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DANAS TPI : Milan Babic a lui-même choisi de révéler son identité TRADUIT PAR JEAN-ARNAULT DÉRENS Publié dans la presse : 7 décembre 2002 Le témoin protégé C-061 n'est autre que Milan Babic, l'ancien dirigeant de la République serbe de Krajina, qui dénonce les responsabilités de Slobodan Milosevic dans les affrontements de Croatie. Milan Babic, qui témoigne pour la troisième semaine à La Haye dans le procès de l'ancien Président yougoslave Slobodan Milosevic, a demandé que soit levée la protection qui l'entourait et qu'il puisse révéler publiquement son identité. La Cour, présidée par le juge Richard May, a accédé à cette demande. Le conseil juridique de Milan Babic, Peter Müller, a expliqué que son client avait fait ce choix pour donner à l'opinion "un geste d'apaisement dans l'espace de l'ancienne Yougoslavie". L'autre raison de ce choix, selon Slobodan Milosevic, serait que Milan Babic voulait répondre ouvertement aux attaques de l'ancien Président. Peter Müller a ajouté que la presse de Belgrade avait déjà révélée l'identité de Babic, en publiant son nom et sa biographie. L'avocat allemand a dit que Milan Babic avait fait ce choix il y a deux jours, après une longue discussion avec sa famille, qui a souffert d'une "longue terreur", tout comme Milan Babic lui-même. Le juge Patrick Robinson a demandé à Milan Babic si cette révélation de son identité pouvait l'aider, et le témoin a répondu qu'il attendait que le Tribunal maintienne les mesures de protection pour sa famille, en dehors de l'audience. L'avocat Peter Müller a expliqué au Tribunal que c'était parce que Milan Babic était soupçonné de crimes de guerre en Croatie, et l'accusation a répondu qu'elle s'attendait à lancer bientôt une inculpation. Dans la suite du procès, Slobodan Milosevic a affirmé que l'Armée populaire yougoslave (JNA), au début de la guerre en Croatie, n'avait jamais ouvert le feu la première. Le témoin Babic a confirmé que les forces serbes avaient provoqué les affrontements avec les Croates, qui ont permis à l'armée yougoslave d'intervenir. Slobodan Milosevic a déclaré que la JNA avait essayé, en août 1991, de débloquer les routes et d'empêcher les affrontements près du village croate de Kijevo, près de Knin. Milan Babic a soutenu que cela n'avait été qu'un prétexte pour positionner l'armée, après que la Sécurité d'État et les milicess serbes eurent provoqué les incidents. Il a directement accusé Slobodan MIlosevic d'être responsable des affrontements, ajoutant que le village avait été entièrement détruit, et que ses habitants avaient fui devant l'armée. "Est-ce que la Krajina a attaqué la Croatie, ou bien est-ce que le régime nationaliste croate a attaqué les Serbes ?", a demandé Slobodan Milosevic. Milosevic a cité une lettre de Babic à ses anciens collaborateurs David Rastovic et Sergej Veselinovic, dans laquelle il écrivait que l'affrontement entre les Serbes de Krajina et le pouvoir croate était dû "au renouveau des Oustachis", et "personne de Serbie n'y était mêlé". Milan Babic a répondu que "Milosevic avait garanti que l'armée yougoslave soutiendrait la lutte politique des Serbes de Croatie". (...) En répondant à une question sur le plan Z-4 qui prévoyait, en 1995, une autonomie pour les Serbes de Croatie, Milan Babic a déclaré qu'il avait discuté à deux reprises de ce plan avec Slobodan Milosevic. Milosevic lui aurait dit la première fois que ce plan était bon, mais la seconde fois il aurait ajouté "seulement pacifiquement'. Milan Babic a expliqué "qu'il y avait une différence lorsque Milosevic manipulait une situation en sous-main, et lorsqu'il se prononçait, pour la forme, en faveur de solutions pacifiques". Le Président est devenu réfugié Milan Babic, l'ancien Président de la République serbe de Krajina (RSK) est né le 26 février 1956 dans le village de Kukor, près de Knin. Il est diplômé de la faculté dentaire de Belgrade (1981). Il a adhéré au Parti démocratique serbe (SDS) à la veille des premières élections pluripartites en Croatie. Ce parti a remporté une très large victoire dans les communes majoritairement serbes, à la suite de quoi Milan Babic est devenu maire de Knin. Au cours de l'année 1992, le SDS s'est scindé en deux ailes : l'une, modérée, conduite par Jovan Raskovic, l'autre, plus radicale, autour de Milan Babic. Le soulèvement des Serbes de Croatie a commencé en 1990, après l'arrivée au pouvoir de Franjo Tudjman et du HDZ. En juin 1990, les représentants politiques serbes ont proclamé une région Région autonome serbe (SAO), dont Milan Babic est devenu Président et Premier ministre. La SAO a pris le nom de République serbe de Krajina (RSK), après la reconnaissance de l'indépendance de la Croatie par la Communauté européenne, en décembre 1991. Milan Babic est resté Président et Premier ministre de la RSK. Il a été démis de ces fonctions en janvier 1992, à l'instigation de Belgrade, car il avait refusé d'accepter le plan de paix de Cyrus Vance, qui prévoyait le statu quo pour les enclaves serbes de Croatie, et l'arrivée de Casques bleus sur les lignes de front. Il a été candidat aux premières élections législatives et présidentielles de la RSK, le 12 décembre 1993, et il a très largement triomphé de son rival Milan Martic. Belgrade a refusé de reconnaître le résultat de ces élections, et un nouveau scrutin a été organisé le 23 janvier 1994, qui s'est conclu par la victoire de Milan Martic, qui est devenu Président, tandis que Borislav Mikelic devenait Premier ministre. À la fin juillet, ce Premier ministre a été démis, et Milan Babic l'a remplacé à cette charge, après qu'il a accepté de signer le plan Z-4. Milan Babic est arrivé à Belgrade avec sa famille à la veille de l'offensive croate "Tempête" du 4 août 1995. Il mène une vie de réfugié dans le faubourg belgradois de Batajnica, chez un cousin. |
Un Serbe de Bosnie condamné à 20 ans par le TPI Agence France-Presse Un Serbe de Bosnie, Mitar Vasiljevic, a été condamné vendredi par le Tribunal pénal international (TPI) de La Haye à 20 ans de prison pour crimes contre l'humanité, pour avoir participé à l'exécution sommaire de cinq Musulmans en Bosnie en 1992. Cet ancien serveur d'hôtel, âgé de
49 ans, était également accusé par le TPI d'avoir fait brûler vifs 135
civils musulmans bosniaques à Visegrad, dans l'est de la Bosnie, à l'été
1992, dans deux épisodes distincts. Le jugement n'a toutefois pas retenu
ce chef d'accusation dans sa condamnation, estimant qu'il n'est pas prouvé
que Vasiljevic ait effectivement participé à ces actes. Dans son
jugement, la chambre note que Vasiljevic a pris part aux côtés d'autres
Serbes de Bosnie à «une entreprise criminelle commune» qui a abouti au
meurtre des cinq Musulmans. Au total, l'accusation lui reprochait
d'être responsable de la mort de 140 personnes. Arrêté en 2000,
Vasiljevic avait plaidé non coupable. |
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The
Hague, 17 Octobre 2002
JUGEMENT
PORTANT CONDAMNATION DANS L’AFFAIRE L’ACCUSÉ CONDAMNÉ À 5 ANS D’EMPRISONNEMENT
Veuillez trouver ci-dessous un résumé du Jugement portant condamnation, rendu ce jour par la Chambre de première instance II, composée des Juges Mumba (Président), Williams, et Lindholm. Ce résumé a été lu à l’audiénce par le Juge Président.
