représente une première tentation et n’a pour objectif que d’établir les conséquences des opérations que l’OTAN a menées dans le pays. Le rapport repose sur une documentation très détaillée, y compris des enquêtes menées sur le taux et la structure de la mortalité parmi les habitants des zones touchées. Le silence avec lequel le gouvernement bosnien a caché cette enquête liée à la présence de l’uranium appauvri dans le pays semble avoir une motivation très claire : l’objectif déclaré de notre État de devenir d’abord membre du Partenariat pour la paix, ensuite de l’OTAN.

La mort qui vient des airs

Dans le cadre de leur action Deliberate force, les avions de l’OTAN ont attaqué 21 cibles militaires qui, à l’époque, étaient sous contrôle de l’Armée de la République serbe. Cependant, bien que l’OTAN ait reconnu avoir utilisé des munitions contenant l’uranium appauvri et ait rendu publiques les coordonnées de 16 cibles, l’inquiétude repose dans le fait que la Commission d’investigation de Bosnie et Herzégovine n’a pas obtenu d’informations sur les cinq autres.

Ces cinq endroits, selon le rapport, se situent quelque part dans les alentours de Sarajevo. Étant donné que la cible principale de l’OTAN était l’artillerie serbe qui, à l’époque, se trouvait dans la zone d’exclusion, aux contours bien définis, le calibre le plus souvent utilisé durant l’opération était de 30 millimètres. Les projectiles étaient tirés depuis des avions de type A-10, connus dans le jargon militaire américain comme des tank-busters. Pendant la durée de l’opération, le territoire de la Bosnie et Herzégovine a reçu 6380 projectiles, dont la plupart étaient de calibre 30 mm ! Selon la Commission, le nombre de bombes tirées serait encore plus important et, dans certain cas, il s’agirait probablement de calibres plus élevés, car l’uranium appauvri s’utilise aussi dans la production de projectiles de canons d’un calibre de 120mm. Reste à souligner que seulement une centaine de bombes ont été retrouvées, alors que le reste n’est pas retrouvable.

L’un des documents clés dont s’inspire ce rapport est également l’enquête de l’United Nations Environment Program (UNEP), publiée il y a deux ans. Cette enquête a confirmé la présence d’un degré élevé de radiation à Hadzici [1], dans un dépôt de munition ainsi que dans le bâtiment de Remontni centar, dans la caserne et le dépôt de munition d’artillerie de Han Pijesak [2]. À Hadzici, les membres du contingent allemand de la SFOR ont retrouvé " une caisse remplie de munitions contenant de l’uranium appauvri avec, entre autres, des restes d’obus, de fragments de balles et d’autres restes de munition déjà utilisés ", détaille le rapport.

Le véritable problème repose dans le fait qu’on ne sait pas du tout combien de temps ces munitions ont été stockées à cet endroit, ni à quel moment ni où elles ont été déplacées. De son côté, l’OTAN a déclaré que les munitions auraient été transportées au printemps 2001 vers les États-Unis. Cependant, aucune preuve n’existe de ce transfert.

Les informations issues de visites des vingt autres endroits concernés par cette enquête montrent soit qu’aucune augmentation de radiation n’a été enregistrée, soit que l’enquête n’a pas pu être achevée à cause des mines restées sur le terrain après la guerre. L’un de ces endroits se trouve dans la montagne de Rosca où, à l’automne 1994, les avions de l’OTAN ont détruit un canon mobile de l’armée serbe. Le terrain est toujours miné et encombré. À Pjelugovici, où les munitions contenant de l’uranium appauvri ont été également utilisées, la présence d’un degré élevé de radiation n’est pas enregistré, mais la Commission considère qu’existe la possibilité d’une « pénétration de l’uranium appauvri plus profondément dans le sol ». En ce qui concerne les autres endroits bombardés, comme Pale, Vogosca, Ustikolina, Foca, Kalinovik, Glamoc et Bjelasnica, la Commission a confirmé l’absence de radiation mais, à certains endroits, elle a enregistré « une forte concentration de métaux lourds ».

Cancers et mutations génétiques

Ceci n’est cependant pas le seul point faible de l’enquête réalisé par l’UNEP, qui ne touche que très vaguement la question des conséquences de l’utilisation de l’uranium appauvri et constate que le nombre de personnes souffrant de cancer en Bosnie n’aurait pas augmenté. Pourtant, les enquêtes réalisées par les spécialistes locaux, qui ont concentré leur enquête sur les zones touchées, signalent un taux plus important de personnes souffrant du cancer. Ces mêmes rapports témoignent de la présence de mutations génétiques qui peuvent apparaître comme des conséquences de l’exposition à la radiation. Comme autres effets secondaires de l’uranium, ils énumèrent les problèmes émotionnels et mentaux, la fatigue, la perte de contrôle sur les fonctions vitales du corps, souvent qualifiés par certains de symptômes du « syndrome des Balkans ». La leucémie, sérieusement répandue chez les soldats italiens qui ont travaillé en Bosnie et Herzégovine, a été également soumise à investigation par les autorités militaires et civiles italiennes.

De plus, la Commission a constaté qu’existent « des indices sur le lien possible entre l’augmentation du taux de maladies malignes et l’influence des munitions contenant de l’uranium appauvri », dont les conséquences « peuvent se manifester après une période de latence de dix ans ou plus ». Les dégâts pour l’environnement ainsi que les conséquences de la pollution des eaux souterraines et de sources se jouent également à long terme et il faudra plusieurs années avant qu’elles ne se manifestent. Cependant, deux documents signalent que la crise est beaucoup plus sérieuse : il s’agit de deux documents élaborés uniquement pour utilisation interne durant l’enquête parlementaire, liés à la santé des habitants de Hadzici.

L’enquête menée parmi les habitants de ce village qui, après la guerre, s’étaient réfugiés à Bratunac [3], montre que l’augmentation du taux de mortalité pourrait être uniquement lié au fait qu’ils étaient exposés à la présence de l’uranium appauvri. Le taux de mortalité parmi les réfugiés de Hadzici à Bratunac a augmenté de 8 à 20 fois entre 1996 et 2000, et était dix fois plus élevée que le taux de mortalité parmi les autres réfugiés du pays.

L’auteur de l’enquête, médecin à Bratunac, Slavica Jovanovic, souligne que la vie de réfugiés est souvent en soi déjà suffisamment traumatisante pour causer un taux de mortalité plus élevé. Cependant, même en prenant en compte ce fait, la présence de carcinome parmi les réfugiés de Hadzici est beaucoup trop importante. Selon les résultats de son enquête, conduite immédiatement après la guerre, ce taux était de 19,4%, et il a monté à 27,6% en 1998, pour se « stabiliser », pendant les deux années suivantes, à 18%. À titre illustratif, le taux de carcinome chez les autres réfugiés après la guerre était de 10%, alors que dans la population locale de Bratunac, il dépassait à peine 6%. Les résultats finaux de l’enquête sont alarmants.

Le syndrome de Hadzici

Le taux de mortalité parmi les habitants de Hadzici est 2,2 fois plus élevé que ce même taux à Bratunac ; environ quatre fois plus grand que le taux de mortalité de la population originaire de Bratunac, et 2,5 fois plus grand que le taux de mortalité parmi les autres réfugiés. La proportion des décès causés par le carcinome est très importante et plus grande que chez les autres groupes de réfugiés.

L’enquête de l’Institut d’études génétiques et de biotechnologie de Sarajevo, menée parmi les habitants de Sarajevo et de Hadzici - plus précisément parmi les employés du Remontno-tehnicki zavod de Hadzici - signale une « fréquence croissante d’aberrations du type chromosomique » parmi les groupes enquêtés. Autrement dit, les déséquilibres au sein des chromosomes - une sorte de mutation génétique - parmi les habitants de Hadzici sont plus présents qu’auprès de la moyenne, et même si ils ne peuvent être mis en lien direct avec l’exposition à l’uranium, cela représente tout de même, l’une des explication possibles.

Sanin Haveric, l’un des porteurs du projet affirme : « Nous ne pouvons pas pour l’instant exclure la présence d’autres agents, mais c’est justement la raison pour laquelle nous aimerions continuer notre enquête ». Les résultats de l’Institut montrent cependant que parmi les habitants de Hadzici le pourcentage d’erreurs dans le chromosome dépasse les 3% autorisés. La présence de ces « chromosomes aberrants » qui, chez les hommes sains, est très rare, dépasse dans le groupe étudié la norme autorisée et « représente une indication claire d’exposition à la radiation ».

De surcroît, les changements dans la structure des chromosomes qui, chez les enquêtés de Sarajevo, se situent au-dessous de la limite autorisée de 4,4%, dépassent cette limite dans 57% des cas chez les enquêtés de Hadzici. Pour le dire d’une façon compréhensible à un Béotien, la conséquence de la radiation, dans ce cas, est une « perte », c’est-à-dire un endommagement du matériel génétique. Puisque, souligne-on dans la conclusion du rapport, les habitants enquêtés de Hadzici montrent des changements génétiques beaucoup plus souvent que les autres enquêtés, il est clair qu’existe un lien entre l’uranium appauvri et la présence de mutations génétiques.

Le prix de la guerre n’a pas encore été payé

Autrement dit, le prix de la guerre n’a pas encore été payé. Outre le fait que le nombre exact d’habitants de notre pays dont la mort a été causée par les radiations n’est pas connu, il est évident que nous sommes encore loin d’en voir la fin. L’uranium reste très longtemps dans l’organisme et exerce une influence prouvée sur l’ADN. Il vaut mieux ne pas évoquer les atrocités rencontrées dans des cas semblables auparavant et dont l’humanité a témoigné. Les générations qui, à l’époque des bombardements, ne savaient même pas ce qui se passaient autour d’eux continuent à payer la facture. Le plus ironique dans cette histoire, c’est que ces bombes étaient jetées en leur nom.


[1] Village dans les alentours de Sarajevo

[2] Petite ville à l’est de Sarajevo

[3] Petite ville proche Srebrenica, où se sont réfugié les habitants de Hadzici (pour la plupart de nationalité serbe) suite ou durant les actions de l’OTAN.

 

Bosnie : nouveau coup de filet dans les milieux islamistes
Traduit par Stéphane Surprenant

Publié dans la presse : 2 décembre 2005

La Communauté internationale se félicite du nouveau coup de filet opéré en Bosnie au sein des milieux islamistes. Arrivés pendant la guerre, de nombreux miliciens étrangers avaient déja quitté le territoire bosniaque après le 11 septembre 2001. Sous la pression des USA, la traque se poursuit.

Par Nidzara Ahmetasevic

« S’ils sont coupables, il devraient subir un procès. » Ainsi s’exprime Kerim, un jeune homme que la barbe et les pantalons courts désignent comme un membre du mouvement radical wahhabite basé en Arabie Saoudite.

Se tenant à l’extérieur d’une mosquée de Sarajevo, où il vend de la littérature et du matériel de propagande sur la Tchétchénie et l’Intifada palestinienne, il poursuit : « Ils ne peuvent pas être musulmans, parce que notre religion interdit de tuer des innocents, en particulier des femmes et des enfants ».

Kerim parle des dernières arrestations d’individus soupçonnés de terrorisme par la police bosniaque, dans une tentative de débarrasser la Fédération de Bosnie - principalement musulmane - des extrémistes religieux qui menacent la réputation et l’avenir du pays.

La police a commencé à cibler ce type de personnes en 2001 suite aux attentats d’Al Qaida à New York. Les États-Unis avaient exercés de fortes pressions sur les États musulmans amis pour que ceux-ci démantèlent les réseaux extrémistes sur leur territoire.

Récemment, le rythme des arrestations s’est accéléré. En octobre, la police bosniaque a appréhendé deux jeunes hommes soupçonnés de possession illégale d’armes à feu. Il s’agit de Mirsad Bektasevic, 19 ans, un citoyen suédois originaire de Serbie, et de Abdul Kadir Cesuru, 18 ans, un citoyen turc vivant au Danemark.

Le 17 novembre, la police a arrêté trois autres personnes : Bajro Ikanovic, 20 ans, et Amir Bajric, 18 ans, que les enquêteurs ont reliés à Bektasevic. Un troisième individu, dont l’identité n’a pas été révélée, a été mis sous les verroux pour possession illégale de 10 kg d’explosifs.

Les cinq hommes feraient partie d’un réseau terroriste international soupçonné de préparer des attentats contre des ambassades occidentales à Sarajevo, dont celles des États-Unis et du Royaume-Uni.

La police bosniaque et le Procureur d’État en charge de la cause ont refusé d’en dire plus long sur la nature spécifique des accusations retenues.

Lors de brèves conférences de presse, ils ont divulgué seulement des bribes d’informations, répondant aux questions des médias par des formules convenues comme « L’enquête suit son cours » et « En révéler davantage pourrait compromettre les mesures à venir ».

Alors que le public n’est pas entièrement satisfait de cette attitude, des responsables internationaux ont applaudi les initiatives de la police bosniaque destinées à tuer dans l’œuf toute menace terroriste.

Après les deux premières arrestations d’octobre, le Haut Représentant de l’ONU Paddy Ashdown a déclaré que la Bosnie était devenue « un partenaire digne de confiance dans la lutte mondiale contre le terrorisme ».

Paddy Ashdown a pressé la police locale de mener une enquête de la manière la plus professionnelle qui soit. « L’enquête ne doit être gênée d’aucune façon, car le terrorisme est une menace globale. La Bosnie a montré qu’elle était capable de joindre le front mondial contre le terrorisme ».

Des citoyens bosniaques - ainsi que des étrangers séjournant dans le pays - ont déjà été impliqués dans des réseaux terroristes internationaux.

Des militants islamistes avaient pris pied dans le pays durant la guerre de 1992-1995, lorsque le gouvernement de Alija Izetbegovic avait permis à de soi-disant combattants de la Guerre Sainte, ou Mujahidines - dont certains vétérans de la guerre d’Afghanistan contre l’occupation soviétique -, de s’infiltrer et de former des unités dans le centre de la Bosnie.

Des mujahidins qui ont fait souche

Dans un rapport daté de 1996, Enrique Bernales Ballesteros, Envoyé spécial de l’ONU pour les Droits humains, avait soulevé le problème de ces mercenaires étrangers. Il avait constaté que des Moujahidines se battaient aux côtés des troupes bosniaques musulmanes et même cité les noms de leurs unités [1].

Beaucoup de ces combattants ont quitté la Bosnie juste avant ou après la fin de la guerre pour rejoindre d’autres théâtres d’opération ailleurs dans le monde. Mais certains se sont installés et ont fondé des familles. Quelques uns ont acquis la citoyenneté bosniaque.

Le plus gros de ceux qui étaient restés après 1995 ont quitté le pays après les attentats du 11 septembre 2001. Cependant, quand ils se sont déplacés, on croit qu’ils ont conservé leur passeport bosniaque.

Des représentants internationaux ont appelé les autorités bosniaques à réexaminer le statut de citoyenneté de ces personnes. Le gouvernement a accepté. Récemment, le Conseil des Ministres a mis sur pied une Commission pour enquêter sur les circonstances dans lesquelles la citoyenneté a été accordée à 1200 étrangers d’origine africaine ou asiatique.

Tandis que certains experts continuent d’affirmer que la Bosnie héberge des « taupes d’Al Quaïda » qui ont pour instruction de n’agir que sur ordre de leurs supérieurs, la police doute fort que les cinq homme arrêtés dernièrement appartiennent au réseau terroriste d’Oussama Ben Laden.

Pour appuyer la thèse selon laquelle Al Quaïda n’est pas actif en Bosnie, la police rappelle qu’un seul acte terroriste a été commis dans le pays depuis la fin de la guerre, quand Ahmed Zuhai Handala, un Syrien, avait organisé un attentat à la voiture piégée dans un quartier croate de Mostar en 1997.

La bombe n’avait causé aucune perte en vie humaine. Handala avait été arrêté cinq ans plus tard - non pas en Bosnie, mais au Yémen -, soupçonné d’appartenir à une organisation terroriste internationale. Il a été transféré au centre de détention spécial américain de Guantanamo, où il se trouve toujours.

Six Bosniaques sont toujours à Guantanamo

Six autres ressortissants bosniaques sont également détenus à Guantanamo. Ils feraient partie du « Groupe algérien ». La police bosniaque les a remis aux autorités américaines il y a trois ans, après les avoir arrêtés parce qu’ils auraient planifié des attentats terroristes. Leur cause a provoqué une controverse : diverses ONG œuvrant dans le domaine des Droits humains, locales et internationales, ont protesté contre ces extraditions qui ne se sont pas conformées au jugement de la Cour constitutionnelle, laquelle avait statué qu’il n’y avait pas matière à extradition.

Au contraire, les autorités se sont empressées de transférer ces hommes sous les fortes pressions du gouvernement des USA et de son ambassade à Sarajevo. Des détenteurs de passeports bosniaques ont été reliés à plusieurs attentats terroristes en Europe, dont le plus important est celui de Madrid en mars 2004, qui avait couté la vie à plus de 190 personnes.

Cela avait mis la communauté islamique de Bosnie dans l’embarras ainsi que son chef, Ismet Ceric, qui a souvent condamné le terrorisme et ceux qui le soutiennent. Les dirigeants de la communauté islamique se sont également dissociés des Wahhabites de Bosnie, dont ils minimisent l’envergure. Ahmed Alibasic, professeur à la Faculté des Études islamiques de Sarajevo, affirme qu’ils « ne posent pas un problème en Bosnie ».

Ahmed Alibasic admet que des organisations humanitaires arabes ont gagné en influence dans la communauté, mais insiste sur le fait que les dirigeants islamiques de Bosnie « contrôlent la situation ».

« La communauté islamique renonce à la violence, à l’extrémisme et à l’intolérance, ainsi que la majorité des Musulmans bosniaques », a assuré Alibasic. La plupart des Wahhabites sont d’accord avec cette position, soutenant que leur mouvement est injustement associé au terrorisme. Emir Picric, un ancien combattant moujahidine, a dit que ses anciens camarades islamiques de divers pays avaient été « utiles pendant la guerre, aidant à défendre la Bosnie de toutes leurs forces et même avec leur vie ». Mais il ajoute que les temps ont changé et que ces hommes « sont devenus, d’un point de vue réaliste, un handicap après la guerre ».


[1] http://www.fas.org/irp/world/para/docs/e-cn4-1996-27.htm 

 

Bosnie : que réserve l’accord de Washington ?

 

Mise en ligne : samedi 26 novembre 2005 

Les dirigeants des huit principaux partis politiques de Bosnie-Herzégovine, réunis à Washington à la faveur du dixième anniversaire de la conclusion de l’accord de Dayton ont signé une déclaration par laquelle ils s’engagent à « entamer un processus de réformes constitutionnelles qui va renforcer l’autorité du gouvernement et rationaliser le parlement et la présidence » et à « mener ces réformes d’ici à mars 2006 ».

Ils assurent vouloir défendre les droits de l’homme de tous les Bosniens. Les huit signataires sont le Président collégial de la BH, Sulejman Tihic, (SDA) le Président de la RS, Dragan Cavic (SDS), le ministre des Affaires étrangères de BH, Mladen Ivanic (PDP), le ministre de la Sécurité de BH, Barisa Colak (HDZ), le Président du Parti pour la BH, Safet Halilovic, le Président du SDP, Zlatko Lagumdzija le Président du SNSD, Milorad Dodik et Mate Bandur, pour le HNZ.Les trois membres de la Présidence, Ivo Miro Jovic, Sulejman Tihic et Borislav Paravac ont confirmé cet accord dans un document séparé. Les dirigeants de la RS ont, en outre, publié une déclaration particulière appelant « Radovan Karadzic et Ratko Mladic à se rendre volontairement et immédiatement aux autorités de la RS ou directement au TPIY », ajoutant que « s’ils continuent à refuser de se rendre, la RS est prête et déterminée à prendre toutes les mesures et actions nécessaires pour les trouver et les interpeller, ainsi que les autres fugitifs encore réclamés par le Tribunal de La Haye ».

Cet ensemble de résolutions, intervenues après des discussions souvent tendues, ont été adoptées sous la forte pression des autorités américaines représentées notamment par la Secrétaire d’État, Condoleezza Rice et le Sous - Secrétaire Nicholas  Burns qui ont fait valoir la nécessité pour la Bosnie-Herzégovine de se doter d’institutions adaptées aux perspectives de son intégration aux structures euro-atlantiques. V. Rice a salué l’accord obtenu comme un « historique pas en avant ». Elle a rétroactivement justifié les accords de Dayton en estimant qu’ « un Etat faible et divisé était approprié en 1995, mais qu’aujourd’hui, en 2005, la pays avait besoin d’un Etat plus fort et énergique pour assurer le bien public et défendre l’intérêt national ». Richard Holbrooke a, de son côté, procédé à une sorte d’autocritique de son rôle passé en regrettant d’avo ir permis la création d’une entité appelée « Republika Srpska ». Nicholas Burns a spécifié que la Bosnie ne pouvait « rester un pays fractionné et penser pouvoir devenir membre d’une Europe ou d’une OTAN unifiées ».

Si, comme le soulignent les commentateurs, les engagements qui viennent d’être pris marquent un moment important de l’après-Dayton, l’issue du processus qui s’enclenche reste très incertaine, car aucune proposition précise n’a été faite pour réaliser le renforcement des autorités centrales de l’Etat, présidence, gouvernement et parlement ou pour redistribuer les compétences entre l’Etat et les entités, l’existence même de celles-ci n’ayant pas été formellement mise en cause. Les premières réactions des parties signataires de l’accord révèlent les divergences qui subsistent intactes entre partisans d’un pays divisé et ceux d’un pays réunifié dans le cadre d’une large décentralisation. Les opinions exprimées en BH sont contrastées. Ceux qui espéraient des changements fondamentaux sont déçus, mais il en est qui estiment qu’un mécanisme de transformation se trouve désormais en place. Du côté nationaliste serbe, les radicaux (de Seselj) prévoient la catastrophe, mais les plus réalistes sont soulagés de ce que la pérennité de leur entité leur semble préservée. Le test de l’arrestation de Mladic et de Karadzic sera pour la RS le signe le plus clair de sa volonté réelle de prendre le tournant de la nouvelle politique qu’elle prétend accepter.

Les pourparlers qui s’annoncent et dont le terme a été fixé à mars 2006 pour qu’ils aboutissent avant les élections générales prévues en octobre de la même année, risquent donc d’être ardus et de se terminer sans résultat d’envergure. Il serait nécessaire que l’Union européenne et chacun de ses pays membres fassent entendre plus fort leur voix pour pousser la Bosnie-Herzégovine à devenir cet Etat « normal », en dehors duquel tout progrès vers l’Europe ne peut être qu’illusoire. En déclarant le 21 novembre à Bruxelles, qu’il n’y aurait pas de « dramatiques changements » dans la constitution de BH, Javier Solana, ministre des affaires étrangères de l’Union, s’est montré, comme à l’habitude, bien timide. Quant à la position de la France, existe-t-elle ?

 

Globus
La Bosnie post-Dayton : un État unifié, sans les Croates ?
Traduit par Rusmir Smajilhodzic

Publié dans la presse : 25 novembre 2005

À l’occasion des dix ans de Dayton, les dirigeants bosniaques courent à travers le monde, de conférence en conférence. L’illusion d’une Bosnie unitaire idéale, avant-guerre, revient en force. Mais la Bosnie actuelle est en train de se transformer en une simple fédération serbo-musulmane. Cri d’alarme pour les Croates de Bosnie, qui se considèrent comme les grands perdants des évolutions actuelles.

Par Mirjana Kasapovic

« Cette soir-là, alors que je marchais avec le Premier ministre Haris Silajdzic dans les rues froides de Sarajevo, il me parlait de sa jeunesse dans la ville multiethnique, dans laquelle, il ne savait même pas de quelle nationalité ou de quelle origine ethnique étaient ses amis. ‘Cette ville que je connaissais et que j’aimais est en train de mourir parce que l’Occident n’a pas arrêté cette guerre’, m’a-t-il dit avec amertume ».

Par cette nuit froide de janvier 1995, Haris Silajdzic, alors Premier ministre de Bosnie-Herzégovine et Richard Holbrooke, « l’architecte principal » de l’accord de paix de Dayton, qui a noté les souvenirs de Silajdzic dans ses mémoires des Balkans Finir la guerre [1], se promenaient ensemble dans les rues froides de Sarajevo, mais on ne sait pas qui d’entre eux était le plus grand manipulateur : Silajdzic, qui décrivait une société multiethnique harmonieuse qui n’a jamais vraiment existé, ou Holbrooke, qui laisse penser à ses lecteurs qu’il a cru les mots du Premier ministre et qu’il en a été sincèrement touché.

L’illusion de la Bosnie multiethnique

Haris Silajdzic savait très bien que dans le Sarajevo multiethnique de sa jeunesse on connaissait toujours la religion ou l’origine ethnique de quelqu’un. À Sarajevo, comme dans toute la Bosnie-Herzégovine, depuis des siècles, il était suffisant que quelqu’un dise son nom pour que l’on sache tout de suite quelle était sa religion et son origine ethnique. Si le petit Haris s’était approché d’une bande « multiethnique » d’enfants à Bascarsija, à Bistrik, à Grbavica ou dans un autre quartier de la ville où il a grandi, et si il disait qu’il s’appelait Haris, on savait aussitôt qu’il était musulman et qu’il allait devenir, plus tard, un Boshniaque.

En Bosnie-Herzégovine, les noms personnels ont été pendant des siècles et sont toujours restés les signes extérieurs de l’appartenance religieuse et ethnique. En Bosnie, les individus se distinguent dès leur enfance par leurs noms, mais aussi par d’autres marques d’appartenance religieuse et ethnique : la façon dont ils s’habillent, dont ils se nourrissent, dont ils parlent, et même dont ils se comportent. Ainsi se dessinaient les frontières sociales et culturelles entre les membres des différentes communautés, même si elles n’ont pas toujours été politiquement visibles ni traduisibles, comme c’était le cas dans le Sarajevo socialiste des années 1950 et 1960, lorsque le Premier ministre de la période de guerre était un petit garçon.

On pourrait pourtant penser que Silajdzic a voulu dire autre chose : que les différences religieuses et ethniques ont existé mais que personne ne leur donnait d’importance et n’y faisait attention. Aujourd’hui encore, il pense la même chose. Haris Silajdzic est un centraliste bosniaque convaincu et intégriste, qui pense que la mise en place des « régions économiques naturelles » règlera les graves problèmes nationaux en Bosnie-Herzégovine.

Plus encore, Silajdzic affirme de manière autiste que, dans le cas d’un référendum, son concept de « régions économiques naturelles » sera soutenu par une majorité des citoyens. Il croit que le soutien de la « majorité citoyenne », pour laquelle les Musulmans sont suffisants - ou le seront prochainement si l’exode massif des Croates de Bosnie se poursuit - pourrait suffire pour prendre et appliquer des décisions.

Un protectorat occidental

Déjà, la Bosnie-Herzégovine indépendante a été créée sur la base d’un soutien de la majorité des citoyens au référendum, mais où cela nous a-t-il mené ? Haris Silajdzic devrait enfin comprendre que l’État qu’il aime tant peut survivre seulement sur la base du soutien de la « majorité tripartite », c’est-à-dire du soutien de la majorité des citoyens représentant les trois peuples constitutifs, qu’il est impossible de regrouper autour de son concept centraliste. Sans cette « majorité tripartite », la Bosnie peut survivre uniquement sous la forme d’un protectorat international.

Le fragment cité des mémoires de Richard Holbrooke illustre une illusion qui court sur le marché politique des idées à propos de la réforme du régime de Dayton : l’illusion que la Bosnie-Herzégovine aurait représenté avant la guerre des années 1990 une société complètement multiethnique et harmonieuse, et que les problèmes seraient tous résolus si l’on revenait à ce modèle de société.

Bien au contraire, la Bosnie-Herzégovine a été, au long des siècles de son histoire, une société religieusement et ethniquement divisée dans sa profondeur, dans laquelle les trois communautés principales - les Croates catholiques, les Bosniaques musulmans et les Serbes orthodoxes - ont vécu dans des « sociétés parallèles », qui avaient leurs propres institutions et leur organisation sociale, culturelle et politique.

Les organisations et les institutions de ces sociétés parallèles ont été ravagées et supprimées par la force à l’époque socialiste, durant laquelle les communautés religieuses étaient uniquement tolérées comme des « vestiges du passé », et les communautés ethniques ont été remplacées par le « peuple travailleur » uni. En simplifiant sans délicatesse, c’est sur ces bases que s’est créée la société multiethnique « harmonieuse », dans laquelle ont ne pouvait pas institutionnaliser politiquement et socialement les différences nationales.

Cette société peut être rebâtie seulement à partir de ces axiomes, notamment après la guerre des années 1990, qui a été non seulement un conflit international mais également une violente guerre civile.

Cependant, aujourd’hui, personne ne peut instaurer et maintenir une dictature qui refoulerait et supprimerait les différences nationales en Bosnie-Herzégovine, qui déplacerait à nouveau des millions de personnes qui ont quitté leurs foyers de leur gré ou en ont été chassées pendant la guerre et vivent maintenant dans les forteresses territoriales « ethniques » qui se sont édifiées en Bosnie-Herzégovine. Ainsi, le retour à l’état antérieur n’est qu’une illusion née d’un regard sur la Bosnie marqué par une perspective historique raccourcie, unilatérale et irréalisable.

Holbrooke savait, bien sûr, que les souvenirs de Silajdzic n’étaient qu’un discours vide qui n’avait aucun rapport avec la sanglante réalité bosniaque. Les sociétés multiethniques harmonieuses ne se transforment pas du jour au lendemain en un cratère de guerre, dans lequel des millions de gens s’entretuent jusqu’à l’extermination, quand bien même cette guerre est impulsée et organisée par des forces extérieures au pays.

Les « dettes » de l’Occident

On voit émerger de ces entretiens de nuit, menés en 1995 par Holbrooke et Silajdzic à Sarajevo, un souhait qui allait devenir plus tard une réalité : le souhait que l’Occident prenne dans ses mains le sort de l’État bosniaque. Le vœu de Silajdzic s’est réalisé.

L’Occident n’a pas pour autant empêché la guerre, mais il l’a achevée, il a construit l’État de l’après-guerre, qu’il a tenu en vie militairement, politiquement et économiquement aux cours des dix dernières années. Maintenant, à l’occasion du 10e anniversaire du traité de paix, il discute sans courage des façons de prolonger la vie de cet État et de la rendre plus paisible. Il discute sans courage d’un « aggiornamento » du régime de Dayton, que Silajdzic traite de solution « fasciste ».