Le présent résumé ne fait pas partie du Jugement. Le seul compte rendu faisant autorité qui relate les décisions de la Chambre de première instance figure dans le Jugement écrit, qui sera mis à la disposition des parties par le Greffe immédiatement après l’audience y relative.
INTRODUCTION ET RAPPEL DE LA PROCÉDURE
Le Procureur a initialement mis l’accusé Milan Simic, un Serbe de Bosnie de 42 ans, en accusation conjointement avec Blagoje Simic, Simo Zaric, Miroslav Tadic, Stevan Todorovic et Slobodan Miljkovic pour des crimes qui auraient été commis dans la région de Bosanski Šamac, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine en 1992.
Milan Simic s’est livré volontairement au Tribunal le 14 février 1998. Lors de sa comparution initiale le 17 février 1998, il a plaidé « non coupable » des charges retenues contre lui dans le premier acte d’accusation.
Le premier acte d’accusation établi contre Milan Simic a été modifié, et sa version la plus récente, le Quatrième acte d’accusation modifié (l’« Acte d’accusation »), a été déposée le 9 janvier 2002. L’Acte d’accusation énonçait sept chefs à l’encontre de Milan Simic : on lui reprochait des persécutions, un crime contre l’humanité (chef 1), des sévices corporels et des tortures infligés à six victimes identifiées, sous deux chefs de torture en tant que crimes contre l’humanité (chefs 4 et 7), des actes inhumains en tant que crimes contre l’humanité (chefs 5 et 8), et des traitements cruels en tant que violations des lois ou coutumes de la guerre (chefs 6 et 9). Toutes les infractions énoncées dans l’Acte d’accusation établi contre Milan Simic auraient été commises entre septembre 1991 et février 1993.
Milan Simic a été mis en liberté provisoire à deux reprises en attendant l’ouverture de son procès, la première fois du 26 mars 1998 au 7 juin 1999, et la seconde du 7 juin 2000 au 13 août 2001. Le procès de Milan Simic et de ses coaccusés Blagoje Simic, Miroslav Tadic et Simo Zaric a débuté le 10 septembre 2001.
Le 13 mai 2002, une « Requête conjointe [confidentielle]sollicitant l’examen d’un accord portant sur le plaidoyer de culpabilité de Milan Simic, conclu entre ce dernier et le Bureau du Procureur » a été déposée. A la demande des parties, la Chambre de première instance a ordonné que les audiences se tiennent à huis clos en application de l’article 62 ter C) du Règlement.
Lors de l’audience qui s’est tenue le 15 mai 2002 en application de l’article 62 bis du Règlement, Milan Simic a plaidé coupable des chefs 4 et 7 de l’Acte d’accusation, c’est-à-dire de deux chefs de torture en tant que crime contre l’humanité. Après acceptation du plaidoyer par la Chambre de première instance, l’Accusation a retiré les autres chefs visant Milan Simic de l’Acte d’accusation et, le 28 mai 2002, la Chambre a ordonné que l’instance de Simic soit disjointe de l’affaire Le Procureur c/ Blagoje Simic et consorts.
Dans l’accord portant sur le plaidoyer de culpabilité, joint en Annexe A à la Requête conjointe déposée par les parties, figure un descriptif détaillé des faits fondant les allégations admises par Milan Simic concernant le comportement criminel appuyant ses déclarations de culpabilité pour les chefs de torture. Milan Simic et l’Accusation ont convenu que certains faits et allégations précis relatifs aux chefs 4 et 7 de l’Acte d’accusation seraient prouvés au delà de tout doute raisonnable si l’Accusation devait entreprendre de présenter de nouveaux éléments de preuve. Milan Simic a reconnu que ces crimes avaient été commis alors qu’il occupait des fonctions de responsable officiel.
Lors de l’audience consacrée à la fixation de la peine du 22 juillet 2002, la Chambre de première instance a levé la confidentialité de tous les dépôts relatifs à ces débats, y compris du compte rendu de l’audience pendant laquelle l’accord sur le plaidoyer a été conclu, à l’exception de la confidentialité de l’accord lui-même. Milan Simic a fait une déclaration au début de l’exposé des arguments de la Défense, en exprimant ses « regrets et remords sincères » pour ce qu’il avait fait à ses « camarades citoyens et amis à l’école primaire ». Il a saisi l’occasion qui lui était offerte pour leur demander publiquement pardon à tous.
L’Accusation a demandé à la Chambre de première instance d’imposer une peine de cinq ans, tandis que la Défense a sollicité une peine de trois ans. La Chambre fait observer qu’en suggérant une fourchette de peines, les parties ont dûment admis que la Chambre n’était pas tenue par leurs arguments.
ÉLÉMENTS À PRENDRE EN COMPTE POUR LA FIXATION DE LA PEINE En prononçant la peine, la Chambre de première instance a pris en considération les éléments à prendre en compte pour fixer une juste peine : la gravité des crimes, l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes, ainsi que la grille générale des peines d’emprisonnement telles qu’appliquées par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie.
Dans l’accord sur le plaidoyer de culpabilité comme dans leurs exposés, les parties ont fait référence aux témoignages entendus au procès de Milan Simic et de ses coaccusés jusqu’à ce que Milan Simic revienne sur son plaidoyer initial. En conséquence, la Chambre de première instance a tenu compte de ces témoignages lorsqu’elle l’a estimé nécessaire.
Nous allons maintenant passer en revue les principaux éléments pris en considération par la Chambre de première instance pour la fixation de la peine, en commençant tout d’abord par les circonstances aggravantes.
Le
comportement criminel à la base de la déclaration de culpabilité, la
gravité des crimes et le mode de perpétration
Milan Simic était membre de la cellule de crise serbe et occupait les fonctions de Président du Conseil exécutif de l’Assemblée municipale de Bosanski Šamac à l’époque où il a commis les crimes dont la Chambre l’a déclaré coupable. Pour ce qui est du chef 4, Milan Simic a reconnu qu’une nuit, entre le 10 juin environ et le 3 juillet 1992, en compagnie d’autres hommes serbes, il avait battu Hasan Bicic, Muhamed Bicic, Perica Misic et Ibrahim Salkic avec différentes armes. Il a reconnu avoir donné des coups de pied dans les parties génitales des victimes et tiré des coups de feu au-dessus de leur tête. Pour ce qui est du chef 7, Milan Simic a reconnu qu’une nuit, vers le mois de juin 1992, en compagnie d’autres hommes serbes, il avait donné des coups de pied à Safet Hadzialijagic et l’avait battu à maintes reprises avec différentes armes. Il a reconnu avoir introduit le canon de son arme dans la bouche de Safet Hadzialijagic. Pendant les sévices, Safet Hadzialijagic a été contraint de baisser son pantalon tandis que les autres Serbes qui accompagnaient Milan Simic, armés de couteaux, ont menacé de lui couper le pénis. Au cours de ces sévices, Milan Simic a reconnu avoir tiré des coups de feu au-dessus de la tête de Safet Hadzialijagic.