À l’occasion de l’anniversaire de la Bosnie daytonienne, les représentants des Bosniaques (Musulmans), des Croates et des Serbes font le tour du monde, passent d’une table-ronde à une autre, pour étaler devant l’Occident leurs attentes et vœux politiques. Parce que, paraît-il, l’Occident leur devrait à tous quelque chose.

Les Bosniaques (Musulmans) sont convaincus que l’Occident leur doit un État intégral en Bosnie, sans entités et, en général, sans cantons ou quelconque construction territoriale ethnique qui ressemblait à des unités fédérales. L’Occident n’ira pas à leur encontre : il ne supprimera pas la Republika Srpska, mais rendra la Fédération croato-musulmane plus unitaire et centralisée, la transformant pratiquement en une entité bosniaque (musulmane). La Bosnie commence ainsi à prendre la forme d’un État serbo-musulman avec les deux entités, ce qui semble une manière certaine d’ouvrir la voie à son éclatement.

Les Serbes sont convaincus que l’Occident doit garder en vie la Republika Srpska comme une sorte de compensation pour la désintégration d’un État serbe dans les Balkans, ce qui se passe avec la séparation en cours du Monténégro, « État historiquement serbe », de la Serbie, et avec celle du Kosovo, « le berceau historique serbe ». Il est certain que l’Occident agira ainsi. La Republika Srpska fera figure de compensation symbolique et réelle pour les « pertes territoriales » de la Serbie.

Les Croates sont convaincus que l’Occident doit leur reconnaître le droit à leur propre entité ou, au moins, à leurs propres cantons ethniques en Bosnie-Herzégovine. L’Occident n’ira pas à leur encontre.

Si les discussions sur la Bosnie de Dayton, menées à l’occasion de l’anniversaire, ont apporté des éléments nouveaux, il s’agit alors de la franchise, jusqu’à maintenant inhabituelle, avec laquelle ses créateurs ont abordé « la question croate » en Bosnie-Herzégovine.

Lors d’une rencontre récente à Dayton, toujours à l’occasion de l’anniversaire, Richard Holbrooke a fait savoir que l’Occident avait « remboursé » les Croates il y a dix ans, en leur rendant ce que Tudman avait réclamé à Dayton même : la Slavonie orientale. En d’autres termes, la Croatie, avec l’intégralité de son territoire et sans régions autonomes serbes, représente en elle-même la dette que l’Occident a remboursée après les guerres à tous les Croates, et ils n’ont plus rien à demander. La Croatie n’a rien perdu et, par voie de conséquence, rien ne doit lui être compensé. Ainsi, le destin tragique des Croates de Bosnie-Herzégovine est scellé dans les fondements de l’existence de la Croatie elle-même.

Assez des lords britanniques de gauche !

Presque en même temps, Paddy Ashdown a recommandé aux Croates de Bosnie-Herzégovine, de moins en moins nombreux, d’essayer de préserver et de protéger leur identité nationale au sein de l’Union européenne, quand le pays dans lequel ils vivent en deviendra membre. En attendant, ils devraient se servir de manière intelligente de leurs « puissance économique » pour survivre.

Cet incroyable cynisme et cette insolence politique pouvaient venir seulement d’une personne qui assume le profil d’un « lord de gauche », tout comme d’ailleurs David Owen. Les Croates pourraient, dans l’avenir, s’ils disposent d’une quelconque puissance institutionnelle, se servir au moins d’une mesure de protection : opposer leur droit de veto irrévocable à la possibilité que leur destin soit encore dicté par des lords britanniques de gauche.


[1] R.Holbrooke, To end a War, New York, 1999.

 

Dix ans après Dayton : vers une nouvelle Constitution pour la Bosnie
Traduit par Jean-Arnault Dérens

Publié dans la presse : 21 novembre 2005

DERNIERE HEURE : Après deux jours de consultations à Washington, à l’occasion du dixième anniversaire des accords de paix signés à Dayton le 21 novembre 1995, les dirigeants bosniaques ont signé mardi soir le principe d’une modification de la Constitution du pays.

Par S.Sehercehajic

Le 21 novembre marque le dixième anniversaire de la signature des accords de paix de Dayton. La date est d’autant plus importante que les représentants de la communauté internationale viennent d’entamer des discussions avec les dirigeants de Bosnie-Herzégovine pour modifier l’annexe 4 de ces accords, c’est-à-dire la Constitution.

Les dirigeants politiques bosniaques se rendent à ce rendez-vous, organisé à Washington dans le cadre de l’Institut international de la paix, sans aucun consensus entre eux.

Pourtant, les experts en droit constitutionnel et les spécialistes estiment que la Bosnie-Herzégovine est déjà depuis longtemps arrivée à une phase où la Constitution de Dayton crée plus de problèmes qu’elle n’en règle, aussi bien au plan intérieur qu’international.

Cosmétique et ravalement de façade

L’un des acteurs des accords de Dayton, l’ancien Premier ministre Haris Silajdzic, estime que les changements constitutionnels ne peuvent pas être seulement cosmétiques et superficiels. Il considère que les discussions des dirigeants politiques représentent un véritable test, et « si aucun accord concret n’était possible, les intérêts de la Bosnie-Herzégovine pourraient être lésés ».

« Aujourd’hui, la situation n’est plus celle de Dayton, quand nous avons dû trouver une réponse possible et acceptable, alors que Milosevic jouait à se présenter en faiseur de paix, avec Tudjman qui se présentait en triomphateur, et que la délégation bosniaque avait bien peu d’espace de manœuvre », explique-t-il.

Il insiste sur la nécessité de renforcer le gouvernement de l’État, de créer de nouveaux ministères centraux, tels que des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Éducation [1]. Haris Silajdzic ajoute encore que la communauté internationale porte la plus lourde responsabilité, en raison de son inaction durant l’agression contre la Bosnie-Herzégovine.

« La communauté internationale a une responsabilité politique, juridique et morale », estime-t-il, en ajoutant : « il faut accuser la communauté internationale de ne pas nous avoir donné de moyens suffisants, mais nous devons nous accuser nous-mêmes pour ne pas avoir fait plus et mieux utiliser ce que Dayton offrait ».

Le dirigeant croate Kresimir Zubak, autre signataire de Dayton, a déclaré que le cadre constitutionnel de Dayton devait absolument être modifié.

« Cela devrait être notre propre décision, mais sans l’engagement de la communauté internationale, c’est impossible. Finalement, la communauté internationale doit intervenir, puisque c’est elle qui est intervenue il y a dix ans pour qu’un tel accord soit signé. Les faiblesses de ce document sont apparues tout de suite », estime Kresimir Zubak.

Affaiblissement de l’État

« Si la Bosnie-Herzégovine avait été basée sur le concept d’un État citoyen, elle aurait rempli en cinq années les conditions pour une entrée en Europe, tandis que le concept de communautés ethniques lui ferme en réalité toute perspective européenne », estime le professeur Omer Ibrahimagic.

Il considère que les accords de paix de Dayton ont confirmé la reconnaissance internationale de la Bosnie-Herzégovine en 1992 et la continuité de l’État, permis l’adhésion à l’ONU et aux autres organisations internationales. Ils ont aussi confirmé le caractère constituants des trois peuples de Bosnie-Herzégovine, ainsi que leur égalité sur le tout le territoire.

Cependant, les articles 4 et 5 de la Constitution de Dayton fondent la Présidence et le Parlement sur des critères de collectivités ethniques, où les citoyens ne sont pas reconnus comme des acteurs politiques. Omer Ibrahimovic estime, à propos des discussions actuelles sur une modification de ces articles 4 et 5, qui sont en contradiction avec la Déclaration européenne des droits de la personne et des libertés, que « les partisans d’une option qui vise à affaiblir la Bosnie-Herzégovine et à renforcer les entités, considère cet objectif comme une poursuite de leurs buts de guerre et ne peuvent donc pas y renoncer facilement ».

« La Bosnie-Herzégovine est objectivement la proie de ces collectivités ethniques, car on ne prend pas en compte les citoyens. Si c’était le cas, il faudrait certainement une autre structure et une autre organisation du Parlement de Bosnie, de la Présidence et du Conseil des ministres », ajoute Omer Ibrahimagic, qui ne croit pas aux discussions sur les changements constitutionnels.

« C’est encore moins que des changements cosmétiques, c’est même de la mauvaise cosmétique. Si la Constitution ne met pas au premier plan les citoyens, comme acteurs politiques majeurs, mais se base toujours sur les communautés ethniques qui conduisent la Bosnie-Herzégovine dans l’impasse, notre État n’a pas de perspectives », estime-t-il.

Milorad Dodik, le dirigeant des Sociaux-démocrates serbes indépendants (SNSD), estime que les accords de Dayton sont la meilleure chose qui soit arrivée à la Bosnie-Herzégovine, et qu’il faut qu’ils soient à la base d’une solution future.

« Les accords de Dayton doivent être la source d’une future solution en Bosnie-Herzégovine, car si ces accords n’avaient pas été nécessaires dans notre pays, ils n’auraient pas eu lieu, et si ces accords ont été nécessaires, c’est à cause de quelque chose qui s’appelle la guerre », estime le dirigeant du SNSD.

« Il est incontestable que les accords de Dayton ont mis fin à la guerre et ont été à la base de mécanismes permettant une stabilisation durable de la Bosnie et de la région », déclare le professeur Kasim Trnka. Il estime aussi qu’il est incontestable que les accords doivent être amendés, ainsi que l’ont reconnu leurs initiateurs - les USA.

« Objectivement, tout se passe comme si nos politiciens locaux, dix ans après la signatures des accords, n’étaient pas en mesure de faire le moindre pas sans pression de la communauté internationale », constate le professeur Trnka.

Selon lui, le nouveau modèle de fonctionnement intérieur de la Bosnie-Herzégovine devrait renforcer l’auto-administration locale et régionale sur la base de critères économiques, géographiques et de communication.

Une réponse positive

Le Président du Parlement de la Republika Srpska, Dusan Stojicic, a déclaré que, sur la base de ce qui s’était passé ces dix dernières années, on pouvait dire que les accords de Dayton ont été une réponse internationale couronnée de succès, qui n’a pas seulement arrêté la guerre, mais apporté la paix et une Constitution.

De quelque façon que l’on regarde les choses, a-t-il précisé, les accords de Dayton, dans leurs aspects politiques, économiques ou autres, ont été à la base des grands progrès que la Bosnie-Herzégovine a effectué durant ces dix années.

« La clé du succès des accords de Dayton est que la communauté internationale a sanctionné juridiquement une réalité qui existait en Bosnie-Herzégovine, tout d’abord le fait que vivent ici trois peuples constitutifs et égaux, et que chacun de ces peuples veut être pleinement égal aux autres, et qu’il faut définir des mécanismes de protection des intérêts nationaux vitaux de chacun de ces peuples », a déclaré Dusan Stojicic.

« Les bases sur lesquelles s’appuient les accords de Dayton, c’est-à-dire la reconnaissance du fait que la Bosnie-Herzégovine se compose de deux entités égales, et que vivent trois peuples constitutifs, et l’existence de mécanismes de protection de ces trois peuples, ne peuvent pas être changées dans une nouvelle Constitution de la Bosnie-Herzégovine », ajoute-t-il.

__________________

[1] Pour l’instant, ces compétences sont déléguées aux ministères des entités et des cantons

 

 

Dix ans après Dayton : vers une nouvelle Constitution pour la Bosnie ?
Traduit par Jean-Arnault Dérens

Publié dans la presse : 21 novembre 2005

Le 21 novembre marque le dixième anniversaire de la signature des accords de paix de Dayton. La date est d’autant plus importante que les représentants de la communauté internationale viennent d’entamer des discussions avec les dirigeants de Bosnie-Herzégovine pour modifier l’annexe 4 de ces accords, c’est-à-dire la Constitution.

Par S.Sehercehajic

Les dirigeants politiques bosniaques se rendent à ce rendez-vous, organisé à Washington dans le cadre de l’Institut international de la paix, sans aucun consensus entre eux.

Pourtant, les experts en droit constitutionnel et les spécialistes estiment que la Bosnie-Herzégovine est déjà depuis longtemps arrivée à une phase où la Constitution de Dayton crée plus de problèmes qu’elle n’en règle, aussi bien au plan intérieur qu’international.

Cosmétique et ravalement de façade

L’un des acteurs des accords de Dayton, l’ancien Premier ministre Haris Silajdzic, estime que les changements constitutionnels ne peuvent pas être seulement cosmétiques et superficiels. Il considère que les discussions des dirigeants politiques représentent un véritable test, et « si aucun accord concret n’était possible, les intérêts de la Bosnie-Herzégovine pourraient être lésés ».

« Aujourd’hui, la situation n’est plus celle de Dayton, quand nous avons dû trouver une réponse possible et acceptable, alors que Milosevic jouait à se présenter en faiseur de paix, avec Tudjman qui se présentait en triomphateur, et que la délégation bosniaque avait bien peu d’espace de manœuvre », explique-t-il.

Il insiste sur la nécessité de renforcer le gouvernement de l’État, de créer de nouveaux ministères centraux, tels que des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Éducation [1]. Haris Silajdzic ajoute encore que la communauté internationale porte la plus lourde responsabilité, en raison de son inaction durant l’agression contre la Bosnie-Herzégovine.

« La communauté internationale a une responsabilité politique, juridique et morale », estime-t-il, en ajoutant : « il faut accuser la communauté internationale de ne pas nous avoir donné de moyens suffisants, mais nous devons nous accuser nous-mêmes pour ne pas avoir fait plus et mieux utiliser ce que Dayton offrait ».

Le dirigeant croate Kresimir Zubak, autre signataire de Dayton, a déclaré que le cadre constitutionnel de Dayton devait absolument être modifié.

« Cela devrait être notre propre décision, mais sans l’engagement de la communauté internationale, c’est impossible. Finalement, la communauté internationale doit intervenir, puisque c’est elle qui est intervenue il y a dix ans pour qu’un tel accord soit signé. Les faiblesses de ce document sont apparues tout de suite », estime Kresimir Zubak.

Affaiblissement de l’État

« Si la Bosnie-Herzégovine avait été basée sur le concept d’un État citoyen, elle aurait rempli en cinq années les conditions pour une entrée en Europe, tandis que le concept de communautés ethniques lui ferme en réalité toute perspective européenne », estime le professeur Omer Ibrahimagic.

Il considère que les accords de paix de Dayton ont confirmé la reconnaissance internationale de la Bosnie-Herzégovine en 1992 et la continuité de l’État, permis l’adhésion à l’ONU et aux autres organisations internationales. Ils ont aussi confirmé le caractère constituants des trois peuples de Bosnie-Herzégovine, ainsi que leur égalité sur le tout le territoire.

Cependant, les articles 4 et 5 de la Constitution de Dayton fondent la Présidence et le Parlement sur des critères de collectivités ethniques, où les citoyens ne sont pas reconnus comme des acteurs politiques. Omer Ibrahimovic estime, à propos des discussions actuelles sur une modification de ces articles 4 et 5, qui sont en contradiction avec la Déclaration européenne des droits de la personne et des libertés, que « les partisans d’une option qui vise à affaiblir la Bosnie-Herzégovine et à renforcer les entités, considère cet objectif comme une poursuite de leurs buts de guerre et ne peuvent donc pas y renoncer facilement ».

« La Bosnie-Herzégovine est objectivement la proie de ces collectivités ethniques, car on ne prend pas en compte les citoyens. Si c’était le cas, il faudrait certainement une autre structure et une autre organisation du Parlement de Bosnie, de la Présidence et du Conseil des ministres », ajoute Omer Ibrahimagic, qui ne croit pas aux discussions sur les changements constitutionnels.

« C’est encore moins que des changements cosmétiques, c’est même de la mauvaise cosmétique. Si la Constitution ne met pas au premier plan les citoyens, comme acteurs politiques majeurs, mais se base toujours sur les communautés ethniques qui conduisent la Bosnie-Herzégovine dans l’impasse, notre État n’a pas de perspectives », estime-t-il.

Milorad Dodik, le dirigeant des Sociaux-démocrates serbes indépendants (SNSD), estime que les accords de Dayton sont la meilleure chose qui soit arrivée à la Bosnie-Herzégovine, et qu’il faut qu’ils soient à la base d’une solution future.

« Les accords de Dayton doivent être la source d’une future solution en Bosnie-Herzégovine, car si ces accords n’avaient pas été nécessaires dans notre pays, ils n’auraient pas eu lieu, et si ces accords ont été nécessaires, c’est à cause de quelque chose qui s’appelle la guerre », estime le dirigeant du SNSD.

« Il est incontestable que les accords de Dayton ont mis fin à la guerre et ont été à la base de mécanismes permettant une stabilisation durable de la Bosnie et de la région », déclare le professeur Kasim Trnka. Il estime aussi qu’il est incontestable que les accords doivent être amendés, ainsi que l’ont reconnu leurs initiateurs - les USA.

« Objectivement, tout se passe comme si nos politiciens locaux, dix ans après la signatures des accords, n’étaient pas en mesure de faire le moindre pas sans pression de la communauté internationale », constate le professeur Trnka.

Selon lui, le nouveau modèle de fonctionnement intérieur de la Bosnie-Herzégovine devrait renforcer l’auto-administration locale et régionale sur la base de critères économiques, géographiques et de communication.

Une réponse positive

Le Président du Parlement de la Republika Srpska, Dusan Stojicic, a déclaré que, sur la base de ce qui s’était passé ces dix dernières années, on pouvait dire que les accords de Dayton ont été une réponse internationale couronnée de succès, qui n’a pas seulement arrêté la guerre, mais apporté la paix et une Constitution.

De quelque façon que l’on regarde les choses, a-t-il précisé, les accords de Dayton, dans leurs aspects politiques, économiques ou autres, ont été à la base des grands progrès que la Bosnie-Herzégovine a effectué durant ces dix années.

« La clé du succès des accords de Dayton est que la communauté internationale a sanctionné juridiquement une réalité qui existait en Bosnie-Herzégovine, tout d’abord le fait que vivent ici trois peuples constitutifs et égaux, et que chacun de ces peuples veut être pleinement égal aux autres, et qu’il faut définir des mécanismes de protection des intérêts nationaux vitaux de chacun de ces peuples », a déclaré Dusan Stojicic.

« Les bases sur lesquelles s’appuient les accords de Dayton, c’est-à-dire la reconnaissance du fait que la Bosnie-Herzégovine se compose de deux entités égales, et que vivent trois peuples constitutifs, et l’existence de mécanismes de protection de ces trois peuples, ne peuvent pas être changées dans une nouvelle Constitution de la Bosnie-Herzégovine », ajoute-t-il.

 

En Bosnie centrale, les écoles croates ferment toujours leurs portes aux petits Bosniaques
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 7 octobre 2005

Depuis la fin de la guerre, dans certains cantons de la Fédération de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, l’automne voit toujours se répéter les mêmes tentatives impossibles de réunifier les systèmes scolaires croate et bosniaque. Les enfants, évidemment, ne comprennent jamais rien, ils ne font qu’écouter et subir. Jusqu’à cette année, leurs parents se taisaient aussi. Maintenant, ils se révoltent.

Par Belma Becirbasic

Mardi, il y a quatre semaines, dans un bistrot désaffecté au plein milieu de la carsija [1], les enfants ont commencé leurs cours. Cela peut sembler bizarre à entendre, mais c’est encore plus curieux à voir : à travers une fenêtre couverte d’étiquettes faisant la publicité pour le coca et la bière, on voit apparaître de petites têtes d’enfants en train de suivre leurs cours. Hélas, cette scène est réelle et se passe à Busovaca, une petite ville de Bosnie.

Quand notre équipe est arrivé dans le vieux bistrot, les enfants étaient en train de suivre un cours de gym. Ils étaient assis dans leurs bancs et regardaient d’une façon résignée les diagrammes inscrits sur le tableau. Ils se demandaient probablement si c’est exactement comme cela que devrait se dérouler un cours qui porte ce nom un peu curieux de « cours d’éducation physique ».

Sport en salle

Le jeune professeur intelligent qui a sans doute remarqué les visages déçus de ses élèves, a profité de l’occasion pour leur annoncer la bonne nouvelle : pour le cours suivant, il faudra apporter des survêtements et des baskets, car le plan sera de bouger les bancs et de faire de la gymnastique !

Alors que dans tout le bistrot résonnait un grand « Huraaaaaaaaa ! », le professeur se demandait probablement commen il allait exactement animer son cours dans les 15m2 dont il dispose. Mais puisque dans la vie de sa génération tout semble être possible, y compris les cours de gym dans des vieux bars, un cours d’éducation physique ne devrait pas représenter un problème extraordinaire à résoudre.

« Et pourquoi ne peut-on pas, comme avant, faire nos exercices dans la cour de l’école ou dans la salle de gym ? », demande une élève. À ce moment-là, les exclamations des autres s’élèvent, les uns répondant par « ben, parce que là-bas, on ne nous laisse pas entrer », d’autres par « ça durera juste le temps que les adultes se mettent d’accord ».

La question de cette petite fille de dix ans résume non seulement toute l’absurdité du concept de « l’école dans un bistrot » mais aussi de l’actuel système d’éducation primaire et secondaire ainsi que des partages qui l’affectent en Bosnie et Herzégovine.

Suite aux réponses reçues, la petite fille ne peut que hausser les épaules - alors que dans sa tête résonnent probablement encore « 101 pourquoi » : « qui c’est qui ne nous permet pas d’aller à l’école ? » ; « sur quoi doivent-ils se mettre d’accord ? », « combien de temps cela prendra pour qu’il se mettent d’accord ? »... Et, même si elle recevait les réponses à toutes ses questions, elle ne comprendrait probablement toujours pas la situation absurde dont laquelle sa génération s’est retrouvée... Elle finirait peut-être par arrêter de poser de questions.

Et c’est exactement ce qui s’est passé avec les autres, souvent plus âgés, adultes, qui ont cessé de se poser la question. Le seul événement qui leur rappelle encore que la question demeure toujours sans réponse, c’est la nouvelle rentrée scolaire.

Depuis la fin de la guerre, dans certains cantons de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, notamment dans les cantons Hercegovacko-neretvanski et Srednjobosanski, l’automne voit toujours se répéter les mêmes tentatives impossibles de réunifier les programmes éducatifs croate et bosniaque. Les enfants, évidemment, ne comprennent jamais rien, ils ne font qu’écouter et subir. Jusqu’à cette année, leurs parents se taisaient aussi.

La révolte des parents

La création de cet école bizarre dans le bistrot est le résultat de la révolte des parents contre le système scolaire.

« Nos enfants suivaient les cours à l’école primaire de Busovaca (les premiers quatre années). Ce système a été introduit il y a cinq ans, il représente le résultat direct du concept de ’deux écoles sous le même toit’ : à savoir que les enfants de Busovaca suivent les cours de l’école primaire dans ce bâtiment et sont ensuite obligés, pour l’école secondaire, d’aller à celle de Kacuni. Nous l’avons accepté car on pensait que la situation allait changer et que nos enfants continueraint à suivre les cours dans leur ville natale. Mais quand le moment est arrivé pour eux de commencer l’école secondaire, on nous a dit à l’école de Busovaca qu’il n’y avait pas de place pour eux et que, selon l’ancien accord, ils doivent suivre leurs cours dans le village de Kacuni. Nous l’avons refusé et avons boycotté l’école, ce qui fait que nos enfants n’ont pas été à l’école pendant une période d’un mois », raconte Selvedina Nuragic, l’une des représentantes de la centaine de parents révoltés.

Pas de ministre de l’Éducation

Il y a quatre semaines, en accord avec les autres parents, ils ont réuni leurs enfants et ont essayé d’entrer dans l’école. C’est là que les incidents ont commencé : Ivo Cosic, directeur de l’école, leur a interdit l’accès. Suite à cet événement, les parents décident d’aller voir Nikica Petrovic, le maire de la ville qui, en prétendant ne pas avoir de compétences dans l’affaire, les envoie vers le ministère des Sciences et d’éducation du canton Srednjebosanski. Cependant, étant donné que, pour le moment, le poste de ministre d’Éducation est justement vacant à cause de l’obstruction à la loi, les parents sont renvoyés vers le Premier ministre, Salko Selman.

« Pendant notre réunion, notre Premier ministre nous a promis qu’il allait organiser les cours temporaires dans un espace privé jusqu’à ce qu’une autre solution soit trouvée et cela dès la nomination du ministre de l’Éducation », raconte Selvedina Nuragic. C’est comme ça qu’a été créée la petite école dans le bistrot ».

Les douze élèves qui y suivent leurs cours sont tous inscrits en première année d’école secondaire. Les parents des élèves qui suivent les cours des classes supérieures ont, suite aux manifestations, remis leur enfants dans l’ancienne école de Kacuni, qui se trouve à sept kilomètres de leur ville. Eux aussi, ils espèrent que ces derniers événements pourraient provoquer des changements et que leur enfants auront peut-être le droit de finir leurs éducation secondaire à Busovaca.

Entre temps, la seule école primaire de la ville ouvre ses portes aux élèves de nationalité croate, alors que quatre salles construites dans ce but après la guerre sont réservées aux élèves bosniaques de l’école primaire (des premières quatre années). Les parents de ces enfants affirment que même cela représente déjà un grand progrès par rapport à la situation de l’année précédente, quand les enfants bosniaques de deux niveaux différents suivaient leurs cours en même temps dans une même salle de classe.

Les élèves ne se mélangent pas à l’école de Busovaca : les enfants bosniaques suivent leurs cours pendant les heures où les petits Croates ne sont pas à l’école. Leurs enseignants viennent de l’école primaire de Kacuni.

Entrée interdite

Depuis les manifestations organisées par les parents, l’école de Busovaca est apparemment fermée au public, la direction de l’école se comporte comme si le bâtiment de l’école était une propriété privée. L’équipe du magasine DANI a été donc empêchée d’entrer dans le bâtiment sous le prétexte que le directeur était, comme c’est d’ailleurs toujours le cas après des événements pareils, en « congé maladie » ! Et nous, on sait bien que les directeurs sont, comme d’habitude dans ce pays, irremplaçables. Cependant, nous ne sommes pas les seuls à être interdits d’entrée, c’est aussi le cas de l’inspecteur du ministère cantonal de l’Éducation, Madame Refija Kulasin.

« Puisqu’on nous a dit à l’école que les enfants ne pouvaient pas continuer à suivre leurs cours à Busovaca à cause du ’manque de salles de classe’, j’ai exigé de faire une visite d’inspection des salles dont dispose l’école et cela dans le but de pouvoir moi-même témoigner de ces conditions. La visite ne m’a pas été autorisée. Je rappelle qu’en 2001 une loi a été votée au niveau cantonal selon laquelle les écoles doivent assurer l’espace pour les enfants, quelque soit le programme qu’ils suivent. Or, ces écoles devaient être réunies. Nous sommes le dernier canton dans la Fédération qui n’ait pas respecté cette loi. Les parents ont bien entendu exigé à plusieurs reprises qu’on assure l’espace pour leurs enfants. J’aimerais également souligner que selon la loi cantonale, les enfants sont obligés de suivre les cours dans l’école la plus proche de leur domicile », explique Refija Kulasin, en ajoutant que, pour commencer, il faudrait au moins organiser des cours en deux roulements.

« La solution de cours organisés dans un espace privé est intolérable », considère l’inspecteur Kulasin.

À quel point, au sein du ministère, tient-on à ce que la loi soit vraiment mise en oeuvre ? La position de Zoran Matosevic, vice-ministre du canton Srednjebosanski, est également éloquente. « Je considère que dans ce cas, l’inspecteur a interprété la loi d’une façon tendancieuse. Selon un accord d’il y a cinq ans, l’école de Busovaca est censée fonctionner selon le principe de ’deux écoles sous un seul toit’ pour les premières quatre années. Cet accord est donc ici respecté. Pour respecter la loi-cadre mentionnée, il faut introduire de nouvelle règles et assurer plus d’espace. Le fait est que l’école manque d’espace et qu’on a à faire ici à une tentative d’entrée de force dans l’école », affirme Matosevic qui, pour donner « des commentaires plus précis », attendra l’arrivée du ministre qui devrait être élu d’ici quinze jours !

C’est aussi notre ville

Les gens de la ville considèrent que le manque d’espace n’est qu’une excuse, étant donné que seulement 810 élèves suivent aujourd’hui les cours alors qu’autrefois, il y en avait plus de mille. Les habitants de Busovaca prétendent que les écoles des villages voisins qui ont une population majoritairement croate sont vidées de leurs élèves et que ceux-ci sont amenés à Busovaca dans le but de remplir les places dans les classes de cette école d’une façon artificielle.

« Nous demandons seulement qu’on nous accorde quatre salles de classe. Nous sommes même d’accord, s’il le faut, pour que les élèves bosniaques suivent les cours selon le programme croate en ce qui concerne le groupe des matières neutres. Le reste de cours, ceux d’histoire, de géographie, de langue bosniaque, de religion et des arts devraient être organisés selon le programme bosniaque. Ce n’est pas juste, cette école ne peut pas être uniquement la leur. Nous aussi, nous habitons cette ville ! », s’indigne Enes Hajdarevic, l’un des parents, qui souligne « qu’il ne veut pas que ces enfants suivent leurs cours à l’école de Kacuni ».

« Pourquoi devaient-ils le faire ? Kacuni n’est pas mon village, ce village se trouve à 7 km d’ici. Moi, je viens de Busovaca. Mes ancêtres y sont nés, mon grand-père a construit cette école, moi-même j’ai étudié ici. Pour quelle raison faut-il maintenant que mon enfant soit interdit d’aller à l’école qui se trouve à deux pas de sa maison ! », demande Enes Hajdarevic, visiblement énervé.

Ses deux fils, que nous avons rencontré ce jour-là dans l’école-bistrot, partagent l’opinion de leur papa. « Je ne veux pas aller là, c’est loin, le bus se fait attendre longtemps, c’est bientôt l’hiver », dit l’un d’eux, alors qu’une de ses copines murmure à côté de lui : « Je veux mon ancienne école ! »

« Moi aussi ! », s’exclame-t-on de tous les côtés dans le vieux bistrot, alors que s’approche l’heure du cours de musique.

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[1] le marché

 

 

Bosnie : aller au-delà de l’étape Dayton, maintenant !
Traduit par Pierre Dérens


Mise en ligne : vendredi 9 septembre 2005

Il y a dix ans, les accords de Dayton mettaient fin à une guerre sanglante. Maintenant, il est temps que l’UE prenne la direction du processus comme elle l’a fait dans les autres pays en transition d’Europe centrale et de l’Est. Alors que la décennie Dayton touche à sa fin, le prochain chapitre de l’histoire de la Bosnie doit être un chapitre européen et il doit commencer dès maintenant.