La Chambre est convaincue que les actes dont elle a déclaré Milan Simic coupable, et tout particulièrement ceux de torture, sont des actes barbares et absolument révoltants. Même si les mauvais traitements infligés par Milan Simic à ses victimes n’ont pas duré longtemps, leurs modes de perpétration en font des actes monstrueux. La Chambre de première instance considère que la violence de ces actes, leur caractère sexuel et dégradant constituent des circonstances aggravantes dans la mesure où ces éléments ont ajouté aux souffrances mentales et à l’humiliation des victimes. En outre, il convient d’examiner les crimes auxquels Milan Simic a pris part en tenant compte des conditions horribles qui prévalaient à l’époque dans l’école primaire et des traitements inhumains infligés aux détenus dans ce camp de détention. La participation délibérée de Milan Simic aux mauvais traitements de certains détenus a contribué à aggraver ces conditions.
La
position de Milan Simic en tant que Président du Conseil exécutif et
membre de la Cellule de crise
L’état
des victimes et les conséquences des crimes sur celles-ci
Intention
discriminatoire
La Chambre de première instance conclut également que les crimes étaient prémédités dans la mesure où Milan Simic n’avait aucune autre raison de se trouver dans l’enceinte de l’école primaire et qu’il a spécifiquement sélectionné ses victimes parmi les personnes qu’il connaissait. La Chambre de première instance est convaincue de l’existence de deux épisodes de torture distincts pour lesquels Milan Simic a été mis en accusation et desquels il a plaidé coupable, et qui figurent aux chefs 4 et 7 de l’acte d’accusation. La Chambre est également convaincue que Milan Simic a été impliqué dans deux épisodes distincts et indépendants. La Chambre imposera donc une peine pour chacune des infractions.
La Chambre de première instance va à présent examiner les circonstances atténuantes.
Plaidoyer
de culpabilité
La Chambre de première instance indique toutefois dans le Jugement que des aménagements et des transformations conséquentes, notamment le recours quotidien aux installations de vidéoconférence, ont dû être effectués à la fois au quartier pénitentiaire et au Tribunal afin de répondre aux besoins particuliers de Milan Simic, besoins résultant de son état de santé. La Chambre de première instance est consciente des coûts que supposent de telles installations et prend acte du fait qu’une partie de ces coûts ne sont plus à la charge du Tribunal, et donc de la communauté internationale dès lors que Milan Simic a plaidé coupable. La Chambre de première instance conclut en conséquence que bien que le plaidoyer de culpabilité intervienne à un stade tardif, elle tient compte du fait que Milan Simic l’a conclu.
Remords
exprimé
Situation
personnelle : l’état de santé de Milan Simic
Situation
personnelle, notamment, l’âge, la personnalité et la situation
familiale
Reddition
volontaire au Tribunal
Casier
judiciaire vierge
Comportement
au quartier pénitentiaire et attitude générale au cours du procès
FIXATION DE LA PEINE PAR LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE Dans la dernière partie du jugement, la Chambre détermine l’importance relative qu’il convient d’accorder aux éléments susmentionnés lors de la fixation de la peine de Milan Simic.
La Chambre de première instance a pris en considération et apprécié la culpabilité de Milan Simic et les circonstances particulières de l’espèce dans leur ensemble. Au vu des conclusions orales et écrites de l’Accusation et de la Défense, la Chambre de première instance conclut qu’il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que les circonstances suivantes étaient aggravantes : les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises, la position officielle de Milan Simic, la vulnérabilité des victimes et l’intention discriminatoire de
Milan Simic. La Chambre de première instance est convaincue que, sur la base de l’hypothèse la plus vraisemblable, ont été établies les circonstances atténuantes suivantes : la reconnaissance de culpabilité et le remords exprimé par Milan Simic, sa reddition volontaire, l’absence de casier judiciaire, son comportement au Quartier pénitentiaire et au cours du procès. Pour fixer la peine de Milan Simic, la Chambre de première instance a tenu compte de la grille générale des peines d’emprisonnement appliquée par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie, ainsi que du fait que la peine devait refléter l’importance relative du rôle de Milan Simic dans le contexte plus large du conflit en ex-Yougoslavie.
La Chambre de première instance constate qu’il n’existe pas actuellement de grille de peines pour des personnes présentant en général les mêmes circonstances que Milan Simic et ayant commis des actes de tortures reconnus en tant que crime contre l’humanité dans des circonstances semblables.
Milan Simic était un haut responsable public à Bosanski Šamac et il a commis des actes de torture dans l’école primaire de Bosanski Šamac, alors qu’il était président du Conseil exécutif de la municipalité. Même si Milan Simic occupait un poste à responsabilités à Bosanski Šamac, la Chambre de première instance n’est pas convaincue qu’il ait joué un rôle particulièrement important dans le contexte plus large du conflit en ex-Yougoslavie. Cependant, Milan Simic a commis des infractions particulièrement graves à l’encontre de personnes vulnérables. Son comportement et le fait qu’il ait infligé des souffrances atroces en se livrant à de violents sévices et à d’autres actes barbares ne peuvent qu’être condamnés au plus haut degré. Dans des circonstances normales, une longue peine d’emprisonnement, voire une peine d’emprisonnement à perpétuité, aurait été appropriée.
S’agissant de l’état de santé de Milan Simic, la Chambre de première instance a constaté, comme mentionné plus haut, qu’étant paraplégique et ne pouvant se déplacer qu’en fauteuil roulant, Milan Simic nécessite une assistance médicale permanente, notamment une aide quotidienne pour les activités essentielles de la vie de tous les jours. Bien que la Chambre de première instance ait décidé de ne pas considérer l’état de santé de Milan Simic comme une circonstance atténuante pour la fixation de sa peine, elle ne peut ignorer les conditions dans lesquelles il se trouve. La Chambre signale que, dans l’histoire du Tribunal, il n’y a jamais eu d’accusé se trouvant dans un état semblable. Cette condition crée une circonstance exceptionnelle qui contraint la Chambre de première instance à accepter, pour des raisons d’humanité, qu’il faille tenir compte de l’état de santé de Milan Simic en tant que circonstance spéciale pour fixer la peine. Milan Simic se verra dès lors infliger une peine moins lourde que celle qui aurait dû être appliquée. Ceci ne signifie pas qu’une longue peine d’emprisonnement ne peut être infligée à tout accusé se trouvant dans des conditions semblables. Il convient plutôt d’examiner chaque affaire en fonction de ses propres circonstances.
La Chambre de première instance ne considère pas que les conditions de mise en liberté provisoire de Milan Simic constituaient une « assignation à résidence », mais plutôt que cela lui a permis de retourner dans sa famille et dans sa communauté en attendant l’ouverture de son procès. Milan Simic était autorisé à sortir de chez lui, en respectant certaines limites. Dans ces conditions, la liberté provisoire ne peut être comparée à une « détention préventive ».Le temps qu’il a passé en liberté provisoire, hors du Quartier pénitentiaire, en attendant l’ouverture de son procès ne sera dès lors pas déduit de la durée de sa peine.
DISPOSITIF
Le dispositif du Jugement portant condamnation est rédigé comme suit :
Par ces motifs, au vu des arguments des parties, des preuves présentées durant l’audience relative à la fixation de la peine, ainsi que du Statut et du Règlement, compte tenu des
circonstances aggravantes et atténuantes et de la grille générale des peines d’emprisonnement appliquée par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie, la CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE CONDAMNE Milan Simic à 5 ans d’emprisonnement pour le chef 4 et à 5 ans d’emprisonnement pour le chef 7, et ORDONNE la confusion des peines. La Chambre de première instance DÉCIDE qu’à la date du présent Jugement portant condamnation, une période de 835 jours sera déduite de la peine appliquée par la Chambre de première instance.
1. En vertu de l’article 103 C) du Règlement, Milan Simic reste sous la garde du Tribunal international jusqu’à ce que soient définitivement pris les arrangements pour son transfert vers l’État dans lequel il purgera sa peine.