Par Jakob Finci et Christophe Solioz

Quand Carl Bildt, l’ancien Premier ministre de Suède a convenu une réunion diplomatique à Genève, le 8 septembre 1995, le territoire bosniaque déchiré par la guerre et son peuple en étaient arrivés à leur dernière extrémité, après une guerre de presque quatre ans. Deux mois plus tard, les parties en guerre de l’ancienne Yougoslavie ont négocié, convenu et signé un ensemble d’accords de paix (grandement imposé par les Américains, sur la base aérienne de Patterson, à Dayton dans l’Ohio), devenu par la suite l’accord de paix de Paris-Dayton.

C’est ainsi que le 8 septembre à Genève marque le début de la fin de cette terrible guerre, approximativement responsable de la mort de 100 000 personnes, et qui a fait de la moitié des quatre millions de Bosniaques des réfugiés et des personnes déplacées, sans parler des dommages que l’on ne peut quantifier sous forme de statistiques. La réunion de Genève avait su adopter une série de principes clés qui, par la suite, à Dayton, ont été à la base de l’accord de paix, incluant le maintien de la Bosnie-Herzégovine comme État, ainsi qu’une division équitable entre l’entité bosno-serbe et la Fédération musulmane et croate. Il était aussi question d’une esquisse de constitution et de garanties sur les élections et les droits de la personne.

La réunion de Genève d’il y a dix ans n’est qu’une des raisons pour laquelle l’Association Bosnie-Herzégovine 2005 a décidé d’organiser une Conférence internationale sur la Bosnie à Genève, les 20 et 21 octobre de cette année, qui fera appel à des participants de haut niveau, comme Carl Bildt lui-même. Dix ans après la fin de la guerre et après l’intervention internationale en Bosnie, la Conférence réunira des intervenants internationaux du passé et du présent, qui vont prendre en compte l’état de la Bosnie et s’interroger sur son avenir.

À côté de l’architecte essentiel des accords de Dayton, Richard Holbrooke, les administrateurs internationaux de la Bosnie (Lord Paddy Ashdown, Wolfgang Petritch) vont discuter avec des personnalités comme Lakhdar Brahimi, des experts des Balkans et des parties prenantes comme Carla Del Ponte ainsi que des agents essentiels des politiques européennes (comme le commissaire Olli Rehn), de ce qui a été fait et de comment se présente l’avenir de la Bosnie dans le cadre européen.

Ainsi que l’expérience l’a montré, les accords de Dayton ne sont pas en eux-mêmes la panacée pour que fonctionnent une société et un État aussi complexes que la Bosnie malgré leur effet immédiat, à l’époque, avec l’aide d’une intervention militaire internationale lourde, pour mettre un terme à l’effusion de sang et mettre en route un mécanisme de coopération entre les anciennes parties en guerre qui, après tant d’années, s’est transformé en un État fonctionnant plus ou moins bien.

Dix ans après Dayton, la Bosnie a reçu plusieurs milliards d’aide internationale, les efforts de reconstruction et de réformes ont été menés essentiellement par le Haut Représentant de la communauté internationale. Cet engagement massif- s’appuyant en partie sur ce que certains considèrent comme des pouvoirs démodés et antidémocratiques de l’arbitre international au sommet- a permis de surmonter beaucoup de l’héritage du passé et de poser les fondations du rapprochement tellement attendu de la Bosnie avec l’UE, puisque Bruxelles lui a offert des liens politiques et économiques plus resserrés dans le cadre d’un accord de Stabilisation et d’Association. Se servant surtout de la méthode du bâton et de la carotte et de réformes institutionnelles fortes, la communauté internationale a transformé l’État bosniaque, initialement faible, en un gouvernement qui, tôt ou tard, sera capable de dégager le pays des mythes de Dayton pour le conduire vers les rives d’une candidature pleine et entière à l’UE.

Cette transition bosniaque, de la mise en place de l’accord de paix à la phase préparatoire à l’intégration, s’est accompagnée de nombreuses réussites (stabilisation politique, retour des réfugiés, investissements étrangers, adhésion au Conseil de l’Europe) ainsi que d’échecs (réapparition des partis nationalistes et monoethniques, stagnation économique, coopération incomplète avec le tribunal de La Haye), en raison à la fois de conditions propres (criminels de guerre, corruption, patronage politique) liées au type de protectorat mis en place (absence de cohérence des acteurs internationaux sur la Bosnie).

De plus, la transition bosniaque, à son début, a eu partie liée avec les développements de la région, en particulier la démocratisation et l’européanisation de ses pays voisins, la Croatie et la Serbie et Monténégro, qui sont toutes deux en avance sur la Bosnie dans le processus du pacte de Stabilisation et d’Association de Bruxelles. Avec la réduction et le changement de l’implication de l’OTAN (et donc des USA) dans les Balkans au bénéfice des gardiens de la paix européens (EUMIK) , la fermeture de la mission onusienne civile (UNMIBH), et la mise en place d’un bureau particulier de représentants de l’UE (EUSR), le cadre institutionnel de la Bosnie se construit, se secoue même. Ce processus qui souvent donne trop de place aux concepts institutionnels et bureaucratiques (plutôt que civils) se doit de conduire en parallèle les évolutions locales incluant la réforme du système politique et administratif, le renouveau économique plein et entier, ainsi qu’une véritable réconciliation visant à l’émergence d’une société moderne.

Il est temps que l’UE prenne la direction du processus comme elle l’a fait dans les autres pays en transition et en réforme d’Europe centrale et de l’Est. En Bosnie, il faudra plus d’attention, d’efforts, et de soutien financier, de la part de Bruxelles et des capitales européennes, parce qu’en Bosnie, contrairement à beaucoup de pays de l’ancien bloc de l’Est, un ensemble diversifié de transitions intervient, de la guerre à la paix, d’un style socialiste à une économie de marché, et d’une société à parti unique à une société civile.

Quand on en arrive à la Bosnie, l’UE a non seulement la chance d’apprendre des leçons peu glorieuses du début des années 1990, mais de se servir de la pleine intégration politique de la Bosnie tant demandée dans l’UE (comme elle a été promise à toute la région au sommet de Thessalonique en 2003), pour surmonter sa propre crise interne identitaire d’après référendum. Les challenges que pose la Bosnie à l’UE (incluant des questions comme celle, difficile, de l’entrée sans visa pour tous ces Bosniaques qui n’ont pas un second passeport croate) peuvent deveni une occasion unique, non seulement pour les Balkans (par exemple par une coopération améliorée sur les frontières entre les services du renforcement de la loi), mais même au-delà : la Bosnie, avec deux millions de musulmans, peut servir de tête de pont pour d’autres nations à majorité musulmane comme la Turquie à la recherche de l’adhésion à l’UE, sujet qui divise les Européens. Alors que la décennie Dayton touche à sa fin, le prochain chapitre de l’histoire de la Bosnie doit être un chapitre européen et il doit commencer dès maintenant.

 

Bosnie : Nouvelles tensions entre le Haut-Représentant et le SDS

Publié dans la presse : 28 septembre 2005

L’échec de la réforme de la police, imputé exclusivement par Paddy Ashdown au Parti démocratique serbe (SDS, formation fondée par Radovan Karadzic), a entraîné une tension croissante entre le Haut-Représentant et ce parti qui dirige l’entité serbe.

Cette nouvelle phase de la crise provoquée par cet échec a commencé avec la conférence de presse commune que le Haut-Représentant a tenue, le 22 septembre, avec l’ambassadeur des Etats-Unis, l’ambassadeur britannique au nom de la présidence de l’Union européenne, et le chef de la représentation de l’U.E en Bosnie-Herzégovine. Une mise en garde sur les conséquences de l’isolement de toute la B.H., et particulièrement de la Republika Srpska était adressée aux dirigeants de l’entité serbe, adjurés une dernière ( ?) fois de revenir sur leur refus d’accepter cette réforme, refus qui empêche l’ouverture des négociations d’un accord de stabilisation et d’association entre la Bosnie-Herzegovine et l’Union européenne.

Cette invite des plus pressantes était suivie le 23 septembre d’une lettre envoyée par le Haut-Représentant au membre serbe de la Présidence de Bosnie-Herzegovine Borislav Paravac et à la ministre des Finances de R.S., Svetlana Cenic, relative à des irrégularités qui auraient été relevées dans les comptes du SDS, et devraient aboutir à des sanctions financières contre ce parti.

Les dirigeants du SDS ont réagi en annonçant qu’ils entameraient des poursuite judiciaires contre Paddy Ashdown, accusé de vouloir la ruine financière de leur parti, devant une juridiction du Royaume-Uni ou d’un autre pays de l’U.E. Ils attendent que leurs partenaires au gouvernement central de B.-H., SDA et HDZ, les soutiennent dans cette démarche, faute de quoi, ils provoqueraient une crise gouvernementale.

En rappelant que Belgrade va sans doute entamer ces négociations interdites à la Bosnie-Herzégovine, on relèvera que dans le même temps, le gouvernement serbe propose comme candidat au poste de ministre de la défense de la Serbie-Monténégro, un général des services de santé connu comme étant un proche de Mladic, peut-être comme l’avancent certains médias de la capitale serbe, pour l’inciter à se rendre au TPI...

 

Bosnie : la colère des retraités
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 20 septembre 2005


Les retraités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine lancent une action pour obtenir le paiement des indemnités dont ils ont été systématiquement privés depuis 1998. La plupart de retraités vive avec 1,5KM (environ 0, 75 euro) par jour. Le ministre Vignjevic considère pourtant que la « situation n’est pas si mauvaise que ça ».

Par A.Terzic

La ligue des associations des retraités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine va exiger auprès des organes compétents de lancer un processus de paiement de la partie illégalement expropriée depuis août 1998 de leurs indemnités. C’est à ce moment-là que les indemnités pour les personnes retraitées ont été diminuées de 39% (c’est-à-dire de 97,80KM). La Ligue va également exiger de la part des institutions compétentes de soumettre ce litige à la justice ainsi que de punir les responsables pour ce pillage qui a poussé les retraités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine au bord des limites de la survie.

Des statistiques décourageantes

La ligue des retraités prétend que suite à une rude violation des lois par laquelle leurs indemnités ont été diminuées, depuis 1998, chaque retraité en Fédération de Bosnie-Herzégovine a été lésé d’une somme qui dépasse le montant total de 6200 KM (3100 euros).

Parlant du système des retraites et de la position des retraités en Fédération de Bosnie-Herzégovine, Sefkija Elezovic, présidente de la Ligue des Association des retraités, a souligné lundi, lors d’une manifestation, qu’a cause de leur situation catastrophique, les retraités sont dorénavant prêts à des mesures très radicales pour « sauver leurs propre existence ».

« Dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, il y a en tout 306 000 retraités et leur nombre augmente chaque jour. 225 000 d’entre eux, soit 75% de ces retraités, reçoivent des indemnités inférieures à 250 KM (125 euros) par mois, alors que 50% d’entre eux, soit 151 000 personnes reçoivent des indemnités minimales correspondant à un montant de 161KM (80 euros) par mois. Cette information montre clairement que pratiquement toute la population des retraités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine vit en-dessous du seuil de pauvreté. Après avoir réglé les factures mensuelles communales, un retraité de la Fédération dispose de 1,5KM par jour pour sa survie », affirme Sefkija Elezovic.

Toujours plus de retraités

Elle souligne que les promesses faites par le Gouvernement de laFédération de Bosnie-Herzégovine, qui se reflétent dans les mesures légales qui impliquent des changements dans le cadre même de la Loi sur les retraités ne sont pas acceptables. Le déplacement de la limite d’âge de 65 à 63 ans, et la possibilité d’une retraite précoce contre le rachat de trois années de cotisation qui restent (ces régulations seraient valables jusqu’à la fin de 2010) augmenteraient chaque année le nombre de retraités de 11 000 personnes. Pour assurer l’amélioration des conditions des retraites, il faudrait assurer 37, 5 million de KM supplémentaires dans le budget. Le Fonds PIO/MIO pour les retraites n’en a tout simplement pas les moyens, affirme Sefkija Elezovic.

Cependant, Radovan Vignjevic, ministre du Travail et des politiques sociales de la Fédération de Bosnie-Herzégovine considère que la situation dans le domaine des retraites « n’est pas si mauvaise que ça ». Il explique sa position par le fait que les retraites sont versées d’une façon régulière, et que leur montant est petit à petit harmonisé avec la croissance des salaires en Fédération.

Lors des dernières manifestations, les retraités ont invité les parlementaires de la Fédération de Bosnie-Herzégovine à refuser la proposition la plus récente du gouvernement sur la création de conditions plus avantageuses pour l’acquisition du statut de retraité, ainsi qu’à prendre la défense des retraités démunis.

 

La révolte des paysans bosniaques
Traduit par Stéphane Surprenant

Publié dans la presse : 16 septembre 2005

Les paysans en colère ont établi un village de tentes aux portes de Sarajevo afin de protester contre les accords de libre-échange régionaux qui les ruinent. Les produits importés coûtent beaucoup moins cher que ceux qui sont produits localement, et la Bosnie, malgré son grand potentiel, n’a aucune politique agricole. Les agriculteurs de la Fédération ont même reçu l’appui de ceux de la Republika Srpska.

Par Nidzara Ahmetasevic

Les visiteurs de passage à Sarajevo sont accueillis par une vision inusitée : un petit village de tentes est installé sous les restes squelettiques de l’édifice du gouvernement d’avant-guerre et à quelques mètres des bureaux des autorités actuelles.

Ces tentes sont les résidences temporaires d’une trentaine de paysans venus de toute la Bosnie pour exiger une action gouvernementale dans le but de protéger les produits des fermes locales et de limiter la marée de produits importés à bas prix.

Hajrudin Babajic, éleveur et producteur de fruits, vit dans le village improvisé depuis le premier jour, il y a plus de deux mois maintenant. « Toute sorte de chose sont importées », déplore-t-il, « dont l’équivalent d’environ 4,7 milliards de marks convertibles (2,3 milliards d’euros) seulement en produits agricoles au cours des sept derniers mois ».

La colère des paysans monte depuis quelque temps. Ces deux dernières années, la vue de fermiers bloquant des routes, menant des troupeaux à des manifestations ou menaçant de brûler des camions transportant des produits agricoles importés est devenue chose courante.

De catastrophiques accords de libre-échange

Pareil mécontentement date de la signature, en 2001, d’un accord de libre-échange avec la Croatie, la Serbie et le Monténégro voisins. Cela a même uni les fermiers des deux entités d’une Bosnie-Herzégovine toujours divisée. En effet, les agriculteurs et les autres travailleurs agricoles de la Fédération ont reçu l’appui de ceux de l’autre entité bosniaque, la Republika Srpska.

Tous souhaitent une meilleure protection de la production locale avec la création d’un ministère de l’Agriculture et par la modification de certains termes des accords de libre-échange.

« Nous soutenons les demandes des paysans », a déclaré le chef du syndicat des agriculteurs, Mehmed Avdagic. « Notre objectif est maintenant de les formuler officiellement et d’y apporter des réponses concrètes. »

Une technologie peu développée et l’échec de la mise sur pied d’une politique nationale agricole ont mené les fermiers bosniaques à cette situation difficile.

Il n’existe aucune coordination nationale, puisque les Accords de Paix de Dayton de 1995, qui mirent fin à la guerre en Bosnie, laissèrent l’agriculture sous la juridiction des deux entités politiques.

La décision de la Bosnie, en 2001, de signer la première d’une série d’ententes de libre-échange avec ses voisins a aggravé les choses. Cette décision libéralisait le régime des importations sur 90 % au moins des biens de consommation.

Ces accords ont aidé les exportateurs commerciaux de Bosnie en difficulté mais ont frappé durement les agriculteurs, car les produits alimentaires importés étaient souvent moins chers que les produits locaux.

En l’absence d’un ministère de l’Agriculture, les doléances des paysans ont abouti entre les mains du ministère du Commerce international et des Relations économiques. Le ministre-adjoint Nenad Pandurevic a convenu que les plaintes des fermiers étaient légitimes. Il a admis que plusieurs problèmes étaient des conséquences des accords de libre-échange.

Il explique que la Bosnie avait signé des ententes avec la Serbie et Monténégro (SCG) et la Croatie, croyant que les producteurs locaux auraient le temps de s’adapter au nouveau régime s’il était implanté graduellement.

« La première entente, entrée en vigueur le 1er janvier 2002, imposait un tarif de 0 % sur les exportations bosniaques vers la Croatie, alors que nous conservions le droit d’abolir progressivement les droits de douanes sur les biens croates jusqu’au 1er janvier 2004 », a-t-il rappelé. « C’était la même chose avec la SCG. Les deux pays se sont entendus après avoir pris en considération la position de faiblesse de la Bosnie-Herzégovine. Nous avons pensé que deux ou trois ans seraient suffisants pour se préparer au jour où les droits de douanes de part et d’autre tomberaient à 0 %. »

Ces espoirs se sont révélés vains. En 2005, les importations ont explosé, et le Bureau de la Statistique Fédérale estime à 13 % de celles-ci la part des produits alimentaires, principalement en provenance de Croatie.

« L’agriculture de la Bosnie-Herzégovine est technologiquement loin derrière celle de ces pays », constate Pandurevic. « L’autre problème est que la Croatie et la SCG accordent à leur secteur agricole de plus généreuses subventions que nous. La Croatie consacre 500 millions d’euros à l’agriculture, tandis que la Bosnie n’y investit que 50 millions de marks convertibles (25 millions d’euros). »

Hajrudin Bajic, l’un des paysans du village de tentes, soutient que les produits alimentaires importés à rabais sont de piètre qualité. Il a peut-être raison. Plus tôt cette année, l’Association des Consommateurs de la Fédération a averti le public que, parmi des poulets congelés en provenance des Pays-Bas, beaucoup avaient largement dépassé la date d’expiration.

Difficile survie des agriculteurs

« Nous travaillons la terre pour rien », se lamente Hajrudin Bajic. « Cette année, j’ai eu 70 agneaux, mais je n’en ai vendu aucun parce que les prix étaient trop bas. Si je ne les vends pas avant la fin de l’année, je vais devoir abattre ces animaux ».

Un fermier nommé Mohamed, de Kalesija, non loin de Tuzla, raconte une histoire similaire. Il possède un troupeau de 1500 têtes, mais après 24 ans d’élevage, il affirme n’être plus sûr de pouvoir survivre. « Jusqu’à 2003, je me suis arrangé pour subsister, mais cette année et l’année dernière, je n’ai presque rien vendu - et ce que j’ai vendu l’a été à un prix dérisoire », explique-t-il.

Mehmed Avdagic, du syndicat des agriculteurs, blâme les autorités qui négligent de stimuler la production. « Pendant ce temps-là, les industries de transformation des produits alimentaires et de l’emballage n’achètent pas nos produits », a-t-il déploré. « Comment forcer l’industrie de transformation à acheter des produits locaux, lorsqu’il coûte moins cher de les importer ? »

Le gouvernement a déjà réagi en annonçant qu’il allait limiter, dans la limite du possible, le libre-échange cette année dans certains domaines sensibles, comme le lait et la viande.

« Nous en concluons que nous devrions nous concentrer sur la possibilité de protéger la production et la transformation de ces produits », a expliqué Pandurevic. L’an dernier, les importations de lait de Croatie on connu une hausse spectaculaire de 70 %.

Limiter ces augmentations par la réintroduction de tarifs douaniers sur les produits laitiers ne constitue pas une option aisée, car elle est susceptible d’entraîner des mesures de représailles. « Si nous abolissons le libre-échange pour eux, ils nous feront la même chose », explique Pandurevic.

Un autre problème est le manque d’unité chez les paysans eux-mêmes. Bien qu’ils semblent tous poursuivre le même objectif, les divers syndicats sont souvent à couteaux tirés.

« Beaucoup d’associations de fermiers ne se supportent pas les unes les autres », constate le chef syndical Mehmed Avdagic. « L’Association des Agriculteurs de Bosnie-Herzégovine essaie depuis des années de rassembler toutes ces associations, parce que notre division nous affaiblit et nous avons besoin d’une alliance ».

Mehmed Avdagic explique cela par l’habitude de chacun « de ne voir que ses propres intérêts ». Il identifie également un autre problème, qui est celui de la pénétration du marché local par des producteurs des pays de l’Union Européenne.

Selon Avdagic, la Slovénie voisine, aujourd’hui membre de l’UE, gagne des points sur le marché agricole en ouvrant des infrastructures en Bosnie pour ensuite importer des produits non transformés d’autres pays. En théorie, la Bosnie pourrait elle aussi exporter davantage ses produits vers l’UE, mais pour le moment, ajoute Avdagic, « exporter est une chose dont nous pouvons seulement rêver ».

En plus de menacer de réintroduire des tarifs douaniers sur quelques produits, le gouvernement a établi une « Stratégie pour combattre la Pauvreté », qui propose de remédier à certains problèmes des fermiers en élaborant une politique agricole à long terme. Mais il n’existe jusqu’ici aucun signe d’action sérieuse de ce côté et, de toute manière, il n’y a aucune institution étatique existante capable de mettre une telle politique en pratique.

« Nous avons besoin de nouvelles institutions », dit Pandurevic. « Par exemple, nous avons légalement une agence de la sécurité des aliments, mais elle n’existe que sur papier... On peut dire la même chose d’autres institutions. Plusieurs n’existent tout simplement pas ou sinon opèrent n’importe comment... »

Le pays ne peut ignorer le malaise qui traverse ce secteur clé de l’économie. L’agriculture emploie presque le tiers de la population adulte de la Bosnie et les progrès futurs de ce secteur constituent l’une des conditions établies par Bruxelles pour éventuellement poser une candidature à l’UE.

Les résultats négatifs des ententes de libre-échange avec la Croatie et la Serbie sont des indications des difficultés que la Bosnie va rencontrer sur son chemin. Pandurevic croit que Bruxelles voit ces ententes « comme un exercice destiné à évaluer comment le pays se comporterait dans le marché européen. À en juger par les résultats obtenus, ce ne sera pas facile ».

Pendant ce temps, les fermiers bosniaques demeurent impuissants et se contentent de bloquer des routes et manifester. À quelques occasions, ils ont donné de la nourriture aux plus démunis.

Ranko Bakic, chef de l’Association des Fermiers, est en colère parce qu’après deux mois de protestations les autorités continuent de les ignorer complètement. « Les gens élus pour défendre nos intérêts sont parfaitement indifférents », a-t-il martelé. « Ils passent devant nous en voitures de luxe pour aller travailler et entrent dans l’édifice sans nous voir ».

Soutien de Paddy Ashdown

Les gens ordinaires, a-t-il poursuivi, manifestent beaucoup plus d’appui. « Ils nous saluent de leur voiture et klaxonnent. Plusieurs viennent chaque jour à notre kiosque d’information dans le village de tente pour signer nos pétitions. » Contrairement aux politiciens locaux, le Chef de la Délégation de la Commission Européenne en Bosnie Michael Humphreys et le Haut représentant international Paddy Ashdown ont visité le village.

« J’appuie votre lutte », a déclaré Paddy Ashdown. « Ce pays est plein de potentiel, en particulier en ce qui a trait à la production de nourriture biologique, qui est en forte demande en Europe ». Mais les deux responsables internationaux n’ont eu rien d’autres à offrir que de bons mots.

Sans changements réels en perspective, les fermiers risquent de continuer leur veille tout cet hiver. Avdo Alagic, 23 ans, est l’un des plus jeunes habitants du village. « Quand j’ai fini l’école, mes parents m’ont dit que l’avenir était dans l’agriculture », a-t-il relaté. « Si les conditions étaient meilleures, cela serait vrai, mais ça devient de plus en plus dur chaque année ».

« Dix ans après la guerre, les gens au pouvoir n’ont rien fait pour les producteurs agricoles, ni pour les jeunes en général. Nous travaillons pour des prunes. »

 

Bosnie : trois histoires en concurrence pour un pays divisé
Traduit par Ivana Telebak et Jean-Arnault Dérens

Publié dans la presse : 2 septembre 2005

Les écoliers de Bosnie-Herzégovine étudient toujours trois versions différentes de l’histoire, selon la nationalité à laquelle ils appartiennent. L’hebdomadaire Dani passe au crible les manuels d’histoire de huitième année élémentaire. L’historien Dubravko Lovrenovic plaide cependant pour une histoire enfin débarrassée des mythes, qui cesserait d’être une arme de guerre pour devenir un outil commun.

Par Amer Obradovic

On dit qu’écrire l’histoire est le travail du diable. Il s’agit d’une science dont on affirme souvent qu’elle est écrite par les vainqueurs, qu’elle est assujettie à des mythes, à la déformation des faits, et qu’elle sert à réveiller les passions nationales. Comment donc appeler alors les « héros » qui osent écrire un manuel d’histoire dans un pays où il n’y a pas de vainqueurs, où l’éducation publique est divisée entre les deux entités et le District de Brcko, ainsi qu’entre les dix cantons à l’intérieur de la Fédération, sachant que le même problème est présenté de manière différente dans chacun de ces dix cantons ?

En Bosnie-Herzégovine, il y a des écoles où les enfants du même âge, mais dans des salles différentes (le plus souvent dans des bâtiments séparés), étudient selon des programmes diamétralement opposés. Pourtant, il y a quelques années, la communauté internationale a pris son gros stylo pour effacer les mots qui auraient pu être offensants, comme agression, guerre de pillage, vandalisme, tchétnik, oustachi, balija [1]...

Les principales différences se situent toujours parmi ce que l’on appelle les « matières nationales », en premier lieu l’histoire - que l’on désigne d’ailleurs de trois termes différents : istorija, pour les Serbes, historija pour les Bosniaques, et povijest pour les Croates. Voici, par exemple, ce qui est proposé aux enfants de huitième année (neuvième en Republika Srpska), dans les écoles de Dobrinja IV, Dobrinja III et de Kiseljak [2].

Gavrilo Princip, héros ou terroriste ?

Dès les premières leçons à Dobrinja IV (dans un faubourg de Sarajevo situé en Republika Srpska, NdT), les enseignants qui suivent le manuel de 9ème de Ranko Pejic expliquent ainsi les débuts de la Première guerre mondiale à leurs élèves : « Un membre de l’organisation Jeune Bosnie, le lycéen Gavrilo Princip, tua François Ferdinand d’un coup de pistolet. La seconde balle, destinée au général Oskar Pocorek, atteignit l’épouse de l’archiduc, Sophie. L’Autriche-Hongrie accusa la Serbie de cet attentat, bien qu’aucune preuve n’établisse que le gouvernement serbe était au courant de l’attentat ».

À une centaine de mètres de distance, de l’autre côté de la ligne qui sépare les entités, à Dobrinja III, les élèves suivent un autre programme, et étudient d’après le manuel de Muhamed Ganibegovic, édité par la maison Svjetlost de Sarajevo. L’attentat est présenté ainsi : « L’Autriche-Hongrie utilisa cet acte terroriste comme prétexte pour demander des comptes à la Serbie ». Les collègues de Ganibegovic, Zijad Sehic et Zvjezdana Marcic-Matosovic, auteurs d’un autre manuel, publié par les éditions Sarajevo Publishing, écrivent : « L’attentat fut commis par Gavrilo Princip avec l’aide d’autres membres de Jeune Bosnie, soutenus dans leurs activités révolutionnaires nationales par la Serbie ».

Les historiens croates Hrvoje Matkovic, Bozo Goluza et Ivica Sarac, auteurs d’un autre manuel de 8ème, illustré en couverture d’une photographie du pont Franjo-Tudjman de Capljina, ont habilement évité le rôle historique de Gavrilo Princip, en évoquant succinctement l’attentat.

Cependant, dans le chapitre suivant, ce trio est beaucoup plus prolixe « sur les effusions de sang Place du Ban Jelacic à Zagreb, sur le rassemblement politique des Croates, sur la politique croate dans la lutte contre le centralisme et l’hégémonie de la grande Serbie ». Ils citent les paroles de Stjepan Radic : « nous voulons la république croate des paysans, et si les Serbes veulent la monarchie, que leur roi soit béni, et qu’ils la fassent ».

Alexandre Karadjordjevic, « première victime du fascisme » ?

Par ailleurs, les élèves de l’historien Pejic, étudient de manière très détaillée l’attentat contre le roi Alexandre Karadjordjevic à Marseille, en 1934, organisé par les organisations croates et macédoniennes en exil.« Les organisateurs de l’attentat sont le chef des oustachis, Ante Pavelic, et quelques politiciens de Hongrie, d’Allemagne et d’Italie, à qui déplaisaient la politique pacifiste du roi et l’amitié entre la Yougoslavie et la France. L’assassinat de notre roi est la preuve d’une politique de plus en plus agressive des forces fascistes en Europe. Le roi Alexandre fut la première victime du fascisme ».

Le trio croate soutient pour sa part que le roi a été assassiné « par l’émigration oustachie », et n’a pas un mot de plus sur l’attentat, tandis qu’un autre meurtre politique, celui du député croate Stjepan Radic en 1928, en plein Parlement, suscite de longs développements. Les auteurs précisent même que « 250 couronnes » ont été portées lors de l’enterrement.

Par contre, les enfants n’ont aucune chance de rien apprendre, ni dans le livre de Ganibegovic ni dans celui de Sehic et Marcic-Matosovic, sur la mort peu claire de Mehmed Spaho, longtemps le dirigeant de l’Organisation des musulmans yougoslaves (JMO), en 1939 à Belgrade - il s’agit probablement pour les auteurs de ne faire aucune ombre au premier Président de la Bosnie indépendante, Alija Izetbegovic.

À propos de l’accord Cvetkovic-Macek de 1939, Ganibegovic écrit : « Cet accord et le règlement de la question croate ont été effectués au détriment de la Bosnie-Herzégovine, tout particulièrement des musulmans bosniaques ». Au contraire, les écoliers de Kiseljak, qui étudient d’après le manuel « croate » n’entendront jamais un mot de critique contre cet accord. Le manuel reconnaît qu’il y eut des oppositions chez certains Serbes, musulmans et Croates, mais il constate « que la banovine de Croatie surgit sur les territoires où vivaient le peuple croate en Yougoslavie ». Le manuel de Pejic, en RS, explique aux élèves que « l’accord Cvetkovic-Macek créa de fait l’État de Croatie ».