2. En vertu de l’article 104 du Règlement, la Chambre de première instance demande au Greffe du Tribunal de s’assurer, dans la mesure du possible, que l’établissement pénitentiaire où Milan Simic purgera sa peine prendra correctement en charge ses besoins médicaux.
Le texte intégral du Jugement résumé ci-dessus est disponible en anglais sur demande auprès des Services d’Information Publiques, ainsi que sur le site Internet du Tribunal www.un.org/icty/jugements-f.htm Les traductions en français et en BCS seront publiées dès que possible.
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Le général Mile Mrksic plaide non coupable devant le TPI Agence France-Presse Le général à la retraite Mile Mrksic, inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie, a plaidé non coupable lors de sa comparution initiale jeudi. Mile Mrksic, 55 ans, doit répondre
de quatre chefs de crimes de guerre et deux de crimes contre l'humanité
pour le massacre de centaines de civils à Vukovar (est de la Croatie) en
1991.
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BELGRADE (AFP) - Vlajko
Stojiljkovic, un ex-ministre serbe de l'Intérieur, inculpé par le TPI de
crimes de guerre au Kosovo, est décédé samedi soir après s'être tiré
jeudi une balle dans la tête devant le parlement yougoslave, dont il était
député socialiste, ont annoncé les médecins.
"En dépit des efforts de réanimation, Vlajko Stojiljkovic est décédé à 21H30 (19H30 GMT)", a déclaré à la presse Branko Djurovic, chef de neurochirurgie d'un hôpital de Belgrade. Vlajko Stojiljkovic, 65 ans, avait commis cet acte de désespoir quelques heures seulement après le vote par le parlement yougoslave d'une loi autorisant le transfèrement de citoyens yougoslaves réclamés par le Tribunal pénal international (TPI) de La Haye. Stojiljkovic a été inculpé en mai 1999 en même temps que l'ex-président yougoslave Slobodan Milosevic, jugé à La Haye depuis le 12 février, l'ancien chef d'état-major de l'armée yougoslave, le général Dragoljub Ojdanic, l'ancien vice-premier ministre yougoslave Nikola Sainovic et l'actuel président de Serbie, Milan Milutinovic. La disparition de Vlajko Stojiljkovic prive le TPI d'un témoin d'autant plus important qu'il passait pour l'auteur du plan de règlement du problème du Kosovo, dont l'application par l'armée et la police s'est soldée en 1998/99 par un conflit avec la guérilla albanaise entaché d'exactions sur la population civile albanaise majoritaire. Stojiljkovic a été à la tête du ministère serbe de l'Intérieur entre mars 1998 et octobre 2000, date de la chute de son idole Slobodan Milosevic. Député au parlement fédéral, il était aussi membre de la direction du Parti socialiste (SPS, opposition) de Milosevic. Le SPS a déclaré dans un communiqué que Stojiljkovic était "la première victime" de la loi sur la coopération de la Yougoslavie (RFY, Serbie/Monténégro) avec le TPI, entrée en vigueur vendredi. Dans une lettre, publiée vendredi par le quotidien Vecernje Novosti, Stojiljkovic rend directement et nommément responsables de sa mort les successeurs de Milosevic, dont le président yougoslave Vojislav Kostunica et le Premier ministre serbe Zoran Djindjic. Il annonce dans sa lettre de 15 pages qu'il se suiciderait sur le parvis du parlement fédéral. Stoljilkovic, pour qui le vote de la loi sur le TPI équivalait à "une trahison", avait répété ces dernières semaines que ses directives, durant le conflit serbo-albanais au Kosovo (1998-99), ne visaient qu'à défendre le pays contre "le terrorisme albanais". Alors que Stojiljkovic luttait encore contre la mort, le ministre yougoslave des Affaires étrangères, Goran Svilanovic, a déclaré vendredi à Ankara que l'acte de l'ex-ministre serbe "pourrait avoir un impact" sur l'application de la loi sur le TPI, déjà entrée en vigueur. A la suite de l'acte de Stojiljkovic et du suicide à Madrid du secrétaire d'Etat à la Santé Miodrag Kovac, M. Kostunica a renoncé à participer vendredi à Salonique (Grèce) en qualité de président du Parti démocratique de Serbie (DSS) à un "Forum sur la démocratie dans les Balkans occidentaux".
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The Institute for War & Peace
Reporting Bulletin du TPI N° 255 18-23 février 2002 (Traduit par Pierre
Dérens) TPI: Le défi des survivants de Racak à Milosevic
Milosevic accuse l’Occident de fabriquer de toutes pièces un massacre à Racak comme prétexte à l’intervention de l’OTAN. Un journaliste présent alors raconte les témoignages des survivants. Par Gordana Igric Au début de sa défense au tribunal de La Haye, Slobodan Milosevic a montré un documentaire allemand substantiel qui refusait que l’assassinat d’à peu près 45 Albanais dans le village de Racak au Kosovo soit un crime. Prenant la parole après le film, il s’exclama dramatiquement, «A peine un atome de vérité dans l’océan des mensonges dont on se sert dans la guerre contre la Yougoslavie». Pour la guerre au Kosovo, Racak est le seul crime en dehors de la période des bombardements de l’OTAN pour lequel Milosevic a été accusé. Racak, selon son discours d’ouverture, était une raison essentielle de la campagne du Kosovo. S’il a raison de dire que l’Occident a fabriqué l’histoire d’un massacre, je fais partie du montage. Car j’étais sur les lieux en tant que journaliste d’IPWR, pour les droits de l’homme et j’ai parlé aux survivants. C’EST ARRIVE A NOUVEAU C’était au début de 1999, et seulement trois mois avant, les bombardements de l’OTAN, avaient été évitées de justesse en réponse aux atrocités serbes dans la province. Fin 1998, un accord passé entre Milosevic et le diplomate américain Richard Holbrooke avait apporté le déploiement de moniteurs civils et un apaisement momentané de la crise. Le 16 janvier un ami m’appelle pour me parler d’une nouvelle atrocité qui avait eu lieu la veille. Je revenais en bus de Pristina à Belgrade et j’étais impatient de rentrer chez moi. Pour les Droits de l’Homme, je venais de passer deux semaines dans la boue, de dormir dans des pièces non chauffées dans des villages perdus, en m’ efforçant de surmonter les suspicions des Albanais, puisque je suis Serbe. Mon travail consistait à m’informer sur des destructions systématiques et des vols dans les maisons albanaises pendant l’offensive d’été des forces serbes. Sur mon téléphone portable la voix me disait de revenir. «C’est arrivé à nouveau, un autre crime». Je tremblai. D’après les rapports, les bombardements devenaient inévitables. Je sautai dans le premier bus pour le Kosovo. À Pristina, le climat était lourd. Des collègues albanais, horrifiés, décrivaient les corps qu’ils avaient vus. Mais au Grand Hôtel les journalistes serbes dont aucun n’avait été au village de Racak m’ont dit que des allégations sur un crime terrible dans ce village avaient été inventées par l’Armée de Libération du Kosovo (UÇK). Ils répétaient comme des perroquets la version officielle de Belgrade selon laquelle, environ 23 hommes avaient été retrouvés morts dans un ravin à la périphérie de Racak : des combattants de l’UÇK tués au combat. Les autorités serbes disaient que leurs uniformes avaient été enlevés et que les corps avaient été laissés là pour provoquer la réprobation internationale. Une version alternative suggérait que les corps dans le ravin étaient ceux de civils tombés pendant la fusillade ; c’était cela que l’Occident présentait comme un massacre afin de justifier son intervention. On savait bien que l’UÇK tendait des embuscades à la police serbe pour provoquer des attaques en retour, comme à Ljubenic près de Decani en mai 1998, où tout ce qui bougeait fut tué. On s’attendait à ce que l’Occident condamne et à ce que les survivants se précipitent au secours des rebelles. «Je tuerai ma propre famille pour libérer le Kosovo» prétendait un jour un soldat de 20 ans de l’UÇK de Prizren. «Plus il y a de victimes, mieux c’est. Il faudra bien qu’un jour l’Occident réagisse». Racak aurait pu faire partie de cette stratégie. C’est ainsi que co-existent plusieurs versions et une omission importante jamais personne n’a mentionné ou bien même jusqu’à ce jour, paraît se souvenir que beaucoup d’autres cadavres ont été trouvés dans des cours, des rues et des maisons, tels ceux d’un garçon de 12 ans, un nombre incertain de personnes âgées et au moins deux femmes. La confusion était grande depuis que des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, OSCE, se rendant dans le village en fin d’après-midi du 15 janvier, soit quelques heures après la fusillade, n’ avaient pas vu de corps dans le ravin. Des survivants leur dirent que des hommes avaient été arrêtés et conduits à la prison de Urosevac ou au poste de police régional de Stimlje. À ce moment, personne ne pensait qu’ils avaient été assassinés. Ce n’est que le lendemain matin que William Walker, le chef de la mission, est tombé sur les morts, invité par l’UÇK, à se rendre près du ravin. Il y trouva environ 45 corps et 21 autres dans le village. Apparemment choqué, Walker parla d’un massacre de civils, et puis se dépêcha de rentrer à Pristina. Les corps furent transportés à la mosquée, pour que les villageois organisent des funérailles traditionnelles. Mais, pour compliquer, la police serbe est apparue après son départ et enleva les corps de la mosquée. Ils furent amenés à une morgue de Pristina, les autorités serbes voulant mener leur propre enquête. Les Albanais étaient très inquiets. Le 18 janvier, les autorités yougoslaves ont refusé l’entrée au Kosovo à Louise Arbour, alors procureur en chef pour les crimes de guerre. Au bout du compte, une équipe finlandaise de pathologistes, conduite par Helena Ranta, put participer à l’autopsie. Mais ces atermoiements firent perdre beaucoup de temps et compliquèrent l’observation si bien que de nombreuses questions n’eurent pas de réponse, ce que fut obligée de reconnaître Mme Ranta à l’ époque. DES TEMOINS Ma mission fut de trouver des témoins, des gens présents au village lors des faits et qui auraient pu me raconter exactement ce qu’ils avaient vu. Se déplacer n’était pas facile. Mon chauffeur de taxi habituel qui était aussi mon interprète à Pristina me dit qu’il n’était pas raisonnable de rouler sur des routes désertes, la police serbe étant nerveuse et les guérilleros de l’UÇK encore plus. Personne ne voulait m’accompagner. Je louai une voiture et partis seul. Racak était quasiment désert, c’était un paysage d’une vacuité éthérée, étrangement silencieux, en opposition forte avec le débat assourdissant qui débutait à son sujet. Craignant d’être tués par la police serbe pour les empêcher de témoigner, les témoins se cachaient dans les forêts voisines, les villages et les faubourgs de Stimlje et de Urosevac. Ayant besoin d’aide et de traduction, j’espérais que Ruzdi Jasari, militant des Droits de l’Homme de Stimlje m’aiderait. On m’avait prévenu qu’il était devenu un extrémiste albanais, avec un rang élevé dans l’UÇK, et qu’il refuserait de m’aider. Mais il fallait bien que je commence quelque part. Par la suite il apparut que Jasari cachait deux survivants du ravin. Mais il ne vit en moi qu’un Serbe, et me mit des bâtons dans les roues. Détenu pendant la nuit au poste de commandement de l’UÇK dans le village montagnard de Petrovo, près de Racak, on me nourrit et je fus gardé par une jeune femme habillée d’un survêtement noir de l’UÇK. De temps en temps, Jasari me faisait des cours enflammés pour m’expliquer que tous les Serbes étaient des fascistes et des assassins. Libéré le lendemain matin, je fus en définitive capable de trouver 16 témoins (y compris des policiers serbes) la semaine suivante. Évitant le centre ville de Stimje avec sa présence policière serbe forte, je dénichai des hommes âgés, des femmes et des enfants qui avaient survécu. Au début les Albanais que je contactai étaient très soupçonneux, persuadés que j’étais un agent serbe. Mais un militant des Droits de l’Homme de Stimlje, le directeur d’une école du village de Dramjak, près de Stimlje, et membre à Urosevac de la Ligue Démocratique du Kosovo d’Ibrahim Rugova, comprit ce que j’essayai de faire et à l’occasion, m’aida à rencontrer des témoins qui avaient vu. Ils n’étaient pas faciles à trouver ni de les faire parler à un Serbe. Cependant, après avoir parlé longuement avec plusieurs, le réseau s’ouvrit, dans certains cas avec une famille, et les témoins se présentèrent de plus en plus nombreux. CE QU’ONT VU LES VILLAGEOIS Un par un, les témoins me dirent ce qu’ils avaient vu de leur cachette. Un jeune garçon, des femmes en deuil, des hommes terrorisés, tous me dirent la même histoire. D’après leurs dires, à la veille de l’attaque du 15 janvier, il ne restait au village environ que 300 habitants sur 2000. Beaucoup de maisons avaient été brûlées lors d’une attaque de l’armée et de la police serbes en août. Le commandement de l’UÇK se trouvait dans le village voisin de Petrovo, mais ils avaient aussi une base à Racak, et les villageois savaient quelles conséquences cela pouvait avoir pour eux. Ceux qui étaient restés s’occupaient de leur bétail, il y avait aussi ceux qui n’avaient pas de famille dans les villages voisins et des pauvres qui ne pouvaient aller ailleurs. En fait il est fort possible que l’UÇK ait provoqué l’attaque : ils avaient tué trois policiers et en avaient blessé un près du village de Dulje le 8 janvier. Deux jours plus tard on tendit une embuscade à un policier qui fut tué à Slivovo, près de Stimlje. Les quatre jours qui suivirent, on remarqua sur les routes de mouvements accrus de la police et de l’armée. L’attaque sur Racak commença à 6.30 le matin. L’UÇK ne savait pas trop quoi faire, comme me l’a dit un soldat du quartier général de Petrovo plus tard. D’abord ils prirent l’intensification des mouvements de la police et de l’armée pour un début de retrait de la région. Puis soudain les forces serbes ont entouré le village. Un petit nombre de soldats de l’UÇK se trouvèrent pris. Un policier serbe de Stimlje m’a dit plus tard qu’ils mirent deux heures à surmonter la résistance de l’UÇK