Tous les auteurs abordent d’un point de vue national les thèmes incontournables que sont Josip Broz Tito, Ante Pavelic, Draza Mihajlovic et la Seconde Guerre Mondiale : les criminels, ce sont les autres, nous sommes les victimes. Tout pourrait se résumer par le slogan : « À eux les leurs, à nous les nôtres ! »

La Seconde Guerre Mondiale

Sur la Seconde Guerre Mondiale, tous les discours sont incompatibles. La formation de l’État indépendant de Croatie (NDH) est un des thèmes les plus délicats pour les auteurs locaux. Pejic présente ainsi aux écoliers le fameux bon accueil croate aux troupes allemandes à Zagreb : « Les unités allemandes entrèrent à Zagreb le 10 avril 1941. Les citoyens de la ville les accueillirent avec des fleurs et des cadeaux... Pour le pacifique peuple serbe, cela marqua le début des souffrances, des massacres et du génocide ». Dans le livre de Zijad Sehic et Zvjezdana Marcic-Matosovic, l’action de Pavelic est ainsi jugée : « Les Croates, en plus des Serbes, se trouvèrent aussi soumis à la terreur des oustachis. Les Musulmans étaient désignés comme des traîtres du peuple croate ». À propos des tchétniks, le livre note : « Sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et du Sandjak de Novi Pazar, les tchétniks essayèrent de réaliser un de leurs objectifs pour la formation d’une Serbie homogène, avec le nettoyage total de la population musulmane du Sandjak, ainsi que des Musulmans et des Croates de Bosnie »...

Les enfants de Kiseljak, de Busovaca ou de Medjugorje apprennent que « le pouvoir des oustachis pourchassait tous ses adversaires politiques, y compris les membres du Parti paysan croate, et ceux qui refusaient de collaborer avec eux ». Le manuel croate explique que dans l’État indépendant croate, « la culture était libérée des pressions de l’État yougoslave ». À propos des victimes des oustachis, « on calcule que 48 000 Serbes et quelques milliers de juifs furent tués dans le camp de concentration de Jasenovac. Des Roms, des Croates et d’autres furent aussi tués » ! Dans le livre de Pejic, au contraire, on affirme : « Les oustachis se montrèrent nationalistes, chauvins et même racistes. Ils affirmaient que sur le territoire du NDH ne pouvaient vivre que les Croates et les Musulmans (Bosniaques), qui représentaient la fleur de la nation croate, l’âme de la Bosnie-Herzégovine et le cœur de la Croatie ». Le nombre de victimes avancé est bien plus important que dans les deux autres livres : « Rien qu’à Jasenovac, ont été tués 700 000 Serbes, Juifs, Roms et antifascistes »...

Pejic parle ainsi du chef des tchétniks, Draza Mihajlovic : « avec un groupe d’officiers, il prit le maquis à Ravna Gora pour commencer la lutte contre l’occupant (...). Draza croyait que la lutte devait commencer quand le fascisme aurait commencé à lâcher des fronts principaux ». Ganibegovic constate au contraire : « beaucoup de villages disparurent sous les coups des forces tchétniks. Ce génocide contre la population innocente, encore jamais vu, fit plus de 100 000 victimes ». Le manuel croate n’oublie pas les crimes des tchétniks. « En semant la terreur parmi les Croates et les Musulmans, ils avaient l’intention de créer des territoires serbes exclusifs et de renforcer le pouvoir de la grande Serbie dans une Yougoslavie rénovée ». Matkovic, Goluza et Sarac consacrent également une attention particulière aux « crimes des partisans dans les zones où étaient recrutés les soldats du NDH, et où les partisans pratiquèrent terreur, massacres et pillages ».

Les non-dits de l’histoire récente

Il n’en va pas différemment pour l’histoire récente. Dans le chapitre « La guerre en Bosnie-Herzégovine et la formation de la RS », Pejic affirme que « le SDA et le HDZ se sont unis dans le démantèlement de la Yougoslavie ». À propos de la séparation de la Bosnie, il écrit : « au début 1992, les dirigeants musulmans (bosniaques) et les dirigeants croates, sans consensus ni participation du peuple serbe, tinrent un référendum dans lequel une majorité relative des électeurs croates et musulmans se prononça pour la séparation de la Bosnie-Herzégovine de la Yougoslavie et la création d’un État indépendant. À la surprise du peuple serbe, la reconnaissance internationale arriva dès le 12 avril 1992 ». Pas un mot sur Srebrenica, Sarajevo, le camp de Trnopolje...

Côté ouest, on réhausse la stature de Franjo Tudjman, présenté comme une personne qui fut à la base d’une forte résistance aux attaques toujours plus violentes du chauvinisme serbe cherchant à s’accaparer des territoires croates", et l’on justifie la création de l’Herceg Bosna. « Dans les actes de fondation de la Communauté croate d’Herceg Bosna (HZ HB) et du Conseil croate de défense (HVO), il n’y avait pas de tendances séparatistes ». Pas un mot sur Dretelj, Vranica, le Vieux Pont de Mostar...

Le manuel de Ganibegovic, comme celui de Sehic et Marcic-Matosovic, se conclut le 22 mai 1992, quand la République de Bosnie-Herzégovine fut admise au sein de l’ONU. Pas un mot non plus sur Srebrenica, Dretelj, Kazani...

Dans notre pays, probablement, l’histoire est une science aux échéances bien précises : avant chaque guerre, elle commence à changer, durant la guerre (hormis quelques exceptions), elle sert d’arme majeure et, après les conflits, elle est un moyen de défendre les conquêtes de la guerre. Les vérités historiques ne devraient pourtant être le caprice de personne. Sinon, on y perdra encore la tête.

Entretien avec l’historien Dubravko Lovrenovic

Dani : Comment est-il possible que dans même pays, Gavrilo Princip soit traité de manière si différente dans trois manuels, les uns le présentant comme un héros, les autres comme un terroriste ?

Dubravko Lovrenovic : Ces dernières années, j’ai été impliqué de différentes manières dans la problématique des manuels scolaires. J’ai été éditeur, j’ai travaillé au ministère de l’Éducation de la culture et du sport de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, quand nous avons commencé le programme de réalisation des manuels. J’ai donc pris part à la définition du plan et du programme scolaire. Ce que vous dites sur Princip, et l’on pourrait trouver d’autres exemples, confirme seulement ce que nous avions diagnostiqué durant la guerre, et qui n’a rien de réjouissant ni d’optimiste, à savoir que la Bosnie est un pays avec trois biographies. Et des biographies très différentes, selon la façon dont est interprété son passé proche et son passé lointain. Je me rappelle une réunion en 1994 à l’Académie des sciences et des Arts de Bosnie. Alors, la situation permettait plus d’optimisme qu’aujourd’hui, malgré la guerre. Onze années ont passé depuis, autant de promotions ont usé leurs fonds de culotte sur les bancs de l’école. On enseigne toujours la même chose aux enfants, peut-être hier de manière plus rigide, plus subtile aujourd’hui : celui-là, sur l’autre versant de la colline, dans l’autre ville, l’autre entité, est ton ennemi naturel. La poursuite d’une telle inimitié représente en réalité une sorte de fatalité naturelle. Je considère que les enfants qui étudient à partir de ces livres, et je le sais par ma pratique, reçoivent une forme d’agression qui est nourrie par les différentes interprétations que vous avez mentionnées.

D : Oui, « notre roi Alexandre a été la première victime du fascisme »...

D.L. : C’est ça. Le mot « nôtre » révèle bien de quoi il est question. Il existe notre histoire nationale, populaire... Et toutes les autres histoires sont des histoires étrangères, ennemies. Tout ce qui n’est pas nôtre est étranger, il faut l’éliminer de notre conscience. En d’autres termes, il s’agit d’une absence totale de critères scientifiques élémentaires, ainsi que de critères éthiques. Le critère de la véracité historique n’a pas été introduit chez nous. Tandis que je m’en rendais compte, une remarque du grand historien médiéviste Marc Bloch m’a traversé l’esprit. Il disait : « Non, l’histoire de la France n’existe pas, il n’existe que l’histoire de l’Europe. Et même cette histoire de l’Europe n’existe pas, il n’existe que l’histoire du monde ». Si l’on se mettait à observer nos histoires locales à partir de ce point de vue plus élevé, alors nous pourrions parvenir à une vérité historique universelle. À mon avis, une des vérités est qu’ici, nous sommes tous des victimes de l’histoire européenne et de l’histoire mondiale. Cette thèse peut semhbler pessimiste, mais je crois qu’elle ne l’est pas, parce que si cette thèse est analysée de manière correcte, une conscience historique universelle pourrait en naître. Je dirais même une conscience historique défensive, pour nous défendre contre nous-mêmes, à l’intérieur de nos espaces et envers le reste du monde.

D : Il est donc possible de mettre d’accord les trois historiographies, il serait possible dans un unique manuel destiné à tous les écoliers, de parler des tchétniks, des partisans et des oustachis...

D.L. : Bien sûr que c’est possible. Nous devons solder les comptes avec les mystifications. Nous sommes de purs outsiders de l’histoire, du simple matériau à brûler. Nous devrions définir notre position à partir de ce point et commencer ce travail : créer une histoire subversive, la dépouiller jusqu’à l’os. Il faut démystifier les partisans, les tchétniks, les oustachis... Alors, nous arriverons rapidement à un cadre tout à fait limpide. Naturellement, dans les circonsstances qui sont les nôtres, avec la domination du primitivisme politique et de l’idéologie, dans notre situation pré-politique, où les personnes s’organisent selon le principe de la religion et de la nation, on pourrait me dire que tout cela est impossible. Nous avons besoin d’une décontamination politique, ensuite écrire un manuel scolaire dans lequel l’histoire cesserait d’être une arme pour devenir un instrument commun serait très facile.

D : Dans les manuels, on parle aussi de la dernière guerre en Bosnie. Est-ce qu’il ne serait pas pertinent d’établir une sorte de moratoire et de ne pas parler de ce thème, ce qu’avaient fait les Français et les Allemands après la Seconde Guerre Mondiale ?

D.L. : Cela pourrait être une solution. Cependant, cela ne serait pas un pas en avant qui nous rapproche de la vérité. Je suis pour une autre solution : donner dans les manuels une simple chronologie de la guerre, sans aucune explication, parce que celle-ci pourrait revenir comme un boomerang.

Les trois manuels :

Muhamed Ganibegovic , Historija za 8. razred osnovne skole, Sarajevo, Svjetlost, 144 pages, 8 KM

Ranko Pejic, Istorija za 9. razred osnovne skole, Istocno Sarajevo, Zavod za udzbenike i nastavna sredtsva, 208 pages, 5 KM

Hrvoje Matkovic, Bozo Goluza et Ivica Sarac, Povijest 8., udzbenik za VIII razred osnovne skole, Mostar & Zagreb, Skolska Naklada & Skolska Knjiga, 142 pages, 13,5 KM


[1] ce dernier terme, péjoratif, était utilisé par les nationalistes serbes et croates pour parler des Bosniaques musulmans

[2] Classe qui correspond à la quatrième de collège en France.

 

Bosnie : création d’un Institut pour retrouver la trace des disparus
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 31 août 2005

L’institut aura pour rôle de chercher les disparus, sans tenir compte de leur appartenance religieuse ou ethnique, et sans discrimination aucune. En effet, en B&H, depuis dix ans, on recherche encore de 15 à 20 000 personnes.

Par Sanita Rozajac

La Bosnie-Herzégovine s’est chargée d’initier la création d’un Institut pour la recherche des personnes disparues.

Mardi 30 août, au cours de la Journée internationale des personnes disparues, Mirsad Kebo, Ministre pour les droits de l’homme et des réfugiés de Bosnie-Herzégovine et Catherine Bomberger, chef de la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP), ont signé un accord entérinant la création d’un Institut pour les personnes disparues de Bosnie-Herzégovine.

Selon le Ministre Kebo, la création de l’institut est la meilleure façon de venir en aide aux familles dont les membres ont, durant la guerre, disparus en B&H. Dix ans après les accords de Dayton, la vérité doit être faite.

« La Bosnie-Herzégovine est le seul pays au monde qui a voté une Loi sur les personnes disparues. Désormais, la mise en oeuvre de celle-ci doit à tout prix être intensifiée. La création de l’Institut va permettre de développer des recherches transparentes et scientifiques. L’Institut aura pour rôle de rechercher les personnes disparues quelques soient leur appartenance religieuse ou ethnique, sans discrimination aucune », a souligné mardi dernier le Ministre pour les droits de l’homme et des réfugiés de Bosnie-Herzégovine.

L’institut réunira sous son égide la Commission fédérale pour les personnes disparues, ainsi que les Bureau pour la recherche des prisonniers et des personnes disparues de RS et de Brcko. Il aura pour mission de recueillir, de gérer, de systématiser et de présenter au public toutes les informations disponibles sur les personnes disparues. Il prendra en charge les activités, les responsabilités, le personnel et les fonctions des structures déjà existantes au niveau des entités. Les familles des disparus seront également incluses dans le travail de l’Institut et cela à travers leur participation au Conseil d’administration, au Conseil de gestion et au Conseil de référence. Cet Institut qui travaillera au niveau de l’Etat et qui aura son siège à Sarajevo, sera dirigé par un Collège de directeurs qui durant les deux premières années sera composé des présidents de la Commission fédérale pour la recherche des personnes disparues, Amor Masovic et Marko Jurisic, ainsi que de Milan Bogdanic, président du Bureau pour la recherche des captifs et des personnes disparues.

« La chose la plus importante dans ce processus est le soutien que nous allons assurer aux familles. Nous leur promettons que nous allons tout faire pour rechercher les responsables de ces crimes. Même le fait de cacher des informations sur les disparus est un acte criminel. C’est pourquoi, nous suggérons aux personnes susceptibles d’avoir de quelconques informations de les rendre disponibles au plus vite. C’est à ce prix que pourra être établi « une justice terrestre », a rajouté Kebo.

Toujours selon Kebo, l’Institut va établir une base de données centrale et un registre des victimes. Dans le même temps, cet organisme va devoir être isolée de toute influence politique, dans le but d’empêcher l’utilisation de ces informations à des fins électorales ou partisanes.

« Nous espérons que l’expérience bosnienne de recherche de personnes disparues pourra être utilisée dans le monde entier. Elle sera proposée au sein des missions humanitaires, là où elle sera nécessaire. Le Ministère pour les droits de l’homme et l’Institut vont tendre de concert à établir une coopération régionale et vont participer à la création de l’agence régionale pour la quête des personnes disparues, ce qui augmentera les chances pour que tous les cas individuels soient résolus le plus rapidement possible », a conclu Kebo.

La directrice de la Commission internationale pour la quête des personnes disparues (ICMP) a déclaré que parmi les 30 000 personnes disparues en B&H, on en recherche encore entre 15 et 20 000. A l’occasion de la signature de cet accord, elle a invité les dirigeants de l’Institut à respecter scrupuleusement la règle d’impartialité.

Un projet vieux de dix ans

Amor Masovic, président de la Commission fédérale pour la quête des personnes disparues nous a expliqué que la présidence du Collège des directeurs tournera par ordre alphabétique.

« Etant donné qu’il n’y a pas de critères particuliers, nous avons décidé que la rotation du Président s’effectuera par ordre alphabétique. Nous attendons encore la confirmation de Milan Bogdanic, car mon collègue Jurisic et moi, nous sommes déjà d’accord sur ce point », souligne A.Masovic. (...)

« A mon avis, si le nom du président n’avait plus aucune importance, ce serait déjà un grand succès. Bogdanic, Jurisic, Masovic : les noms et les individualités ne devraient jouer aucun rôle dans ce type d’institution. (...) Nous répondrons à toutes les familles, sans tenir compte des appartenances religieuses ou ethniques », a confirmé Masovic, pour qui la création de cet institut est un rêve vieux de dix ans.

Des recherches libérées de toute manipulation politique

Milan Bogdanic, Président du Bureau pour la recherche des personnes disparues de RS a affirmé que l’Institut va représenter une institution indépendante, autonome et scientifique qui réalisera ses activités en concordance avec la Loi pour les personnes disparues. (...) Toutes les décisions de l’Institut seront le résultat d’un consensus.

« J’espère que l’existence de l’Institut nous permettra de surmonter tout type de politisation et que la quête des personnes disparues deviendra enfin une question humanitaire et juridique », a-t-il rajouté

 

Bosnie : quand un petit village prend son destin en mains
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 29 août 2005
Mise en ligne : mercredi 31 août 2005

Ce qui a provoqué un déclic dans les têtes des habitants de Majetici, un petit village de la commune de Cazin (ouest de la Bosnie), aucun des villageois ne saurait le dire. Ils hochent tous la tête et répondent ceci : « notre vœux est que ce qui nous est arrivé advienne partout en Bosnie et Herzégovine. Que les gens s’unissent, qu’ils se mettent à travailler pour que la vie soit plus agréable pour chacun d’entre nous »...

Par Kemal Coco

Que s’est-il passé dans ce petit village, dont il y a seulement six ans, les gens parlaient comme d’un bled paumé, où ne se rendaient que ceux qui étaient vraiment contraints d’y aller, puisque l’unique accès était un chemin de terre ? Certains présupposaient même que la rivière Una allait encore couler longtemps avant que les habitants de Majetici ne « reviennent à la raison », et plus encore avant qu’ils s’unissent autour d’un quelconque projet.

Fiers de leur Centre de village

Beco Mesic, président du Conseil pour la construction du Centre raconte : « Pour vous le dire franchement, moi-même je ne sais pas comment cela s’est produit. Quand nous nous sommes réunis sur la prairie où se situe aujourd’hui notre centre et quand j’ai été élu président du conseil pour les travaux, je pensais que notre entente n’allait rien donner. Avec une grande anxiété, j’ai organisé la première action pour le creusement des fondations. Je croyais qu’il y aurait cinq, maximum six villageois. Je n’ai pas pu croire mes yeux en voyant tous les villageois réunis, c’est-à-dire tous les hommes capables de travailler. En une journée, nous avons creusé les fondations, convenu la suite des travaux. Maintenant nous avons « notre gratte-ciel » au cœur du village.

Il s’agit du centre (drustveni dom) dans lequel nous avons des locaux pour un cabinet de médecin, deux appartements de trois pièces pour le médecin et l’infirmière, une salle de réunion pour les jeunes, les locaux de l’administration locale (mjesna zajednica). De plus, nous sommes en train d’entamer la construction d’un petit terrain de football, ainsi que d’un terrain de volley ball, de basket-ball et d’autres sports. Nous recevons souvent des délégations qui viennent de presque tous les villages de Krajina pour nous demander comment nous avons réussi à construire notre Centre. C’est vrai, nous avons reçu l’aide précieuse de nos villageois vivant à l’étranger. Ils ont assuré un montant de 170 000 KM (environ 85 000 euros, NdT) pour l’achat du matériel, alors que de notre côté, nous avons fait tous les travaux nécessaires ».

Beco Mesic cède ensuite la parole à Nurija Begic, président du Conseil de la mjesna zajednica de Majetici : « D’un bled perdu dans la Krajina bosnienne, nous sommes devenu un village européen dans lequel on a plaisir à vivre, car nous avons tout ce qu’ont les gens dans les grandes villes. Nos avons l’eau à tout moment, le téléphone dans quasiment toutes les maisons. Nous avons également posé l’asphalte sur une dizaine de kilomètres de la route qui nous relie à la route nationale Bihac-Cazin, nous avons posé l’asphalte dans toutes nos rues les plus importantes, refait le bâtiment de l’école, ainsi que les dix maisons touchées pendant la guerre. Nous avons en plus construit une trentaine de maisons dignes de figurer au centre même de Paris. Tout simplement, notre village n’est pas reconnaissable. »

Nurija Begic rajoute qu’à Majetici il y a 340 maisons et un peu plus de propriétés, qu’une centaine de personnes de ce village travaillent en Allemagne et en Autriche, et le même nombre en Croatie et Slovénie, alors que le reste des habitants sont des agriculteurs.

« Pour moi, le plus grand succès est le fait que nous avons réussi à stopper le départ des jeunes du village. Il y a peu de jeunes aujourd’hui qui veulent quitter Majetici. La terre féconde a atténué l’envie de partir et, chez beaucoup de jeunes, on observe de plus en plus l’envie de se consacrer à l’agriculture. Maintenant que nous avons une route en asphalte, tout est proche. Bihac, Cazin et toutes les villes de l’Europe », raconte Nurija Begic, qui avoue que la concorde qui règne entre ses voisins l’enchante. Il affirme qu’il n’existe pas un seul problème auquel ces gens ne trouveraient pas une solution.

« Nous avons compris qu’ensemble nous pouvons faire beaucoup, et séparément très peu. Et nous sommes tous réunis dans l’envie de rendre notre village le plus beau possible, d’avoir tout ce qu’ont les gens dans des grandes villes », affirme, catégorique, Beco Mesic, qui ajoute qu’il reste encore pas mal de travail sur la construction du Centre (le cabinet de médecin est le seul à être entièrement achevé), mais il est convaincu que cela ne représente aucun problème et que ce bâtiment sera entièrement terminé d’ici la fin de l’année.

Un magnifique exemple

Gale Beganovic, habitant de Miostrah, un village voisin, qui depuis vingt ans travaille en Allemagne a démontré que les autres habitants de Krajina bosnienne apprécient et admirent les gens en concorde. Un jour, il a toqué sur la porte du bureau de la mjesna zajednica et a remis 10 000 KM (environ 5000 euros, NdT) entre les mains du président du conseil : « J’espère que la concorde qui règne chez vous et l’envie de rendre nos villages plus beaux va « contaminer » aussi mes voisins de Miostrah et que notre village sera aussi relié par une route en asphalte. C’est vrai, il y a eu quelques tentations de suivre votre exemple, mais la discorde a tué toute initiative. Vous avez fait pour nous la moitié du travail, car pour accéder à la route nationale Bihac-Cazin, nous devons passer par Majetici »...

Un « village européen » au centre de la Krajina de Cazin (qui correspond au municipalités de Velika Kladusa, Buzim et Cazin), c’est comme cela que les gens de la Krajina parlent du village de Majetici, en soulignant la grande concorde qui règne entre les habitants de ce village.

 


Développement économique : la Bosnie n’a aucune vision
Traduit par Ursula Burger Oesch


Mise en ligne : samedi 20 août 2005

Le figuier bosniaque « trapu, tordu, handicapé, apporte de petits fruits rares et ratatinés » (Ivo Andric), alors que dans le même temps le figuier irlandais donne dix fois plus de fruits. Pourquoi des pays de la même taille que la Bosnie et Herzégovine (au niveau de la surface et du nombre d’habitants) ont-ils, comme l’Irlande, une productivité dix fois plus importante ? Pourquoi la Bosnie et Herzégovine ne diminue-t-elle pas le gouffre économique qui la sépare de la Slovénie (sans parler de la Suisse, le pays de comparaison tant cité par les politiciens bosniens) ?

« Chaque bon arbre apporte de bons fruits... »

Par Vjekoslav Domljan [1]

Le problème fondamental de l’économie est une faible mobilisation des ressources. La main d’œuvre, le pays et le capital ne sont pas mobilisés. Une mobilisation basse et un haut degré d’inefficacité de ressources mobilisées résultent en une compétitivité faible de l’économie et un déficit dans le domaine des exportations. Il n’existe pas un seul pays de transition qui aurait un déficit commercial relatif plus élevé, un taux d’inefficacité de la main d’œuvre plus important et un secteur publique plus vaste que la Bosnie et Herzégovine.

Nous n’avons pas de visions du développement qui dirait clairement aux citoyens où se situe leur avenir. Il n’y a pas non plus de stratégie de mise en oeuvre de cette vision, ce qui se traduit par une politique courante infondée et finalement peu efficace. La période entre 1996 et 2005 est une période de dix mauvaises années, une décade de politiques économiques défectueuses.

Cependant, à côté de ces résultats négatifs, il existe également des résultats positifs des politiques actuelles dans la période 1996-2005. Ce sont une inflation basse, une dette extérieure modérée et des recettes équilibrées qui, cependant, aurait pu être réalisées avec des dépenses beaucoup moins importantes. Si l’on avait réussi à mobiliser le capital par nos politiques monétaires, on aurait pu les considérer aujourd’hui comme un succès ! Mais une politique qui n’arrive pas à mobiliser des ressources est une mauvaise politique. Elle ne peut même pas guider la Bosnie et Herzégovine vers la première étape du développement économique, sans parler de la deuxième (qui comprend une utilisation productive des ressources), ou de la troisième (qui comprend une économie basée sur le savoir-faire, qui n’exporte pas de containers mais des softwares).

Le capital est resté immobile, non seulement à cause d’une politique monétaire non adéquate, mais également à cause du manque d’organisations financières. La loi en Bosnie et Herzégovine ne permet pas la création de banques d’épargne ou d’associations d’épargne et de crédit (stedno-kreditnu udrugu). Elle ne permet pas non plus la création d’une organisation spécialisée dans le domaine des micro-finances qui ne travaillerait pas à but lucratif. Les banques générales, c’est-à-dire les banques sans spécialisations particulières, ne sont pas en mesure de répondre à tous les besoins des citoyens et des entreprises, elles ne sont même pas intéressées par ce type d’activités.

La résolution du problème et la clé du succès reposent dans la création d’une multitude d’entreprises privées. Seules les entreprises, et uniquement celles-ci, ont la capacité de résoudre le problème du chômage et de l’inefficacité des emplois déjà existants. Sans un taux élevé de création et de disparition d’entreprises, c’est-à-dire un degré élevé de turbulence, il n’y a pas de déplacement de ressources d’un domaine d’activité à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Ce processus doit être accompagné par un allègement du poids en ce qui concerne les taxes à travers une forte réduction du secteur public.

Il est important de stimuler le développement de chaînes de petites entreprises innovatrices, des « gazelles de l’exportation ». Ce processus doit être accompagné par la construction de réseaux routiers et informatiques. Sans réduction de dépenses de transport et de transaction il n’est pas possible d’augmenter la compétitivité de l’économie. Sans cela, il n’est pas possible de former la colonne vertébrale et la circulation sanguine de l’économie, c’est-à-dire de créer les conditions pour le développement d’une multitude de petites entreprises couronnées de succès.

Rien ni personne, pas même les Accords de Dayton, n’empêche les pouvoirs régionaux de développer une économie d’entreprises. Pour le développement de l’économie traditionnelle, de type fermée, le niveau pertinent est le niveau national, mais pour l’économie contemporaine, celle d’entrepreneurs, c’est le niveau régional qui compte. À travers les actions collectives, les citoyens doivent contraindre les responsables de faire attention au trapu figuier bosnien et de partager ses fruits plus nombreux de façon plus équitable. Dans le cas contraire, ils vont avoir faim et voter avec leurs pieds.

__________________

[1] Membre de l’Association B&H 2005 et consultant indépendant. Il a été chercheur à la LSB de Londres, a participé au travail de la Commission économique de l’ONU à Genève, ainsi qu’au Forum mondial économique de Davos.

 

 


Bosnie : tout dépend de chacun de nous
Traduit par Ursula Burger Oesch


Mise en ligne : jeudi 18 août 2005

La Bosnie-Herzégovine va mal, mais au-delà du constat, c’est à chaque citoyen de prendre conscience de ses propres responsabilités et d’agir. Que préfère-t-on : Dayton ou Bruxelles ? Chaque fois que je réfléchis aux causes de la si lente modernisation de la société bosniaque, mes réflexions finissent immanquablement par le même constat : « C’est de ma faute ».

Par Bojan Bajic

Pour quelqu’un qui utilise son bon sens et réfléchit d’une façon logique, il n’y a pas de mal dans le fait que la Bosnie et Herzégovine soit une société multiethnique. Pour cette même personne, il est également logique que cette valeur soit choyée, que le système politique doive être organisé de sorte qu’il soit au service des besoins des citoyens, que la Bosnie et Herzégovine soit un État de citoyens ayant une liberté totale d’appartenir à différentes identités collectives, que la Bosnie et Herzégovine adhère à l’Union Européenne... Tout simplement parce que le bon sens exige qu’on vive dans une société qui met la priorité sur les besoins humains quotidiens : besoin de recevoir un service médical de qualité, d’obtenir une éducation de qualité, d’avoir accès à une justice équitable, d’être informé d’une façon objective et équilibrée, d’avoir l’occasion de travailler et de gagner de l’argent, de voyager librement, de ne pas être discriminé sur base quelconque, de faire des enfants, etc.

Pourquoi cette histoire, que les citoyens moyens comprennent car ils l’expérimentent dans leur propre peau, reste-t-elle de nouveau au second plan ? Pourquoi ces mêmes citoyens choisissent-ils de vivre malgré tout selon des standards ethno-nationalistes, qui ne sont qu’une « illusion nébuleuse » ?

Quand on vit dans une pareille illusion, il est possible de se promener un jour de pluie en janvier, de refuser d’utiliser un parapluie, et ensuite d’être fâché contre quelqu’un parce qu’on a attrapé une pneumonie. Comme on dit, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent de beurre. On ne peut pas avoir à la fois Dayton et Bruxelles. Si tu veux adhérer à l’UE, entreprends une réforme de Dayton, ce n’est quand même pas l’Écriture sainte... Avant Dayton, il y a eu également le congrès de Berlin, celui-ci a été réformé et puis quoi ? Si tu ne veux pas te mouiller, prend un parapluie, si tu veux rester les mains dans tes poches, alors fais-toi rincer ! Mais après avoir été trempé par la pluie, survient l’erreur mentale essentielle la plus importante dans notre société, celle de culpabiliser quelqu’un d’autre, alors que c’est toi qui es malade et que tu l’as bien mérité.

Tu dois comprendre que dans tout ce qui t’arrive de bien et de mal, tu es responsable pour toi-même. Ne culpabilise pas les autres parce que c’est toi qui restes collé sur Dayton et qui n’entrera pas dans l’UE au cours des 30 prochaines années.

Tu ne peux pas à la fois freiner la réforme du système et exiger les meilleures conditions. Ca ne va pas. En fait, freine si tu veux, mais ne te plains pas après s’il n’y a pas de travail. Tu ne peux pas conduire une voiture sans remettre régulièrement de l’huile. Tu ne peux pas soutenir les partis politiques composés d’une seule ethnie et espérer qu’ils s’occupent de tes problèmes quotidiens, en se disant simplement que pour eux c’est plus facile d’être au pouvoir en créant des tensions et en se bagarrant.

Ca, ce sont les « lois de la nature ». Mais tu ne pourras jamais vivre mieux si tu considères que c’est quelqu’un d’autre qui doit créer ton emploi et les conditions dans lesquelles tu vis. Tu n’auras jamais de succès tant que tu ne comprends pas que tu es responsable et coupable toi-même pour la situation dans ton pays, dans ta société et ta propre situation. Tu ne peux pas dire que c’est uniquement le gouvernement qui est responsable, car c’est toi qui as voté pour, et si ce n’est pas toi, c’est ton voisin. Si ton voisin soutient le gouvernement, cela ne t’exclut pas de la culpabilité, car tu n’as rien fait pour qu’il comprenne. Ne dis jamais : « Ca ne dépend pas de moi », tout dépend de toi !!!

La logique « c’est de ma faute », est le déclic fondamental que nous devons avoir dans notre tête. Ce déclic n’est pas pour quelqu’un d’autre, c’est pour nous-mêmes car, en cherchant le responsable chez les autres, on laisse le temps passer, et la vie n’est pas si longue que cela.