et à entrer dans le village. Les guérilleros se replièrent sur leur centre de commandement dans le village voisin de Petrovo, en abandonnant à leur sort les civils qui n’avaient pas réussi à s’enfuir dans la forêt. Les premières victimes civiles furent la famille Beqa(épelé «Beqiri» dans l’ acte d’accusation du tribunal de La Haye). Leur maison familiale se trouvait à la périphérie du village ; aucun d’eux, selon les témoins, n’était membre de l’UÇK. Assise par terre, dans une maison obscure, à l’extérieur de Stimlje, je rencontrai E, 40 ans, pleurant de façon inconsolable. Elle avait perdu son fils Halim, 12 ans. Elle m’a dit que ce matin-là un groupe de 40 policiers serbes en uniforme bleu, est apparu en haut de la colline. Ils ne portaient pas de masque. Ils se sont mis à tirer dans leur cour, les membres de la famille à courir pour atteindre les bois. «Halim était à ma gauche et m’a dit de partir en criant» dit sa mère, comme je l’ai noté dans le carnet que j’ai encore. «Puis il est tombé. La balle l’a frappé dans le cou. Ce matin nous n’avions pas eu le temps de nous habiller quand ils nous ont entourés, et il était encore pieds nus, tenant ses pantalons dans ses mains». Devant elle est tombé son mari Rysa, et un autre parent, Zejnel, fut aussi tué. Le père et le fils sont tous deux cités, victimes, dans l’accusation des crimes de guerre de Milosevic. Sa belle-sœur de 32 ans, aussi membre de la famille Beqa, dit que, le matin on pouvait entendre de temps à autre, la police qui tirait du haut de la colline, chanter. «Zyhra et sa fille Fetje ont été toutes deux blessées, elles ont rampé vers nous deux heures. Personne n’osait sortir les aider», se rappelle-t-elle. Ces deux femmes ont survécu. Un ancien de 70 ans se souvient, «Ils criaient de la colline : ‘Aziz Beqa, viens voir tes morts’. Voilà pourquoi je sais que ces policiers venaient de Stimlje. Ils nous connaissaient». Après avoir quitté les Beqa, je fus arrêté à un carrefour à Stimlje par trois policiers serbes. J’avais peur qu’ils ne me fouillent et trouvent mon calepin avec les noms et les déclarations des témoins. J’ai donc provoqué une discussion. «Pourquoi avez-vous tué tous ces gens à Racak ?» ai-je demandé. «Ce ne sont pas des gens, ce sont des terroristes», a craché l’un d’eux. «Et vous êtes un traître». «Un terroriste de 12 ans ?» ai-je poursuivi. «Il n’y a pas d’enfants là-bas. J’y étais, j’ ai pris part à l’action», a-t-il dit. Il m’a montré des impacts de balle sur sa voiture de police, sans lien avec Racak, mais pour me démontrer que la police était toujours la cible des «terroristes». Aucun enfant n’a été tué, a-t-il insisté. Il faut dire cela à la mère d’Halim, ai-je pensé à part moi. En colère et hors d’eux-mêmes, les policiers m’ont laissé passer. A Urosevac, des militants locaux m’ont aidé à trouver un autre villageois, Shefcet Aliu, 50 ans. Il m’a dit que la police «venait de tous côtés. Ils allaient de maison en maison. Ils tiraient». Pendant que la police fouillait la maison de son voisin, Aliu était caché avec sa femme et cinq enfants de ses cousins derrière le mur d’une étable. «Puis j’ai entendu un policier crier : ‘vous ne touchez pas à ceux de moins de 15 ans et vous savez quoi faire avec les vieux’. Ils se parlaient au walkie-talkie». «Puis ils sont venus dans la maison de Nazmi Nuhe Imeri, un vieil homme vivant seul dans la maison voisine. Je l’ai entendu crier. La nuit j’ai trouvé son corps que j’ ai ramené dans la maison de mon cousin. Sa tête était éclatée». L’ETABLE DE SADIK C’est un véritable drame qui s’est passé chez Sadik Dzemo. C’est là que la plupart des villageois qui n’avaient pas pu s’échapper dans la forêt s’ étaient réunis. Ils avaient convenu que les femmes et les enfants (dont le nombre varie selon le rapporteur, entre 13 et 20), ainsi que trois hommes, se cacheraient dans la cave. Les hommes qui restaient (là aussi le nombre varie, entre 26 et 30) se cacheraient dans l’étable, dans l a même cour. La plupart de ces hommes ont été retrouvés morts dans le ravin le 16 janvier au matin. L’un d’eux était Bajrush Shabani, 22 ans dont le nom figure aussi sur la liste d’accusation de Milosevic. Quelques jours après sa mort, j’ai rencontré Lebiba et Miradija Shabani, ses belles-sœurs, chez un parent à Urosevac. D’après la coutume albanaise la mère de Bajrush, Lebiba, l’avait donné à sa mère adoptive, Miradija, qui ne pouvant avoir d’enfants, l’avait élevé comme le sien. Voilà pourquoi deux mères pleuraient Bajrush avec autant de force l’une que l’autre. «Les tanks étaient déjà près de la mosquée», raconte Lebiba, qui avait été avec d’autres dans la cave. «Au bout d’une demi-heure la police est arrivée dans la cour. Ils ont trouvé les hommes qui se cachaient dans l’étable et nous avons entendu la police les en sortir en jurant. Je n’oublierai jamais leurs cris, ils appelaient : maman ! On les battait. Nous avons entendu une mitrailleuse et les vitres au- dessus de nous qui dégringolaient». D’après Lebiba, un policier avec un casque et un masque les trouva dans la cave. Il ordonna aux trois hommes de sortir et d’aller avec les autres dans la cour, alors que quelques garçons trouvés dans l’étable durent aller dans la cave. Lebiba regarda un moment par les portes ouvertes de la cave, et vit les hommes par terre dans la cour hurler pendant qu’on les battait. Puis ce fut le silence. Les femmes cachées en conclurent que les hommes avaient été arrêtés et conduits à Urosevac. Lebiba m’a dit que son fils Rama lui avait dit que la police avait amené les hommes à la sortie du village les mains sur la tête. Il entendit un groupe de policiers restés derrière dire à l’autre groupe sur un talkie-walkie que les hommes arrivaient. En se rapprochant de la colline Rama vit la police avec des fusils. Il se mit à courir vers le village de Rance, et c’est alors qu’il entendit les coups de feu. Il ne se retourna pas et se mit en sécurité. Un témoignage supplémentaire m’a été donné par un garçon de 12 ans qui se cachait avec son père et d’autres hommes dans l’étable. Avec l’aide d ’un journaliste albanais local, je l’ai rencontré, avec son oncle, à Urosevac. On lui avait dit d’abord que j’étais un journaliste allemand, et il fut mal à l’aise quand il comprit que j’étais Serbe. D’après ce garçon, la police est entrée dans la cour de Sadik autour de midi. Un grand policier en casque et avec un masque a ouvert la porte d’un coup de pied et a commencé à tirer. Il n’a tué personne, puisque les hommes étaient par terre. Les gens criaient «Ne tirez pas, nous sommes des civils». On fit alors sortir les hommes dans la cour. Les quatre garçons, dont nos jeunes témoins, furent mis de côté comme ils n’avaient pas 15 ans. Burim Osmani, 15 ans, resta avec les hommes, mais plus tard il fut relâché et put rejoindre les femmes dans la cave. Mon témoin vit trois policiers rouer les hommes de coups de bâton. «L’un d’ eux leur donnait des coups de pied dans la figure. Les autres policiers regardaient simplement. Les hommes hurlaient et saignaient. Quand je fus dans la cave avec les femmes, je pouvais encore entendre les cris». La colonne des hommes capturés, accompagnée par la police, quittait le village. Ils sont passés devant le mur où se cachait Shefcet Aliu qui a dit : «Quoique j’aie entendu les coups de feu plus tard, personne dans le village ne savait qu’on les tuait». LA DECOUVERTE DES CADAVRES Pendant la nuit, Aliu et d’autres hommes âgés ont recherché ceux qui manquaient ainsi que les blessés. Aliu m’a raconté : «Il était autour de quatre heures du matin quand nous sommes allés, avec des torches, à la colline de Kodra e Bebushit et que nous sommes tombés sur le corps de Bajrushi, le fils de Nusret». Ils trouvèrent d’autres corps à côté. «Je voulais recouvrir les cadavres comme le veut notre coutume, mais quelqu’ un décida de ne rien toucher avant l’arrivée des observateurs de l’OSCE. Alors nous n’avons touché à rien. Nous sommes seulement restés debout à côté d’eux, attendant le matin». En un sens, ils attendent encore, ils attendent que la vérité soit confirmée devant la loi au tribunal des crimes de guerre. Au moins quatre hommes ont survécu la fusillade, et ont fait leurs déclarations à la mission de l’OSCE. Il est prévu que Rama Shaba Ni, le fils de Lebiba, qui était dans le ravin, vienne témoigner. Milosevic peut appeler d’autres témoins. Le 25 janvier, Slavisa Doberman, chef de l’institut de pathologie de Pristina, a déclaré que l’autopsie menée sur 21 cadavres ne montrait aucun signe de «massacre». L’expression est pleine de confusion et peut être exploitée puisqu’en serbe, cela veut dire mutiler. Un assassinat collectif, tel celui de Racak, pourrait ainsi se produire, sans être qualifié de massacre, puisque cela dépend de la façon dont les corps ont été traités. L’équipe finlandaise apporta une complexité linguistique de plus, en affirmant que le 17 janvier, l’assassinat des Albanais de Racak était un «crime contre l’humanité» (et «qu’il est tout à fait vraisemblable que les victimes étaient des civils sans armes») mais laissa les hommes de loi décider s’il s’agissait ou non d’un «massacre». Ce point indigna les Albanais. Les Serbes, toutefois, s’en sont servi pour dire qu’il n’y avait pas eu de crime à Racak. Leur attitude n’a pas changé depuis, et il y a même un documentaire, fait par des Serbes, que Milosevic a montré au procès, a dit Ranta. Vojislav Kostunica, le président yougoslave actuel, a parlé de Racak comme d ’un faux prétexte pour les bombardements de l’OTAN. Un ami belgradois m’a demandé, «As-tu entendu l’Occident nous mettre à mal au sujet de Racak»? Oui, ai-je répondu . Mais je suis aussi allé à Racak et j’ai recueilli le témoignage de ceux qui y étaient. |
Danas
23-24
février 2002
(Traduit
par Persa Aligrudic)
TPI : «Qu’il
le veuille ou non, Milosevic reconnaît la compétence du TPI»
Quoique
contestant le Tribunal, Milosevic participe au procès et de ce fait,
qu’il le veuille ou non, il reconnaît ce tribunal, constate Florence
Hartmann.
Par
Jasminka Kocijan, envoyée spéciale de Danas à La Haye
«Slobodan
Milosevic n’a ni le droit, ni la possibilité de se servir du téléphone
au cours des courtes pauses qui ont lieu durant le procès», a déclaré
pour Danas le porteparole du secrétariat du Tribunal pénal
international (TPI), Jim Landale. A la question de savoir si l’accusé
possède un téléphone mobile et s’il peut s’en servir, Landale
ajoute : «Non, il n’en a pas le droit. Non il n’a pas de téléphone
mobile».
Ces
questions se sont probablement imposées à tous ceux qui ces derniers
jours ont suivi le contreinterrogatoire des témoins par l’ancien président
yougoslave. Jusqu’à présent, la façon magistrale dont Milosevic a
fait preuve durant cette partie du procès est impressionnante, surtout
si, comme il l’affirme, «[il] ne connaissait pas à l’avance le nom
du témoin».
En
fait, il en avait le droit et la liste des témoins lui était
accessible, ainsi que tous les autres documents nécessaires à la préparation
de sa défense, mais Milosevic a répété devant le tribunal, il y a
deux jours seulement, « [qu’il] ne voulait recevoir aucun papier
ni document du Tribunal car [il] ne le reconnaît pas ». De
nombreux avocats, observateurs du procès à La Haye, disent que le fait
que Milosevic soit juriste de profession n’explique pas tout car
« une telle habileté à maîtriser un contreinterrogatoire ne
peut s’apprendre dans aucune faculté ». C’est quelque chose
pour quoi, outre l’intelligence, le savoir et la possession
d’informations, il faut tout simplement avoir du talent, pense un
avocat renommé de La Haye qui a voulu garder l’anonymat.
Questionnée
sur la manière dont se déroule l’interrogatoire croisé de Milosevic
et du témoin, la porteparole du parquet, Florence Hartmann, déclare :
« Son interrogatoire du témoin Fehim Elsani a montré clairement
à tout le public que l’accusé devait savoir à l’avance qui était
l’accusé et tout ce qui pouvait le concerner. Or, les médias n’ont
su le nom du témoin que dans le courant de la journée, alors que
Milosevic détenait déjà certains détails comme par exemple :
quand et comment le témoin avait pris sa retraite. Il est absolument évident
que Milosevic consulte les documents que lui envoie le tribunal, malgré
ce qu’il affirme. Peut-être ne les a-t-il pas lus récemment, je ne
le conteste pas, mais il a certainement pris connaissance des
renseignements concernant les témoins. D’ailleurs c’est son droit
le plus strict. Mais cela prouve aussi un autre fait, bien qu’il le
conteste : c’est que Milosevic participe au procès et ainsi,
qu’il le veuille ou non, il reconnaît la compétence du TPI».
Nous
avons demandé à Florence Hartmann de nous dire si elle pensait que
Milosevic recevait les informations en provenance de Belgrade ou par les
membres du Comité de juristes pour sa défense à La Haye, soit par téléphone
ou par des contacts personnels ; elle souligne qu’il a toute une
équipe de gens qui l’aident en cela et lui remettent les informations :
« Cela ne me regarde pas d’où il tient ces informations, s’il
les reçoit par téléphone à partir de sa cellule ou d’une autre
manière. De toute façon il en a le droit, mais par contre il ne peut
pas dire que le procès n’est pas loyal et qu’il est isolé de
toutes informations », de répéter Hartmann.
Rappelons
que d’après le règlement de la détention, Milosevic peut téléphoner
à sa guise dans le courant de la journée lorsqu’il se trouve dans le
bâtiment de la prison de Scheveningen. Une partie de ces conversations
est gratuite car il a droit à deux cartes téléphoniques par mois, le
surplus étant à sa charge. On sait également que des avocats lui
rendent visite – conseillers étrangers et yougoslaves, bien qu’il
n’ait engagé aucun avocat officiel pour ce procès. Tous les jours,
à La Haye, l’un de ses sympathisants du Comité international pour la
défense de Slobodan Milosevic est présent durant les audiences. Ils
tiennent également tous les jours une conférence de presse dans le
Centre des congrès situé à proximité du Tribunal.