Celui qui a compris qu’il est nécessaire de faire un pas en avant et de quitter cette « illusion nébuleuse » pour se tourner vers l’avenir a également la responsabilité et l’obligation de l’expliquer à ceux qui ne l’ont pas encore compris. Et cela, de nouveau, non pas seulement pour eux, mais pour soi-même, car ça ne servira strictement à rien que d’avoir compris quelque chose si ceux qui ne l’ont pas compris sont plus nombreux. On coulera comme jusqu’à présent.

Ainsi donc, je, soussigné, Bojan Bajic, déclare que je suis responsable pour la situation actuelle dans le pays, je suis également un peu bête, car pendant que je signale qui sont les créateurs d’« illusions nébuleuses », ces mêmes personnes gouvernent ce pays et se gaussent de mes textes.

Et c’est là que se pose la vraie question : qui est intelligent et qui est con ? Ils sont certainement intelligents, car ce pays est leur paradis, et moi, je suis certainement coupable, parce que ce sont eux qui conduisent ce pays dans le désastre, et je serai définitivement un con si je continue à les laisser faire.

 


Le radicalisme islamique, une menace pour la Bosnie-Herzégovine
Traduit par Ivana Telebak et Jean-Arnault Dérens


Mise en ligne : vendredi 12 août 2005

Les attentats de juillet ont rappelé l’importance des « filières bosniaques » du terrorisme. La citoyenneté bosniaque a été largement accordée à des personnages impliqués dans les réseaux islamistes mondiaux. Il est temps de dire la vérité sur ces dossiers et de prendre la mesure du danger qui menace la Bosnie et l’identité même des Bosniaques, peuple européen musulman.

Par Esad Hecimovic

La série d’attaques terroristes de juillet, à Londres et à Charm-El Sheikh, ainsi que les accusations de l’Arabie saoudite et du Maroc, qui prétendent que les chefs terroristes de ces pays possèdent la nationalité bosniaque ou ont séjourné en Bosnie-Herzégovine, ont obligé le gouvernement à contrôler de nouveau les listes de tous ceux qui ont reçu la citoyenneté bosniaque depuis 1992. De nouveau, sont apparus les noms de personnes que d’autres pays accusent d’être des terroristes ou qui figurent sur les listes de fugitifs les plus recherchés. Ces faits ne sont pas nouveaux mais continuent à poser problème.

Sur les listes des personnes ayant reçu la citoyenneté bosniaque, figurent de nombreux individus qui ont été au centre des enquêtes des pays occidentaux et islamiques ces dernières années. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, des enquêtes ont également été menées en Bosnie-Herzégovine : les enquêteurs locaux et étrangers ont concentré leur attention sur des personnes qui auraient pu être liées à Al Qaida et d’autres groupes terroristes, mais aussi sur des organisations humanitaires susceptibles de détourner des fonds pour alimenter le terrorisme.

Les enquêteurs ont très vite relevé de nombreuses irrégularités dans la manière dont les personnes originaires d’Afrique ou d’Asie obtenaient la citoyenneté bosniaque : noms inventés, adresses fictives, documentation incomplète ou fausse, modification de données d’identité, émission de passeports sans les documents adéquats et d’autres exemples révèlent une attitude « excessivement compréhensive », que le gouvernement n’a même pas pour ses « propres » citoyens. En outre, on ne sait pas pourquoi ni comment ces personnes ont obtenu la citoyenneté bosniaque.

Presque les deux tiers des citoyens de Bosnie-Herzégovine originaires d’Afrique ou d’Asie sont inscrits dans les registres d’état-civil du canton de Sarajevo. Sur 740 personnes dont la citoyenneté a été contrôlée, plus de 500 l’avaient obtenue à Sarajevo, sur la base de faux titres de séjour dans cette ville et ce canton.

La première question sans réponse qui se pose est de savoir s’il s’est agi d’initiatives personnelles ou d’un projet de l’État. Autrement dit, de savoir si ces personnes d’origine africaine ou asiatique ont décidé elles-mêmes de rester en Bosnie, par exemple à la suite d’un mariage ou pour d’autres raisons, ou bien si quelqu’un avait décidé d’offrir la citoyenneté à des personnes « méritantes », sans aucune procédure de contrôle de l’exactitude des données fournies par ces personnes dans leurs formulaires de demande de résidence.

Naturellement, ces faits ne se sont pas produits qu’à Sarajevo. De manière semblable, des « erreurs » ont été commises dans la délivrance de la citoyenneté à Zenica, Tuzla, Doboj, Tesanj et Travnik. L’enquête a montré qu’il s’agit de personnes venant d’une trentaine de pays différents. Pourquoi donc la Bosnie, pays détruit par la guerre, ethniquement divisé et pauvre, attire-t-elle ainsi des centaines de personnes désireuses d’obtenir un passeport ?

Nous recevons toujours des réponses simplistes qui cachent à l’opinion publique la pleine vérité. Il ne s’agit pas seulement de « mérites de guerre ». Une enquête de la police a révélé que, parmi les centaines de personnes qui ont officiellement reçu la citoyenneté bosniaque pour avoir participé à la guerre, 90 avaient en réalité déjà obtenu leur passeport en 1992, soit avant le début de la guerre. Bien que les passeports aient été délivrés sur la base de fausses informations, personne n’a jamais dû répondre de cette situation. Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de problèmes formels : il s’agissait d’un système organisé visant à cacher des personnes qui étaient déjà sous le coup d’enquêtes dans les pays occidentaux ou dans leurs pays d’origine.

Le Journal du cheikh Enver Saban

L’exemple de l’Égypte est certainement l’un des plus important, puisque au moins une centaine de citoyens de ce pays ont reçu la nationalité bosniaque. Certains sont arrivés en Bosnie en venant d’Europe occidentale ou de pays islamiques. Les enquêtes ont déjà révélé que, par exemple, deux chefs religieux de l’unité El-Mudzahid étaient d’origine égyptienne, et faisaient l’objet d’enquêtes dans leur propre pays ainsi que dans d’autres pays. Ils sont publiquement connus sous les noms de cheikh Enver Saban et cheikh Imad Al-Misri. Le cheikh Enver Saban était le chef du Centre culturel islamique de Milan. Il s’est ensuite rendu en Bosnie. Le cheikh Enver Saban a été tué près de Zepce par des membres de la police spéciale du Conseil croate de défense (HVO), le 14 décembre 1995, le jour même de la signature finale des accords de paix de Dayton à Paris.

Une enquête sur ce meurtre est en cours auprès du tribunal cantonal de Zenica. Il semble que le journal de Saban ait disparu après sa mort. Il décrivait les rencontres des chefs des mujahidin, et sur une autre page une rencontre avec Alija Izetbegovic et d’autres chefs bosniaques. Le journal a fait sa réapparition à Zagreb, et le gouvernement bosniaque a essayé, mais sans succès, d’obtenir sa restitution. S’il y a eu un accord entre Izetbegovic et Enver Saban sur l’octroi de la citoyenneté bosniaque aux combattants volontaires et aux missionnaires islamiques qui voulaient rester en Bosnie-Herzégovine comme civils, il est évoqué dans ce journal.

Le cheikh Imad Al-Marsi est arrivé en Bosnie-Herzégovine d’Arabie Saoudite. Son petit livre programme Les croyances que nous devons corriger a été publié à l’automne 1993 à Travnik. De même que le Journal de Saban est devenu une preuve sur l’attribution de la citoyenneté bosniaque des mujahidin, ce livre est l’exemple clé des influences idéologiques et religieuses qui ont conduit à la confrontation entre Bosniaques musulmans, à cause des différentes interprétations de l’islam.

Le silence qui couvre ces confrontations est similaire au silence sur la question de la citoyenneté. L’enquête de la police a réduit le problème de la citoyenneté à une question de problèmes formels et d’erreurs de procédure, tandis que les intellectuels bosniaques affirment que le problème des différentes interprétations de l’islam existait peut-être déjà auparavant, mais que l’on avait trouvé une manière de faire coexister l’islam « traditionnel » et l’islam « importé » en Bosnie-Herzégovine. Même les intellectuels les plus courageux, qui critiquent leur influence destructrice sur l’identité nationale des Bosniaques, ne posent pas la question de l’origine de ces influences. Naturellement, dans les deux cas, il s’agit de cacher et d’éviter une confrontation. Bien évidemment, cela arrange certain de faire croire qu’il s’agit d’un problème du passé. Pourtant, ce n’est pas le passé qui est en question, mais l’avenir !

Les combattants volontaires islamiques, les missionnaires et les humanitaires qui ont commencé à arriver en Bosnie à l’été 1992 avaient deux objectifs. Le premier était le jihad, la lutte militaire, et le second la dawa, la mission islamique. Avant la fin de la guerre, à l’automne 1995, dans le cadre des organisations non-gouvernementales, des organisations humanitaires et éducatives qui soutenaient ces objectifs de lutte en Bosnie, une décision stratégique particulière a été prise, reconnaissant que la guerre était finie, mais que le prochain front de bataille serait l’éducation. Après la guerre, une importance majeure a été reconnue par ces milieux à l’instruction, à cause de son importance pour la formation de la nation.

Les islamistes s’attaquent aux pratiques religieuses traditionnelles

Pour les observateurs internationaux, durant des années, un tel comportement n’avait rien de contestable. Il fallait que les unités militaires soient dissoutes, et aucune importance n’était accordée aux différences culturelles. L’activité idéologique, religieuse ou culturelle était considérée comme insignifiante. Cela a permis à ces groupes de développer durant des années une intense activité missionnaire. Cette activité avait pour but le changement de nombreux schémas religieux et culturels. Ce qui était autrefois accepté comme une expression traditionnelle de la religion est aujourd’hui présenté comme non-islamique ! En clair, à travers les modèles culturels et religieux, on cherche finalement à changer aussi le modèle de comportement politique. Malheureusement, ces changements se passent sous les yeux de l’opinion publique, mais sans que l’on y apporte l’attention voulue.

Pourquoi est-il important que certains continuent à « verser de l’argent sur les tombes musulmanes », ou d’accepter les prières publiques de masse dans les cours des mosquées, ou d’autres comportements qui ressemblent aux usages chrétiens ? Pourquoi les missionnaires essaient-ils, en priorité, de s’opposer à de telles, apparentes, illusions ? Ces douze dernières années, depuis la publication du livre programme de Al-Marsi, une grande partie de l’énergie des chefs religieux bosniaques a été accaparée par des questions de ce type. L’intelligentsia religieuse bosniaque continue à parler de « nos crétins », mais ne met pas l’accent sur la cause principale du problème. Cette cause tient à un mouvement global, qui provoque aujourd’hui des conflits dans de nombreux pays occidentaux et islamiques.

Si l’on examine les nombreux exemples de nouveaux citoyens de Bosnie-Herzégovine, il n’est pas important de noter les nationalités et les pays d’origine. Ce sont des critères qui n’ont pas de signification pour les mouvements dont ces personnes font partie.

Pourtant, malheureusement, toutes les enquêtes de la police et des services d’information menées jusqu’à maintenant se sont basées sur ces critères. Ainsi, on a parlé du « groupe algérien », du « groupe égyptien », ou des Marocains. Pourtant, quand on analyse les cas de Hisham Diab ou de Khalib Deek, on ne trouve pas de liens entre eux d’après le pays d’origine ni d’après la nationalité. Diab est Égyptien et Deek Palestinien. Ce dernier n’apparaît dans les documents disponibles que lorsqu’il demande sa naturalisation bosniaque. En réalité, ils sont tous les deux arrivés en Bosnie en provenance des USA, de Californie, ils appartenaient au même groupe et ils avaient le même chef religieux.

La raison pour laquelle les actuelles enquêtes sont stériles tient à la volonté d’appliquer des critères occidentaux à un phénomène qui n’est pas d’origine occidentale. Ni la nationalité ni le pays d’origine n’ont une grande importance dans la formation de ces groupes transnationaux. Dix ans après la fin de la guerre en Bosnie, l’enquête devrait donc essayer de répondre à la question suivante : comment les personnes considérées sont-elles arrivées dans le pays ? Les réponses simplistes données jusqu’à présent ne sont pas satisfaisantes, car elles ont été données pour des raisons politiques, pour cacher ou souligner la responsabilité de certaines personnes. La vérité sur la façon dont laquelle la Bosnie-Herzégovine s’est retrouvée au début des années 1990 au centre des intérêts d’un mouvement global en expansion est bien différente. Cette vérité doit encore être dévoilée et révélée à l’opinion publique, afin d’empêcher les spéculations et les abus.

Un danger pour la Bosnie et les Bosniaques

Un des dangers constants de la guerre contre le terrorisme est de chercher à utiliser ce problème, dans le but de marquer des points dans un conflit international, qu’il s’agisse d’un conflit politique ou d’un conflit d’intérêt.

C’est précisément en ne disant pas la vérité que l’on permet de telles dérives. Il est faux de croire que le problème va se résoudre tout seul si l’on reste suffisamment silencieux suffisamment longtemps. La série d’attaques terroristes du mois de juillet ressemble plus au début d’une longue campagne qu’à l’annonce d’une solution qui arriverait bientôt. Si la Bosnie-Herzégovine ne fait pas face par elle-même aux questions liées à l’origine de ses liens avec les groupes et les individus qui sont aujourd’hui impliqués dans les mouvements terroristes, le pays risque d’en subir des conséquences toujours plus graves.

Pour les Bosniaques, cela peut non seulement remettre en cause l’idée d’État bosniaque, mais aussi avoir des conséquences périlleuses sur leur propre identité et leur propre stabilité nationale. La Bosnie représente aujourd’hui un « point d’accès » pour l’idéologie du jihad en Europe, parce que durant la guerre les groupes islamistes d’Occident et de différents pays islamiques s’étaient unis pour aider les musulmans bosniaques. Il ne s’agit donc pas seulement de « nos crétins », mais d’une idéologie qu’il faut reconnaître et combattre, pour protéger la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et l’identité même des Bosniaques, considérés comme un authentique peuple musulman européen.

Au même titre que les enquêtes sur les mouvements de fonds et sur l’octroi de la citoyenneté, la capacité de l’intelligentsia musulmane à prendre la vraie mesure de l’idéologie qui se trouve à la base de ce réel péril pour la Bosnie et les Bosniaques sera essentielle.

 

Bosnie : de plus en plus de femmes du pays victimes de la prostitution forcée
Traduit par Jacqueline Dérens


Mise en ligne : dimanche 24 juillet 2005

Alors que le nombre de femmes étrangères prostituées diminue en Bosnie-Herzégovine, les trafiquants cherchent à attirer les femmes du pays sur le marché. Ces femmes deviennent la proie des trafiquants d’autant plus facilement que le pays connaît une grave crise économique et qu’elles sont ignorantes des dangers.

Par Aida Sunje et Ilda Zorinic

Avec le départ progressif des forces étrangères de maintien de la paix et le renforcement des contrôles aux frontières, la Bosnie-Herzégovine n’est plus une destination rentable pour les trafiquants qui importaient des femmes de l’étranger. Mais si les statistiques officielles notent une chute du nombre de femmes qui entraient clandestinement en Bosnie, les ONG affirment que le problème n’a été résolu pour autant.

« Depuis l’an dernier, nous avons remarqué que les proxénètes s’intéressent de plus en plus aux filles de chez nous. Il est plus difficile ’d’importer’ des filles, alors les maquereaux ’exportent’ des filles du pays », commente Mara Radovanovic, présidente de LARA, une ONG qui s’occupe des droits des femmes à Bijeljina.

Les experts ont constaté le même phénomène. Selma Begic, de la Fondation pour la démocratie locale, une ONG qui s’occupe de la traite des femmes, affirme que la vente des femmes pour la prostitution dans le pays a de nombreux avantages pour les proxénètes. « C’est beaucoup plus facile de vendre des femmes originaire du pays car ils n’ont pas besoin de papiers ou documents ».

Melisa Covic, de l’Organisation internationale des migrations (OIM), ajoute qu’il aussi est plus difficile pour les autorités chargées de faire respecter la loi de savoir ce qui se passe exactement... La nature indétectable et indétectée de ce trafic de femmes à l’intérieur du pays, implique qu’il est impossible d’avoir des estimations fiables du nombre de femmes impliquées, même si tout le monde s’accorde à dire qu’il est en augmentation.

Les chiffres donnés par les autorités gouvernementales et ceux des ONG diffèrent grandement. Samir Rizla, chef de la section de lutte contre la traite des êtres humains au ministère de l’Intérieur d’état, affirme que ses services n’ont enregistré que 20 cas en sept ans, mais la Fondation pour la démocratie locale qui offre un abri aux victimes de cette violence a eu affaire à 9 cas de traite des femmes pour ces deux dernières années seulement.

Difficile évaluation du phénomène

L’OIM, pour sa part, admet 21 cas depuis 2002 dont14 cas pour l’an dernier seulement, ce qui permet d’affirmer que ce trafic augmente. Edin Vranje, qui dirige la section contre la traite des êtres humains au ministère de l’Intérieur de la Fédération, prétend que les ONG dramatisent la situation et créent un vent de panique. Mais les ONG, à cause de leur expérience, pense que la victime moyenne est âgée de 18 ans et vient d’un milieu urbain pauvre et d’une famille instable. Les proxénètes tirent profit de la situation économique qui laisse beaucoup de jeunes sans perspective d’emploi et qui rêvent de partir à l’étranger.

Pour Mirjana Kramer, qui dirige l’ONG Global Transformation of the Family à Tuzla, les trafiquants deviennent de plus en plus imaginatifs pour attirer les femmes. « Cela va des petites annonces dans les journaux pour des emplois de garde d’enfants bien rémunérés, ou pour s’occuper des personnes âgées à l’étranger, aux enlèvements classiques sur les parkings des discothèques ». Mara Radovanovic ajoute que « maintenant, ce ne sont plus des personnes inconnues qui accostent les filles, mais des gens qu’elles connaissent et qui sont connues dans leur quartier. Les maquereaux ont toujours un moyen de parvenir à leurs fins ».

Des campagnes de sensibilisation vers les jeunes et des conférences à l’école sont des moyens qui pourraient aider à réduire la traite des êtres humains. Cette année, le gouvernement va consacrer 15 000 euros pour les activités des ONG et les campagnes publiques pour dénonce ce trafic. Mais ce sont des mesures préventives, qui ne répondent pas aux besoins ders femmes prises au piège de la prostitution et qui veulent en sortir.

Le manque de moyens financiers du gouvernement pour des lieux d’accueil sûrs laissent ces femmes sans beaucoup de solutions alternatives réalistes. Le gouvernement s’en remet aux ONG pour offrir un refuge et des soins à ces victimes. La Fondation pour la démocratie locale était la première organisation à offrir de telles places en 2002. « Nous avons commencé à nous préoccuper de cette question quand une fille est venue nous voir parce qu’elle ne savait pas où aller. Il n’y avait rien alors en Bosnie pour les victimes de la traite des femmes, ni refuges du gouvernement, ni des ONG », se rappelle Sema Begic.

Faibles sanctions légales

Le manque de mesures punitives contre les proxénètes est une autre question. Il n’y a pas de législation spécifique à la traite des êtres humains en Bosnie. Edin Vranje, reconnaît qu’il est difficile de prouver devant un tribunal que ces femmes ont été victimes d’un trafic. Dans la plupart des cas, c’est « parole contre parole ». Les femmes abandonnent souvent la procédure parce qu’elles ont honte ou peur. « Il est difficile de fournir des preuves solides dans ces cas de trafic, aussi les proxénètes sont-ils la plupart du temps accusés de violence physique ou de viol à l’encontre de ces filles. La justice n’est pas vraiment rendue ».

 

Bosnie : après les cérémonies de Srebrenica


Mise en ligne : jeudi 14 juillet 2005

Les cérémonies commémoratives du massacre de Srebrenica de juillet 1995 se sont déroulées à Potocari comme prévu, avec la participation d’une très nombreuse assistance bosniaque - environ 50.000 personnes -, venue une nouvelle fois exprimer sa douleur et sa soif de justice. 610 corps de victimes identifiées ont été mis en terre.

Plus de 500 délégués étrangers, représentants des grandes organisations internationales et d’une cinquantaine de pays étaient sur place, les messages officiels affluant de toutes parts. Ceux qui ont laissé s’accomplir le crime n’ont pu que témoigner leurs regrets, voire leur honte de ce qui s’est passé il y a dix ans. C’est ce mot « honte » qui a notamment été prononcé par le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, pour qualifier l’action passée de la « communauté internationale », mais il serait fastidieux de citer toutes les déclarations qui allaient dans le sens de ce repentir plus ou moins avoué. Carla Del Ponte, procureure en chef du TPI, a préféré manifester sa désapprobation de la carence toujours actuelle, de toutes les autorités, locales ou internationales, à capturer Karadzic et Mladic, en s’abstenant de paraître à Potocari.

La France, représentée par le ministre des affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, ne s’est pas distinguée par l’éclat de sa prise de position. On ne peut s’empêcher de penser que la focalisation sur Srebrenica permet de faire l’économie d’un retour sur l’ensemble des guerres yougoslaves,leur origine, leur déroulement, leur aboutissement, alors que, selon les propos tenus devant la mission d’information parlementaire française par le premier ambassadeur de France à Sarajevo, Henry Jacolin, « ce qui s’est passé à Srebrenica a été, en quelque sorte, un concentré dans le temps (dix jours) de ce qui est advenu dans toute la Bosnie-Herzégovine pendant trois ans, particulièrement à Sarajevo dont le siège a duré trois ans ».

Parmi les personnalités présentes, qu’il soit permis de relever particulièrement celle du représentant de la Pologne,Tadeusz Mazowiecki, un des rares hommes d’Etat qui se soit montré à la hauteur de sa fonction en l’abandonnant lorsqu’il s’est avéré qu’elle ne relevait que de la fiction. L’Association des Mères de Srebrenica et de Zepa lui a remis, à l’occasion de son passage en Bosnie, un prix dont il a reversé le montant à une œuvre d’éducation des enfants de Srebrenica.

Une grande attention a été portée au déplacement du Président de Serbie Boris Tadic, qui avait maintenu sa décision de participer à la cérémonie en dépit des oppositions qu’elle avait suscitées en Bosnie et d’ailleurs aussi en Serbie. Il l’a justifiée auprès de ses compatriotes serbes, la veille de son départ pour la Bosnie, par trois raisons : une considération d’ordre humanitaire, montrer l’opposition des citoyens serbes aux crimes de guerre, favoriser la coopération entre les pays de la région. Son but, clairement affiché, était de dissocier la Serbie des crimes commis par certains de ses représentants, avec l’espoir émis que Mladic serait arrêté dans les prochains jours.

L’opinion et les milieux politiques de Bosnie ont diversement apprécié la démarche du Président serbe, qui s’est prudemment gardé de présenter des excuses en bonne et due forme. Si certains veulent y voir les premiers pas en direction de la reconnaissance de la responsabilité de Belgrade dans la destruction de la Bosnie, d’autres n’y décèlent que le signe d’une habile manœuvre politique pour attirer à la Serbie les bonnes grâces de la communauté internationale et notamment de l’Union européenne, d’autant plus que du côté serbe, la tendance est d’englober le massacre de Srebrenica dans la condamnation indistincte de tous les crimes commis pendant les guerres yougoslaves. La minute de silence observée par l’Assemblée nationale de Serbie l’a été à la mémoire des victimes de Srebrenica, de Bratunac et... des attentats de Londres. Comme s’il leur fallait répliquer à la commémoration de Srebrenica qu’ils estiment avoir été détournée à des fins politiciennes ant-serbes, les autorités religieuses et politiques de la RS ont organisé à Bratunac, avec le soutien de leurs homologues de Serbie, une cérémonie à la mémoire des victimes serbes de la région, qu’ils estiment à 3.000, en demandant que Naser Oric soit inculpé par le TPI de crimes contre l’humanité.

La position des dirigeants de Belgrade est, en fait, loin d’être claire, d’une part parce qu’elle dépend des luttes pour le pouvoir qui se mènent en Serbie, d’autre part parce qu’une lecture lucide du passé y reste difficile. Une chose est de proclamer qu’il n’y pas de culpabilité collective du peuple serbe pour les crimes perpétrés en son nom -c’est une des raisons d’être du TPI -, une autre est de refuser de considérer que les guerres déclenchées par Milosevic l’ont été avec le soutien, à l’origine majoritaire, de l’opinion serbe, y compris de ses élites. Sur ce dernier point, il faut rappeler que la « question nationale serbe », qui a permis le ralliement au régime de Milosevic des secteurs dominants de la société serbe, de son armée, de son Eglise orthodoxe, de ses intellectuels, n’est aujourd’hui pas fondamentalement remise en c ause, ce qui a des conséquences évidentes pour la résolution des problèmes du Kosovo et de la RS. L’influence des courants nationalistes, les « modérés » et les « ultra » ne se distinguant guère sur le fond, demeure suffisamment forte pour empêcher toute nouvelle approche.

Que ce passé continue de peser de tout son poids sur le règlement des questions actuelles se remarque par exemple à propos de la plainte pour agression et génocide déposée par la Bosnie-Herzégovine contre la Serbie-Monténégro devant la Cour Internationale de Justice de La Haye (à ne confondre ni avec le Tribunal Pénal International, ni avec la Cour Pénale Internationale) qui l’examinera à partir de février prochain. D’après l’expert américain de droit international Francis Boyle, interrogé par « Oslobodjenje », cette plainte aurait toutes les chances d’aboutir, ce qui pourrait avoir des conséquences considérables tant du point de vue pécuniaire que de celui du statut constitutionnel de la Bosnie-Herzégovine en raison du caractère dès lors illégitime de la division ethnique du pays. D’après le quotidien de Sarajevo, le membre bosniaque de la présidence collégiale de B.-H., Sulejman Tihic, de même que le Président de Croatie Stjepan Mesic, la Croatie ayant elle aussi déposer une plainte pour agression serbe devant la même juridiction, aurait refusé de prendre en considération une proposition d’arrangement en dehors de la CIJ formulée par Jack Straw, au nom de l’Union européenne et des Etats-Unis.

 

ONG de femmes en Bosnie : être « viable », c’est pas si facile
Traduit par Mandi Gueguen

Publié dans la presse : 15 juin 2005

C’est le mot magique pour les ONG des Balkans. Soutien éventuel. Bien peu nombreuses sont les organisations qui ne dépendent pas de financements internationaux et qui ne subissent pas leurs actuelles réductions drastiques. Des ONG de femmes en Bosnie se heurtent ainsi à de telles difficultés, alors qu’à la fin des années 1990, la Bosnie était une « zone de conflit très sexy »...

Par Mindy Kay Bricker

Près de 20 membres bosniaques d’une association de femmes se dirigent en bus vers Sarajevo pour une rencontre dans la section locale du Comité Helsinki. L’ambiance est détendue, mais à l’arrivée aux bureaux du Comité Helsinki, le sérieux regagne ces femmes, membres de Sumejja Kolo, un groupe de femmes basé à Novi Travnik qui s’occupe de soutenir les victimes de traumatismes de la guerre.

Elles écoutent l’intervention de Zivica Abadzic, secrétaire générale du Comité Helsinki, sur la situation des femmes dans la Bosnie actuelle : dans un pays où la guerre est finie depuis dix ans, on estime que 55 % des femmes ont été victimes d’une quelconque violence domestique ; 45 % des chômeurs sont des femmes ; 5-6 % des fillettes et des jeunes filles ne sont pas inscrites à l’école obligatoire. Beaucoup de femmes souffrent encore aujourd’hui les traumatismes de la guerre, dont toutes celles qui sont réunies autour de la table.

Tous ces pourcentages ne sont que des estimations, rappelle Zivica Abadzic, mais ce n’est pas le cas lorsqu’elle évoque « la mort du féminisme », en se référant à l’absence de solidarité entre les femmes du pays pour changer des statistiques aussi dramatiques. À juger du silence dans l’assistance, c’est une constatation juste et sans controverse.

Il n’y a aucun mouvement féministe en Bosnie, continue Zivica Abadzic. Il y a, en revanche, une « scène féminine » qui comprend quelques personnalités académiques et des ONG, comme celle de Sumejja Kolo, qui se battent pour la conscience et la parité des sexes.

Trop peu, trop tard

Le défi d’améliorer quelques statistiques, déjà dur en soi, se complique encore avec les difficultés croissantes à trouver des donateurs internationaux et locaux qui permettent à ces ONG de continuer leurs activités. A la fin des années 1990, selon Valery Perry, doctorante auprès de l’Institut pour l’analyse et la résolution des conflits de George Mason University, la Bosnie était une « zone de conflit très sexy », qui attirait l’aide internationale. Valery Perry, vit et travaille en Bosnie depuis 1999, et elle rappelle que désormais les donateurs internationaux partent et délocalisent leurs fonds vers l’Irak ou dans d’autres zones de conflit.

Dix ans ont passé depuis la fin de la guerre et la Bosnie est un pays en transition où, comme dans beaucoup de pays en transition sans économie de marché très développée, « la position sociale des femmes va en s’aggravant et s’accompagne de discrimination à l’égard des femmes ». Ceci est confirmé dans une recherche présentée par une coalition de ONG bosniaques l’année dernière auprès de CEDAW, la convention de l’ONU sur la discrimination des femmes. « C’est exactement ce qui arrive aux femmes en Bosnie et Herzégovine, de nos jours », affirme Valery Perry.

Danica Anderson, psychothérapeute légale américaine qui collabore et forme les membres de l’association Sumejja Kolo, affirme être « souvent frappée par la stupidité avec laquelle les hommes comprennent les mécanismes de financement, d’allocation du travail et du réseau ». Les femmes dirigeant des ONG ont souvent survécu à la guerre et se démènent pour gérer leur vie familiale, et souvent arrivent trop tard pour recevoir des fonds ou pour participer aux appels d’offre.

Même si le nombre des ONG de femmes a augmenté depuis 1999, elles représentent une faible part du secteur non lucratif. Selon les estimations de l’International Council of Volountary Agencies (ICVA), seules 4 % des ONG sont constituées de « groupes de femmes », contre 16 % cinq ans plus tôt.

« Malgré cela, il a fallu des années pour que les survivantes de la guerre trouvent assez de souffle et d’espace pour s’occuper, en plus des questions de traumatisme et de la récolte des fonds », rappelle Danica Anderson.

Le combat continue

Malgré l’absence de statistiques officielles de l’ICVA, les ONG de femmes en Bosnie Herzégovine sont estimées à 60. Parmi elles, il y a l’association de Medica Zenica, un groupe connu dans tout le pays pour ses thérapies contre les traumatismes de la guerre et pour l’activité de conseil et d’assistance dans les affaires de violence familiale.

Deux types de traumatismes, ceux de la guerre, et ceux de familles qui subissent la violence, étroitement liées en Bosnie. Dans leurs déclarations dans les rapports de la Banque Mondiale, les membres de l’équipe Medica s’accordent à dire qu’une série de raisons mène vers la violence familiale : les traumatismes reliés à la guerre, au chômage, à la pauvreté, à l’alcoolisme.

Senada, qui veut rester anonyme, a quitté son mari novembre dernier et s’est dirigée vers Medica. Pendant les trois premiers jours elle a emmené au foyer de Medica son fils cadet, et elle pensait ensuite retourner chez elle pour pouvoir s’occuper des deux autres.

Son mari a combattu dans la guerre de 1992-95. « Après la guerre, il ne supportait plus les enfants », dit-elle. « Il était nerveux et en colère et ne pouvait supporter ses propres enfants ». Elle a décidé de se séparer après 18 ans de mariage, quand son mari a menacé de les tuer tous.

Entre 1993 et 2003, Medica a assuré le refuge à 654 femmes et 330 enfants dans trois foyers. En 2002 elle a accueilli 116 femmes et enfants. En 2003, ils n’étaient que 39 et une des trois foyers a fermé.

« Tout le monde nous soutient en paroles, mais personne financièrement », affirme Mirha Pojskic, spécialiste de Medica pour les traumatismes psychologiques reliés à la guerre. « Notre gouvernement n’a pas l’argent ou la conscience de nous financer ».

Medica est bien occupé déjà avec une diminution de 13 % des financements - son budget annuel est de près de 14 000 dollars, et dans les prochaines années une autre diminution de 50 % est attendue.

« Nous recherchons d’autres financements, mais en vain », affirme Pojksic en ajoutant que la majorité de leurs financements vient de donateurs internationaux. Ses dires font écho à ce que vient d’affirmer un rapport de l’USAID : « La capacité financière du secteur des ONG (en Bosnie) dépend encore fortement de la communauté des donateurs internationaux. Beaucoup d’organisations survivent grâce à l’apport de bénévoles avec un budget très limité ». Parfois, ces ONG, survivent sans aucun financement.

Quand les fondateurs de Medica commencèrent leur activité en 1993, il leur arrivait même de travailler sans la moindre compensation, rappelle Mirha Pojksic, en ajoutant qu’ils n’hésiteraient pas à le refaire. C’est la volonté de transformer une ONG en quelque chose « pro bono » , affirme Zivica Abadzic du Comité Helsinki, qui lance un message ambigu au gouvernement. « Malheureusement les membres de ces ONG travailleront jusqu’à ce qu’il y ait une financement minimal, négligeant même leurs salaires et devenant chômeurs », dit-elle. Et le gouvernement en profite. Si les politiques savent qu’ils ne doivent pas dépenser de l’argent sur les violences domestiques, car ces femmes suivront le problème avec ou sans rétributions, il y a peu de motivation à intervenir et à aider.

Cette tendance à profiter des groupes les plus enracinés sur le terrain est présente même dans la communauté des ONG. Lorsque les membres de Medica ont visité la région de Travnik, où opère l’association Sumejja Kolo, ils ont été frappés de voir le suivi efficace des femmes qui avaient subi des traumatismes reliés à la guerre. Par conséquent, Medica n’a pas cru nécessaire de commencer à opérer dans une zone où quelqu’un d’autre travaillait déjà bien.

De l’argent au compte-goutte

L’Association Sumejja Kolo, ne compte pas parmi ses membres d’académiciens ou des chasseurs de primes, mais plutôt des personnes d’âge mûr, des travailleuses qui ont un sens inné de compréhension des femmes et ont appris à connaître les mécanismes de la guerre. Ils ne peuvent se permettre un lieu de retrouvailles régulières, et personne n’est rémunérée par l’association ; la majorité des femmes ont plus d’un travail (jusqu’à 5). De plus elles se déplacent dans toute la zone en fournissant assistance et thérapie dans les maisons, les cafés et les camps de réfugiés. Les maigres financements reçus, le sont grâce aux efforts de Danica Anderson, qui forme ces femmes depuis 1999. Dans ce climat de pénurie de financements, elle ramène pratiquement l’argent « dans ses propres mains » pour l’association lors des trois voyages annuels à Novi Travnik.

« J’ai fait tout cela par le bouche-à-oreille entre les femmes qui me donnent 5 à 10 dollars chacune. Nous avons récolté à la hâte 1000 et puis 3000 dollars. C’est comme faire saigner la pierre », dit-elle.

Lors de son voyage novembre dernier à Novi Travnik, avec Sana Koric, présidente de Sumejja Kolo, elles ont fait les comptes sur la table de la cuisine de Sana Koric, une pile d’enveloppes avec l’argent à mettre à la banque, une autre avec de cartes de remerciement. Les enveloppes contenaient les billets de 5, 10 et 20 dollars et les photos des collégiens américains qui les avaient donnés. Après le décompte, les deux femmes ont discuté des manières de contacter les donateurs internationaux pour leur demander des fonds. Mais rien de nouveau n’a émergé.

« J’aimerais revenir ici un jour en vacances », affirmait Danica Anderson, avec une pointe d’ironie. Ce scénario pourrait devenir possible seulement si l’association parvenait à cet objectif mystérieux suivi de toutes les ONG : un éventuel soutien.

Dans son rapport pour USAID, « L’après : les femmes et les organisations de femmes en Bosnie Herzégovine après le conflit », Marta Walsh a forgé le terme de « darwinisme du développement », sous-entendant que « les ONG les plus fortes survivront, tandis que les plus faibles sont destinées à disparaître ou à rejoindre à d’autres groupes ». Elle a mis l’accent sur ce que les organisations de femmes ont créé des liens internationaux « le soutien a été développé à l’extérieur de la communauté des donateurs en Bosnie, et pour cela elles pourraient survivre à l’inévitable diminution des fonds ».

L’écheveau du soutien éventuel

Mais cela pourrait ne pas être suffisant pour les rendre viables. Dans le monde des ONG, le soutien éventuel est la mesure de la dépendance d’une organisation de l’aide extérieure, soit en termes de promotion de nouvelles initiatives, soit de prise de décisions et, naturellement, de financements. Par rapport à d’autres États nés de la désagrégation de l’ex-Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine est à un niveau assez bas concernant le soutien éventuel, affirme un rapport de l’USAID de 2003. Elle ne devancerait que le Monténégro et le Kosovo. Mais même au Monténégro, le ministère de l’Intérieur a consulté les ONG de femmes quand il a voulu imposer les lignes de guide et de formation des policiers qui devraient s’occuper de violences domestiques. En Croatie, les ONG de femmes restent les réseaux les plus forts malgré la faiblesse générale du secteur non lucratif. Mais il y a des exceptions, les femmes bosniaques ont utilisé leurs relations internationales pour créer du soutien éventuel.

Artisanat Bosniaque, une ONG siégeant à Tuzla créée pour s’occuper aussi des traumatismes reliés au conflit, a commencé à se préparer à cela dès la fin 1999, lorsqu’elle se séparait de son donateur officiel, le Norwegian People’s Aid. Le groupe a utilisé l’aide internationale pour garantir un prêt bancaire et pour favoriser un autosoutien complet, objectif atteint à 80 %.

Un bureau dirigé par six femmes coordonne l’activité de 200-300 autres femmes dans tout le pays, transcendant toute appartenance religieuse ou politique, et gère les relations avec les hommes d’affaires et acheteurs dans le monde entier. Ces femmes réussissent à joindre les deux bouts grâce à leur habilité à tricoter : elles fabriquent des chaussons, des chemises, des vestes, des bérets, des gants et des sacs.

« Si l’on peut payer ces femmes de leur travail, cela leur profite, elles gagnent en confiance en elles-mêmes et s’estiment plus », affirme dans une interview téléphonique Lejla Radoncic, directrice de l’Artisanat Bosniaque. Même si le groupe a été créé pour dépasser les traumatismes de la guerre à travers le travail, l’objectif principal est celui d’affronter « un des principaux problèmes de la Bosnie : le taux élevé de chômage », affirme Lejla Radoncic. La majorité des femmes s’appuient sur l’Artisanat Bosniaque seulement pour avoir un revenu supplémentaire, un travail à temps partiel. Qui travaille à temps plein gagne jusqu’à 200 dollars par mois.

L’année dernière l’organisation a fait 350 000 dollars de chiffre d’affaire. Un moment important de collecte de fonds est pendant le festival de film annuel « Sundance Robert Redford », dans l’Utah.

Depuis la première initiative en 2003, Radoncic rappelle cette commande 30 000 dollars, et l’année dernière le montant a atteint 160 000 dollars. De plus, pendant un an, l’organisation travaille avec deux distributeurs français.

Regardant le succès de l’organisation, Lejla Radoncic, est modeste. « Nous n’avons fait qu’utiliser nos connaissances et un peu de créativité ». A la demande d’une estimation du panorama des ONG de femmes en Bosnie, elle ne recule pas. « Elles dépensent souvent trop d’argent sans aucun résultat derrière », affirme-t-elle. « Sans soutiens éventuels, elles ne peuvent pas y arriver ».

 

Massacres de Srebrenica : arrestation des anciens « Scorpions »
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 4 juin 2005
La police a jusqu’à maintenant arrêté 10 personnes identifiées d’après l’enregistrement vidéo de l’exécution de six civils comme étant des membres de la formation « Scorpion ». L’une d’elle a été arrêtée en Bosnie, dans la région de Sarajevo. Deux personnes sont encore recherchées par la police, mais elles seraient à l’étranger.

Par Branislav Boskov

En confirmant l’information sur ces arrestations ce vendredi, Jasna Jankovic, responsable pour les relations publiques au sein du Tribunal pour les crimes de guerre de Belgrade, a précisé que sur l’enregistrement en question on voit « l’acte criminel qui a eu lieu à un kilomètre de distance du village de Trnovo, près du centre de ski de Jahorina [1]... ». Parmi les victimes, quatre sont mineures et deux hommes sont âgés de moins de 30 ans. Tous venaient de la région de Srebrenica.

« Avant d’être fusillés, ces gens ont été maltraités et torturés. Toutes les victimes de la vidéo ont été identifiées. L’enquête et l’action de la police sont toujours en cours et la collaboration du Tribunal avec les forces de la police (MUP) s’est cette fois-ci montrée impeccable », a affirmé Jasna Jankovic.

L’enquête sur les personnes arrêtées est lancée sous la présomption qu’ils ont commis une infraction au Code criminel, qui sanctionne les crimes de guerre contre la population civile.

Bruno Vekaric, le porte-parole, a souligné qu’en raison de la présomption que ces personnes ont participé à l’exécution des Musulmans de Srebrenica, le Tribunal pour les crimes de guerre de Serbie a formulé une requête auprès du Conseil pour les crimes de guerre pour lancer une enquête contre sept des dix personnes arrêtées, alors que les trois autres personnes identifiées sont en fuite. Bruno Vekaric a ajouté que les organes compétents sont au courant de la date de l’exécution ainsi que du fait que l’enquête continue.

Selon les informations provenant de la part de Natasa Kandic, directrice du Fonds pour le droit humanitaire de Belgrade, les Scorpions ont participé à des opérations de guerre en Croatie, en Bosnie et Herzégovine et au Kosovo, portant souvent des uniformes différents.

De la part des membres mêmes de la formation, Natasa Kandic a appris que, dans les années 1991 et 1992, les Scorpions ont fonctionné en tant qu’unité de la Sécurité d’État et que, pendant la guerre de Croatie, leur base se trouvait à Djelatovci, en Slavonie orientale, où se trouvent les dépôts de pétrole qui représentaient la source de financement de cette formation.

À l’époque du cataclysme de Srebrenica, les Scorpions partent d’abord sur Jahorina, ensuite sur Treskavica. On leur donne ordre d’enlever leurs uniformes mais, à l’époque des arrestations des civils et de leurs exécutions, ils sont tous à Treskavica, habillés en uniforme de la police de République de Serbie, les têtes coiffées de bérets rouges.

Interrogée pour savoir pourquoi aucun des membres de cette formation n’a jamais été inculpé mais, au contraire, ils ont tous joui de différents privilèges, Natasa Kandic répond : « Leur position privilégiée a été garantie par ceux qui s’enrichissaient en faisant du commerce avec le pétrole que les Scorpions gardaient en Croatie ».

Les Scorpions sont devenus connu en Serbie par un public plus large l’année passée, après le début du procès pour la tuerie de plusieurs familles à Podujevo, au Kosovo, en 1999, quand Dejan Anastasijevic, journaliste de l’hebdomadaire Vreme, a rappelé que « les membres de cette unité, avec la même équipe en tête, ont également combattu en Bosnie mais qu’ils étaient déjà connus à l’époque de Vukovar. »

Pendant le procès pour les massacres de Podujevo, Slobodan Medic a expliqué que cette formation avait été formée en 1991 au sein de l’Armée yougoslave, comme une unité régulière qui a été engagée en Bosnie-Herzégovine ainsi qu’en Croatie.

Un membre de l’unité « Scorpions » a été arrêté dans la région de Sarajevo

Dans une action coordonnée par les membres de l’Agence pour l’enquête et la protection de Bosnie-Herzégovine (SIPA) et les représentants du ministère de l’Intérieur du Canton de Sarajevo, vendredi vers midi, une personne a été arrêtée comme étant en lien direct avec les crimes de guerre commis par les membres de l’unité « Scorpions » dans la région de Trnovo en juillet 1995.

Cette information provient du Département spécial pour les crimes de guerre du Tribunal de Bosnie et Herzégovine, avec mention que l’arrestation a été effectuée dans la région de Sarajevo, qu’elle s’est passée tranquillement, sans utilisation de force ou autres moyens coercitifs.

La personne en question a été conduite dans le Tribunal de Bosnie-Herzégovine, où elle sera questionnée par le juge compétent, suite à quoi les mesures et actions nécessaires prescrites par la loi seront entreprises.

Les activités liées à l’éclaircissement de ce crime de guerre dans la région de Trnovo ont été entreprises par l’équipe d’investigation du Département spécial pour les crimes de guerre du Tribunal de Bosnie-Herzégovine, immédiatement après le passage de la vidéo montrant l’exécution de six jeunes hommes de Srebrenica, confirment les sources de l’intérieur du Tribunal.

Les noms sont connus

Les noms des personnes arrêtées ne sont pas rendus publics. Cependant, au sein du Tribunal de la Haye, en se basant sur les enregistrements, on a reconnu le commandant des « Scorpions », Slobodan Medic Boca ainsi que Branislav Medic Cipa, Nikola Kovacevic Nikica, Zoran Bojic, Dragiša Milenkovic Žaba, Pero Opacic Coke, Slobodan Davidovic, Petar Dimitrovic, Slobodan Stojkovic, Pero Petraševic, Milorad Monic Šiptar, Aleksandar Medic et Srdjan Manojlovic.

Selon des informations officieuses, les premiers à être arrêtés ont été Aleksandar Medic et Pero Petrasevic, ainsi que le commandant Slobodan Medic.

La télévision serbe B92 a publié l’enregistrement sur lequel on peut voir Slobodan Medi et Milorad Ulemek Legija [2] à l’époque où ils combattaient au côté de Fikret Abdic [3] contre les forces de l’Armée de Bosnie-Herzégovine.


[1] à côté de Sarajevo

[2] en cours de jugement à Belgrade pour le meurtre de Zoran Djindjic

[3] leader musulman sécessioniste de la région de Bihac

 

Restitutions des propriétés en Bosnie : l’incertitude prédomine
Traduit par Lejla Sadovic


Mise en ligne : samedi 21 mai 2005

Le problème des biens nationalisés et confisqués n’est pas encore réglé en Bosnie-Herzégovine. Une Commission pour la restitution a été créée. D’ici le 1er juin, elle devrait proposer un texte de loi sur la restitution. À l’État ensuite de choisir entre une restitution matérielle du bien ou un dédommagement financier pour les anciens propriétaires...

Par Faruk Boric

Dans les années 1950, Drago et Antonija Bozja ont emménagé dans un appartement de la rue Odobzdin, à Sarajevo, lorsque leur ancien appartement du quartier Bjelava est devenu trop étroit pour eux. C’est dans ce logement qu’ils ont fêté la majorité de leur fils et leurs noces d’or. C’est là aussi qu’ils ont survécu à neuf bombes provenant de Borija et qui ont touché leur immeuble. S’ils ont accepté de vivre tout cela, c’est pour que leurs vieux jours de retraités s’écoulent dans l’insouciance.

Cependant, l’immeuble qu’ils habitent fait parti de ceux inclus dans le plan de restitution. « J’ai investi près de 30 000 KM (15 000 euros, NdT) dans cet appartement avant la guerre, mais j’ai arrêté de compter l’argent que j’ai du investir pendant et après le conflit » déclare Drago Bozja.

Avant la guerre, cet immeuble était habité par cinq familles. Aujourd’hui, il ne reste plus que les Bozja qui attendent une solution : soit la possibilité de racheter leur propre appartement, soit un appartement de « substitution », ce à quoi ils sont également disposés.

« Qu’ils trouvent une solution pour que je puisse aussi avoir le droit d’investir 40 000 KM dans un certificat d’achat de propriété. S’ils le voulaient vraiment, la mairie ou toute autre institution d’Etat pourrait rapidement résoudre cette question. Toutefois, ils ne peuvent pas nous confisquer, à Antonija et moi, les deux appartements qui nous attendent dans le quartier des Barama, pour lesquels nous avons régulièrement cotisé », conclut Drago Bozja avec conviction.

Le cas de la famille Bozja n’est pas isolé. Des milliers de familles dans des situations semblables sont en attente et craignent pour leur futur en se demandant ce que la loi sur la restitution va leur apporter, si cette dernière est votée : « le droit de racheter leur appartement, ce qui réglerait une fois pour toute leur problème d’habitation, ou bien un avis d’expulsion. De leur côté, les propriétaires des biens confisqués et nationalisés sont également très intéressés par les solutions que cette loi devrait apporter.

Différences ethniques

Avant même que l’on ne commence à penser aux éventuelles solutions à apporter à ce problème à une échelle nationale, tout s’est déjà compliqué au niveau ethnique. La loi sur le rachat des propriétés de la Republika Srpska a permis à tous ceux qui étaient dans leur bon droit de racheter leurs appartements, incluant également les logements inclus dans le programme de restitution. L’ancien Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, Wolfgang Petritsch n’a que tardivement annulé cette loi. Les appartements étaient déjà rachetés par leurs occupants et le retour en arrière devenait ainsi impossible !

Pendant plusieurs années, des solutions différentes pour régler le problème de la restitution ont été proposées en Fédération croato-musulmane, comme une pré-condition pour la privatisation. Cependant, ceci n’a jamais été écrit dans une loi particulière, même si l’article 47 de la loi sur le rachat d’appartements de la Fédération stipule que le rachat des appartements nationalisés est impossible.

Mladen Bevanda, le président du groupe de coordination de l’association des citoyens pour la protection des propriétaires des appartements nationalisés et privés (udruzenja gradana za zastitu nosilaca stanarskih prava na nacionaliziranim i privatnim stanoviama), « Dom », considère qu’une discrimination est exercée envers cette catégorie d’habitants par rapport aux autres citoyens qui ont pu racheter leurs appartements. En principe, ils ne sont pas intéressés par la restitution mais uniquement par le rachat des appartements dans lesquels ils vivent. Et selon ses estimations, ils seraient plus de 18 000 à être dans cette situation !

« D’après les textes de la Convention des droits de l’homme, et ceux du Tribunal constitutionnel de la Bosnie-Herzégovine, le droit à la propriété a été explicitement reconnu. Ceci concorde avec la Convention européenne sur les droits de la personne », argumente Mladen Bevanda avant de rajouter que la Bosnie-Herzégovine, malgré les recommandations du Haut représentant, n’a pas rempli ses obligations en matière de restitutions.

Injustice pour tous ?

D’un autre côté, les propriétaires rassemblés au sein de l’Association des citoyens pour la protection des propriétaires des appartements nationalisés et privés, ainsi que l’explique Nasih Rasidagic, membre du comité de coordination, attendent que la Commission pour la restitution, formée par le collège des Ministres, apporte une proposition de loi sur une restitution naturelle, seule possibilité pour eux, malgré une situation économique et financière difficile.

« Nous ne sommes pas en guerre avec les occupants des propriétés nationalisés. L’État doit prendre en considération les réclamations justifiées des occupants des appartements nationalisés et leur donner la possibilité, comme aux autres citoyens de Bosnie-Herzégovine, de racheter d’autres appartements issus des fonds d’État. Nous ne souhaitons pas que l’injustice exercée sur nous, se rapporte sur eux. L’État a la possibilité de satisfaire ces citoyens en prenant de ses fonds propres les 7 à 8000 appartements pour lesquels une demande de rachat n’a pas été souhaitée. », déclare Nasih Rasidagic en basant son argumentation sur les données que son association possède sur les appartements nationalisés.

D’après les recensements, la Fédération BiH compte 3 555 appartements nationalisés, et sur 477 de ceux-ci ne pèsent pas de droits à la propriété (sans propriétaires). Le plus grand nombre d’appartements nationalisés à Sarajevo se trouvent dans la commune du Centre (1800), puis dans celle de Stari Grad (825), qui compte la quasi-totalité des appartements sans droits à la propriété (467 des 477). Dans la commune de Novo Sarajevo, il existe 190 appartements nationalisés, tandis que la commune d’Ilidza n’en compte que 17. En dehors du Canton de Sarajevo, par ordre décroissant d’appartements nationalisés, on trouve les villes de Mostar (89), Ljubuski (36), Travnik (33), Konjic (21) ...

Ceci confirme les affirmations de Nasih Rasidagic, disant que ce problème doit en priorité se résoudre au niveau du Canton de Sarajevo. Peu importe l’issue, Nasih Rasidagic fait confiance au travail de la Commission représentée par son président Mustafa Begic et les autres membres que sont Semiha Borovac, Ljerka Maric, Ilija Filipovic Colakhodzic, Branko Krsmanovic, Dusko Medic, Milenko Cvijan et Ranko Sehovac.

Contrairement à Nasih Rasidagic, certains membres de l’association Dom ne sont pas confiants quant à l’objectivité de certains représentants de la Commission. Semiha Borovac, la nouvelle maire de Sarajevo, également député au Parlement du canton, semble pour la restitution mais par la petite porte, et ce avant l’adoption d’une loi.

D’après les amendements qu’elle aurait proposé au projet de loi sur l’achat des bureaux et autres infrastructures de travail, les propriétaires de ces biens et leurs héritiers légitimes sont exempté du rachat de leurs propriétés. Cependant, une partie du rachat sur les bureaux et autres infrastructures de travail revient à la mairie à raison de 10%, selon la règle d’achat d’une tierce personne, et une autre partie revient au propriétaire ou à son héritier légal. Mais, Mme Borovac nous a expliqué que sa proposition n’avait rien de spécial, « car toutes les communes ont réglé cette problématique de cette manière ». Toutefois, pour que sa proposition ne soit pas mal comprise, Semiha Borovac a décidé de la retirer.

Des signatures et des lois

L’association Dom doute également de l’objectivité de Ibrahim Colakhodzic, le vice président de l’assemblée de la Communauté islamique, en tenant compte de son intérêt personnel et purement subjectif. Par ailleurs, Dragan Vrankic et Ljerka Maric « doivent dire en tant que Ministres que l’État n’a pas d’argent, comme c’est le cas », soulignent les membres de Dom.

Mustafa Begic affirme cependant que rien n’est encore certain : « Nous avons écrit une fiche de réclamation qui doit être remplie par tous ceux qui demandent une restitution d’un quelconque bien, afin que nous disposions de données précises. La Commission n’a pas encore commencée à désigner les éléments faisant partie de la restitution, ni le moyen dont ces éléments seront dédommagés : en nature, financièrement, etc. À l’exemple de nos voisins et des autres pays en transitions, nous allons analyser toutes les possibilités ». En ce qui concerne les appartements, Mustafa Begic fait également confiance aux élus de l’Etat pour cette mission. Il suppose que la solution se trouve dans la restitution naturelle des biens confisqués, même si une telle décision ne convient pas à de nombreuses organisations étrangères, comme le FMI (Fond Monétaire International).

Député au Parlement de Bosnie-Herzégovine et président de la commission des Affaires juridiques de la Chambre des représentants, Mirsad Ceman estime que la Commission a deux possibilités. La première est d’adopter une toute nouvelle loi, ce qui lui semble être le plus probable ; la deuxième serait de changer la proposition de loi déposée par le député Nikola Spiric.

Mirsad Cerman dit comprendre les préoccupations de tous les citoyens : « Je tiens à annoncer tout particulièrement qu’il est grand temps qu’une solution au problème sur la restitution soit apportée. Un proverbe est bien connu par ici : L’incertitude fait plus de mal que la vérité. ».

Mais le problème, c’est que la vérité est bien incertaine !

À qui appartient la Bascarsija ?

En déclarant que « les bureaux et les autres infrastructures de travail seraient rendues en nature », le président de la Commission pour la restitution, Mustafa Begic, a soulevé la colère des membres de la confédération syndicale des commerçants et artisans de « Stari Grad ». Le conflit porte sur la propriété des nombreuses échoppes du quartier traditionnel de Bascarsija.

Enver Alihodzic, le président de ladite confédération, qui a hérité d’une boutique au coeur de la Bascarsija, estime que de grands changements sociaux et économiques sont à craindre si cette décision venait à se confirmer.

« Ils disent peu importe à qui on devra payer le loyer, à la Mairie ou à truc muche qui est pour cette loi. Mais c’est faux car un particulier peut dicter selon son envie le loyer de nos boutiques. Aujourd’hui, la moitié des locataires de boutiques versent leurs loyers à la mairie, l’autre moitié à des particuliers. La mairie nous assure un tarif fixé à 20 KM par mètre carré, tandis que les particuliers ont fixé ce tarif à 40 KM. Une partie des locataires s’est révoltée et les particuliers ont été obligés de baisser leurs tarifs. Mais que se passera-t-il si toute la Bascarsija devait un jour appartenir à des particuliers ? », se demande Enver Alihodzic.

Il estime que la solution idéale pour les actuels locataires réside dans le rachat de leur boutique aux éventuels propriétaires. Par ailleurs, il doute que les propriétaires peuvent récupérer leurs boutiques, en nous montrant un document stipulant que les anciens propriétaires étaient en majorité des Juifs et une famille Serbe !

 

Bosnie-Herzégovine : une jeunesse victime de la haine
Traduit par Ursula Burger Oesch

Publié dans la presse : 21 avril 2005

Ceux à qui on essaie d’imputer la responsabilité des événements de Manjaca et de Bileca [1] avaient à peine quatre ou cinq ans quand le délire nationaliste a commencé en Bosnie. Il ne se souviennent pas de ce qui existait auparavant. Qui leur explique les maux dont souffre le pays ? Leurs parents, des manuels scolaires imprégnés de haine et des professeurs frustrés...

Par Zeljko Kopanja

Commençons par le début. Pour cet incident, si l’on peut parler d’un incident, à l’occasion du serment des soldats de la classe du mois de mars de l’Armée de Republika Srpska, ce sont les officiers qui doivent être tenus pour les premiers responsables, et cela surtout s’il est confirmé que, comme lors des répétitions de la cérémonie, ils ont donné l’ordre de taire « Bosnie et Herzégovine », et de crier « Republika Srpska ».

Mais, hélas, ce ne serait pas si grave si tout cela avait seulement été inventé par quelques officiers. À ce compte-là, on identifierait les responsables, on les chasserait de leurs positions, on les punirait et ce serait la fin de l’histoire. D’ailleurs, parmi eux, il y en a beaucoup qui ont déjà prêté serment à une autre armée, qui dans son appellation contenait l’attribut « populaire » [2], et qui, après ce serment, ont saisi leurs armes et se sont mis à tirer sur ceux avec qui, la veille encore, ils partageaient leur quotidien. Il y a bien longtemps, quelqu’un a dit que la guerre est une chose trop sérieuse pour que les généraux s’en occupent. Et la politique alors ? Si ce sont donc les officiers qui ont décidé de pousser ces jeunes hommes, dont certains ce matin-là se sont rasés pour la première fois de leur vie, dans cette folie, ils se sont décidé, les coudes tranquillement plantés sur le comptoir au fond de la salle, pour une bataille lamentable de nature politique. Voilà en ce qui concerne les officiers. Et s’il s’agit des soldats ? Et si ce sont des soldats qui ont décidé d’agir de leur propre chef ? Il est facile de conclure qu’il s’agit d’un complot, d’une conspiration, d’une protestation. Si cela est vrai, il est à ce moment-là logique de se poser la question de savoir pourquoi ces jeunes hommes protestent, en tenant cependant compte du fait incontournable qu’ils ont passé toutes les années de leur vie dans une ambiance de guerre ou d’après-guerre. Il s’agit donc d’une génération qui, au lieu d’aller au jardin d’enfants, descendait dans les caves. Ce sont les enfants qui, depuis leur plus jeune âge, ont vécu dans la haine et l’hostilité. Ce sont des enfants dont les parents se sont fait promettre par Radovan Karadjic, pour leurs mérites pendant la guerre, une forêt dans laquelle, probablement, celui-ci désormais se cache.

Les seuls voyages auxquels ils ont eu droit dans leur vie avaient pour but Arandjelovac, les monastères de Serbie et éventuellement la côte monténégrine. Pour eux, une station comme Bled en Slovénie est plus éloigné que ne l’étaient les fjords de Norvège pour leurs mères et leurs pères. C’est une génération privée de visas et de vision.

Leurs études passées et actuelles se basent sur des manuels dans lesquels, avant que les étrangers n’aient pris les choses en mains, on semait la haine. Ces manuels ont souvent été écrits par des personnes à moitié illettrées contentes de partager leurs rémunérations avec les ministres. Ils sont également accueillis dans des universités fondées sans aucun plan logique, par des professeurs corrompus aux faux diplômes.

La majorité de leurs parents sont au chômage parce que leurs usines ont été volées par des magouilleurs. La seule carte de crédit qu’ils ont eu l’occasion de voir est celle de l’abonnement mensuel pour les bus. Ce sont des gens à qui on a interdit la fête de Nouvel An le 31 décembre, fête pourtant fêtée partout dans le monde [3]. Ces gens ont compris le message : un match a lieu pour que les nôtres et les leurs se cassent la gueule.

Leurs idoles sont les criminels qui conduisent des voitures de luxe, et le seul espoir de trouver un emploi repose dans l’ami de leur père qui est propriétaire d’un bar. Leurs mères sont les plus belles du monde mais n’ont pas d’argent pour cacher leurs premiers cheveux blancs. Leurs sœurs vivent dans le risque quotidien où une simple sortie de jeune fille peut devenir le premier pas dans le monde du « sponsoring ».