Un
autre fait non négligeable : les « amis de la cour »
ont devant eux toute la documentation et peuvent venir en aide à
Milosevic, ainsi que l’a fait Branislav Tapuskovic en interrogeant le
témoin Fehim Elsani. Rappelons que Tapuskovic a établi, et le témoin
a avoué, que le fils de Elsani était membre de l’Armée de libération
du Kosovo (UÇK); l’information avait été recueillie dans les
documents relatifs au témoin. Tout au long de l’interrogatoire par le
procureur et par Milosevic, Fehim Elsani avait pourtant affirmé
n’avoir eu absolument aucun lien avec l’UÇK, qu’il n’était pas
concerné et qu’il ne savait rien de leurs activités…
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Le Courrier des Balkans 13 février 2002
Il suffit de se replacer quelques années en arrière : en 1993 ou en 1994, bien nombreux étaient ceux qui espéraient et pas seulement en Bosnie-Herzégovine - qu'un jour Slobodan Milosevic doive répondre de sa politique devant un tribunal international. Cette hypothèse semblait pourtant totalement irréalisable. Tous les Balkans ont besoin de justice Ce 12 février commence pourtant un procès historique : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un chef d'Etat va être jugé par une Cour internationale pour répondre des crimes que son régime a commis ou inspirés. Hitler s'est suicidé avant d'être arrêté, et la Cour de La Haye n'est pas le Tribunal de Nuremberg. En 1945, les vainqueurs jugeaient les vaincus. Dans les guerres qui ont ensanglanté les Balkans au cours de la dernière décennie, il n'y a assurément ni vainqueurs ni vaincus, et le Tribunal pénal international n'entend pas être une justice de guerre, mais pourrait constituer les prémices d'une juridiction internationale permanente. Point essentiel, Slobodan Milosevic a été chassé par son propre peuple, et les nouvelles autorités serbes ont accepté de déférer l'ancien chef d'Etat devant la Cour de La Haye, non sans d'importantes tensions internes, et même si cette décision a été prise sous d'évidentes pressions internationales. Jusqu'à présent, le TPIY n'avait jugé que des poissons assez petits, serbes, croates ou bosniaques. Il est évident que le procès de Slobodan Milosevic constitue l'heure de vérité de ce Tribunal. Le procès Milosevic, pour historique qu'il soit, va-t-il permettre de refermer définitivement l'ère des violences et des déchirements dans les pays de l'ancienne Yougoslavie ? Rien n'est moins sûr. Les conditions du transfert de Milosevic à La Haye, le 28 juin dernier, laissent toujours un goût amer, et il n'est pas certain que ce procès permettra pleinement au peuple serbe de l'indispensable travail de catharsis, qui lui permettra de regarder en face son passé pour inventer de nouvelles relations avec les peuples voisins. Le souvenir encore vif des bombardements de l'OTAN fait que, pour beaucoup de gens en Yougoslavie, et pas seulement les derniers thuriféraires de l'ancien régime, le TPI reste une justice de guerre, et non par l'instrument neutre qu'il ambitionne d'être. D'autres inculpés courent toujours, et aucun argument politique ou militaire ne peut expliquer que les troupes internationales déployées dans les Balkans n'aient toujours pas pu procéder à l'arrestation d'un Radovan Karadzic. À Belgrade, d'autres têtes risquent de tomber rapidement, celle de Milan Milutinovic, toujours officiellement Président de la République de Serbie, celle peut-être même du général Ratko Mladic*. L'ambiance de marchandage qui entoure ces dossiers l'arrestation d'inculpés contre des promesses d'aide économique n'est guère compatible avec l'expression d'une image sereine et respectable de la justice. Une loi sur la coopération entre la Yougoslavie et le TPIY devait être adoptée par le Parlement fédérale yougoslave, mais elle se fait toujours attendre, en raison de sordides querelles politiciennes. L'idée d'impartialité qui doit être attachée au Tribunal implique aussi que d'autres crimes soient jugées. Trois Albanais du Kosovo ont été arrêtés par les soldats de la KFOR à la fin du mois de janvier, ce qui a suscité un vif mécontentement de la population albanaise à l'égard de la communauté internationale. L'opinion bosniaque a, pour sa part, été profondément affectée par les conditions bien peu légales de l'arrestation de plusieurs terroristes islamistes supposés vers la base américaine de Guantanamo. Les Bosniaques même les plus opposés à l'islamisme radical répètent volontiers que les principaux terroristes de leur pays ont pour nom Radovan Karadzic et Ratko Mladic, et qu'ils courent toujours. Pointe surtout l'idée qu'une justice internationale ne peut pas fonctionner à plusieurs vitesses, ne peut pas être l'objet d'incessants marchandages politiques. Le procès de Slobodan Milosevic est historique par sa nature même ; il faudra de surcroît qu'il établisse la possibilité d'établir une véritable justice internationale. Cette démonstration sera nécessairement longue, le procès devant durer au moins deux années. Le Courrier des Balkans essaiera, durant toute cette période, de se faire l'écho des débats suscités par cette question brûlante dans toute la péninsule balkanique, en permettant à toute la diversité des points de vue de s'exprimer. La rédaction du Courrier des Balkans. |
Un procès équitable et
ouvert démontrera que la justice internationale peut fonctionner Le TPI sera aussi jugé lors du procès Milosevic
L'ancien président yougoslave a été le premier chef d'État en exercice inculpé de crimes de guerre par le TPI créé en 1993. Quelque 66 chefs d'accusation tous passibles de la prison à perpétuité ont été retenus contre Slobodan Milosevic, considéré comme l'instigateur des déplacements forcés et des massacres de non-Serbes pour créer une Grande Serbie ethniquement «pure».
Les instances politiques et judiciaires, qui veulent pouvoir demander des comptes aux chefs d'État et autres dirigeants, tels qu'Oussama ben Laden, suivront le déroulement de près, en cette période de ratification du traité de création par les Nations unies d'une Cour pénale internationale permanente, malgré l'opposition de certains pays, dont les États-Unis, qui menacent d'entraver ses travaux. Quelque 52 pays ont déjà ratifié le document élaboré à Rome en juillet 1998: encore huit et la CPI entrera en vigueur. «Que Milosevic soit déclaré coupable ou innocent, le fait d'amener quelqu'un de son niveau devant la justice représente un exploit», estime William Pace, à la tête de la Coalition pour la CPI. Pour Richard Dicker de l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch, un procès équitable et ouvert démontrera que la justice internationale peut fonctionner. L'enjeu est donc majeur. Jean-Jacques Joris, conseiller spécial du procureur général Carla Del Ponte, reconnaît que la pression est forte mais assure que l'inculpé sera traité normalement car «d'un côté c'est évidemment un procès d'une importance judiciaire historique (...) mais d'un autre côté Milosevic est un homme, un individu». L'ancien maître de Belgrade estime, lui, que le TPI n'a pas de légitimité. On ignore encore quels éléments et témoins présentera l'accusation, qui dit disposer de dizaines de personnes prêtes à témoigner contre Milosevic, parmi lesquels peut-être Zoran Lilic, président de Yougoslavie de 1993 à 1997, ou encore Rade Markovic, chef de la police secrète.
De son côté, l'ancien président yougoslave, qui assure sa propre défense, pourrait appeler à la barre de hauts responsables tels que l'ancien président américain Bill Clinton, l'ex- secrétaire d'Etat de ce dernier Madeleine Albright ou le Premier ministre britannique Tony Blair. Milosevic devrait profiter de la tribune qui lui est offerte mardi pour dénoncer une nouvelle fois, dans sa déclaration liminaire, la responsabilité de l'Occident dans les atrocités commises en Yougoslavie. Mais il a peu de chances d'échapper à une condamnation, d'autres donneurs d'ordres ayant écopé de prison avant lui. «Nous sommes prêts pour le procès», affirme Florence Hartmann, porte-parole de Mme Del Ponte. Chacun fourbit ses armes, que ce soit la défense et les supporters de Milosevic, qui manifestaient encore samedi dernier à Belgrade, ou l'accusation et les victimes, comme le millier de musulmans de Bosnie qui défilaient lundi à Tuzla, en Bosnie-Herzégovine, pour demander justice pour les victimes du massacre de Srebrenica en 1995. |
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