Ce sont les enfants de ceux qui à l’époque se faisaient des tatouages « JNA, telle ville, telle année » sur leurs bras en prêtant serment à une armée qui s’est brisée sur une base nationaliste comme une ceinture sous le poids du ventre d’un gardien de nuit. Ils sont nés à l’époque où le comble de patriotisme consistait à boycotter les produits slovènes. Comme héros, nous leur imposons des assassins. Soyons francs : on leur a menti sur tout. On a également, incidemment, renvoyé la faute sur la Bosnie-Herzégovine. Car, s’il n’y avait pas de Bosnie...

La loi contre laquelle ils ont commis une infraction a été bien votée par quelqu’un. Quelqu’un a également marqué des points politiques, a mis son uniforme de réformateur et a surpassé ses adversaires politiques. Tout cela s’est fait pratiquement en cachette, comme il est typique pour les messages officiels. Soit. Mais, on ne peut pas éluder la question suivante : pourquoi est-ce que ces mêmes personnes qui ont harmonisé les lois qu’ils proscrivent avec le texte du serment n’ont-ils pas trouvé quelques minutes pour sortir devant les rangs et dire à leurs enfants : « Nous avons voté la loi qui proscrit un tel serment parce qu’il s’agit de notre pays, et parce que c’est la seule façon qui nous permette de l’ouvrir au monde » ? Pourquoi avaient-ils tous d’autres chats à fouetter ce jour-là, les députés du Parlement de Bosnie-Herzégovine, en passant par les représentants du gouvernement de la RS jusqu’au Président de cette RS ? Il n’y a pas si longtemps, ce genre de cérémonies solennelles attiraient la foule de ceux qui voulaient se montrer et se faire photographier fiers de leur présence.

Comment ne pas se douter que ces responsables politiques savaient ce qui allait se passer ? Comment ne pas reconnaître l’hypocrisie qui se résume dans le raisonnement suivant : « nous allons voter cette loi, l’harmoniser, satisfaire les internationaux, et ensuite toutes les fautes seront mises sur le dos des enfants ». D’ailleurs, quelle sera l’opinion de ces jeunes gens sur cette affaire dans laquelle ils ont été poussé, dans dix ou vingt ans ? Et quoi d’ici là ? Et quoi après cela ? Est-ce qu’on a vraiment réussi à les convaincre que leur pays est quelque part ailleurs, qu’on les attend bras ouverts à Belgrade ? Est-ce que les jeunes gens qui récemment ont sifflé le drapeau de leur pays en Herzégovine, en acclamant parallèlement le blason croate lors d’un match de foot, pensent que quelqu’un est véritablement préoccupé de leur avenir à Zagreb ? Puisque, manifestement, il semble qu’on ne veut pas pénétrer les raisons réelles de cet événement, il est tout à fait sûr qu’on aboutit à des conclusions erronées. L’une d’elles est celle qui prétend que cet événement est la preuve de la nécessité d’abolir les ministères de la Défense au niveau des entités. Plus exactement, il est tout à fait évident que cela doit être fait, pas à cause des événement de Manjaca ou de Bileca, mais pour d’autres raisons réelles et connues par tout le monde. Il est assez simplifié et banal de baser sur cette thèse l’idée de la démilitarisation. Un rang de jeunes imberbes ne peut pas être la base d’une telle idée, cela peut être uniquement une bonne intention envers la Bosnie-Herzégovine.

Il est difficile d’accepter la proposition d’un nouveau serment, à moins qu’à cette cérémonie ne soient présents tous les politiciens de RS qui ont participé à l’adoption de ces lois, car il s’agit d’une opportunité unique pour qu’ils expliquent la réforme de la défense dans ce contexte. Il y a donc deux façons de réagir. L’une est de proclamer les recrues coupables et de condamner tous les soldats de la classe du mois de mars à sept jours de corvée de chiottes. L’autre, c’est de cesser de leur mentir. Il serait temps.

____________

[1] quand de nouvelles recrues de Republika Srpska ont refusé de prêter serment à la Bosnie-Herzégovine

[2] c’est-à-dire l’Armée populaire yougoslave (JNA)

[3] En Republika Srpska, il est recommandé de célébrer le Nouvel an « serbe », selon l’ancien calendrier, le 13 janvier

 

Bosnie : la grande misère de l’agriculture
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 8 avril 2005
Deux habitants de la Bosnie-Herzégovine sur cinq vivent dans les campagnes. Pourtant, l’agriculture du pays est sinistrée, et la Bosnie importe massivement des produits alimentaires. En plus des destructions de la guerre, les ravages de l’après-guerre, et notamment la corruption, portent leur part de responsabilités dans ce naufrage. Les politiciens semblent indifférents au problème.

Par Hamza Baksic

La vie réelle n’a définitivement rien à voir avec la politique actuelle, occupée par des grands thèmes comme l’Europe, la nation, la transition... La majorité et l’opposition défendent chacun leur propre voie, mais elles se retrouvent pour cacher la vie réelle. Les éleveurs de bétail de Livno, par exemple, agitent la menace d’une rébellion cantonale des paysans. Ils ont reçu de l’État quatre cent moutons de reproduction. Ils considèrent que c’est peu, car sur 40 000 ménages, la donation cantonale n’apporte aucun changement. Les agriculteurs demandent plus que l’État ne peut donner, et ils considèrent que l’État le leur doit. L’État répond plutôt par habitude car, dans ce genre d’affaires, il ne se débrouille pas trop bien. Le jeu des téléphones en panne perdure, entre autres, parce que s’il y a beaucoup de paysans au sein du Parlement, on y trouve bien peu de vrais agriculteurs...

Il y a quelques temps, l’élite rigide et inclinée vers la corruption du Parti de l’action démocratique (SDA) de Bihac a vendu la laiterie locale à ses copains turcs - autrement dit, à elle-même - pour la somme incroyable de 10 000 KM (5000 euros). L’affaire a eu comme résultat final une faillite de la laiterie et des paysans gravitant autour d’elle. Heureusement, ce n’était pas la fin de l’histoire car, en entre temps, le propriétaire de la laiterie est devenu l’entreprise Megle. Dans la municipalité, les gens sont contents - un souci de moins - , les paysans sont contents aussi : ils vendent leur produits et rentabilisent leur production. Contents sont aussi les clients : ils peuvent obtenir à bon prix un lait qui offre, comme on aime le dire, « la qualité slovène ».

L’exemple est bon est rare. Les paysans, qui représentent les deux cinquièmes de la population de la Bosnie et Herzégovine, vivent sur les marges de la politique et de l’économie. Ils redeviennent intéressants de temps en temps, d’une élection à l’autre, au temps réservé pour semer à tout vent les promesses. La récolte n’a jamais lieu, c’est bien connu.

L’équipe de l’Agence pour les initiatives locales de développement de Gorazde « Aldi », dans une analyse ample et fiable du développement économique en Bosnie et Herzégovine prend note de l’exemple suivant : « ...Dans la Fédération, il est possible de cultiver seulement certaines sortes de framboises, qui donnent jusqu’à 70% moins de fruits que les nouvelles sortes actuellement plantées en Europe. La Fédération défend l’importation de nouvelles sortes, ce qui oblige les paysans à semer les anciennes. Les investissements dans les plantations de framboises sont des projets de long terme, et les paysans qui, cette année, vont planter de nouvelles framboises pourront seulement en 2014 remplacer les anciennes sortes par des nouvelles, plus productives ».

La Bosnie et Herzégovine a reçu des compliments pompeux pour sa politique de marché ouvert. Cela fait du bien de l’entendre, surtout à ceux qui ne savent pas de quoi il est question. L’Union européenne, voulant protéger son économie, dépense 47 milliards d’euro en subventions. C’est comme cela qu’il est possible que le kilogramme de beurre importé coûte moins de 5 KM. Les deux pays voisins de la Bosnie, la Croatie et la Serbie, protègent également leur production. Il s’agit d’une protection rusée, soit disant informelle, mais en gros d’une sorte de subvention contre laquelle La Bosnie et Herzégovine ne peut pas tenir la concurrence - il n’ y a pas de sous. Le lait bosniaque ne passe pas en Croatie, malgré la technologie « Megle ». La Bosnie et Herzégovine dépense un milliard d’euro pour l’importation de produits alimentaires.

Notre État n’a pas de sous. Ces sous ne peuvent pas naître de l’économie urbaine. Ils ne peuvent pas non plus venir des employés licenciés des usines métallurigiques de Zenica dont l’attention est uniquement tournée vers le décompte de leurs années de travail. L’année passée, deux entités et les cantons ont mis de côté pour l’aide à l’agriculture quelques 18 millions de KM. Dans ces 18 millions, l’aide direct aux « fermiers » dans la Republika Srpska a été de 9 millions et en Fédération de 24 millions de KM. 

Pour 1,6 million d’habitants des villages. Et cela ne pouvait pas être plus, sauf si on ne compare l’aide pour l’agriculture avec les dépenses des deux ministères de la Défense - 51 millions en Republika Srpska et 24 millions en Fédération. Ou par exemple, si on arrivait à empêcher les malversations dont parle Transparency International - quelques 70 millions de KM par année, une somme largement suffisante pour lancer l’élevage du bétail dans une centaine de village montagnards. D’un autre côté, les agriculteurs doivent savoir qu’il n’existe pas d’Etat qui puisse protéger une productivité basse, que ce soit dans le domaine de l’agriculture ou dans celui de l’industrie. Les agriculteurs d’Herzégovine ont, une fois, fait couler leur lait par terre parce qu’ils n’arrivaient pas à le vendre. Les producteurs de jus de fruits pourraient-ils, eux aussi, verser leur jus parce qu’il n’y a personne pour l’acheter ?

Dans les manifestations des agriculteurs ces derniers mois, mais aussi dans la position prise par le gouvernement qui a succombé d’une façon masochiste aux pressions, on peut observer une dose assez importante de protectionnisme. La somme effrayante dépensée pour l’importation de produits agriculteurs et alimentaires est d’autant plus préoccupante qu’elle n’a pas de contrepoids dans les exportations. On importera toujours, évidement, sauf si la ville est prête à crever de faim. L’exportation est cependant un travail à risque, demandant un haut niveau d’expertise et notre pays, lors des privatisations, telles qu’elles ont été faites, a liquidé les teams d’experts des entreprises spécialisées. Encore beaucoup d’eau va couler sous les ponts avant qu’on ne fasse les comptes sur ce qui a été détruit par la guerre, et ce qui relève des destructions d’après guerre.

S’appuyer sur la diaspora et les liens familiaux représente un bon petit business, mais qui ne mène pas très loin parce que, près de chez nous, nous avons des pays comme la Turquie et la Bulgarie, qui nous devançaient bien même avant la guerre. Et la Bosnie et Herzégovine ne propose pas grand chose d’autre que son fromage de Vlasic.

 

Crimes de guerre : les témoins en danger en Bosnie
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 10 avril 2005

Selon l’Association des femmes victimes de guerre, il y a de plus en plus de menaces contre les témoins des crimes de guerre. Ces menaces se multiplient au moment même où l’on essaie d’évaluer si la Bosnie et Herzégovine est capable de juger elle-même les criminels de guerre. L’association exige que les criminels de Foca, Prijedor et Visegrad soient jugé par le Tribunal de la Haye.

Par A.Omeragic

Bakira Hasecic, la présidente de l’Association de femmes victimes de guerre de Sarajevo, déclare que les témoins des crimes de guerre sont de plus en plus souvent victimes de menaces ces derniers temps. Bakira Hasecic ne voulait pas donner les noms des témoins qui reçoivent des menaces par téléphone ou par voie orale, mais elle affirme que ces cas sont déclarés à la police. « Et pas seulement à la police. Nous l’avons également signalé aux représentants du Tribunal de la Haye », ajoute-t-elle, en faisant comprendre que même un témoin dans le procès contre Novo Rajak a été menacé. 

Les témoins (non)protégés

Il est intéressant de noter que les témoins reçoivent des menaces justement au moment où l’on essaie d’évaluer si la Bosnie et Herzégovine est capable de juger elle-même les criminels de guerre dont les actes d’accusation sont signés par Carla del Ponte. L’une des questions qui se pose avant la décision sur le transfert de certains procès en Bosnie et Herzégovine est la question du degré de protection qu’on peut assurer aux témoins. La police doit vérifier si les témoins sont victimes ou non de manipulations, mais en partie à cause de ces menaces, l’Association exige que le Tribunal de La Haye continue à juger les criminels de Prijedor, Foca, Visegrad et Sarajevo.

Sur la liste des personnes qui devraient être jugées par le Tribunal figurent Zeljko Mejakic, Momcilo Gruban, Dusan Fustar et Dusko Knezevic, inculpés pour les crimes commis à Omarska et Keraterm, des affaires que Carla del Ponte veut céder à la juridiction bosniaque.

Les femmes victimes de guerre exigent que le Tribunal de la Haye juge Savo Todorovic, Mitra Rasevic, Gojko Jankovic, Dragan Zelenovic et Radovan Stankovic, accusés pour les crimes commis à Foca, Milan et Sredoje Lukic, accusés pour les crimes commis à Visegrad, ainsi que Dragomir Milosevic, inculpé pour avoir bombardé Sarajevo, et qui, selon une recommandation de Carla del Ponte, sont également supposés comparaître devant le Tribunal de Sarajevo.

« Nous sommes pour l’établissement du Tribunal en Bosnie et Herzégovine et nous voulons collaborer avec celui-ci. Beaucoup de ces personnes ne figureraient même pas sur les actes d’accusation s’il n’y avait pas eu nos témoignages, mais nous sommes contre l’idée que le Tribunal cède les cas des criminels qui ne sont pas encore arrêtés », ajoute Bakira Hasecic.

Le soutien au Tribunal

Dans leur lettre adressée à Carla del Ponte, les femmes victimes de guerre ont également émis leur position négative par rapport à la possibilité de remettre temporairement les accusés en liberté. Bakira Hasecic rappelle que les victimes sont restées sans propriété, qu’elles habitent dans des caves et survivent à peine, alors que « le gouvernement de la Republika Srpska donne des garanties pour les criminels, afin qu’ils puissent se défendre en liberté, qu’il les accueille comme des héros, les transporte à la Haye dans des avions loués, rémunère leur héroïsme, attribue à leurs enfants des bourses, et à leurs familles des prix pour les viols, les homicides et le nettoyage ethnique ». « Ils ne les auraient jamais arrêté s’il n’y a pas eu de Tribunal de la Haye. S’il n’y avait pas de communauté internationale, les témoins devraient tous s’enfuir de la Bosnie et Herzégovine », conclut Bakira Hasecic.

 

Bosnie : la ségrégation ethnique persiste dans les écoles
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 8 avril 2005
54 écoles de Bosnie et Herzégovine excluent encore toute mixité nationale et confessionnelle. Le Conseil de l’Europe et l’OSCE mettent en accusation les autorités bosniaques, qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour mettre fin à ces pratiques de ségrégation. Dans ces conditions, les jeunes reproduisent naturellement les schémas de haine nationale.

Par Zija Dizdrarevic

Le Conseil de l’Europe et la mission de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) en Bosnie et Herzégovine ont reproché au gouvernement bosniaque de continuer à s’écarter des obligations induites par l’adhésion de la Bosnie et Herzégovine au Conseil de l’Europe, se basant sur le constat qu’aujourd’hui encore 54 écoles du pays fonctionnent selon le principe d’écoles séparées sur la base de la nationalité, mais sous le même toit.

Le Conseil de l’Europe et l’OSCE exigent des autorités bosniaques d’en finir jusqu’à la fin du mois de mai avec la ségrégation et la discrimination basées sur les origines ethniques, de respecter les lois de Bosnie et Herzégovine et d’unifier ces écoles sur les plans juridiques et administratifs.

Toutes les réformes entreprises à l’heure actuelle sont insignifiantes au vu de ce qui se fait avec les jeunes de Bosnie et Herzégovine, et cela après les horreurs faites contre cette jeunesse par la guerre. Un grand nombre d’enfants sont élevés dans un esprit autiste, dans une ambiance de séparation brutalement créée, basée sur la nationalité et la religion. Parmi les écoliers, dans beaucoup de milieux, on inculque le sentiment de supériorité, ou d’infériorité, par rapport aux autres enfants de « l’autre école » sous le même toit. On impose aux jeunes le principe d’exclusion nationale et religieuse, qui suggère que le conflit ethnique serait un état social naturel. Les autorités de Bosnie et Herzégovine prouvent leur indifférence par rapport aux obligations internationales, envers lesquelle elles ont pourtant un devoir de responsabilité, tout comme envers leurs propres lois et leur jeunesse. Ce n’est pas surprenant, dans la mesure où ce sont précisément les politiciens actuellement au pouvoir qui ont produit le concept de gouvernement et d’organisation de la société ayant pour résultat des écoles et des classes séparées sur une base nationaliste, qui a engendré la résolution néfaste dite « deux écoles sous le même toit », menant à une éducation guidée par une logique de ségrégation et d’apartheid.

 

Le Conseil de l’Europe et la Bosnie-Herzégovine : vers une révision des accords de Dayton ?

Publié dans la presse : 16 mars 2005
Après la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen qui s’est prononcée le 17 février en faveur d’une révision de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, c’est la « Commission de Venise » du Conseil de l’Europe (composée d’experts des questions constitutionnelles), qui vient de condamner le texte de Dayton, jugé irrationnel, inefficace et non viable.

Cet avis, qui considère que l’actuelle architecture institutionnelle du pays empêche tout progrès vers l’intégration européenne, sera versé au débat sur la Bosnie-Herzégovine qui doit intervenir prochainement en séance plénière de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

La Commission préconise une profonde révision, sinon un bouleversement de l’organisation et du fonctionnement des pouvoirs de manière à renforcer le rôle des organes centraux, limiter les compétences des cantons dans la Fédération, qui pourraient d’ailleurs être supprimés, simplifier les structures administratives et politiques et modifier les processus de prises de décision à tous les niveaux en réduisant les possibilités de veto ethnique. Elle préconise également une réduction progressive des pouvoirs du Haut-Représentant.

Cette prise de position autorisée s’ajoute à toutes celles qui s’affirment, en Bosnie-Herzégovine et en dehors d’elle, pour constater que la situation institutionnelle du pays le plonge dans une paralysie complète. Cette évidence ne paraît toutefois pas toucher les décideurs internationaux, en premier lieu ceux de Bruxelles, qui attendent des hommes politiques locaux en place qu’ils changent eux-mêmes les règles d’un jeu dont ils sont les uniques bénéficiaires. Le seul accord que peuvent passer entre eux les partis nationalistes qui se partagent le pouvoir est précisément celui de maintenir le statu quo avec son semblant d’unité, qui leur permet de préserver leurs avantages acquis.

C’est ce que vient de confirmer la récente crise politique bosnienne, qui s’est provisoirement terminée par la formation d’un nouveau gouvernement en Republika Srpska et la reconstitution du gouvernement « central » de Sarajevo, comme si rien ne s’était passé . En attendant que resurgissent, sous peu, les problèmes non résolus, comme ceux, par exemple, de la réforme de la police et de la défense, sans compter tous les autres...

 

Réformes majeures à l’Université de Sarajevo
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 25 février 2005
Mise en ligne : mercredi 9 mars 2005

Une importante réforme devrait toucher l’Université de Sarajevo, afin de rapprocher l’institution des normes et des standards européens.

Par An. Simic

Les bases de la plus importante réforme de l’histoire de l’Université de Sarajevo sont en place, a affirmé jeudi 24 février le recteur de l’Université de Sarajevo, Hasan Muratovic, à l’occasion d’une conférence de presse organisée à ce propos. L’Université héritera d’un nouveau statut et d’un nouveau système de gestion de l’ensemble de l’institution, pavant ainsi la voie à une nouvelle loi sur l’éducation universitaire.

Cette réforme devrait permettre la réalisation d’un grand nombre d’objectifs, tels qu’une diminution radicale de la durée des études et une augmentation du taux de réussite aux examens, l’implantation de la Déclaration de Bologne, l’intégration de l’Université dans l’Espace européen de l’éducation universitaire et dans l’Europe des savoirs, l’harmonisation et l’adaptation des cursus universitaires à ceux des autres universités, la formation des cadres aux marchés européen et mondial, l’introduction d’un système de diplômes comparables au niveau des hautes études et du système européen des crédits transférables, ainsi que l’autonomisation de l’Université.

Comment réaliser ces objectifs ? Le recteur estime que la réussite de cette réforme passe par la création d’une personnalité légale autonome pour l’Université : les facultés deviendront des « unités organisationnelles » de l’institution, les professeurs et les autres employés travaillant pour les facultés devenant des employés de l’Université - et non pas des facultés. L’ensemble de l’Université sera géré de façon homogène, la plupart des départements seront réunis - finances, investissements, maintien, activités éditoriales, etc. - et tous les niveaux seront intégrés dans un système informatique unique.

A partir de l’année prochaine, la durée d’études sera raccourcie pour certaines facultés [1], et réorganisée sur 3+2 ans, alors que le système des cours et des examens permettra un plus grand taux de réussite aux examens.

Dans les facultés des sciences techniques, la période d’étude sera fixée à 4+1 ans, tandis que la facultés de médecine sera exclue de ce changement et conservera le même nombre d’années d’études. A ce sujet, soulignons que selon la Déclaration de Bologne, il existe trois degrés d’études supérieures : la formation « d’avant-diplôme » qui peut durer de trois à quatre ans, les études « post-diplôme » d’une durée d’un ou deux ans, et les études doctorales dont la durée est de trois ans.

La prochaine génération d’étudiants de l’Université de Sarajevo pourra se présenter aux examens une seconde fois, dans le cas d’un échec, après un mois de préparation supplémentaire Cela signifie que les étudiants auront beaucoup plus d’engagements durant la période des cours et des séminaires, et il en va de même pour les professeurs. Les étudiants qui ont commencé leur cursus avant cette réforme continueront leurs études selon les règles et les droits qui étaient en vigueur à l’époque de leur inscription, mais il leur est possible d’opter pour le nouveau système.

Quant à l’organisation même de l’Université, elle sera modifiée afin de mieux répondre aux besoins de la recherche et de la formation - un fonds spécial est prévu à cette fin. Si l’adoption de la nouvelle Loi nationale sur l’Université devait être reportée, le recteur Muratovic a annoncé que le Canton de Sarajevo l’adopterait, permettant ainsi la réalisation de la réforme malgré l’éventuel blocage politique. Un Conseil pour le développement de l’Université verra également le jour, avec pour président Muhamed Filipovic.

Aux questions de journalistes s’interrogeant sur la vente du terrain du campus universitaire à l’Ambassade américaine, le recteur a simplement affirmé « qu’il y avait des groupes qui freinaient sa construction », mais qu’il ferait tout pour respecter les promesses faites aux gestionnaires précédents.


[1] Un catalogue est en préparation, mais il est déjà certain que les départements de la Faculté des sciences naturelles et de mathématiques, certains départements de la Faculté des Lettres, de la Faculté de l’Economie, et de la Faculté de l’Architecture seront touchés par ce changement de durée d’études

 

Bosnie : tabou sur les abus sexuels envers les enfants
TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS

Publié dans la presse : 4 mars 2005
En Bosnie-Herzégovine, les auteurs d’abus sexuels envers les enfants ont peu à craindre d’une société qui évite tout débat sur ce sujet. Le pays n’a toujours pas adopté de législations spécfique et les témoignages sont rares.

Par Aida Alic

Alija ne paraît pas avoir beaucoup souffert dans sa vie. C’est une jolie jeune fille aux longs cheveux bruns, qui sourit volontiers jusqu’à ce qu’elle se rappelle l’horreur qui lui est arrivée. Alors son sourire disparaît, l’éclat de ses yeux s’éteint et elle se met nerveusement à prendre une cigarette après l’autre dans son sac.

« J’aimais vraiment mon grand-père. Je lui faisais confiance. C’était lui que je préférais », explique Alija, qui ne témoigne pas sous son vrai prénom. « Je n’ai jamais pensé qu’il était capable d’être aussi répugnant ».

Le grand-père d’Alija, en fait le second mari de sa grand-mère, a commencé à commettre des abus sur elle dès sa septième année. « Il m’a demandé de lui toucher le pénis, ce que j’ai refusé de faire. Alors, il m’a pris la main et m’a forcé à le faire en disant qu’il fallait que personne ne le sache. Il s’arrangeait toujours pour être seul avec moi, il fallait alors que je garde mon calme et prétende que tout allait bien ».

Une histoire comme celle d’Alija fait partie de celle qui n’apparaissent pratiquement jamais ni dans les journaux, ni à la radio ni à la télévision. Les abus sexuels sur les enfants sont un sujet tabou en Bosnie-Herzégovine, où aucun mesure légale n’a encore été prise sur ce sujet.

« Ce n’est pas considéré comme prioritaire », explique Slobodan Nagredic, vice-ministre pour les Droits de la personne et les réfugiés et président du Conseil pour les Enfants.

Il a ajouté que l’État prenait maintenant des mesures sur cette question. Il faisait référence à un rapport de son ministère pour faire adopter une convention mettant hors la loi la discrimination contre les femmes, et qui se référait directement aux abus sexuels contre les enfants.

Faisant le détail de tous les cas récemment connus, ce rapport a identifié 90 victimes de 1996 à 2002, dont 68 filles de moins de 14 ans.

Pas de législation spécifique

Le rapport ministériel a, au moins, levé le voile et mis la question sur le devant de la scène, mais la Bosnie n’a toujours pas adopté de législation contre la violence familiale, alors que le Comité d’Helsinki pose la question depuis 2000.

Mirsada Poturkovic, directrice du Centre du travail social, pense quant à elle que l’adoption d’une nouvelle loi permettrait aux autorités d’être plus efficaces pour empêcher les abus sexuels envers les enfants et pourrait conduire à la fondation d’institutions spéciales et de maisons protégées pour les victimes.

Mais personne n’a vraiment confiance dans les lois. Dusko Tomic, chef de la section de Sarajevo de la Première Ambassade des Enfants - Medjashi, une ONG qui se bat pour les droits des enfants, estime qu’ adopter une loi ne changerait pas grand-chose. « La violence fait partie de la vie en Bosnie », estime-t-il.

Zlatko Ilic, coordinateur du département des droits des enfants auprès de l’institution du médiateur de la Fédération de Bosnie est aussi très sceptique, en ajoutant qu’il sera difficile de punir les abus sexuels envers les enfants dans une société où cela demeure un secret bien gardé.

« Nous sommes incapables de rassembler des informations sur ces crimes contre les enfants, parce que personne ne vient nous en parler. Les citoyens prennent ces violences comme un simple fait, présenté par les médias ». Le cas d’Alija est hors du commun. Elle a trouvé le courage de raconter à une amie ce qui lui était arrivé, sans rencontrer ni sympathie ni compréhension.

« Quand j’ai dit à ma copine ce qui était arrivé, elle a cessé de se comporter comme mon amie. Elle s’est conduite avec moi, comme si j’étais handicapée mentale », explique Alija.

Nasiha Osmanovic, travailleuse sociale de l’ONG Barcelona ADL dans un quartier de Sarajevo, qui aide les femmes battues ainsi que les enfants, explique que la plupart des enfants se taisent sur leurs bourreaux ce qui n’aide pas à démasquer ces derniers, ni à faire face au problème. « Les bourreaux mettent leurs victimes dans une position de soumission et les obligent à se taire ».

Ce qui rend très difficile d’apprécier l’étendue du problème. « Il nous est arrivé d’avoir des gens qui sanglotaient au téléphone, qui nous appelaient quatre fois par nuit, pour essayer de nous dire quelque chose », explique Dusko Tomic. « Ils n’y arrivaient pas. Ils ne pouvaient pas retenir leurs larmes ».

Alija explique que son expérience l’a marquée et lui a donné la détermination de n’en plus parler. Elle n’a jamais raconté que son grand-père l’avait maltraité. "Mon intention de garder secret ce qui s’est passé le restant de ma vie est de plus en plus forte. Le mal est fait".

Mladen Milosavljvic, un expert auprès d’enfants victimes de sévices sexuels , explique que même quand les auteurs de telles attaques sont arrêtés, ce qui arrive rarement, les condamnations sont légères. « La cour suprême prononce de courtes condamnations d’emprisonnement ou même des peines avec sursis ».

En racontant les quelques cas où il était intervenu, il a ajouté : « La cour suprême a acquitté le bourreau d’une fillette de quatre ans, et deux autres ont été condamnés à 30 et 18 mois ».

Après avoir accompli leurs peines souvent courtes, les bourreaux n’ont pas l’obligation de garder le contact avec les services de l’État.

Les bourreaux impunis

« La loi est de leur côté », explique Dusko Tomic. « En Occident, de telles personnes sont stigmatisées pour le restant de leur vie. Ici, il leur suffit d’aller ailleurs et de faire sévir des sévices à d’autres enfants ».

Ajla remarque amèrement que le grand-père qui a trahi sa confiance, reste une personne respectée dans sa communauté où il continue de vivre à quelques kilomètres de chez sa petite-fille. « C’est toujours un membre respectable de la communauté religieuse, un retraité honnête et un père de famille attentif ».

 

Bosnie : faillite du pool de lutte anti-mafia
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT

Publié dans la presse : 18 février 2005

L’équipe de procureurs internationaux mise en place pour lutter contre le crime organisé est accusée de laisser les criminels bosniaques s’en tirer à bon compte. L’agent manque et les critiques s’accumulent au vu du grand nombre de compromis passés avec les avocats des membres présumés de la mafia.

Par Nerma Jelacic et Hugh Griffiths

Les ententes trop fréquentes avec la défense des accusés a fini par mettre les Bosniaques en colère. Ils reprochent aux procureurs internationaux - lesquels réclament au même moment plus de fonds des ambassades occidentales - d’employer des procédures d’enquête inefficaces permettant aux membres de la pègre de s’en tirer assez facilement.

Un membre respecté de la Cour d’État qui a examiné les documents de l’acccusation est l’un de ceux qui, en Bosnie, ont critiqué le plus sévèrement leur travail. « Des méthodes d’investigation déficientes ont précédé des actes d’accusation bâclés », a-t-il dit. « Ces défaillances ont eu pour résultat un recours généralisé aux compromis avec la défense ».

Un juriste international spécialisé admet que l’équipe de procureurs vouée à la lutte contre le crime organisé n’avait pas répondu aux attentes initiales. « Les procureurs internationaux ont laissé une très mauvaise impression jusqu’ici », a constaté ce spécialiste qui demande à rester anonyme. « Si vous lisez leurs actes d’accusation, vous verrez que beaucoup d’entre eux sont basés sur des ouï-dire ».

Faiblesse du système judiciaire

Ces procureurs avaient été envoyés en Bosnie dans le cadre d’une stratégie de la communauté internationale pour y combattre le problème endémique du crime organisé.

Le Bureau du Haut Représentant international (OHR), l’organisation internationale chargée de la supervision en Bosnie, avait depuis longtemps identifié le personnel judiciaire comme l’un des points faibles du système. Le Bureau avait espéré que des procureurs étrangers seraient moins vulnérables aux menaces et aux pots de vin - problèmes récurrents - que les juges locaux.

Les Canadiens Jonathan Ratel et John McNair, de même que l’Américain Jonathan Schmidt, étaient arrivés en 2003 pour se joindre à une nouvelle équipe consacrée à la lutte contre les crimes économiques et rattachés à la Cour d’État. Ce département comporte sept juges internationaux et six procureurs, dont les trois étrangers Ratel, McNair et Schmidt.

Plusieurs actes d’accusation importants et des arrestations suivirent, dont celles de trois membres de longue date de la Communauté démocrate croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ), celle d’Ante Jelavic, ancien membre de la Présidence bosniaque, celle de Miroslav Prce, ex-ministre de la Défense, et celle de Miroslav Rupcic, directeur de la compagnie d’assurance Hercegovina Osiguranje.

Les 3 pontes du HDZ s’en tirent bien

Les trois procureurs furent mandatés pour résoudre des fraudes de plusieurs millions d’euros, une initiative bien accueillie par les Bosniaques qui souhaitaient que quelqu’un mette un frein au crime organisé, lequel prospère comme jamais en Bosnie.

McNair travailla à trouver des preuves pour soutenir des accusations de corruption et de fraude. En octobre 2004, les deux principaux inculpés, Prce and Rupcic, négocièrent un compromis avec le procureur.

Prce a été emprisonné pour 5 ans et demi et son acte d’accusation passa de 18 chefs à 2 seulement. Son co-défendeur Rupcic reçu une peine de prison similaire. Le précédent établi par Prce et Rupcic augure mal, car doit maintenant venir en jugement le cas du plus important membre du trio, Jelavic.

« En voyant ce qui était arrivé avec le procès de ses associés, les pronostics pour Jelavic ne sont pas très bons », affirme Senad Avdic, éditeur du magazine Slobodna Bosna.

Pendant ce temps-là, le procès d’Asim Fazlic, ancien député directeur d’Interpol en Bosnie, détenu pour abus de pouvoir, est difficile. Une source à la Cour d’État de Bosnie a déclaré à l’IWPR que le procureur Schmidt avait essayé de négocier avec les avocats de Fazlic à plusieurs reprises mais avait essuyé des refus.

En 2004, l’acte d’accusation contre Abduladhim Maktouf, citoyen bosniaque né en Irak, accusé de crimes économiques, avait également connu des problèmes sérieux. Maktouf avait été accusé initialement d’avoir fraudé l’impôt, d’exportation illégale, de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Mais les procureurs internationaux ont depuis révisé leur acte d’accusation, lequel maintenant n’accuse plus Maktouf que de « crimes commis contre des civils en 1993 ».

« Maktouf n’était pas un criminel de guerre significatif », apprend-on à la Cour d’État. « Il aurait été plus pertinent de s’en tenir aux chefs d’accusation originaux. Ces changements reflètent le manque de preuves solides contre lui pour crime organisé ».

Clémence pour Aleksandar Mandic

Dans un autre procès qui s’est terminé abruptement, Aleksandar Mandic - fils de Momcilo Mandic, homme d’affaires bosniaque placé sur la liste noire de l’Union européenne et des États-Unis - a reçu 14 mois de prison après avoir accepté un compromis. Ses co-défendeurs Drazenko Mandic et Dragoslav Popovic purgeront 15 et 20 mois de prison respectivement.

Une personne présente à la Cour a confié que les preuves crédibles contre Mandic manquaient, d’où l’entente avec la défense. Le procureur Ratel a néanmoins défendu sa sentence relativement clémente, affirmant qu’Aleksandar Mandic et ses acolytes ne constituaient que de « cibles intermédiaires » qui contribueraient au cas de Momcilo Mandic.

« Le père d’Aleksandar, Momcilo, est à la tête du crime organisé. Son fils et ses complices coopérent tous avec le procureur », déclare Ratel. Il défend aussi les accomplissements des procureurs dans leur lutte contre la pègre, mais admet que trouver des preuves solides peut être difficile, parce que « peu de gens en Bosnie sont prêts à se commettre ».

« Je peux vous dire que c’est facile de critiquer confortablement assis dans un fauteuil, mais que nous sommes sur la bonne voie puisque nous sommes partis de rien pour en arriver là en seulement deux ans. »

Mcnair, le procureur international en chef, déclare que son équipe fait des compromis avec des criminels moyens pour s’assurer leur coopération dans les enquêtes contre les têtes dirigeantes de la mafia bosniaque. Il est satisfait des résultats à date, rappelant que 16 personnes avaient plaidé coupable en 13 mois en 2004 et au début 2005. « Je suis content des sentences prononcées par la Cour », ajoute McNair.

En privé, toutefois, des responsables du Bureau du Haut Commissariat ont confirmé que les procureurs peinent à monter des actes d’accusation solides contre des personnes puissantes dans la pègre et soupçonnées de crimes économiques sérieux. « Nous n’avons pas été assez systématiques dans notre recherche de preuves concernant ces gens », dit un membre expérimenté du Bureau du Haut représentant.

Une autre source au sein du OHR déclare que « les procureurs représentaient une pièce maîtresse pour le Haut représentant, Lord Ashdown, dans sa stratégie de lutte contre la pègre en Bosnie, mais que leur efficacité a été remise en question en raison de l’absence de condamnation sérieuse ».

Critiques de toutes parts

Des analystes indépendants doutent aussi de l’efficacité des procureurs. Srdjan Blagovcanin, de Transparency International, pense que le grand nombre d’ententes avec la défense « fait planer une ombre » sur leur travail. « La loi a été amendée pour accomoder la possibilité de compromis, mais c’est maintenant devenu une habitude de clore un dossier avec ça. Et ce n’est pas une bonne chose ».

Le Directeur balkanique de l’International crisis group, James Lyon, est plus compréhensif et fait remarquer que les rapports financiers en Bosnie sont plutôt hétéroclites. Il constate que les compagnies conservent souvent deux ou trois types de livres, rendant difficile la détection de transactions douteuses.

« Quand les États-Unis et l’UE mettent quelqu’un sur une liste noire parce qu’il soutient des criminels de guerre ou que le Haut Commissariat limoge un responsable, ils n’ont pas à présenter de preuves de ce qu’ils avancent devant une cour. Ils peuvent s’en remettre à « des sources issues du renseignement » et puis c’est tout. L’accusé n’a aucun droit d’appel pour exiger des preuves contre lui. »

« Mais des procureurs doivent appuyer leurs accusations sur des preuves admissibles dans une cour de justice, ce qui rend la tâche beaucoup plus difficile. »

Toute cette polémique survient au moment où le futur de la mission des procureurs n’est plus assurée : ses coffres sont vides. Des appels aux dons ont été lancés à la communauté internationale afin de permettre au projet de se poursuivre.

Le Bureau du Haut Commissariat avait espéré que les coûts de la mission seraient un jour supportés par la Cour d’État.

Mais ces espoirs se sont évanouis en décembre 2004, quand le Parlement bosniaque a voté une loi reconfigurant le service de la procuration de la Cour d’État en la divisant en trois département : les crimes de guerre, le crime organisé et les crimes de droit commun. La loi ne prévoyait aucun financement pour les procureurs internationaux dans le domaine de la lutte contre le crime organisé.

En dépit de ces problèmes, les donateurs étrangers pourraient bien répondre positivement à l’appel des procureurs. En effet, beaucoup croient qu’une présence internationale dans le système judiciaire bosniaque demeure essentielle, pour un certain temps du moins.

« Les procureurs internationaux sont encore nécessaires au département de lutte contre le crime organisé parce qu’ils sont plus indépendants, car il reste plus difficile d’exercer des pressions sur eux que sur des procureurs locaux », conclut Blagovcanin de Transparency International.

 

Bosnie-Herzégovine : l’architecture religieuse perd sa spécificité
Traduit par Thomas Claus

Publié dans la presse : 7 février 2005
En Bosnie-Herzégovine, l’architecture des mosquées subit une profonde mutation. Selon l’historienne de l’architecture Amra Hadzimuhamedovic, les nouvelles mosquées perdent la tradition bosniaque et se fondent sur le kitsch ostentatoire. Une évolution qui serait due aux financements en provenance du Moyen-Orient.

Par Drita Haziraj -Radio Free Europe -

En Bosnie-Herzégovine, l’architecture des mosquées récentes se fonde sur une manifeste ignorance, sur le désordre, sur l’absence de mystère. C’est ce qu’affirme Amra Hadzimuhamedovic, historienne de l’architecture et présidente de la Commission d’Etat pour la conservation des monuments nationaux. Pour elle, les nouvelles formes données aux mosquées changent le paysage culturel de la Bosnie-Herzégovine, suscitant chez l’individu et la communauté une sensation de perte du lien avec l’attachement au lieu de vie.

Selon les données du Centre pour la culture islamique de Sarajevo, en septembre 2004, quelque 550 mosquées avaient été construites en Bosnie-Herzégovine. La moitié de ces mosquées sont construites sur le lieu même de celles qui ont été détruites pendant la guerre. Mais on peut remarquer que les mosquées bosniaques récentes sont différentes des mosquées traditionnelles. Selon Amra Hadzimuhamedovic, leur architecture est en train de perdre le sens du sacré.

« L’expression traditionnelle des mosquées bosniaques est particulièrement liée à la partie intérieure, explique l’historienne de l’architecture. Nos mosquées ne sont pas monumentales, ni luxueuses dans leur expression externe. Toute la beauté des formes et des ornements est en réalité située et exprimée à l’intérieur du bâtiment. »

« Construites à l’endroit le plus élevé possible »

Selon Amra Hadzimuhamedovic, l’emplacement des mosquées connaît une évolution du même ordre. « Les mosquées traditionnelles ne sont pas construite sur des lieux élevés. Le fait de situer les mosquées en contrebas et de laisser monter les maisons sur les hauteurs est symbolique de l’humilité devant Dieu et de l’orgueil devant ce que Dieu n’est pas. Ce principe sacré et traditionnel de placer la mosquée en plein cœur du tissu urbain a été oublié, déformé par l’architecture moderne. Les mosquées récentes sont construites à l’endroit le plus élevé possible. Mais, de cette manière, elles ne font plus partie de l’unité de la ville. Elles deviennent un symbole de l’utilisation de la religion à des fins d’orgueil et de domination. »

Pour Amra Hadzimuhamedovic, l’aspect des nouveaux minarets et des coupoles n’exprime pas la beauté du sacré. « Les mosquées traditionnelles de Bosnie n’ont jamais eu plus d’un minaret, explique-t-elle. Les minarets multiples des nouvelles mosquées ne servent pas à appeler les fidèles à la prière. Ils sont un ajout architectural qui a perdu aussi bien sa fonction que sa signification symbolique. Les minarets des nouvelles mosquées sont hauts. Cette hauteur leur sert à exprimer un pouvoir et à transmettre un message à tous, y compris à ceux qui ne fréquentent pas la mosquée » [...]

La disparition du sacré, affirme Amra Hadzimuhamedovic, est également visible dans l’analyse de l’architecture des nouveaux mihrabs (l’autel de la mosquée, orienté vers la Mecque), des entrées des mosquées, des sadrvani (la fontaine pour les ablutions) et des fenêtres.

L’influence du Moyen-Orient

L’historienne de l’architecture affirme que plusieurs causes expliquent la multiplication des nouvelles mosquées. D’une part, la promesse du prophète Mahomet selon laquelle « à chaque personne qui construira une mosquée, Allah en construira une autre au paradis. » Mais elle avance surtout deux raisons plus ponctuelles : leur destruction pendant les années 1990 et la présence d’un grand nombre d’organisations humanitaires en Bosnie-Herzégovine.

« Certaines de ces organisations viennent de pays musulmans, explique Amra Hadzimuhamedovic. Les mosquées pour lesquelles ces pays fournissent des fonds reflètent souvent le style qui est dominant là-bas. Plusieurs de ces organisations ont reçu des consignes précises de la part de ces pays. Avec leur argent et leurs consignes, on a construit en Bosnie-Herzégovine des mosquées dont les caractéristiques tendent à détruire la mémoire culturelle bosniaque ».

Amra Hadzimuhamedovic croit que, dans ces conditions, l’héritage culturel des musulmans de Bosnie-Herzégovine est menacé par l’oubli. Selon elle, la tradition des Sultanats ottomans est en train de se perdre, et avec elle l’identité des musulmans bosniaques. [...]

Il s’agirait donc de profiter de la reconstruction des mosquées pour ouvrir les portes à une nouvelle compréhension du sacré, mais sans verser dans un islam arabocentrique et nationaliste.

 

Bosnie : 90% des entreprises ont été privatisées dans le canton de Sarajevo
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 24 janvier 2005

Le gouvernement du Canton de Sarajevo a donné son aval au programme et au plan de financement proposé pour l’année 2005 par l’Agence cantonnale de privatisation. Une attention spéciale sera accordée à la privatisation des entreprises Bristol, Famos Holding et Unis Pretis, qui doivent encore être privatisées...

Par I.Trepalovac Rifet Djogic, le directeur de l’Agence, a affirmé que la privatisation touchait à sa fin, étant donné que jusqu’à maintenant 90% d’entreprises ont été privatisées, et qu’il reste un petit nombre d’entreprises dont l’État permet encore la privatisation. « Notre plan est d’achever la privatisation d’ici la fin de cette année. Actuellement, les privatisations des entreprises Kamenorezac, Zlatar et UPI sont en cours, alors que pour l’entreprise Europa, un appel d’offre sera publié à la fin de ce mois. Une attention spéciale sera accordée à la privatisation des entreprises Bristol, Famos Holding et Unis Pretis, qui sont d’un grand intérêt stratégique étant donné leur domaine de travail et l’importance même du capital et de l’entreprise. Il en est de même pour les entreprises Umjetnicki zanati, Stupeks et Magrosi, qui se situe dans le quartier de Marindvor », explique-t-il.

L’Agence table sur des recettes de 2 086 000 KM (1 030 000 euros), ce qui inclura les sommes réalisées durant la privatisation de l’année passée pour un montant de 804 000KM. 

« Nous nous attendons à un revenu cash de privatisation d’un montant de 10 000 000 de KM. Outre les activités liées à la vente des entreprises qui restent à accomplir en 2005, nous allons effectuer des contrôles dans le but de vérifier si toutes les obligations prises en charge lors de la signature de contrats pour les ventes précédentes sont remplies. Nous avons planifié deux contrôles réguliers au minimum dans 40 entreprises, au cours desquels nous allons exiger une documentation valide sur la réalisation des obligations déléguées par le contrat », ajoute Rifet Djogic.

 

Bosnie-Herzégovine : l’économie prise au piège
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 18 janvier 2005
Malgré quelques progrès enregistrés en 2004, l’économie bosniaque continue à stagner : le chômage touche 40% de la population active, et le PNB ne représente pas la moitié de celui d’avant-guerre. Le pays demeurera répulsif pour les investissements étrangers, tant que les partis nationalistes continueront de bloquer toute véritable politique de réforme.

Par Slavko Skrbic

Dans un court article publié dans le journal Oslobodjenje du 6 novembre 2004, intitulé « Bosnie et Herzégovine, pays à risques pour les investissements », on évoque un rapport de l’Agence mondiale de notification Dun & Brodstreet (D&B), selon lequel la Bosnie et Herzégovine « figure sur la liste des pays dans lesquels existe un très grand risque pour que les investisseurs ne réalisent pas de profits pour les investissements effectués ». Voilà un bon motif pour tenter une analyse des causes et des conséquences de l’état actuel des choses, ainsi que pour chercher de nouvelles solutions pour son amélioration. Nombreuses sont les causes de l’état de choses actuel, mais quelques-unes d’entre-elles ont apparemment un « poids spécifique plus important ». Ce sont notamment l’instabilité politique, le mauvais état dans lequel se trouve les infrastructures de base, une privatisation non réussie, un secteur administratif et légal inefficace et peu compétent. Si nous décidons de considérer que les acteurs économiques de la société sont représentés par les grandes entreprises et les organes du pouvoir, et que nous considérons aussi le Bureau du Haut représentant (OHR) comme un organe de pouvoir, en prenant en plus en compte les causes plus haut citées du risque pour les investissements, nous voyons clairement que la principale responsabilité, presque entière, est assumée par les organes du pouvoir.

Les conséquences de ces très grands risques pour les investissements en Bosnie et Herzégovine et les causes qui produisent ces risques sont très fortement défavorables, notamment pour ce qui est de la constitution et de l’affirmation d’une démocratie créative et d’un progrès matériel et spirituel, en tant qu’éléments de base pour le progrès d’une société. Si l’on prend en compte la situation constatée plus haut, dans laquelle se trouve notre société ainsi que les causes de cette situation, on constate qu’aucun des éléments de base de la démocratie créative n’existe avec succès en Bosnie et Herzégovine. Le progrès matériel et spirituel est très ralenti. Le Produit national brut en Bosnie et Herzégovine jusqu’à la fin de l’année 2003, c’est-à-dire huit années après la guerre, n’a pas atteint 50% du produit réalisé dans la meilleure année d’avant guerre. Le chômage touche plus de 40% de la population active, et les exportations couvrent à peine 30% des importations (ces informations proviennent des institutions publiques). Le développement de la Bosnie et Herzégovine est impossible tant que ce genre de résultats continue d’aggraver la situation sociale et politique du pays. Cette atmosphère se reflète notamment dans le désir de plus de 60% des jeunes de projeter leur avenir à l’étranger. Un jeune homme a même affirmé au journal de la Télévision de Bosnie et Herzégovine du 8 novembre 2004 qu’il vallaitt mieux mourir en Irak que de vivre comme on vit actuellement en Bosnie et Herzégovine. La situation difficile au niveau social et politique dans le pays se manifeste notamment à travers les manifestations des employés licenciés, les protestations des employés travaillant dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’administration publique, les revendications des retraités exsangues, etc.

Quelques facteurs d’optimisme ?

Parallèlement à ces nombreuses manifestations et ce type d’expressions du mécontentement, il existe en quelques témoignages positifs concernant l’état des choses et les mouvements généraux. Adnan Terzic, avec sa position d’éternel optimiste (ce qui est quand même mieux que si, en tant que Président du Conseil des ministres, il ne croyait pas à ce qu’il fait) affirme que « plus personne au monde, sauf quelques exceptions en Bosnie et Herzégovine, ne parle de notre pays en terme de trou noir, mais comme d’un pays qui a un certain avenir européen »... Dans le même numéro d’Oslobodjenje, nous trouvons l’information que le gouvernement a introduit 68% des 405 mesures prévues, que des résultats positifs ont été atteints dans la croissance de la production industrielle dans le premier semestre 2004 (en Fédération de Bosnie 13%, et en Republika Srpska 9%), et qu’une chute des dépenses publiques a été notée.

Quelles conditions pour susciter l’esprit d’entreprise ?

La définition et la réalisation de solutions pour surmonter des problèmes en Bosnie et Herzégovine représentent le devoir le plus important mais pas le plus difficile pour tous ceux qui s’engager pour le pays. Selon de nombreuses observations et avis, l’idée de base consiste dans la thèse selon laquelle on devrait construire une société basée sur les principes d’une démocratie créative et productive. Cela veut dire une démocratie dans laquelle on donne la possibilité et on incite, voire même oblige économiquement, tous les agents opérant sur tout le territoire de la Bosnie et Herzégovine à agir, égaux en droits, pour le progrès et le développement du pays. De même, on doit interdire et punire rigoureusement toute action qui va dans un sens nuisible à un individu, à une collectivité ainsi qu’à la société en général. En plus de cela, on devrait construire un système productif et le plus complet possible de sécurité sociale pour tous les citoyens, ainsi que des organismes de protection et de promotion de l’environnement. Dans ces conditions, l’esprit d’entreprise se développerait, nous travaillerions continuellement sur des innovations et nous arriverions à augmenter le part des investissements étranger en Bosnie et Herzégovine.

Rôle négatif des partis nationalistes

Puisque tous les acteurs du pouvoir de Bosnie et Herzégovine (les SDA, SDS, HDZ, ainsi que le OHR) jurent qu’ils sont pour la constitution et l’affirmation d’une démocratie créative, et qu’en même temps les résultats demeurent affreusement décourageants, une question s’impose : où est le problème ? La réponse la plus concise possible, à mon avis, c’est que le problème demeure dans les objectifs opposés et irréalisables des partis nationalistes, auxquels ils ne veulent pas renoncer, et auxquels le OHR ne peut ou ne veut pas les obliger à renoncer. Les nationalistes, en plus de tout cela, reçoivent la confiance des citoyens lors des élections, fait qui s’explique souvent par la thèse que sans leur présence au pouvoir, la question de la survie de « leur » peuple serait mise en cause. C’est comme cela que les nationalistes s’entraident pour effrayer le peuple avant toutes les élections. Ils sont en plus fortement soutenus par les extrémistes des cénacles religieux. Les corrections de la Constitution de Bosnie et Herzégovine, selon les initiatives récemment lancées, pourraient éventuellement avoir quelques effets, mais il ne faut pas s’attendre à des résultats révolutionnaires. Cela se confirme malheureusement par l’exemple de la situation en Fédération, ou le problème n’est pas causé par l’organisation de la société en entités, mais où une véritable intégration démocratique et créative n’a toujours pas eu lieu sur aucun des plans vitaux de base. Cela dit, nous sommes obligés de nous battre pour qu’arrrivent enfin au pouvoir de véritables forces démocratiques et citoyennes. Sinon, nous allons continuer à stagner et accumuler des retards par rapport à tous nos voisins.

 

En Bosnie-Herzégovine, l’islamisme radical relève la tête
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH

Publié dans la presse : 18 janvier 2005

Les idéologies nationalistes n’ont pas disparu des Balkans. Chez les Bosniaques, nationalisme et extrémisme religieux se confondent toujours. Certains intellectuels musulmans de Sarajevo proclament « un renouveau de la civilisation islamo-ottomane », tandis que les mariages interconfessionnels deviennent de plus en plus rares.

Par Zija Dizdarevic

Le Comité des droits de l’homme d’Helsinki de Bosnie et Herzégovine a déposé une plainte contre Fatmir Alispahi ? pour diffusion de haine raciste, nationaliste et religieuse dans son article publié dans le magasine Saff.

Le Conseil d’administration du congrès des intellectuels bosniaques a également condamné la réhabilitation du génocide contre les Juifs dans le texte de Alispahic. Peu auparavant, le Conseil avait élevé sa voix contre la réaffirmation du fascisme dans la région en attirant l’attention sur le danger que représentait la mise sur le même plan des mouvements partisans et tchétniks, ainsi que le récent acte néo-oustachi de démolition de la statue de Tito à Kumrovec, en Croatie. Cependant, en même temps qu’en Croatie la propagande des idéologies nazies et fascistes et de leurs symboles est interdite, en Serbie et Monténégro les partisans et les tchétniks sont désormais mis légalement sur le même plan.

Radicalisation nationaliste et religieuse

La base idéologique pour la radicalisation nationaliste et religieuse parmi les Bosniaques, dont témoignent plusieurs exemples récents, a plusieurs dimensions. L’agression au cours de laquelle ont été détruits l’État bosniaque et sa société en tant que cadre historique et existentiel des Bosniaques, le génocide qu’ils ont subi - des homicides de masse et des expulsions ainsi que la négation de leur tradition culturelle et historique - ainsi que la survie des idéologies tchétnik et oustachie dans leur entourage ont eu une influence particulière. L’extrémisme ethnique chez les Bosniaques est avant tout d’origine religieuse. Le nationalisme bosniaque trouve ses fondements dans la thèse d’une continuité entre l’hérésie bogomile du Moyen Âge et la période ottomane qui inspire la définition même de l’identité de la Bosnie-Herzégovine. Par cela, on veut bien entendu dire que les Bosniaques ont un droit primordial en Bosnie, et nier en même temps ce droit aux Serbes et aux Croates de Bosnie, car ils se sont, hélas, tournés vers Belgrade et Zagreb. Les défenseurs les plus prononcés de cette thèse ces derniers mois ont été reis ’ul’ulema Mustafa efendi Ceric, le mufti de Mostar H.Seid efendi Smajkic et, en tant que représentant de l’association « Preporod », le professeur Munib Maglajlic.

Renouveau de la civilisation ottomane ?

Ces derniers jours, ils ont été rejoints par Džemaludin Lati ?, personne qui est ravie d’apprendre que « la culture ottomane est en train de renaître dans toute sa splendeur et son élan, comme un soleil lors d’un jour nuageux, sur le continent européen », et cela dans le cadre « de la révolution culturelle bosniaque » de Latic. Dans son élan révolutionnaire Latic se demande : « Quand aura-t-on un état puissant et ordonné, notre propre système musulman des médias, notre foyer bosniaque, quand allons-nous cesser de trembler devant les bottes et les tanks étrangers » ? A cette même occasion, Latic a proclamé Sarajevo capitale religieuse et culturelle de tous les musulmans des Balkans et d’Europe. Il existe deux motifs principaux pour expliquer l’euphorie de Latic. Premièrement, ce sont les efforts pour établir à Sarajevo une Université islamique internationale en tant que point focal de la « révolution culturelle bosniaque » ainsi que de la « revitalisation de la civilisation islamique et ottomane ». Par ailleurs, l’idée qu’après l’adhésion de la Turquie et des Balkans à l’Union européenne, un habitant sur trois de cette Union sera musulman.

La défense d’une civilisation islamo-ottomane ne peut être perçue par les Serbes et les Croates que comme un violent message nationaliste et prosélyte. Avec le retour de Latic sur la scène publique, nous assistons à une nouvelle démonstration d’un panislamisme dont le guide idéologique est feu Alija Izetbegovi ?, de sainte mémoire. La période d’après-guerre a également fait surgir parmi les Bosniaques un wahhabisme agressif, notamment chez les jeunes. De plus, le 11 septembre et la réponse impérialiste des Etats-Unis et de la Grande Bretagne sous couvert de lutte antiterroriste, ainsi que les guerres en Afghanistan, en Iraq, en Tchétchénie et la tragédie palestinienne, sont instrumentalisés pour stimuler le radicalisme parmi les musulmans bosniaques.

La Télévision Alfa a récemment été sanctionnée pour avoir publié la déclaration d’un hafiz [1] qui prêchait le militarisme panislamique combiné avec l’antisémitisme. Le magasine Dani a publié un texte sur la vente publique à Sarajevo de cassettes qui célèbrent l’assassinat de représentants d’autres religions avec un cours pratique en supplément. Le nationalisme bosniaque a donc des sources locales et étrangères. Les mosquées sont aujourd’hui des ateliers politiques d’une production idéologique locale et étrangère. Resid Hafizovic, professeur à la Faculté des sciences islamiques affirme pour Dani : « Pour dire la vérité, il suffit d’aller à la prière dans la mosquée du Roi Fahd pour en sortir totalement effrayé ». C’est vrai, le nationalisme dans ces régions n’est plus une idéologie, c’est un état d’esprit. Par exemple, une jeune fille, née à Sarajevo, avec un diplôme d’Université, travaillant dans une organisation internationale prestigieuse, avec un don pour les arts, charmante, chaleureuse reste attirante aux jeunes hommes bosniaques jusqu’au moment où ils apprennent que son nom et prénom ne sont pas « des nôtres ». Peu importe que sa mère soit bosniaque. Et la jeune fille amère pourra demander à sa mère bosniaque : « Comment as-tu pu vivre avec cet homme ? » L’homme en question, son père, Serbe, est décédé en combattant pour l’armée de Bosnie-Herzégovine.

 

Le double droit de vote des Croates de Bosnie remis en question
TRADUIT PAR URSULA BURGER OESCH
Mise en ligne : mardi 18 janvier 2005

Les citoyens croates de Bosnie votent deux fois, dans leur pays mais aussi pour les élections de Croatie. Ils se sont majoritairement prononcés en faveur de la candidate de droite Jadranka Kosor, contre le Président sortant réélu Stipe Mesic. Étant donné que les Croates représentent un peuple constitutif de la Bosnie et Herzégovine, il n’est pas logique qu’ils puissent voter pour élire le Président d’un autre pays.

Par Darjan Zadravec

La question de la double nationalité et du droit de vote de Croates de Bosnie et Herzégovine est de nouveau d’actualité, en raison des irrégularités constatées dans certains bureaux de vote, mais aussi parce que les électeurs de Bosnie se sont majoruitairement prononcés contre Stipe Mesic, le Président largement réélu par les électeurs de Croatie..

Depuis des années, sporadiquement, d’une élection à l’autre, se pose cette question du droit de vote des Croates de Bosnie : faut-il le donner à tous les titulaires de la citoyenneté croate, ou seulement aux personnes disposant d’un séjour permanent en Croatie, c’est-à-dire aux personnes remplissant toutes les obligations, y compris le paiement des impôts, le service militaire et autres. En plus de cela, une autre question question se pose : le Président de la République de Croatie est-il uniquement Président de l’État appelé la République de Croatie, ou bien est-il le Président « de tous les Croates ». Comme on le sait, Franjo Tudjman n’avait aucune hésitation sur ce point !

En plus de ces aspects généraux, le problème tient au fait que, contrairement aux Croates de l’émigration, les Croates représentent en Bosnie et Herzégovine un peuple constitutif, et cela rend illogique le fait qu’ils votent pour le Président d’un autre pays !

L’importance de surmonter définitivement ce reste de mégalomanie tudjmanienne a été évoquée dans la nuit qui suivait les élections par le Premier ministre croate lui-même, Ivo Sanader. À cette occasion, Sanader a annoncé une prochaine rencontre avec son homologue bosniaque Adnan Terzic, dont l’objectif sera de résoudre la question de la double nationalité.

De son côté, dans ses premières déclarations après le vote, le Président Mesic a souligné la nécessité de changer les lois électorales. « Je vais m’engager à ce que les Croates de Bosnie et Herzégovine restent ce qu’ils sont, c’est-à-dire un peuple constitutif de la Bosnie et Herzégovine, et à ce que nos citoyens qui se trouvent à l’étranger aient le droit de voter quelque soit l’endroit sur terre ou ils se trouvent. Cependant, ceux qui ont le statut de peuple constitutif ne représentent pas notre diaspora. Je respecte la loi actuelle, elle a été adoptée par l’Assemblée nationale croate, et c’est selon elle que les élections ont eu lieu. Je pense cependant qu’elle a montré toute son absurdité. Si quelqu’un veut être élu président de Croatie, il ne peut pas récolter des votes dans un autre pays ! »